La lumière s’éteignit dans l’avion qui tremblait violemment. Le capitaine de bord annonça une zone de turbulences sévères et demanda à chacun de garder son calme. Charles regarda le Turc à sa gauche, tout raide sur son siège et qui se cramponnait à ses accoudoirs de toutes ses forces. Quelque chose attira son attention, sur ses mains justement. Des ongles métalliques poussaient à toute vitesse au bout de ses doigts. Pris de panique, il sentit que quelqu’un le chevauchait, le prenait par les épaules et le secouait. Il tourna la tête dans cette direction. C’était la femme, qui avait maintenant un visage de mort-vivant. On ne voyait plus que le blanc de ses yeux et des gouttes de salive acide tombaient de sa bouche.
Il entendit un « Monsieur, ça va ? » et sentit un choc quand il ouvrit les yeux. Terrifié, il regarda l’hôtesse de l’air qui lui demanda si quelque chose lui était arrivé. Sa voisine de droite s’était levée et avait l’air parfaitement normale. Avant de répondre il tourna la tête vers le passager de gauche. Il regarda ses mains. La lumière était revenue dans l’avion et ses doigts paraissaient normaux.
— Que s’est-il passé ? demanda Charles.
— Vous avez dû rêver. Vous allez mieux ? demanda l’hôtesse en lui tendant un verre d’eau.
— Oui. Je crois que ça va. Merci.
L’hôtesse s’assura que tout était en ordre, reprit le verre et s’éloigna. Sa voisine se rassit. Charles prit son courage à deux mains et lui demanda :
— J’ai dit quelque chose dans mon sommeil ?
La femme le regarda avec sympathie et lui répondit :
— Pire. Vous avez hurlé. Ce qui était plus inquiétant, c’était l’expression de votre visage. Vous avez fait un cauchemar.
Il ne saisissait pas si c’était une question ou une affirmation.
— Je suis psychothérapeute. Je pense que cela ne vous ferait pas de mal de me rendre une petite visite dans les jours qui viennent, ajouta-t-elle en lui tendant sa carte de visite.
Charles s’en saisit et l’observa longuement.
— Je fais peut-être des cauchemars. Je n’ai pas beaucoup dormi ces derniers jours. Mais un psychothérapeute…
— … n’a rien à apprendre à un homme intelligent qui a déjà tout dit depuis longtemps. Je le sais.
Charles était stupéfait. C’était exactement ce qu’il avait pensé. C’était peut-être un lieu commun.
— Malgré tout, si vous changez d’avis, je suis à votre disposition.