L’Inde constitue un véritable laboratoire spirituel où ont coexisté et coexistent encore toutes les formes de religions et de spiritualités existant dans le monde, y compris les trois grands monothéismes1 qui y ont été importés.
L’hindouisme lui-même, qui est la religion dominante, présente une multiplicité de courants : Le védisme, fondé sur les 4 Védas, en constitue l’origine tandis que d’autres voies de sagesses (Védanta, Samkhya, Yoga) s’appuient sur les Upanishads2. Il y a entre tous ces courants plus que de simples emprunts. Ils se sont parfois mélangés et ciblent, à travers divers systèmes de pensée et de pratiques, un absolu tantôt représentable sous la forme de dieux et tantôt non représentable sous l’appellation du Brahman-âtman. Dans tous, la démarche religieuse consiste à se dégager de la souffrance du samsâra, le cycle des existences, pour rejoindre cet absolu à travers un processus de libération (moksha) quifait appel tantôt à des exigences morales et à des techniques corporelles, tantôt à des disciplines mentales, mais aussi à des ouvertures à la grâce divine d’Îshvara, du Baghavan (le Seigneur) : de Vishnou, de Shiva, de la Déesse qui, disait le mystique Ramakrishna, n’est autre que le Brahman.
Vu du dehors, à travers sa mythologie, sa cosmologie et ses contes, l’hindouisme peut apparaître comme un ramassis touffu, plus ou moins cohérent, de légendes. Mais si on le prend au niveau de son fondement ultime (le Brahman-âtman) et de sa visée de libération (moksha), c’est une religion de salut qui cherche à dégager les êtres humains de leur condition aliénée et souffrante (le samsâra) pour les mettre au diapason de la réalité divine.
Dans ce choral spirituel, on a distingué tardivement un ensemble de six voies de sagesse dont trois sont encore vivantes : le Védanta, le Samkhya et le Yoga3.
Celui-ci se présente à son tour comme un faisceau de plusieurs démarches :
Notons enfin que ce faisceau yogique a débordé le cadre de l’hindouisme : il existe un yoga bouddhique : le Yoga-cara, et un yoga jaïn : le Jaina-Yoga.
Ces yogas ont une origine ancienne et se recouvrent en partie, Ce qui a poussé plusieurs penseurs indiens à en proposer une synthèse. Les derniers et les plus connus sont Vivekananda, au XIX e siècle4, et Aurobindo, au XX e 5. Mais bien avant eux, un compilateur de génie, Patanjali, rédigea un exposé : le(s) Yoga-Sûtra(s), plus tard désigné sous les noms de Raja yoga (yoga royal) ou d’Ashtanga yoga (yoga à huit branches)6. Cet ensemble d’aphorismes s’imposa par la suite comme un texte majeur de la spiritualité indienne.
Patanjali, l’auteur du Yoga-Sûtra est vénéré en Inde comme un saint dans une abondante littérature hagiographique7 et dans des temples shivaïtes du sud de l’Inde où il fait l’objet d’un culte et a des statues. On trouve aussi de nombreux bronzes anciens et de plus modernes qui le représentent. Mais qu’en est-il pour les historiens ?
Ils ont émis plusieurs hypothèses :
« Quoi qu’il en soit, en définitive, ces controverses autour de l’âge des yoga-sûtras sont d’une assez faible portée, car les techniques de l’ascèse et de la méditation exposées par Patanjali ont certainement une ancienneté considérable. » écrit Mircéa Eliade10. Pour les Indiens, qui ont une vision intemporelle de la vérité, ces questions sont sans importance. Leurs commentaires ne s’intéressent ni à la multiplicité ni à la chronologie des couches que notre exégèse essaie de repérer. Ils reçoivent le texte dans son unité synchronique, ce qui peut s’accepter car, malgré certaines incohérences, le Yoga-Sûtrapossède une véritable unité d’inspiration :il propose une démarche globale bien structurée, progressive, initiatique, en référence à une expérience fondatrice et en vue d’une finalité unique.
Le traité de Patanjali se déploie en quatre chapitres :
Cet ensemble aborde huit aspects d’une démarche spirituelle complète que nous détaillerons. Cette répartition en huit membres se fonde sur le texte de Patanjali (II,29) mais a été systématisée par ses commentateurs. Nous l’avons retenue parce qu’elle est devenue traditionnelle, mais aussi parce qu’elle a le mérite pédagogique de clarifier son message. Le but de ce petit livre est en effet d’actualiser celui-ci pour notre époque, en particulier pour les pratiquants qui cherchent des repères et un fil directeur dans la masse imposante des ouvrages publiés sur le yoga. Il s’inscrit dans une collection qui se veut à la fois accessible et pratique, tout en cherchant à cibler un certain essentiel. Puissent les lumières et les forces spirituelles qui s’y expriment éclairer nos esprits et animer nos vies.