Chapitre 93

Une fois de plus, Werner s’en voulut de n’avoir pas réussi à intercepter la conversation de Charles avec la secrétaire d’État. Les systèmes de protection sophistiqués de la Maison-Blanche étaient difficiles à contourner. Il était loin de chez lui et de tous les appareils capables de faire ça. Il avait donc manqué la conversation dans la chambre de Christa et celle du professeur à Washington. Charles avait dû demander de l’aide, mais il ne comprenait pas pourquoi il ne s’était pas adressé à lui. Il appela Beata pour savoir où elle se trouvait. Elle lui apprit qu’elle avait failli être repérée par Christa, qui représentait un réel danger. Elle lui demanda l’autorisation de l’éliminer. Après quelques instants de réflexion Werner refusa. Pour l’instant Beata devait se contenter de la filature. Et sans se faire repérer surtout.

Il venait de raccrocher quand il reçut un mail de la fausse assistante avec en pièce jointe une vidéo de tous les recoins de la cave du professeur Baker. Werner la visionna attentivement. Rien d’intéressant à part la fin. La caméra s’arrêtait sur le mur nord. Il y vit le symbole d’Interpol et se demanda ce que ça pouvait bien fiche là, au mur. Il sourit en lisant la devise de la corporation des boulangers : Panis vita est, « le pain est la vie ». Puis son regard s’arrêta sur un texte, dans le coin en haut à gauche, qui avait une forme étrange, et qui était écrit dans le style des caractères de la bible de Gutenberg.

Il zooma. Puis transcrivit :

A COMMAND : HO ARE THE FOLLOW

FOLLOWER : STS IN THIS GRAVE BU

THIS STONE.

COMMAND : CONQUEST THIS HOUSE

RISE AGAIN HERE.

HIS WILL : EAD THE COLONY AND WAIT

EXIST FROM CERTAIN NUMBER

A HIM : WI L IS OF : IS THAT THE THERE TO

 

UN COMMAND : UI SONT LES FIDÈLES

SUIVANT : G T DANS CE TOMBEAU ING

CETTE PIERRE

COMMAND : RECONQUÉRIR CETTE MAISON

ÉRIGÉE DE NOUVEAU ICI

SA VOLONTÉ : ENERA LA COLONIE ET ATTENDEZ

ASSURE D’UN CERTAIN NOMBRE

UN LE : V L T DE : ERIR LÀ UN APRÈS

Il était clair que toute la partie droite du texte manquait. Mais même en tenant compte de cela, ça ne collait pas. Le mur était couvert de crasse, et taché d’humidité qui avait effacé certaines lettres. La nuit allait être longue !

 

Les quatre hommes restés au siège de la Section spéciale mangeaient à la cantine quand ils entendirent des bruits qui ressemblaient à des coups de feu. Ils déboulèrent dans le couloir en essayant de déterminer leur provenance. Le silence retomba comme lorsqu’il faut recharger l’arme. Puis les détonations reprirent. L’écho dans la cage de l’escalier les gênait pour trouver l’origine des détonations. Honza en revanche avait attrapé deux assiettes et était parti en courant vers le bureau du commissaire. Il grimpa les marches quatre à quatre et, une fois arrivé devant le bureau, colla l’oreille contre la porte. Les bruits provenaient de l’intérieur. Probablement Ledvina était-il ivre, ou alors il redécorait son bureau. Honza était déjà passé par là et il savait comment réagir. Il ouvrit la porte et lança une des assiettes vers le centre de la pièce. L’arme retentit une fois de plus et l’assiette éclata en vol. Honza lança la deuxième assiette qui se brisa en tombant et Honza cria :

— Ne tirez plus ! C’est moi, Honza !

Il entra en longeant le mur. Au milieu de la pièce, le commissaire, le regard trouble, tanguait légèrement tout en rechargeant son revolver de collection, un colt Python 357, avec des balles en argent. Le mur du cabinet de curiosités était abîmé et le crâne de saint Jean Népomucène à seize ans s’était retrouvé d’autorité, en vertu de son âge, sur celui de dix ans.

Faisant preuve d’un courage auquel on ne se serait pas attendu chez un homme de sa taille, l’inspecteur se précipita sur l’armoire à glace et le jeta à terre. Le commissaire s’écroula comme un sac de pommes de terre et s’endormit aussitôt. Honza essaya de le relever, mais en vain, alors il plaça un coussin sous sa tête et le recouvrit d’une couverture. Il confisqua l’arme à feu et se dit qu’il allait devoir passer la nuit là pour veiller sur son chef. Il vit qu’il restait quelque chose dans la bouteille d’alcool de poire. Alors il but le reste au goulot.

Après le départ de Charles, Ledvina avait cherché à savoir où en était sa demande, mais il n’avait obtenu aucune réponse. Énervé, il avait pris la voiture et s’était rendu chez le directeur de la police, chez le ministre de l’Intérieur et chez le chef du STB. Le premier ne lui avait pas ouvert. Chez le deuxième, sa femme avait répondu tandis que le ministre se planquait pour ne pas être vu de l’extérieur. Quant au chef du STB, un type qui ressemblait beaucoup à Ledvina, il lui avait hurlé dessus pendant dix minutes en le menaçant. Déçu, le commissaire était revenu au siège, avait consulté Honza, formulé d’autres demandes, réclamé une audience au Premier ministre. On lui avait répondu que ça pouvait attendre mardi. Alors il avait mis la main sur une des bouteilles d’eau-de-vie de son beau-frère qui avait un alambic dans le fond de son jardin et il l’avait presque entièrement vidée. Comme il commençait à voir des vampires partout, il avait sorti son pistolet à balles en argent, celui dont il ne se séparait jamais la nuit, et avait commencé à pourchasser les créatures imaginaires.

Avant de leur tirer dans le crâne il hurlait :

— À présent montre ton vrai visage, Yorick !

La preuve qu’une vaste pagaille culturelle lui occupait la cervelle.

Et il avait tiré !