Werner entendit au casque Charles entrer dans sa chambre d’hôtel et se rendre directement à la salle de bains. Au domicile du commissaire, c’étaient toujours les gémissements et les cris. Un silence de caveau dans la chambre de Christa. Il restait un peu plus de six heures jusqu’au grand rendez-vous. En l’absence de Werner, Beata avait préparé le repas. Elle avait fait du faisan au four avec une sauce aux griottes. Werner dévora une portion avec appétit, puis il dit à Beata qu’il était temps de se rendre au bureau de Ledvina.
Ledvina était retourné directement au siège. En râlant, il grimpa nerveusement jusqu’à son bureau et claqua la porte. En chemin il avait essayé de comprendre ce qui avait bien pu se passer ce soir-là. Il réprima difficilement son envie de réveiller tout le monde, du ministre de l’Intérieur jusqu’au président de la République tchèque. Il savait que cela ne ferait que les conforter dans l’idée qu’il était fou à lier. Il rechargea son pistolet, le glissa sous son oreiller et se jeta au lit tout habillé. Il ne parvint pas à s’endormir. Il se tournait sans cesse dans un sens et dans l’autre en essayant de se calmer et de se concentrer. Plus que jamais, il devait rester lucide. Après tout ce temps, il venait de revoir l’ombre qui avait tué son père. Il ne comprenait pas pourquoi il avait réussi à distinguer la créature à l’origine de cette ombre sinistre. Elle n’apparaissait pas sur les photos. L’appareil photo n’enregistrait probablement pas tous les détails que l’œil humain pouvait percevoir, tout comme le miroir ne reflétait jamais le vampire. Comme elle était faite d’obscurité, cette créature était immatérielle, et son corps ne reflétait pas la lumière, la laissant passer comme s’il n’existait pas. Mais pourquoi la créature réelle, la bête, n’apparaissait-elle pas non plus dans les dessins représentant l’ombre ? À cette question le commissaire ne trouvait pas de réponse satisfaisante.
Il était tout près, il le sentait, et il avait la conviction que Baker était la clé qui permettrait de résoudre une fois pour toutes ce grand mystère. Il décida de faire une dernière tentative dans la matinée, et s’il n’obtenait pas la moindre autorisation avant midi, il prendrait de toute façon le risque de convoquer Charles.
En chemin, Charles se dit que Ross avait eu raison une fois de plus. Il s’en voulait de la manière dont il avait été mené par le bout du nez. Il ne comprenait pas quel était le projet de Christa et il ne saisissait pas grand-chose non plus de tous ces événements. Les informations et les pensées qui partaient dans tous les sens augmentaient encore son trouble. La seule chose qui comptait maintenant était d’arriver à Londres, de récupérer le passeport diplomatique, le sabre qui avait obsédé son grand-père et auquel il devait au moins ça, de rentrer chez lui et de clore le sujet une fois pour toutes. Il n’avait aucune envie d’attendre midi. Il s’arrêta à la réception, demanda une réservation sur le premier vol pour Londres puis monta dans sa chambre.
Le réceptionniste avait reçu pour consigne du directeur de l’appeler à toute heure si le professeur américain avait le moindre problème. Il lui avait même précisé de lui téléphoner si Baker semblait exprimer le moindre désir.
Le téléphone sonna dans la chambre de Charles. C’était le directeur de l’hôtel qui s’excusait mille fois de le déranger, mais, apprenant que Charles devait partir, il souhaitait savoir s’il était contrarié, si quelque chose était arrivé et s’il pouvait l’aider d’une quelconque manière. Charles remercia poliment et répondit qu’un problème urgent l’appelait à Londres et qu’il devait partir au plus vite.
— Dans ce cas vous serez heureux d’apprendre que le prochain avion décolle à 5 heures et que nous vous avons réservé une place. C’est une compagnie aérienne turque. Un vol qui fait escale à Prague. Malheureusement et, même si j’ai réveillé tout le monde, je n’ai réussi à trouver un billet qu’en classe économique et pour une seule personne. Le vol suivant est à 10 heures du matin. Veuillez excuser mon indiscrétion, la demoiselle ne part pas avec vous ? Ou voulez-vous que nous lui réservions un siège sur un autre vol ?
— C’est parfait. Je dois partir tout de suite. La demoiselle reste encore. Je vous prie de lui laisser sa chambre, vous m’enverrez la note. Je vous remercie pour tout.
Il consulta sa montre et commença à faire sa valise. Il était 1 heure du matin. Une heure plus tard il se trouvait dans la limousine qui le conduisait à l’aéroport.