Christa venait d’entrer dans la salle de bains et elle avait laissé la porte entrouverte, un peu inquiète de l’état dans lequel se trouvait Charles. On entendit frapper. Elle passa la tête par l’embrasure de la porte et demanda à Charles d’ouvrir. C’était le garçon d’étage qui apportait le sèche-cheveux. Le jeune homme restait là, attendant son pourboire. Charles fouilla dans son portefeuille qui ne contenait que des gros billets. Il s’approcha de la porte de la salle de bains pour demander à Christa si elle avait de la monnaie. Il glissa un regard à l’intérieur et aperçut dans le miroir le dos de Christa griffé de cicatrices, de la base du cou au milieu du torse. Des dizaines, les unes profondes, les autres superficielles. Elle avait dû être atrocement torturée. Quand elle tourna la tête, Charles lui dit qu’il n’avait pas de monnaie.
— Mon portefeuille est sur la table de nuit !
En le prenant, ses yeux tombèrent sur la carte Interpol de Christa. Ce sigle bien connu. Un globe terrestre ceint de rameaux d’olivier. Dans le globe, un sabre planté, et, dessous, une balance. C’était la première fois qu’il voyait cet emblème sur un badge, mais il lui sembla qu’il le connaissait par cœur, comme s’il l’avait vu chaque jour de son enfance. Alors cela lui revint. Ce dessin figurait sur le mur nord de la cave à vins de son grand-père, avec l’inscription « Panis vitæ est », « Le pain est la vie », et cette fameuse moitié de texte probablement codé. Celle dont il avait besoin pour compléter l’autre moitié qui se trouvait sur les photocopies du dossier marron, lesquelles faisaient partie de la bible perdue de Gutenberg.
Après le départ du garçon, Charles resta debout à étudier le fourreau. Quand Christa revint, il se préparait à dire quelque chose, mais elle le devança :
— Je n’ai rien mangé de la journée et je suppose que vous non plus.
— Je n’ai pas faim.
— Je crois que vous êtes à deux doigts de l’hypoglycémie, à en juger par le malaise de tout à l’heure.
— Je n’ai pas eu de malaise.
— Mais si. Vous subissez une énorme pression. Tout vous tombe dessus. Je suppose que l’entretien avec le policier n’a pas été une promenade de santé.
— Délicieux entretien, fit Charles en s’efforçant de plaisanter : sans thé, en effet.
— Vous devez absolument manger.
— Et on fait quoi du sabre ?
Christa prit son téléphone et photographia sous tous les angles le fourreau et le sabre.
— Nous devons l’envelopper. Et le placer dans le coffre de l’hôtel. Vous ne pouvez ni l’emporter avec vous ni le surveiller non-stop. Et tôt ou tard vous devrez bien sortir.
— Oui, je sortirai pour aller à l’aéroport. Dès que possible.
— Et comment vous passerez le sabre aux contrôles ? Vous n’avez aucun document et c’est un objet du patrimoine. Vous aurez le même problème avec la douane américaine.
Charles n’y avait pas pensé. Christa avait raison, d’autant que Ledvina était sur son dos. Tenter de sortir un tel objet de valeur du pays pourrait lui fournir l’occasion rêvée pour l’arrêter. Charles devait trouver une solution. Vite. Il devait aussi comprendre ce que représentaient ces étranges mécanismes sur la lame. Et le texte en espagnol. Et les blasons. Trop de choses. Il avait besoin d’une pause. Il sentit son estomac se serrer. Christa avait raison. Ils descendirent dîner.
Beata, qui avait pour mission de s’assurer que ni l’un ni l’autre ne quittait l’hôtel, s’était installée au bar Inn Ox et suivait sur l’écran de son téléphone chaque déplacement de Charles. Elle avait tenté de rester dans le hall, mais avait renoncé devant la foule qui occupait les lieux dans l’attente d’un défilé de mode. Dès qu’elle vit Charles se déplacer, elle se dirigea vers la réception et appela Werner. Elle lui expliqua que Baker venait de laisser à la réception une sorte de couverture roulée que le réceptionniste était parti poser à l’arrière. Werner demanda une description précise du paquet et il comprit que cela ne pouvait pas être la bible. Le professeur avait trouvé l’un des deux sabres. Mais lequel ? Et comment ? Il s’énerva de nouveau, s’en voulant de ne pas réussir à le suivre pas à pas. Il demanda à Beata s’il avait le paquet en arrivant à l’hôtel. Comme elle lui répondit par la négative, il en conclut qu’on le lui avait apporté. Werner comprit que le signal pour la rencontre avait été lancé justement parce que Charles avait récupéré le premier objet nécessaire pour récupérer la bible. Voyant Charles entrer au Fine Dining Restaurant, il en déduit que Baker allait y rester une éternité. Il s’infiltra dans le serveur contenant les enregistrements des caméras de surveillance de l’hôtel et entreprit de les visionner afin de découvrir qui lui avait apporté le paquet.