Chapitre 81

— Il serait quand même temps que je parte. J’ai un rendez-vous important à 19 heures et je dois me préparer.

— Vous avez le temps, dit Ledvina.

— Un peu. Mais avec cette circulation. Et surtout à cette heure.

— Peu importe. On vous emmènera. On mettra le gyrophare.

Ledvina avait accompagné ces derniers mots d’une rotation de la main au-dessus de sa tête, en y ajoutant un clignement des yeux et la bouche en cul-de-poule, pour imiter la sirène de la police. Charles céda une fois de plus. La discussion devenait très intéressante. Sa vue d’ensemble sur le phénomène commençait à changer. Si les témoignages et les dessins étaient réels, alors c’était aussi le cas des photos qu’il avait vues récemment. Celle de Londres et celle du village sans nom.

Le silence était retombé dans le bureau du commissaire. C’était si calme qu’il pouvait presque entendre ses pensées. Charles finit par boire son verre de poire, mais en y allant doucement, par petites gorgées. Il alluma aussi le dernier cigare qu’il avait sur lui. Sans un mot, le commissaire ouvrit une fenêtre et releva un peu les stores. On était à peine à la mi-juin et le temps n’était pas encore caniculaire. Au contraire, un souffle printanier, légèrement rafraîchissant, pénétra dans la pièce.

— Et cette ombre, que pensez-vous que ce soit ? demanda Charles. Un vampire ?

Ledvina ne semblait pas très sûr de sa réponse.

— L’ombre apparaît tous les trente et quelques années. D’un point de vue statistique, cela correspond à une génération. Pourquoi revient-elle à chaque génération depuis 1485 ? On dirait l’annonce récurrente du mal, qui non seulement ne disparaît pas, mais reste constant, voire gagne en monstruosité. Et qui marque l’aube de chaque nouvelle génération. Partout où elle est signalée, la mort est là. Et souvent violente.

— Vous avez peut-être une réponse plus concrète ?

— Vous et votre concret ! L’ombre ressemble parfaitement à celle d’un vampire.

— Mais je croyais que le vampire n’avait pas d’ombre.

— On a peut-être affaire à une espèce à part de vampire. La coïncidence avec les descriptions populaires est trop grande, et en l’absence d’une autre explication… Je crois que si j’arrivais à comprendre de quoi il retourne avec ces cycles d’années, cette fréquence des témoignages, je serais bien plus près de résoudre l’énigme. Vous ne pouvez rien me dire d’autre ? Vous n’avez vraiment rien vu cette nuit-là ?

— Je vous ai dit tout ce que je savais.

— Je suis sûr que non. Tout comme je suis certain que vous avez déjà vu cette créature, au moins une fois encore. Je ne sais pas où, quand, ni comment, mais j’ai cette intuition. Tout comme je pense que cette ombre est en quelque sorte attachée à vous. Si ce que vous m’avez dit est vrai, elle vous a libéré de prison.

— D’une cellule où nous étions retenus de manière injustifiée, précisa le professeur qui ajouta pour changer de sujet : Vous savez, votre remarque est erronée. Au sujet des descriptions populaires. Notre représentation du vampire a très peu de choses en commun avec les témoignages historiques. C’est une représentation entièrement créée par la littérature. Et le cinéma.

— Comment ça ?

— Si vous permettez.

Ledvina acquiesça d’un signe de tête.

— Le vampire tel que nous le connaissons est un homme de taille moyenne, voire plutôt grand, entre trente et cinquante-cinq ans, svelte, très fin, d’origine aristocratique, aux ongles longs et pointus et aux canines également pointues, parfois même ses oreilles sont pointues – il rend justice aux figures animales dont il est inspiré. Il a des lèvres fines, très rouges, alors que son visage est pâle, parce que c’est un mort-vivant. Ses yeux brillants aux paupières poudrées contrastent. Il ressemble de fait à un comédien des XVIIIe et XIXe siècles. Les comédiens se maquillaient exactement comme ça, avec beaucoup de poudre et des lèvres très marquées. Parfois il porte une pèlerine dont la forme renvoie aux ailes de la chauve-souris. Il dort dans un cercueil ou dans un caveau. La nuit est le moment où il sort, parce que la lumière du jour lui fait du mal. Parfois le soleil peut le tuer.

— Depuis Stoker, on sait que la lumière du jour ne lui est pas fatale. Cela ne fait que l’affaiblir. Il ne peut réellement être vampire que la nuit.

— Exactement. Il se nourrit de sang, parfois exclusivement, et quelquefois seulement comme complément nutritif. Il apprécie les fruits frais, mais a horreur de la viande parce qu’elle provient de chairs mortes. C’est comme s’il se nourrissait de sa propre chair. Parfois il porte les cheveux longs, parfois courts et grisonnants. Il déteste la solitude, à part celle de son cercueil. C’est pour cela qu’il recherche la compagnie d’autres vampires. Surtout des femmes. Étant donné qu’elles n’existent jamais au début de toutes ces histoires, ce qui est stupide puisqu’on peut supposer qu’avant il avait aussi besoin de compagnie, il doit, on va dire, se les confectionner. Alors il mord le cou de celle qu’il choisit pour l’accompagner ou plutôt pour le servir, car c’est un dictateur, il est le maître absolu. Il laisse dans le cou des victimes deux traces petites, mais profondes, et suce leur sang, mais pas tout, pour qu’elles-mêmes, au bout d’un moment et après beaucoup de souffrances, se transforment à leur tour en vampires. Son obsession est de peupler la terre entière de créatures qui lui ressemblent et dont il serait le maître, lui étant le prince de l’ombre, c’est-à-dire le diable en personne. Voilà où je voulais en venir. J’ajoute en passant que je me suis bien amusé en démontrant par les mathématiques que l’existence des vampires est impossible.

— Par les maths ? Comment ça ?

— Eh bien j’ai créé une équation simple. Je suis parti du fait que le vampire a besoin de se nourrir. Tous les jours, je suppose. Mais pour ne pas exagérer, j’ai compté qu’il ne se nourrit que tous les trois jours. Et donc qu’il fait une victime dans cet intervalle. Nous savons aussi qu’un homme mordu se transforme lui en vampire. Ce qui nous amène à la conclusion qu’au bout des trois premiers jours on a un vampire de plus. Cela fait alors deux bouches à nourrir, et, de cette manière, au bout de six jours, nous avons déjà quatre vampires qui deviennent vite 16, puis 32 et ainsi de suite. Si cela nous intéresse de savoir combien de jours seront nécessaires pour que toute l’humanité de cette planète soit constituée de vampires, on peut s’amuser à faire le simple calcul suivant : 2 puissance x, où x est le nombre d’étapes où les vampires se nourrissent. 2 puissance x donne le nombre de vampires existant à l’étape de vampirisation x… On voit rapidement qu’il suffit de 33 étapes de vampirisation pour atteindre les huit milliards et demi d’êtres humains de la planète… En seulement 99 jours plus de 8,5 milliards d’êtres humains deviendraient des vampires ! Supposons maintenant qu’il se nourrit bien plus rarement, disons seulement une fois tous les deux mois. Cela veut dire que si un vampire transforme un homme en vampire tous les 60 jours, x sera un multiple de 60 et, en 120 jours, admettons, nous aurons 2 puissance 2 vampires. En 1 200 jours nous aurons 2 puissance 10 vampires (c’est-à-dire 1 024) et ainsi de suite. Peu importe par quel bout on prend les choses, toute la population du globe serait formée exclusivement de vampires.

— Mais si tous les gens mordus ne se transforment pas en vampires ? Seulement quelques-uns, des élus ?

— Le vampire aurait juste besoin de sa petite bande à lui, une poignée de serviteurs ? Soit. Supposons qu’il en soit ainsi. Ils doivent tout de même se nourrir. Disons qu’ils tuent une personne tous les trois jours sans en faire des vampires. Vous avez déjà entendu parler de morts suspectes qui peuvent monter à – admettons, s’il n’a que neuf compagnons – 25 par semaine en moyenne, c’est-à-dire 100 par mois, 1 200 par an ? Année après année ?

Ledvina soupira. Il ne s’était jamais posé le problème de cette manière.

— Je crois que la raison n’a pas sa place dans l’espace de…

— … la fiction ? le coupa Charles. Je continue ?

Ledvina acquiesça. Il voulait en entendre plus.

— Or il se trouve que le vampire des traditions populaires ne ressemble pas à ça. Sa première caractéristique est qu’il est gros. Le terme utilisé pour lui, à part « vrykolak » en grec, est « timpanaios », qui veut dire littéralement « au ventre comme un tambour ». Il est précédé d’histoires de « revenants ». En gros, il est question de cadavres en parfait état, encore non affectés par la décomposition, qui reviennent dans leurs villages pour terroriser les vivants. Souvent sans la moindre intention criminelle. De très nombreux récits racontent que ces « revenants » viennent tenir compagnie aux femmes ou les aider dans leurs travaux domestiques, surtout la nuit, et le matin rejoignent leurs tombes. Jusque-là, aucune intention maléfique. Nombre de ces histoires médiévales sont des histoires d’amour. Au-delà de la mort. Il existe de nombreux récits de ce genre et tous parlent du mari ou de la femme décédée prématurément et qui revient auprès de son amoureux. Au début ils ont l’air normal. Les gens enterrés depuis quelques jours qui reviennent pâles se déplacent très rapidement, le regard perdu, comme s’ils marchaient contre leur volonté, comme disait le jésuite Robert Sauger.

La porte s’ouvrit et Honza entra. Il avait quelque chose à communiquer au commissaire. Ce dernier l’interrogea du regard. L’inspecteur hocha la tête, l’air déçu, et Ledvina l’expédia d’un geste nerveux. Charles, spectateur de cet échange dont il n’avait rien saisi, songea qu’il valait mieux de ne pas se tracasser et poursuivit :

— La vérité est que le vampire a des problèmes d’identité. Avant la littérature gothique, nulle légende avec un vampire qui mord pour transformer la personne n’existe. Jusque-là, cette façon de transmettre une infection est inconnue. C’est un mort-vivant, en quelque sorte, qui se promène comme un fantôme, qui suce le sang comme une sorcière et qui au départ porte le nom de « vârcolac », avant d’être qualifié d’hérétique. Car « upir », c’est exactement ce que cela signifiait dans les cercles ecclésiastiques. L’identité du vampire est donc totalement absente. C’est la littérature qui lui apportera la gloire.

Ledvina écarquillait les yeux en écoutant Charles. Il s’en retrouvait déstabilisé.

— Enfin, parce qu’il est un monstre, il doit être tué selon des règles précises qui nous sont parvenues. Comme le vampire s’adapte à la lumière du soleil, que reste-t-il ? Car il faut bien qu’il existe des moyens de s’en débarrasser. Ici, la source d’inspiration est de nouveau le diable, plus précisément les rituels d’exorcisme. Car le mal auquel on ne peut échapper et sur lequel le bien n’a aucune chance de triompher est un non-sens du point de vue eschatologique, éthique et en particulier narratif. Alors on cherche un happy end.

— Quand a-t-on inventé le happy end ? demanda le commissaire avec une naïveté d’élève sage comme une image, une réaction qui fit croire à Charles qu’il avait dompté son interlocuteur – il constaterait plus tard qu’il s’était trompé.

— Il a toujours existé, depuis que l’on raconte des histoires. Le petit enfant comme l’adulte ont besoin de l’espoir qui, vous le savez, meurt en dernier. Le désir que toute histoire se termine bien est consubstantiel à l’homme normal, car il entre en empathie avec le personnage, il se met dans sa peau. Ce désir s’est manifesté pour la première fois, et de manière très brutale, dans la Grèce Antique, durant une représentation théâtrale. Dans l’amphithéâtre où l’on venait de représenter une tragédie, l’auteur a été purement et simplement lapidé : dans sa pièce, les tueurs de sang-froid n’avaient pas été punis à la fin. Les spectateurs étaient furieux. Ils avaient besoin d’espoir. C’est à ce moment qu’est apparu le phénomène connu en narratologie sous le nom de « deus ex machina », le dieu sorti de la machine.

— La machine était une métaphore ?

— Pas du tout. C’était une machinerie, disons. Comme les auteurs ne voulaient ni gâcher leurs pièces – qui étaient très sanglantes – ni finir comme leur prédécesseur lapidé, ils ont inventé une sorte de treuil, une machine, donc, qui à la fin du spectacle faisait descendre sur scène un acteur, lequel expliquait comment les dieux avaient finalement puni les criminels. La conscience hypocrite du spectateur grec était apaisée et l’auteur s’en tirait sain et sauf. Depuis, chaque fois qu’un personnage est sauvé par une intervention non naturelle, que ce soit dans une narration littéraire ou cinématographique, on dit que le procédé du « deus ex machina » a été utilisé, c’est-à-dire une intervention extérieure qui ne procède pas harmonieusement du déroulement de l’histoire. Tchekhov pousse cette théorie plus loin et soutient que, si nous voulons éviter cette impression, il faut que le fusil qui tirera au dernier acte, comme il dit, soit accroché au mur dès le premier acte. Ou par conséquent, si un fusil est présent au premier acte, il doit obligatoirement tirer au dernier acte.

Ledvina était fasciné par Charles et il ne se souvenait pas depuis quand quelqu’un l’avait tant intéressé. Le professeur ne lui en parut que plus suspect.

— Un vampire peut donc être tenu à distance par un crucifix, un miroir, de l’eau bénite, une gousse d’ail ou, carrément, une tresse de cette plante. Il ne peut pas entrer dans une maison où il n’aurait pas été invité au moins une fois. Il ne peut sortir de sa tombe si une rose a été placée sur son cercueil. Nous retrouvons là encore les symboles chrétiens qui renvoient au diable. Qui a peur de Dieu ? Son ennemi le plus terrible. Comme je l’ai dit, il n’a pas d’ombre, mais il ne se reflète pas non plus dans les miroirs, parce qu’il est mort. Le vampire peut se transformer en loup, en chauve-souris, parfois en grenouille. L’histoire du loup renvoie à la lycanthropie, ce que les Américains appellent wearwoolf, et les Italiens, avec une expression infiniment plus belle, luppo mannaro, et donc au loup-garou. Parfois, le vampire est assimilé au loup-garou, d’autres fois il y a un combat entre les deux. Et, enfin, le vampire peut être tué par une balle en argent. Tout cela vous a inspiré, je suppose, quand vous avez voulu voir si je fondais au contact de la gousse d’ail lors de notre poignée de main. Ensuite, il faut que sa tête soit enterrée dans de la terre bénite. Si on en a, sinon le mieux est encore de planter un pieu dans le cœur du vampire ou de le lui arracher et de le brûler. J’ai oublié quelque chose ?

Ledvina, gêné par le rappel de l’incident de la veille, répondit d’une voix rendue presque inaudible par le nœud qui lui serrait la gorge :

— Je ne crois pas. Non.

— Ah oui, fit Charles en riant, et il y a un truc sensationnel, quand on parle des vampires. C’est en fait ce que je préfère dans leurs histoires.

Ledvina était tellement captivé qu’il ne se rendit pas compte que Charles le menait en bateau.

— On dit aussi des vampires qu’ils ont ce type de comportement maniaque et obsessionnel des personnes autistes. Vous voyez, par exemple, les gens qui doivent toucher tous les poteaux sur leur chemin ou qui ne peuvent marcher qu’à l’intérieur des carrés sur le sol ?

— Oui.

— Eh bien, la technique la plus fascinante pour tenir les vampires éloignés est de placer devant les fenêtres une poignée de graines. Le vampire se sentira obligé de les compter. Le secret consiste à glisser un clou parmi les graines, pour que le vampire se pique, qu’il fasse tout tomber et recommence depuis le début. Il y a une variante. Il faut placer sur son chemin un filet de pêche. Le vampire voudra défaire absolument tous les nœuds. Si vous savez faire des nœuds compliqués, qu’ils soient de pêcheurs ou gordiens, vous êtes sauvé parce qu’il n’aura jamais fini de les défaire avant le petit matin.

Ledvina le regarda d’un air bizarre.

— Vous, vous ne croyez vraiment pas aux vampires, non ?

Charles s’interrogea, le policier avait-il réellement écouté un seul mot de ce qu’il avait dit jusque-là ? Comme tout ce qui l’intéressait était de conclure cet entretien au plus vite, il se pressa de finir.

— Toutes ces caractéristiques sont littéraires. Elles apparaissent bien avec Bram Stoker. En 1748, Heinrich August Ossenfelder écrivit un poème justement intitulé « Le vampire ». Après lui, on assiste à la prolifération d’œuvres sur ce thème. Ce n’est pas la peine de les passer toutes en revue, il y en a des milliers rien qu’aux XVIIIe et XIXsiècles. Le Vampire, de Polidori, Carmilla, de Joseph Sheridan Le Fanu, publié en 1872, sont les plus célèbres. Comme on le voit, rien de nouveau sous le soleil. Bram Stoker n’a rien inventé. On a d’ailleurs un peu de mal à comprendre pourquoi Dracula est celui qui a connu le succès fulgurant que l’on sait. Toutes sortes d’explications ont été avancées. Que c’était l’époque victorienne de la pudibonderie absolue, que les gens étaient effrayés par les nombreux cas de syphilis et de tuberculose. Que le titre a été très bien choisi.

— Et vous, vous en pensez quoi ?

— Je suis un homme de science et sans une étude sociologique sur laquelle me baser il m’est très difficile de m’exprimer. Je suppose que c’est un peu le mélange de tout ça. Ou qu’il s’agit d’un de ces très rares cas dans l’histoire où une idée, un livre, sort exactement quand le public est le plus réceptif. Allez savoir…

— Vous êtes spécialiste en communication. Est-ce que vous savez que l’effort de promotion du livre a été immense et surtout qu’il a été financé par l’organisation dont Stoker faisait partie ?

— Non. Quelle organisation ? Stoker était protestant, libéral et pensait que l’Irlande n’avait pas besoin de quitter l’Empire britannique.

Le commissaire était aux anges d’avoir réussi à surprendre Charles.

— Une de mes connaissances détient la preuve que Bram Stoker était membre du l’Ordre hermétique de l’Aube dorée. Vous savez ce que c’est ?

— Oui. Une crétinerie monumentale. Aleister Crowley.

— Ma foi. Crowley s’en est éloigné pour tomber dans les délires occultes et la pratique du sexe en groupe.

— Oui. On raconte que tous les participants à ces orgies étaient hideux et qu’il ne choisissait que les femmes les plus laides. C’était une sorte d’ordre, avec des loges comme dans la franc-maçonnerie. Certains étaient même francs-maçons, ou rosicruciens. À propos, j’ai vu que vous détenez tous les textes importants de la confrérie de la Rose-Croix.

— Ben, c’est logique.

— Logique par rapport à Crowley ?

— Non, aux vampires.

— Mais quels liens ont-ils avec ? Je ne comprends pas.

— Ce qui les relie, c’est Stoker. L’ami dont je vous ai parlé possède des lettres qui prouvent que le texte, mais aussi la campagne gigantesque qui a accompagné la publication du roman Dracula, ont été financés par une société secrète, occulte, qui n’était pas l’Ordre hermétique de l’Aube dorée, un simple paravent, et que le véritable but, bien dissimulé, était de jeter le discrédit sur un personnage réel de l’époque.

Ledvina s’arrêta. Il ne savait pas s’il fallait poursuivre.

— Mais qui peut-on discréditer avec un roman de ce genre ? Vous vous payez ma tête ?

— Pas du tout. Il fallait répandre une vraie terreur des vampires, opération partiellement réussie. Stoker a travaillé très sérieusement, mais les lettres démontrent la nervosité du commanditaire : l’auteur irlandais a beaucoup tardé à rendre le manuscrit. Il a même été menacé de terribles représailles.

— Mais qui ?

— Malheureusement on l’ignore. Ce que l’on sait, en revanche, c’est que cette personne est liée à l’ordre du Dragon.

— L’ordre du Dragon ? La société dont faisait partie le père de Vlad Ţepeş, que Stoker dénonce comme vampire ? Et qui a disparu depuis plus de cinq cents ans ? Vous êtes sérieux ?

Charles ne savait pas comment interpréter ce que disait le commissaire. Mais la coïncidence avec ce qui lui arrivait depuis plusieurs jours était trop grande pour qu’il n’y ait aucun lien. D’une manière ou d’une autre, Ledvina devait être ce lien. Il se demanda si ce dernier tentait de lui transmettre un message dont il aurait dû saisir le sens ou si ce n’était que la suite du jeu de piste très sophistiqué dans lequel il était empêtré. Et puis de nouveau revenait cette théorie de campagne de dénigrement. Exactement comme dans l’histoire de la bible du Diable.