La caméra de surveillance montée sur une des deux tours de la Piazza di Porta Ravegnana était orientée vers le Palazzo degli Strazzaroli, surtout connu comme Palazzo dei Drappieri ou, selon son nom complet, Palazzo di Corporazione dei Drappieri, c’est-à-dire « Palais de la corporation des drapiers ». La caméra avait été placée là où, une semaine plus tard, devait être déployé le blason brodé de la corporation. Les trois couronnes papales répétées trois fois pour la symétrie et pour respecter le chiffre magique 9 ne correspondaient à aucun des blasons originaux des corporations italiennes, mais à celui de leur homologue londonienne. C’était pour l’instant tout ce qui intéressait Werner.
S’il avait été moins obnubilé par la recherche de la bible, Werner se serait peut-être intéressé aux quelques promeneurs sur la place qui, sous prétexte d’activités touristiques diverses, surveillaient si le signal de la rencontre serait donné. Deux d’entre eux avaient passé presque toute la journée à feuilleter des livres dans la librairie Feltrinelli, au rez-de-chaussée du palais. Quatre autres passaient par là toutes les heures, regardaient le balcon et, puisqu’il n’y avait rien de nouveau, repartaient avant de revenir. L’un d’eux était venu avec sa famille et jouait avec ses deux enfants sur la piazzeta, deux autres avaient visité les deux tours, Asinelli et Garisenda, et se photographiaient devant la statue de saint Pétrone. Un autre se tenait à une distance considérable du palais et gardait à la main une longue-vue militaire qu’il portait à son œil quand il ne parlait pas au téléphone en ingurgitant des quantités phénoménales de crème glacée. Aucune de ces dix personnes ne connaissait les autres et, même si elles se doutaient qu’elles étaient plusieurs, chacune savait très bien qu’il n’était pas permis d’identifier les autres ni d’entrer en contact. Chacun savait aussi que c’était le premier jour de la semaine et que, pendant sept jours, ils reviendraient dans l’attente du signal. Ils savaient aussi que, s’il n’était pas donné, l’occasion se représenterait trente et un ans plus tard. Enfin, chacun conservait à portée de main une pastille de cyanure et n’hésiterait pas à l’utiliser.
Le onzième arriva sur la place tard le soir, quand la toile avait déjà été déroulée au balcon. Il sourit et, tout pénétré de la solennité du moment, il retourna vers l’aéroport. Le douzième n’était pas encore apparu.