Chapitre 80

Christa était rentrée à l’hôtel vers midi et avait appris que Charles était sorti, accompagné d’un policier. Elle avait hésité à lui téléphoner, craignant de paraître de nouveau trop curieuse ou trop protectrice et de le faire fuir. Alors elle questionna le réceptionniste pour savoir s’il avait eu l’air contraint de partir. Apprenant qu’au contraire il paraissait de très bonne humeur, Christa fut rassurée. Le matin, elle s’était rendue au siège d’Interpol de Prague où elle avait discuté avec un collègue, envoyé deux e-mails depuis le poste de travail de ce dernier et posté une lettre. Puis elle avait rendu deux visites privées dans un quartier de vieilles maisons, où elle était restée un certain temps. Sortie de là, voyant que Charles ne donnait pas de nouvelles, elle était entrée dans un magasin où elle avait fourré dans un panier tous les vêtements qui lui tombaient sous la main.

Depuis sa sortie de l’hôtel elle avait en permanence l’impression étrange qu’on la suivait. Ayant noté que le magasin de vêtements avait deux sorties, elle prit celle de derrière, contourna le bâtiment et se retrouva nez à nez avec l’individu à la trogne de boxeur qui se tenait caché derrière un arbre. À quelques centimètres de lui, elle resta ainsi à le dévisager puis tourna les talons. Ne sachant que faire, le boxeur téléphona à Werner qui, après lui avoir ordonné de rentrer à la villa, balança le téléphone contre le mur où il se brisa en mille morceaux.

De retour à l’hôtel, Christa s’installa dans un canapé du hall et composa le numéro de Charles. Il était au commissariat.

 

Honza attendait devant le siège de la Section spéciale parce qu’il n’avait aucune envie de monter au bureau. Soudain il vit, sur le trottoir d’en face, trois punks à la crête violette, verte et jaune, piercing dans le nez, en cuir noir de haut en bas et Doc Martens aux pieds, s’approcher d’une blonde qui savourait une crème glacée, appuyée à une énorme moto. Les trois types sortaient d’un bar et se mirent à tourner autour de la blonde en parlant fort, resserrant le cercle, en faisant des gestes obscènes et en caressant la grosse cylindrée. Les mains devenaient baladeuses, ça tournait à l’agression. L’un des trois s’amusa à lui piquer son casque et à le balancer à son voisin qui le lança au troisième.

L’inspecteur posa la main sur l’arme qu’il gardait sous sa veste. Il n’eut pas le temps de traverser qu’il vit, bouche bée, l’un des trois agresseurs reculer, chanceler quelques secondes puis s’écrouler sur l’asphalte. La blonde pivota sur elle-même et envoya le second valser jusqu’au milieu de la rue d’un coup de pied dans le torse. Dans un crissement de pneus, une voiture freina brusquement, mais ne parvint pas à l’éviter, et il s’écrasa sur le pare-brise. Le troisième sortit un cran d’arrêt et s’apprêtait à la frapper quand Beata, en l’évitant, lui attrapa le bras et le tordit dans son dos. De l’autre main elle lui arracha le piercing qu’il avait à la lèvre. Le type hurla de douleur. La femme ramassa son casque et frappa l’agresseur en pleine tête. Il s’écroula lui aussi. Honza pressa le pas, mais, alors qu’il arrivait sur les lieux du carnage, la moto disparaissait déjà dans un nuage de poussière. Honza resta comme abasourdi, flingue à la main. Le gardien et le portier de la Section spéciale arrivèrent en courant et, lorsque l’un des trois punks se releva en crachant du sang, hurlant comme un forcené et menaçant Honza dont il s’approchait, l’inspecteur lui assena un coup de crosse définitif.

 

Beata s’arrêta trois rues plus loin et téléphona à Werner. Elle lui raconta ce qu’il s’était passé et lui demanda s’il avait réussi à savoir ce qui se tramait dans ce bâtiment où Charles se trouvait depuis des heures. Beata savait qu’il ne l’avait pas quitté puisque le signal émis par le portable du professeur clignotait sur la carte comme à son arrivée.

Werner avait appris qu’il s’agissait d’une division spéciale de la police qui se chargeait des incidents les plus délicats, ceux qui devaient trouver une issue rapide et discrète, loin de la presse, quitte à utiliser des méthodes pas très orthodoxes. Des employés de l’Institut infiltrés au ministère de l’Intérieur lui avaient rapporté que la Section spéciale était chargée de l’affaire du train, de celle du poste de police et du cadavre du motard retrouvé dans un fossé. Et que personne n’avait la moindre autorité sur son chef, un certain commissaire Ledvina, sorte de vache sacrée des services secrets tchèques. Werner se demanda ce qu’il pouvait bien rester aux autres si la Section spéciale traitait toutes les affaires criminelles importantes depuis quelques jours dans ce petit État européen. À la circulation, pensa-t-il. C’était peut-être pourquoi Prague était engorgée tout au long de la journée.

Il mourait d’envie de savoir de quoi le policier pouvait discuter si longuement avec Charles et il s’en voulut de n’avoir pas prévu ça. Il tenta de pénétrer dans l’un des appareils électroniques de la Section spéciale, mais découvrit avec stupeur que Nick Ledvina n’avait ni portable ni ordinateur. Comme il manquait d’agents sur lesquels il pouvait réellement compter, il décida que dès le lendemain Beata surveillerait le commissaire. Il s’occuperait lui-même de Charles.