Même le soleil rougit d’émotion quand Charles crut voir depuis le taxi une silhouette noire à capuche qui attendait sous la porte Galliera. Un insigne semblait briller sur son torse. Le soir tombait au terme du jour le plus long de l’année et, peut-être, de toute la vie de Charles. Lui serait-il possible de refermer le cercle ? De trouver le douzième disque ? Il paya la course et descendit de voiture.
Il s’approcha de la porte. En le voyant, l’homme à capuche recula. Charles le suivit dans l’ombre. Il ne pouvait pas distinguer son visage, mais il discernait le blason avec les deux sirènes soutenant un bouclier où reposaient deux rangées de poissons en forme de X. Il prononça le mot de passe. À cet instant, l’homme se rua vers lui pour le saisir à la gorge. Charles se débattit et recula. Le visage de l’homme apparut à la lumière. C’était Ross. Comment pouvait-il être vivant ? Il l’avait vu de ses propres yeux se faire abattre d’une balle en pleine poitrine. Portait-il un gilet pare-balles ? Mais Christa était une professionnelle, elle avait vérifié. Et pas mal de sang s’était écoulé sur le sol. Il fit volte-face avec la main de Ross sur son cou et parvint à se libérer de son étreinte. Il savait que Ross n’avait jamais pratiqué aucun sport. Il le repoussa et, quand il revint de nouveau vers lui, il lui appliqua la combinaison de quatre coups, héritée de son grand-père : le crochet du gauche repoussa la tête de Ross dans un sens, celui du droit décoché aussitôt après l’étourdit. L’uppercut du gauche cogna son menton en le soulevant presque de terre. Le direct de la droite envoya Ross au sol. Le tout se passa en un instant, mais des gens sur la place furent témoins de la scène et se mirent à crier en s’approchant. Il se dit que c’était une chance que les Italiens soient plutôt peureux. Ross s’écroula comme un sac de pommes de terre, mais un bruit métallique se fit entendre lorsqu’il toucha le sol et quelque chose renvoya un éclat de la faible lumière qui pénétrait encore sous le porche. Cela devait être une arme. Ross revenait à lui en gémissant et il se mit à bouger. Charles n’attendit pas qu’il se relève et puisse mettre la main sur l’arme. Il partit en courant.
Il courut pendant plusieurs bonnes minutes. En passant la porte, il avait pris à gauche vers la Via Matteotti, passé un pont, puis, sautant par-dessus une clôture, il s’était retrouvé sur une voie ferrée. Il gardait constamment un œil sur ses arrières et, alors qu’il espérait en avoir réchappé, il aperçut Ross qui courait derrière lui. Ross passa lui aussi la clôture, mais il semblait blessé à la jambe. Charles continua à courir. Il arriva dans une ruelle où, en passant le coin, il heurta de plein fouet une femme qui venait en sens inverse. Il s’arrêta pour tenter de la relever, mais elle hurlait et se lamentait. Il s’assura qu’elle n’avait rien de grave. Ross apparut, pistolet à la main, ce qui força Charles à détaler en abandonnant la femme. Il passa une haie d’arbustes, grimpa l’escalier d’un bâtiment de deux étages et arriva sur un toit. Il vit que l’immeuble était formé de plusieurs terrasses en escalier. Considérant que la distance était raisonnable, il bondit sur la première, puis passa à la seconde. Arrivé en bas, il vit Ross sauter lui aussi, puis tomber et rouler sur la première terrasse. Le propriétaire était sorti, mais, en voyant un homme couvert de sang et l’arme à la main, il recula bien vite dans la pièce. Charles n’attendit pas que Ross saute sur la terrasse suivante et se remit à courir. Il commençait à avoir mal aux jambes. Il avait passé la journée à cavaler. Et la sensation d’avoir participé à un marathon. Il commençait à avoir des crampes. Du coin de l’œil, il lui sembla, l’espace d’une fraction de seconde, qu’une autre personne avait bondi du toit sur la première terrasse.
Plus loin, il arriva dans un endroit qui ressemblait à une usine désaffectée. On aurait dit les hangars d’une vieille fabrique à l’abandon. Et un chantier avec des grues immobiles. Une ampoule solitaire, allumée depuis Dieu sait quand, était son point de mire. Il longea un dépôt en briques. En face, la guérite du gardien. Un projecteur y était fixé et éclairait la base du mur de briques. Il sentit alors une insupportable douleur dans le pied. Il ne pouvait plus le bouger. Il se jeta à terre et tira aussi fort que possible sur la plante de son pied. Au bout d’un moment la douleur de la crampe céda. Il se leva, mais il entendit alors un frémissement dans l’herbe. Il vit là un lézard qui lui parut gigantesque. La peur le pétrifia.