Le véhicule s’arrêta juste devant la barrière de sécurité de l’ambassade. Charles remercia le chauffeur, saisit le sabre et, en grimpant les marches trois par trois, il entra dans le bâtiment. Dans la chambre qui avait été préparée pour lui, en tant qu’employé temporaire de l’ambassade, il trouva son sac de voyage. Il en sortit son téléphone portable et l’alluma. Il avait un message de Christa :
« Ross n’est pas qui vous croyez ! »
Il resta longuement pensif. Il tirerait ça au clair. Mais à cet instant précis il voulait tenter quelque chose. Le paquet de Prague l’attendait, bien ficelé sur la table. Il l’ouvrit.
Il avait eu le temps, sur le trajet, d’étudier le second sabre. Il ne ressemblait pas du tout à celui qu’il avait vu sous ce même nom au musée de Burgos. Celui-ci avait un manche et une garde bien trop travaillés pour sa prétendue année de fabrication. Charles savait que ce modèle de sabre n’était pas fabriqué avant 1040. Si bien qu’il avait toujours été convaincu qu’il n’avait pas appartenu à Don Rodrigo de Bivar. Celui qu’il tenait à la main ressemblait bien à une épée du début du XIe siècle. Longue d’un mètre environ, munie d’une garde simple, en forme de croix, avec quelques ornements. Sur la longueur de sa lame, figurait le texte gravé qu’il avait déjà vu : « IO SOI TISONA FUE FECHA EN LA ERA DE MIL E QUARENTA », et de l’autre, « AVE MARIA ~ GRATIA PLENA ~ DOMINUS TECUM », l’extrait de l’Évangile de Luc, bien connu des catholiques. Ces deux inscriptions étaient identiques à celles de l’épée de Burgos. Comme l’autre épée, celle-ci portait aussi sur le fil de la lame le même mécanisme circulaire, sauf que les lamelles et les dents étaient orientées un peu différemment et les creux un peu décalés, s’il se souvenait bien.
Cela mit en branle les rouages du cerveau du professeur. C’était justement pour cela qu’il était tellement pressé de monter dans sa chambre.
Il sortit le sabre courbe de son paquet. Il le tira de son fourreau. Il croisa les deux épées en choisissant les deux anneaux comme point de contact. Il exerça un léger mouvement de cisaille pour que les lamelles entrent chacune dans le dispositif de l’autre. Un clic se fit entendre. Les épées étaient parfaitement soudées l’une à l’autre. Leurs pointes formaient une sorte de V retourné, sauf que, l’une des branches étant celle de Caliburn, elle était courbe. Les dents métalliques étaient face à face. Sur l’épée de Tolède il n’y en avait que deux, sur l’autre, quatre.
Charles sourit. « La Clé. L’acier est la clé. La pierre est la porte. » Il eut une révélation. Comment n’y avait-il pas pensé avant ?
« Caliburn. C’est-à-dire Excalibur. L’épée de la pierre. »
À cet instant il fut convaincu que la pierre était celle, circulaire, de la salle d’entraînement de sa maison en Virginie. Et il obtenait ainsi la réponse à une question qu’il se posait depuis l’enfance. En dépit du fait que, sur les côtés, des épées avaient été plantées comme dans un présentoir, jamais aucune n’avait été posée perpendiculairement, alors que, il s’en souvenait bien, s’y trouvait là une encoche faite exprès. Il devait planter le sabre à cet endroit. C’était probablement ce que suggérait le dessin du globe terrestre traversé d’une épée, sur le mur, et qui était le symbole d’Interpol. L’illustration dans la cave était une sorte de carte, des instructions. Cela pouvait-il être aussi simple que cela ?
Au moment où les sabres s’étaient enclenchés en cliquetant, un bruit léger avait retenti près de la base de Tizona. Charles, trop préoccupé par l’imbrication parfaite des deux lames, n’avait pas remarqué ce bruit. Mais quand il les sépara pour les remettre dans leurs fourreaux chacun portant six blasons, il fut sur le point de lâcher la poignée de l’épée de Tolède. Il aperçut dans le manche une ouverture où se trouvait un morceau de papier jauni par les ans. Il le déplia avec impatience. Pas de langue étrangère, cette fois-ci. Pas de code non plus. Le texte était rédigé dans un anglais limpide, en caractères ordinaires. Il lut :
Vous passerez la porte sous le frontispice
Vous, demain, au lever du soleil.
Patientez jusqu’à l’heure de l’aube,
Car tout autre heure est funeste.
En ce jour de l’année plus long que tout autre
Quand 12 métiers se tiennent sous 12 portes,
Sous le zodiaque vous direz le mot juste,
180 tours, autrefois grandes, vous attendent.