Chapitre 104

Après que Charles se fut présenté en serrant la main de Beata, cette dernière s’approcha de Ross et lui chuchota quelque chose à l’oreille. Elle lui tendit l’enveloppe et s’éloigna.

— Elle est un peu timide, dit Ross pour justifier son passage en coup de vent. Et elle ne parle pas anglais.

— Tu as appris le polonais ? demanda Charles. D’après son nom, elle vient de Pologne.

— Bien obligé. C’est une de mes collègues du bureau de Varsovie. Avant de partir, je veux te faire un cadeau. Mais cette fois-ci, pas très agréable.

Charles ne fit aucun commentaire. Il était curieux de voir ce qu’avait encore découvert Ross.

— Tout d’abord, sache que tu dois vraiment quitter ce pays demain, à la première heure, si possible.

— Oui, j’ai déjà pris les billets.

— Les billets ? Au pluriel ?

Charles ne voyait pas où il venait en venir ni quel était le problème.

— C’est bien ce que je craignais, dit Ross. Malheureusement, cette femme à laquelle tu sembles t’être attaché n’est pas du tout celle que tu crois. J’ai consulté toutes les bases de données d’Interpol. Elle n’existe pas. C’est un fantôme.

— Tu as pensé qu’elle apparaît peut-être sous un autre nom ? Les agents comme elle changent d’identité comme de chemise. Et puis j’ai vu sa carte.

Ross fit une pause. Charles ne perdit pas une miette de ce qui ressemblait à un moment d’hésitation chez Ross. C’était exactement ce que ce dernier souhaitait : que Charles n’ait pas le sentiment qu’il tenait à tout prix à écarter Christa.

— Tu suivais une règle très saine, dans le passé. Tu ne mélangeais pas les choses. Tu savais faire la différence. Ne me dis pas que tu vieillis. Une carte d’Interpol, n’importe quel gamin est capable d’en reproduire une. Tu as toujours eu confiance en moi. Tu sais bien que je ne raconte rien sans être absolument sûr de moi. Mais c’est à toi de décider.

Il lui tendit l’enveloppe. Beata, non loin, faisait tourner le moteur.

— Tu verras sur ces photos : pendant que tu éclaircissais les mystères, ton amie avait toutes sortes de rendez-vous secrets. Surtout la nuit. Bon, je dois vraiment retourner au boulot.

Il prit Charles dans ses bras.

— On arrivera peut-être à se voir plus souvent, suggéra le professeur.

Tout en s’éloignant, Ross répondit que c’était fort probable. Il monta derrière Beata et fit un signe de la main alors que la moto démarrait lentement.

Charles le suivit des yeux le temps que la moto disparaisse dans le flot des voitures. Il ouvrit l’enveloppe et vit Christa en différents endroits, parlant avec différentes personnes. Presque toutes les photos étaient prises dans des cours intérieures. Rien de suspect. Cette fois-ci, Ross avait sans doute exagéré. Même Ledvina savait que cette femme était d’Interpol et qu’elle disposait de plusieurs identités, songeait-il quand il tomba sur les deux dernières photos. Sur l’une d’elles, Christa était avec deux individus que sa formidable mémoire des visages lui permit d’identifier immédiatement. C’étaient les deux hommes qu’il avait remarqués la veille au soir, dans le bar. Mais le dernier cliché le troubla davantage encore. Christa parlait avec une femme. Et cela ne faisait aucun doute : la femme était celle qui lui avait remis le billet, le matin du premier jour, au petit déjeuner de l’hôtel Central Park de Sighişoara.

Il monta dans sa chambre, s’assit sur le canapé et reprit les documents. Si cette femme était bien celle qui lui avait remis le billet, à quel jeu jouait-elle avec Christa ? Peut-être qu’elles se connaissaient. Il essaya de lui trouver une excuse, un alibi. La femme avait peut-être seulement vu Christa pour tenter de l’approcher, lui, plus facilement. Rien ne prouvait d’ailleurs que la photo avait été prise à Prague. Christa ne lui avait jamais caché non plus qu’elle avait des gens à voir. La seule photo qui l’inquiétait était celle des deux hommes qui se trouvaient, il en était certain, au bar en même temps que lui. Est-ce qu’ils surveillaient Christa ? Il essaya de se concentrer, il repassa le film de tous les événements de ces derniers jours, mais tout devenait tellement confus. Il pensa qu’il ferait bien de déconnecter un peu, et se proposa un petit lavage de cerveau. Il alluma le téléviseur, prit dans le bar deux mignonnettes de whisky, s’installa dans le canapé, et allongea ses jambes sur un des deux fauteuils. Concernant Christa, il aborderait le problème de manière frontale en lui mettant les photos sous le nez. Alors que les émissions défilaient devant ses yeux dans une langue qu’il ne comprenait pas, il s’endormit.