CHAPITRE PREMIER

Croisière de luxe


En ces années 1920, la pratique de la croisière est un plaisir et une revanche pour les Allemands. Elle n’est plus tout à fait le loisir élitiste dont l’empereur Guillaume II a lancé la mode en partant voguer sur toutes les mers du monde. À chaque escale, l’empereur en imposait malgré son bras atrophié de naissance. Flanqué de son basset blanc, il impressionnait les foules en déambulant sur le quai, comme le montre l’un des films qui l’ont immortalisé à son arrivée au port avec, en arrière-plan, le Hohenzollern (116 mètres de long, 14 de large), une proue effilée, deux cheminées, trois mâts et des canons.

En juillet 1914, l’ultimatum de l’Autriche à la Serbie était parvenu à ce navigateur infatigable en pleine mer. Le 24, celui-ci avait appris que ses chers cousins, si semblables qu’on aurait pu les prendre pour des jumeaux, le tsar Nicolas II et le roi George V d’Angleterre, échangeaient de nombreux télégrammes, et, le 30, il avait fini par se résigner, écourtant sa croisière et renonçant à voguer à bord de son somptueux yacht.

Au moment où il posait le pied sur la terre ferme, les premiers bombardements des Austro-Hongrois pleuvaient déjà sur la Serbie et Nicolas II était en passe de masser des troupes impressionnantes à sa frontière. Le jeu des alliances mis en branle, le Kaiser se rangeait du côté des Autrichiens et se résignait à un combat fratricide contre George et Nicolas. Le 28 juillet, ce fut au tour de Guillaume et Nicolas d’échanger un dernier télégramme, sans réussir à trouver un accord. La rupture familiale s’apprêtait à déboucher sur quatre ans de guerre, d’où l’Allemagne allait sortir vaincue et à bout de souffle.

La revanche de la marine allemande

Dans le contexte agité et conflictuel de la nouvelle Allemagne de Weimar des années 1920, les croisières ont changé, la marine de guerre aussi. La Kriegsmarine, éprouvée par quatre années de combats au cours desquels les Alliés lui ont coulé nombre de bateaux, n’est plus que l’un des symboles de l’humiliation et de la défaite qu’elle a connues après que les Alliés lui eurent confisqué ses plus gros bâtiments. De l’imposante marine impériale, ne reste plus qu’un bateau, le Deutschland, trop vieux, avec ses vingt ans d’âge, pour intéresser les vainqueurs. Un navire qui, non content d’être l’un des rares à avoir fait deux guerres mondiales sans se rendre et à avoir battu des records de vitesse, vivra ses ultimes heures auprès du Cap Arcona.

La Kriegsmarine ne déclenche plus la fureur, comme à Scapa Flow, base navale britannique en Écosse où les marins allemands avaient, en 1918, mis le feu aux explosifs, ouvert les vannes, noyé les soutes, bref préféré commettre le plus grand sabordage de l’histoire plutôt que de livrer leurs bateaux rassemblés là sous contrôle ennemi. Le silence revenu, Scapa Flow est resté l’un des plus grands cimetières marins du monde.

Elle n’est plus la cible des traités qui se sont acharnés à lui enlever la seule chose qui lui restait, l’espoir, en l’empêchant, au moins théoriquement, de se reconstituer : le traité de Washington, en 1922, a limité le tonnage global des bâtiments de ligne et interdit à l’Allemagne de construire des navires de plus de 10 000 tonnes et le traité de Londres de 1930 a confirmé cette interdiction. Dans l’esprit du Président Woodrow Wilson, le désarmement allemand devait être l’un des fondements de la paix et bien sûr, au premier chef, en tant que fauteur de guerre, selon l’article 231 du traité de Versailles, l’Allemagne.

En fait, la Kriegsmarine est une arme en pleine reconstitution à partir des années 1930, en pleine renaissance. Les traités à peine signés, en effet, les Allemands, dans une quasi-unanimité, se mettent à dénoncer, parfois mezza voce, mais souvent de manière plus véhémente, le Diktat et s’évertuent à le contourner. Il ne faut pas attendre longtemps avant que les armes interdites ne soient remises sur le métier et que les hommes nécessaires à leur utilisation ne soient formés sous de fallacieux prétextes ou dans des emplois qui camouflent la véritable nature de leur instruction. La marine, loin d’échapper à ce phénomène, en est un des lieux privilégiés, et les chantiers navals se mobilisent pour inventer des bâtiments d’un genre nouveau.

Limités en tonnage, les architectes de la marine militaire allemande apprennent à construire des navires à chaudières plus légères et moins volumineuses, à alléger les matériaux, à produire des sous-marins de poche. Ingénieux, mais pas seulement, ils apprennent aussi à être malhonnêtes, à mentir, à tricher sans vergogne en annonçant des tonnages inférieurs à la réalité.

C’est dans ce contexte, plutôt sombre, mais aussi dans une Allemagne républicaine où l’agitateur Hitler n’est même pas encore citoyen allemand, que la marine relève la tête et tente d’oublier ses déboires en mettant en chantier des paquebots impressionnants.

Le Cap Arcona : un paquebot de luxe

L’un des premiers fleurons de ce renouveau est le Cap Arcona. Construit sous la République de Weimar, il inaugure une lignée de navires de luxe en quête de records et auxquels il est assigné d’aller toujours plus vite. Cette recherche de la vitesse est l’une des conséquences inattendues de la politique américaine d’immigration qui, par deux lois de 1921 et 1924, fixe des quotas aux personnes en provenance d’Europe de l’Est et du Sud. Faute d’émigrés à transporter, les grandes compagnies doivent conquérir de nouveaux marchés et trouver d’autres clients : les classes moyennes, curieuses de découvrir de nouveaux horizons. Or, si ces touristes raffolent des croisières, c’est à la condition que la traversée ne dure pas trop longtemps.

Aussi, en ce deuxième âge d’or des paquebots – le premier ayant été celui du Titanic –, les armateurs s’appliquent à produire des bateaux à la fois gros, confortables et rapides, et les capitaines rivalisent d’audace pour remporter le « ruban bleu », reconnaissance suprême des records de vitesse entre l’ancien et le nouveau monde. Le duo de transatlantiques allemands lancés peu après le Cap Arcona, le Bremen (286 mètres, 51 600 tonnes) et l’Europa (287 mètres, 50 000 tonnes), l’obtiendront tous deux, battant en taille et en vitesse le plus célèbre bateau français de l’époque, l’Île-de-France. Le Rex, qui détiendra le fameux ruban bleu (28,92 nœuds, soit 54 km/heure) pour trois ans, fera pour sa part la gloire de l’Italie fasciste.

Le Cap Arcona – 27 561 tonnes, 205,80 mètres de long, 27,70 mètres de large, 8,40 mètres de tirant d’eau, 2 185 personnes à bord – voit le jour à Hambourg sur un chantier naval à la renommée déjà bien établie, Blohm & Voss, qui a déjà procédé à 429 lancements. Aujourd’hui encore, cette firme est une référence dans le monde des armateurs : le deuxième plus grand yacht privé du monde, L’Éclipse (163,5 mètres ; 25 nœuds), qui appartient au milliardaire russe Roman Abramovitch, sort de ses ateliers et le rival qui l’a éclipsé, l’Azzam (180 mètres ; 30 nœuds), propriété d’une famille des Émirats arabes unis, a également été construit par des chantiers allemands, ceux de Lürssen de Brême.

Le Cap Arcona fait partie de cette génération de paquebots dont la construction et l’entretien ont exigé la mobilisation de l’ensemble des dernières connaissances scientifiques, techniques et commerciales. Le même professionnalisme s’applique à tout le personnel, des hauteurs du poste de pilotage où s’activent des officiers chevronnés aux profondeurs de la salle des machines où de solides gaillards emplissent de charbon les bouches fumantes de la fournaise, tandis que des mécaniciens hors pair surveillent d’un œil averti une véritable mécanique de précision. Chef-d’œuvre de la construction navale allemande, il est une vitrine de la rigueur hanséatique.

Qualité allemande

Dans l’entre-deux-guerres, les paquebots fascinent. Pour preuve, l’année suivant le lancement du Cap Arcona, le grand photographe Jacques Henri Lartigue immortalise sa chère muse, l’élégante « Bibi », prenant la pose devant deux géants des mers amarrés à Marseille. L’un d’eux, un bâtiment élancé à propulsion jumelée avec trois cheminées, rappelle le Cap Arcona.

Luxe, élégance, volupté. Le Cap Arcona offre à ses passagers les plus riches des cabines victoriennes. Pont-promenade, bibliothèque, jardin d’hiver sont décorés avec recherche et joliment meublés. Tapisseries des Gobelins, tapis persans, fresques, miroirs, céramiques, luminaires étincelants, cloche dorée et gravée à son nom, il n’a rien à envier aux meilleurs hôtels des grandes capitales ou des stations balnéaires et sait répondre aux demandes d’une clientèle exigeante. Les services proposés sont nombreux : salon de beauté, coiffeur, boutiques de vêtements, parfumeries…

L’un des moments clés de la journée d’un croisiériste est le repas. À toute heure ou presque, on peut passer à table et des brigades de cuisiniers (84 en tout), de pâtissiers, de sommeliers, de confiseurs se succèdent en cuisine, tandis que des serveurs en habits noirs se hâtent en tous sens, les bras chargés de mets et de boissons. L’opulente salle à manger est parsemée de grands bacs où de hautes plantes et des fleurs font office de paravents, de fauteuils confortables, de tables basses. On y accède par deux escaliers symétriques aux courbes harmonieuses qui, en se rejoignant, n’en forment plus qu’un, majestueux bien sûr. Au-dessus du palier ainsi formé, un impressionnant tableau vertical représente une Naissance de Vénus traitée à la Botticelli. La jeune déesse surgit des eaux debout dans la conque d’un coquillage. Sa nudité, cachée par sa chevelure ondulante, préside ainsi à d’incessants festins. Comme tous les trajets en bateau, les traversées du Cap Arcona se comptent aussi en quantité de victuailles. Au cours du voyage d’inauguration, on consomme pas moins de 40 000 œufs, 30 000 livres de viande, 30 000 livres de légumes, 12 000 livres de poissons de toutes sortes, 6 000 livres de jambon et de saucisses, 1 200 sacs de pommes de terre, des centaines de caisses de fruits frais et d’innombrables bouteilles de vin et de spiritueux divers.

Après de telles agapes, il est bon parfois d’éliminer, et le sport aussi, coqueluche des classes aisées de ce début de siècle, est à l’honneur avec le plus grand espace sportif jamais bâti sur un bateau depuis trente ans. Boxe, football, lutte, jeux d’adresse, gymnastique sont encadrés par des professeurs aux muscles avantageux. Le court de tennis, situé à l’extérieur, est délimité par des filets qui empêchent les balles de bondir dans la mer. La piscine, chauffée, est exceptionnelle et donne envie d’enfiler un costume de bain même aux plus récalcitrants. Ornée d’une fontaine romaine surplombée d’une céramique représentant des sirènes, elle est bordée de petits bancs de pierre qui servent de plongeoirs, tandis que des colonnes cannelées accentuent l’aspect bains romains de l’ensemble.

Certains préfèrent méditer. Ils peuvent alors se rendre à la messe : Ave Maria de Gounod, Largo de Haendel, les notes s’égrènent au fil des flots. Le jour du franchissement de « la ligne » (l’Équateur) lors du premier voyage vers l’Amérique latine, la quête rapporte 10 000 marks, déposés certes en monnaie allemande, mais aussi en pesos, en livres sterling, en francs et en pesetas.

Le soir, de grandes fêtes habillées égayent les passagers. Le personnel recouvre le court de tennis d’un élégant parquet de bal sur lequel les Allemands sont quasiment les seuls à se mouvoir, les autres passagers semblant tout ignorer de la valse. Un fumoir, des tables de jeu, une salle de spectacle où on donne pièces de théâtre et concerts, rien ne manque. Pour son voyage d’inauguration, le Cap Arcona s’est offert l’orchestre du premier hôtel de Hambourg, le huppé Quatre Saisons.

Mauvais présages

Paquebot de luxe, le Cap Arcona a eu droit en 1924 à un baptême en bonne et due forme : une bouteille de champagne lancée à toute volée sur sa coque et un beau discours prononcé par une ravissante jeune fille : « Des flots de la mer Baltique s’élève au nord de l’île de Rügen bien-aimée un rocher abrupt qui est couronné par un phare qui rayonne au-dessus de la mer. Le nom de ce rocher, de ce seul cap qui embellit les côtes allemandes, Cap Arcona, est désormais ton nom. Puisses-tu, pour l’honneur de notre patrie allemande et pour le bonheur de ta société, traverser les mers et être un nouveau lien entre l’Ancien et le Nouveau Monde. Je te baptise Cap Arcona ! » Cette dernière phrase est presque une formule magique censée porter bonheur au bateau. Une ombre plane, en effet, encore sur tous les navires de l’époque, celle du Titanic, géant des mers, disparu seulement douze ans auparavant dans des circonstances tragiques. Or, nul ne l’ignore, la White Star, la compagnie du Titanic, ne baptisait jamais ses bateaux.

Autre conséquence du naufrage du Titanic, le Cap Arcona possède suffisamment de canots de sauvetage en cas de coup dur : 24 embarcations peuvent recevoir chacune 80 personnes, 2 bateaux de sauvetage à moteur acceptent jusqu’à 46 personnes, 2 autres encore peuvent être mis en service en cas de besoin. Tout est prévu pour évacuer l’ensemble des passagers, équipage inclus – tout, sauf que les bateaux de sauvetage soient un jour mis volontairement hors d’état de rendre le service pour lequel ils ont été conçus.

Premier mauvais signe, le 30 novembre 1927, à l’arrivée à Rio de Janeiro, c’est au Cap Arcona qu’incombe la tâche de commémorer le récent naufrage du Principessa Mafalda, un navire chargé d’Italiens venus rejoindre quelque membre de leur famille parti faire fortune dans la production de café ou tenté par la promesse d’un emploi. Ces malheureux migrants, dont le voyage a souvent été payé par leurs parents ou par les propriétaires des immenses fazendas, ne connaîtront jamais le soleil de Sao Paulo. Seuls quelques corps flottants ont été retrouvés. Conviés à une sorte de veillée funèbre, les passagers du Cap Arcona entourent le commandant qui jette à l’eau une couronne mortuaire au ruban frappé au nom de son navire ; on dit une prière, la chorale entonne Jésus, mon espérance et chacun part se coucher sur les notes de Chopin.

Second mauvais présage : le 3 décembre 1928, un incident bouleverse la belle quiétude qui règne sur le bateau qui étincelle non pas sous les étoiles, mais sous le dur soleil de Rio. À bord voyage une personnalité éblouissante elle aussi : le Franco-Brésilien Alberto Santos-Dumont, 55 ans, l’un des pères de l’aviation, reçu avant la guerre par tous les grands de ce monde, depuis le prince Albert Ier de Monaco jusqu’au Président américain Theodore Roosevelt… En apprenant que le héros s’apprête à débarquer en Amérique du Sud, une douzaine de scientifiques brésiliens décident d’escorter le bateau en hydravion. Joie de retrouver la terre ferme, bourdonnement des moteurs, enthousiasme général, c’est la fête. Sur le pont, l’ambiance est électrique, la foule se presse, agite des mouchoirs blancs, pousse des clameurs en découvrant un paysage exceptionnel : le Corvovado d’un côté, le Pain de sucre, le quartier Urca et sa plage au sable fin de l’autre. Soudain, catastrophe, l’horreur remplace l’excitation. Erreur du pilote ou rafale de vent, l’aéronef perd de l’altitude et s’abîme en mer. Une fumée noirâtre s’élève. Nul passager de l’hydravion n’en réchappe.

À bord, le drame gâche la fête, durablement. Par tradition de marins, l’équipage est superstitieux et sait que, le jour de son départ de Southampton, le Titanic a aspiré, dans son sillage, un bateau à quai. À terre, le drame anéantit Santos-Dumont, déjà malade et de surcroît très déprimé par la transformation au cours du premier conflit mondial de ses fameuses Demoiselle, prototypes volants de toile de lin et de bambou, en avions de guerre à l’acier brûlant, torturant les chairs de milliers d’hommes. Quatre ans plus tard, il se suicidera.

Le Cap Arcona vient de faire ses premières victimes et c’est encore la paix.

Hambourg-Rio

Fleuron de la flotte des transatlantiques de la HSDG (Hamburg-Südamerikanische Dampfschifffahrts-Gesellschaft), le Cap Arcona est le moyen de transport le plus rapide pour aller de Hambourg à Rio et en revenir : en novembre 1927, dix jours suffisent pour passer des quais mornes « au ciel de pluie » chantés plus tard par Édith Piaf à la moiteur tropicale des plages de sable blanc de « la plus belle baie du monde ».

Depuis longtemps, les Allemands sont nombreux à tenter leur chance dans ce lointain eldorado. C’est depuis le sud du Brésil, dans l’État du Rio Grande do Sul et celui de Santa Catarina, que les premiers pionniers allemands ont essaimé et dominé en très peu de temps le commerce des fruits, des légumes, du bois, ainsi que l’élevage de porcs et des bovins. Sur ces terres vierges gagnées sur d’impénétrables forêts, ils ont bâti des villes allemandes et parfois suisses-allemandes. Blumenau, par exemple, fondé par un médecin éponyme et dix-sept colons originaires de la région de Hambourg, possède des maisons à colombages au toit pointu, aux murs tirés au cordeau et aux enseignes aux noms germaniques. Le folklore allemand y est d’ailleurs toujours vivant aujourd’hui puisqu’on prétend que sa fête de la bière (l’Oktoberfest) est encore la deuxième au monde après celle de Munich. En se fondant sur les archives de la chambre de commerce du Paraná, on constate que, sur 15 entreprises commerciales et industrielles constituées à Curitiba entre 1854 à 1889, 13 appartiennent à des immigrants allemands et à leurs descendants, une à des Italiens et une seule à des Brésiliens. Au siècle suivant, en 1929, près de 65 % des entreprises établies dans cette capitale du Paraná appartenaient à des immigrés ou à des personnes issues de l’immigration.

À l’arrivée à Rio, si la météo déçoit rarement les passagers, l’ambiance est parfois plus morose qu’attendu. Dans les années 1930, la crise économique mondiale frappe durement le Brésil. En plongeant les producteurs de café dans la misère, elle a renversé la vieille république dite « café au lait ». Les cales du Cap Arcona sont à moitié vides et les colons qui ont choisi de prendre place à bord du navire se demandent s’il est vraiment judicieux d’abandonner à leur tour leur terre natale.

Le Cap Arcona compte 380 hommes d’équipage. Comme beaucoup d’autres bateaux, il dispose de trois classes, mais là plus qu’ailleurs des cris s’élèvent pour condamner le fossé qui sépare la 1re de la 3e. Certains rappellent que le navire a bénéficié de subventions de l’État allemand et qu’à ce titre, il se doit d’offrir un minimum de confort, même dans les cabines les moins chères.

Si les « touristes » – terme récemment usité dans ce sens-là – constituent une nouvelle catégorie de voyageurs, les 2e (274 places) et 3classe (700 places) accueillent encore nombre d’Européens de tous pays (Polonais, Italiens, Hongrois, Russes, etc.) partis tenter leur chance en Amérique du Sud. La vieille cité hanséatique est alors l’un des plus grands ports d’émigration vers le continent américain : entre 1850 et 1939, environ 5 millions d’Européens ont quitté ses quais pour partir à l’aventure vers le Nouveau Monde.

En 1re classe (554 places), de riches aristocrates curieux de découvrir le monde côtoient les colons fortunés et les marchands qui accompagnent les chargements d’orge, de bois, de café, de cacao, de bananes, d’étoffes et d’alcool.

Des diplomates font également la navette entre les deux continents, seuls ou en famille. C’est ainsi que Pierre Clostermann, natif du Paraná et fils d’un diplomate originaire d’Alsace-Lorraine, embarquera à Rio en 1928 pour rejoindre l’Europe. Lui, ce ne sont pas les bateaux qui l’intéressent, mais les avions, depuis que ses parents lui ont fait rencontrer les héros de l’Aéropostale Guillaumet et Mermoz. Depuis un an déjà d’ailleurs, il possède son brevet de pilote.