EN DÉBUT DE SOIRÉE

Des sons me parviennent dans un brouillard bizarre. Les odeurs me sont inhabituelles. Surtout ce mélange de fumée et de désinfectant. Je travaille anormalement fort pour soulever mes paupières.

Ma vue embrouillée réussit à saisir une tache noire qui s’éclaircit suffisamment pour me faire comprendre qu’il s’agit de cheveux. D’une touffe de cheveux unique à quelques centimètres de mon visage. Les traits d’Alizée se précisent aussi. Elle me dévisage avec un air de chevreuil surpris.

T’es pas un peu proche de moi ?

Elle parle ! lance-t-elle.

Elle se redresse et tourne sa tête rapidement de gauche à droite.

Elle parle ! répète-t-elle d’une voix forte.

Je suis ici, Ali, tu peux me parler à moi, proposé-je d’une voix rauque.

Je suis tellement contente de te voir. Et que tu puisses me voir !

Tu me voyais déjà il y a quelques secondes.

Mais toi, tu ne me voyais pas ! J’avais peur que tu deviennes aveugle !

Aveugle ? dis-je, perplexe.

Soudain, mon corps m’impose une profonde inspiration. Comme s’il craignait de manquer d’air.

Le rideau qui me camouflait du monde extérieur glisse sur un rail suspendu. Un homme mince aux cheveux grisonnants et portant des lunettes carrées noires s’approche du côté libre du lit.

Je suis le Dr Pelletier, annonce-t-il.

Il sort une mini lampe de poche de son sarrau.

Regardez au plafond.

Je suis correcte, assuré-je en exécutant sa demande.

Il passe la lumière au-dessus de chacun de mes yeux. Alizée se tient tout près de moi, vérifiant elle aussi la lumière qui éclaire mes pupilles.

J’inspire longuement, encore avec l’impression de manquer d’oxygène. Cette fois-ci, mon besoin d’air est accompagné d’images violentes. Je porte ma main à mes cheveux.

Vous avez une bosse intéressante sur la tête.

Intéressante ? soulève Alizée.

Et vous avez probablement une commotion cérébrale.

Comment ça, probablement ? Avez-vous probablement un diplôme en médecine ?

Ce que je veux dire, c’est que son scan ne démontre pas de signe de commotion, mais qu’elle peut quand même en ressentir les symptômes.

À quoi sert votre machine si elle ne peut pas être précise ?

Elle l’est, défend-il, irrité. Mais les symptômes peuvent aussi poser le diagnostic.

Bravo la technologie !

Je jette un œil avisé à mon amie. Son attitude sarcastique, habituellement réservée à Yanick, démontre la peur qu’elle a ressentie à mon sujet.

Vous devrez vous reposer pendant les prochains jours.

Pour qu’elle écoute votre conseil, mentionnez-lui qu’elle se videra de son sang à la vitesse des chutes du Niagara si elle met le pied hors du lit.

C’est un peu extrême, m’opposé-je.

Si vous ne lui dites pas des paroles similaires, elle sera sur son portable dans les minutes suivant sa sortie, renforce Alizée.

L’utilisation d’écran ne sera pas une bonne idée, car vous aurez certainement mal à la tête.

Probablement, certainement. Une information précise, est-ce trop demander ?

Le corps est une machine complexe à comprendre, explique le médecin. Certaines personnes réagissent mieux que d’autres à des commotions.

Elle a donc une commotion ?

Les circonstances me font croire que oui.

Vous devriez vraiment vous réorienter en politique. « Me font croire que oui. » « Probablement. » « Certainement. »

Merci, docteur. Je peux partir ?

D’un air découragé, mon amie avance le bras vers moi.

Non. Je vous garde en observation jusqu’à demain. Le souffle causé par l’explosion peut provoquer des dommages internes à retardement.

La référence à l’explosion me confirme ce qui me semblait être un rêve.

Très rassurant ! On dirait qu’elle a une bombe avec une minuterie dans l’estomac !

Le docteur pose un regard exaspéré sur mon amie.

Si vous avez des étourdissements, avertissez-nous, me conseille-t-il.

Pour que vous la repassiez dans la machine imprécise, au cas où votre technologie aurait changé d’idée sur son diagnostic ?

Une explosion, chuchoté-je, perdue dans mes pensées.

T’en souviens-tu ? s’informe Alizée, énervée. Tu me parlais au téléphone lorsque ça s’est produit. Tu as repris connaissance, mais le doc n’était pas certain, résume-t-elle avec sarcasme, que ta mémoire l’aurait enregistrée.

Dans ma tête, des souvenirs de l’impact se combinent à des images d’ambulanciers.

Le rideau s’ouvre légèrement.

Romy ! lance Yanick en entrant dans l’espace restreint.

Puisque le médecin se trouve du côté gauche de mon lit, mon ex se dirige du côté droit, où se tient Alizée qui ne bouge pas d’un centimètre. Il réussit à saisir ma main et y dépose un baiser.

Vous êtes son conjoint ?

Ex-conjoint.

Ex-trou-de-cul, renomme Alizée.

Ce n’est qu’un invité par patient.

Alizée regarde Yanick, qui lui fait un non flagrant de la tête pour signaler son refus de partir.

Mon amie plie ses genoux et descend son corps à la verticale en fixant le médecin.

Il n’y a qu’un invité maintenant, déclare-t-elle.

Sa voix provient du sol.

Vous êtes consciente que je vous ai vue vous accroupir ?

Oui. Mais je ne suis plus dans votre champ de vision, donc il n’y a qu’une personne présente.

On dirait une enfant de deux ans qui joue à cache-cache ! illustre le médecin, découragé.

Tes cheveux constituent une entité humaine visible du poste d’accueil ! discrédite Yanick.

Veux-tu sortir ? Parce qu’à choisir entre nous deux, Romy me garde !

Ce serait un bon moment pour que tu agisses en adulte avec moi.

Si tu avais agi comme un amoureux responsable il y a quelques mois avec elle, tu aurais droit à ma personnalité positive et pétillante, comme le reste de la planète, assure Alizée, toujours invisible de mon angle et de celui de l’urgentologue.

Le docteur soulève un sourcil à cette mention avant de soupirer.

Ne soyez pas bruyants, ordonne-t-il. Et ne restez pas longtemps, elle doit se reposer. S’il y a un problème, vous sonnez sur le petit bouton qui se trouve à votre…

Le médecin cherche le bidule à mes côtés. Soudain, l’appareil apparaît sous mes yeux, soulevé par mon amie qui se trouve sous le lit.

Avouez que je suis pratique, doc !

« Pratique » n’est pas le premier mot qui me vient en bouche, admet-il, exaspéré. Assurez-vous d’être partis avant que je revienne la voir.

Alizée s’est redressée.

C’est dans combien de temps, ça ? Deux, trois… jours ? évalue-t-elle.

Une demi-heure tout au plus, assure-t-il fermement.

Le médecin quitte notre espace exigu protégé par un rideau en forme de U. Yanick s’installe à ma gauche.

As-tu des détails sur les causes de l’explosion ? m’enquiers-je.

Pour l’instant, non. Sauf qu’il y en a eu deux autres en même temps, m’informe mon ex.

D’autres résidences ont été soufflées ?

Yanick acquiesce.

Des maisons à vendre ?

Préoccupé, il serre les lèvres.

Toutes par Luxim.

Des courtiers qu’on connaît ?

Non. Si on considère les saisies de fentanyl qui ont aussi visé des résidences endossées par Luxim, il apparaît évident que quelqu’un en veut à notre compagnie et non pas aux courtiers.

Je tais le fait que je suis la seule à avoir été touchée dans les deux cas.

Ou à notre clientèle de brebis parfois égarées du chemin pavé de lois, illustre Alizée.

Yanick approuve de la tête à cette possibilité probante.

L’enquêteuse Robillard doit être sur le dossier, songé-je. Je vais l’appeler.

Euh…, fait Alizée, grimaçante.

Quoi ?

Ton cellulaire est pas mal détruit.

Merde ! Il me faut un cell ! C’est les portes ouvertes demain à la tour, je dois être fonctionnelle !

C’est samedi soir, Romy, me raisonne Yanick. Les boutiques sont fermées. On en trouvera un demain.

Une fois de plus, le rideau bouge. Le visage que j’y vois apparaître est tout aussi surprenant que réconfortant.

Salut ! lance Nathan.

Son regard inquiet examine mon corps dont la majorité est couverte par un drap. Autant je suis allumée par ses yeux lorsqu’il me déshabille langoureusement, autant je me sens réconfortée d’y lire de l’inquiétude ce soir.

J’ai tous mes morceaux.

Elle en a même un de plus. Une bombe au niveau de l’estomac ! annonce Alizée.

Pardon ? s’écrie Yanick.

Pour la première fois depuis qu’il est arrivé, Nathan déplace son regard ailleurs que sur moi. Il dévisage mon amie.

Au sens figuré.

Yanick plisse les yeux, n’appréciant visiblement pas plus cette idée.

Nathan dépose un thermos que je reconnais sur le meuble à côté de mon lit.

C’est de la part de Jo.

Mais pourquoi ?

Mon cœur est chaviré face à ce don.

Comment a-t-il su que j’étais ici ? demandé-je, bouleversée qu’il m’ait envoyé son thermos.

J’étais au Refuge quand j’ai entendu parler des explosions de résidences. Comme tu ne répondais pas à ton cellulaire et que j’ai vu que tu représentais l’une d’elles, j’ai cherché à savoir où tu te trouvais.

Comment as-tu découvert dans quel hôpital elle était ? s’informe Yanick.

J’ai des contacts.

Il prend mes mains. Dès qu’il constate qu’elles sont froides, il fronce les sourcils.

Elle a froid, je vais prendre ta place pour la réchauffer, avise-t-il Alizée.

Mon amie se déplace d’un pas vers la droite. Nathan enveloppe mes deux mains dans les siennes.

Nourriture. (Je regarde le thermos.) Chaleur, murmuré-je.

Nous échangeons un sourire complice.

Jo ne voulait pas me laisser partir sans que je t’apporte une portion de la soupe au poulet et nouilles « confectionnée avec amour par Momo », dit-il en imitant la voix du vieil homme. Il voulait être sûr qu’elle soit encore chaude quand tu te sentiras assez bien pour la manger. Et je lui ai promis que je m’occuperais de te réchauffer entre-temps. (Il serre mes mains.) Alors, quelle est cette histoire de bombe que tu porterais en toi ?

Je dédramatise les paroles de mon amie en expliquant brièvement aux deux hommes, qui se jettent des coups d’œil méfiants, les raisons qui m’obligent à passer la nuit ici.

Le rideau est tiré à nouveau.

Merde ! Tu as le don de passer tes samedis soir de la pire façon ! reproche Kara.

Elle s’approche de moi.

Ça va ?

Elle m’examine en grimaçant.

Je ne me suis pas vue. Suis-je OK ? m’inquiété-je.

Tu es aussi sublime qu’une fleur cueillie à la rosée du printemps.

Kara et Yanick dévisagent Alizée.

Quelqu’un de franc, s’il vous plaît ? exigé-je.

Tu es sublime comme au réveil, me rassure Nathan.

C’est exactement ce que j’ai dit, expose Alizée.

Ton père doit être hors de lui de te savoir ici, présume Kara.

Il faut l’appeler ! m’exclamé-je.

Alizée avance le doigt, le regard approbateur.

Je m’en occupe, assume-t-elle en fouillant dans son sac à main.

Je suis mieux de lui parler en premier.

Excellente idée, approuve Kara.

Sous les regards attentifs de Nathan et d’Alizée d’un côté du lit, et de Yanick et de Kara de l’autre, j’écoute la première sonnerie avant d’entendre le déclic.

Bonjour, papa. Premièrement, sache que je vais bien.

Ma puce ? Ton annonce n’a rien de rassurant. Surtout que tu ne m’appelles pas de ton téléphone, débite-t-il rapidement.

Il est arrivé un petit accident à mon cellulaire. Je m’en achèterai un dès que je sortirai d’ici.

Sortir d’où ? articule-t-il lentement.

Je suis à… l’hôpital.

À l’hôpital ? crie-t-il. Je prends l’avion. Je peux appeler sur ce cellulaire ?

Kara lève la paume de sa main pour démontrer qu’elle avait prédit son état de panique.

Papa ! Reste à Vancouver. Je serai sortie avant que tu atterrisses.

Es-tu correcte ?

Il y a eu une explosion et…

Une explosion ? Appelle-moi en FaceTime !

Je ne suis pas défigurée, papa.

Alors appelle-moi en FaceTime ! répète-t-il.

J’obtempère sous le regard perplexe de Nathan. Les trois autres personnes qui connaissent mon père ne sont aucunement surprises de sa réaction. Quelques secondes plus tard, l’image de François apparaît à l’écran.

Je lui explique brièvement le contexte m’ayant menée aux urgences. Il m’examine avant de prendre la parole.

Ton corps ?

Ça va.

Il hausse un sourcil. Je lui montre mon corps et bouge mes jambes sous les couvertures pour le rassurer.

Satisfait, papa poule ?

Es-tu dans une chambre privée ?

Julia apparaît dans le cadre de l’écran. Son air est tout aussi préoccupé que celui de mon père.

Je suis à l’urgence, je n’ai pas besoin…

Ça n’a pas de sens ! Ce n’est pas un endroit pour te reposer. Tu mérites mieux qu’un dortoir rempli de bactéries ! Je vais exiger un transfert dans une chambre privée.

Sa réaction m’impose de regarder Nathan. Ses yeux me scrutent sérieusement, car les paroles de mon père confirment la vie luxueuse dans laquelle j’ai été habituée de vivre.

Je vais bien, papa. Je voulais simplement t’en aviser, car on ne pourra pas jouer à un jeu de société ni regarder une série ce soir.

Je m’occuperai de le divertir, assure Julia avec un sourire à mon intention.

Installe le cellulaire à un endroit d’où je pourrai te voir toute la soirée.

Nathan soulève les sourcils à cette demande.

Ce n’est pas un peu stalker ?

Qui a parlé ? La voix semblait plus grave que celle de Yanick.

Yanick a une voix aiguë à cause de la surutilisation de ses couilles, théorise Alizée en lançant un sourire cynique à mon ex. Mais la voix suave que tu as entendue, François, c’est celle de Nathan, ton nouveau gendre.

Je lève les yeux sur mon amant. Sur l’homme dont l’unique présence me réconforte et me procure l’oxygène nécessaire.

Mon quoi ? exige de comprendre mon père.

Ce n’est pas… Je t’en reparlerai.

Tu peux m’en parler là.

Un bip résonne. Alizée vérifie son cellulaire.

Ma pile est sur le point de lâcher, annonce mon amie.

Ne me fais pas le coup de la pile, Alizée, je ne suis pas un vieux cabochon dépassé par la techno !

Je te jure que c’est vrai, Frank !

Papa, c’est vrai, il reste cinq pour cent.

Alors montre-moi ce Nathan !

Nathan me fait signe de lui tendre le téléphone. Je le lui offre en l’avertissant du regard. Il me fait un demi-sourire pour me rassurer.

Nom de famille ? demande mon père en guise de salutation.

Drouin.

Occupation ?

Entrepreneur en construction.

Tu fais quoi au juste ? Tu tires des joints, tu visses des planches ?

De tout.

Donc employé occasionnel, dénigre mon père.

Il possède sa propre compagnie de construction, papa.

Pourquoi t’es célibataire ?

Nathan pouffe de rire.

Parce que je n’avais pas encore rencontré votre fille.

Le visage d’Alizée s’illumine à cette réponse. Yanick roule les yeux et Kara lève les sourcils.

Réponse quétaine, déclare François.

J’approuve, seconde Yanick en levant la main.

Arrête de téter ton ancien beau-père, lui conseille Alizée.

J’approuve aussi la quétainerie, s’impose Nathan.

Il accroche mon regard.

Mais le contenu était véridique.

Ça, c’est un homme ! approuve ma collègue.

La vraie réponse, c’est que je me méfie des femmes.

Pour la première fois depuis que mon père questionne Nathan, j’aperçois du respect dans son regard. Car tout comme moi, il a senti que Nathan était honnête dans sa réponse.

Méfie-toi aussi de leur père.

Le cellulaire d’Alizée s’éteint.

Vraiment sympathique, ton père, lâche Nathan, aucunement intimidé.

Un peu protecteur, c’est tout.

Il acquiesce, mais ne semble pas impressionné par cet interrogatoire formel.

Je dois être présente demain pour les portes ouvertes à la tour, m’inquiété-je.

Tu as explosé aujourd’hui, reporte ces fichues portes ouvertes ! ordonne Kara.

Je n’ai pas explosé ! Je me sens bien.

Suspicieuse, elle plisse le front.

Une journée à la fois, conseille Nathan.

On tire le rideau.

Bon ! La réunion est levée ! décrète le médecin en entrant dans l’espace.

Je ne travaille pas avec elle, défend Nathan.

Techniquement…

Le regard noir qu’il lui lance fait sourire Alizée.

Ça dépend du genre de travail dont on parle. Est-ce qu’une relation érotique avec un client compte ? vérifie-t-elle auprès du docteur.

Ali ! m’insurgé-je.

C’est un médecin, il faut être très cartésien avec lui.

Ce n’est pas un déficient non plus ! décrète Kara.

Merci pour la défense de mes capacités intellectuelles, ironise l’homme à la blouse blanche. Maintenant, out, tout le monde !

Je reste.

Le médecin analyse Nathan. Ils se jaugent.

Seuls les conjoints peuvent rester.

Ils le sont ! déclare Alizée.

Yanick est abasourdi par cette nouvelle.

La définition de « conjoints » implique deux personnes qui demeurent ensemble, Ali, rappelle Kara.

Merci, la notaire, pour cette définition légale, mais je réitère ma déclaration, affirme-t-elle en lui faisant des gros yeux.

Une personne invitée seulement, annonce le Dr Pelletier qui n’a pas manqué le signe ostentatoire de mon amie. Et ne pensez pas passer la nuit ici, il n’y a pas de lit supplémentaire.

Je n’ai pas besoin d’un lit, affirme Nathan.

Cette déclaration qui peut paraître romantique me reporte plutôt à sa période d’itinérance. Nathan fixe le médecin jusqu’à ce que celui-ci abdique. Lorsqu’il reporte son regard sur moi, je plonge mes yeux dans les siens. Pour lui faire comprendre que j’ai saisi sa référence douloureuse.

Tu seras son chien de garde ? confirme Kara à Nathan.

Avec plaisir.

Après un câlin d’Alizée, une pression de la main de Yanick et un « Arrange-toi pour survivre cette nuit » de Kara, mes trois amis me quittent.

Tu peux aller dormir chez toi et revenir demain matin, proposé-je à mon amant.

Nathan s’assoit sur le bord du lit et prend ma main dans la sienne.

Durant tes années de nomade, quelle a été ta ville préférée ?

J’entrouvre la bouche à cette question incongrue. Par elle, je comprends qu’il est inutile d’argumenter avec lui sur sa présence.

Vancouver.

Pourquoi ?

À la fois pour la proximité de l’eau et des montagnes. C’est rassurant et merveilleusement beau.

Je partage mon top trois. Puisque je sais qu’il n’a pas eu l’occasion de voyager plus jeune et qu’il s’est investi dans le boulot par la suite, je lui offre le plus de détails possible sur les endroits où j’ai demeuré. Pour lui faire vivre chacune de ces villes canadiennes.

Je bâille pour une deuxième fois d’affilée lorsqu’il déclare que je devrais m’assoupir.

Je n’ai pas le goût de dormir ici.

Tu peux dormir n’importe où, Romane.

Il approche sa bouche de mon oreille.

Ta maison est en toi, chuchote-t-il.

Je souris à cette phrase inscrite à l’entrée de la maison pour sans-abris.

Va dormir au penthouse.

Aucune chance que ça arrive.

Nous nous fixons longuement. Il caresse mes cheveux, un sourire flotte sur ses lèvres.

Tu dois te reposer, ne combats pas le sommeil.

Mes paupières sont si lourdes. Ses doigts cajolent mon cou. Je suis dans cet espace où la réalité semble s’éloigner de mes pensées lorsque je sens ses lèvres effleurer les miennes. Je souris contre sa bouche sans ouvrir mes yeux.

Dors bien, mon rubis.

Plus tard, un échange à voix basse me soutire de mon sommeil. J’ouvre difficilement les yeux. Je n’ai aucune idée de l’heure qu’il est dans cet endroit où seul le bruit des machines donne le tempo.

Nathan discute avec l’enquêteuse.

… les déflagrations ont causé des dommages matériels importants aux trois résidences.

Comment vont les propriétaires ? demandé-je d’une voix plus rauque que d’habitude.

Bonjour, Romy, lance Maude Robillard.

C’est le jour ?

En quelque sorte. Il est cinq heures quinze.

Je regarde l’homme qui se tient debout près de moi.

As-tu dormi ?

Tu devrais écouter ce qu’elle a à te dire.

Je garde mon regard sur lui quelques secondes pour lui faire comprendre que je ne suis pas dupe de son esquive.

Oui ?

Tout d’abord, les propriétaires vont bien puisqu’ils étaient tous absents. Mais c’est sûr qu’ils sont plus ou moins sous le choc.

Étaient-ils reliés au monde de la criminalité ?

Deux d’entre eux. As-tu vu ou entendu quelque chose qui t’apparaissait louche avant l’explosion ?

Non. J’observais la maison quand elle a soudainement explosé.

Je fixe le vide, revivant ce moment. La main de Nathan presse doucement la mienne. Me ramenant au moment présent.

Ah oui ! Il y avait un rôdeur près de cette maison mercredi.

Ton directeur me l’a mentionné quand je l’ai questionné cette nuit. Lui, appuie-t-elle, me l’a dit.

Vous avez réveillé Caleb ?

C’est tout ce que tu retiens ?

J’ai appris à ignorer votre ton sec.

Il n’était pas que sec, il était aussi réprobateur.

Mollo, lui impose Nathan.

Ils s’évaluent du regard.

Tu aurais dû m’en informer mercredi, reprend-elle. Autre chose ?

Le chat était enfermé dans la penderie quand je suis arrivée à la maison, je l’ai entendu gratter avant le début de la visite libre. Mais c’est tout.

Pourquoi était-il enfermé ?

Je vérifierai avec la propriétaire. Elle devait penser qu’il était dehors, il sort souvent.

Heureusement pour lui qu’il explorait le voisinage quand la maison a explosé.

Ces maisons devaient avoir des caméras de surveillance, non ?

Qui ne montrent étrangement aucune mise en place d’une bombe.

Les trois résidences ont-elles explosé en même temps ?

À cinq minutes d’intervalle.

Je réfléchis.

La durée pour se rendre en voiture de l’une à l’autre, verbalisé-je.

Exact.

Donc la personne a attendu que je sois sortie de la maison pour la faire exploser ?

C’est la façon positive de le voir.

Quelle est l’autre façon ?

Que cette personne voulait t’atteindre.

Pourquoi ?

Parce que c’est la seule des trois demeures qui n’est pas reliée au monde criminel.