Ô M. de Lamartine, qu’avez-vous fait ? Vous étiez gentilhomme, comme André Chénier ; vous avez reçu du ciel la beauté de Byron et la fortune de Goethe ; vous avez été tour à tour un grand poète et un grand orateur ; et il est probable qu’un jour vous serez un aussi bon ministre constitutionnel que M. Gouin ou M. Cunin-Gridaine. Je ne vous reproche ni votre naissance, ni votre beauté, ni vos richesses ; trois choses que des critiques moins indulgents vous pardonneraient avec peine. Je ne vous en veux pas non plus pour vos succès de tribune, pour vos productions lyriques, admirable mélopée, qui dissimule, sous la magnificence du rythme, la contexture un peu molle du vers et l’indigence de la pensée. Je ne vous en veux même pas pour votre génie, ô mon poète ! mais ce que je vous reprocherai toute ma vie, c’est d’avoir engendré une foule de poëtaillons sans force, sans baleine, sans courage, brandies mortes d’un arbre majestueux ; c’est d’avoir traîné à votre suite, et encouragé par des conseils perfides, ces imitateurs vulgaires, qui sont au poète ce que les reflets sont aux rayons, sauterelles parasites qui vinrent un jour s’abattre sur les champs de la poésie pour en dessécher les plus belles liges et les fleurs les mieux venues.
Le poète Lamartinien est partout, à Paris et en province, à la campagne et à la ville, et même un peu à l’étranger, dans les salons moscovites, les réunions de Londres et les cercles de Vienne et de Munich. C’est l’espèce la plus nombreuse dans la famille des poètes ; elle grouille, elle fourmille. La cause de cette inféconde multiplicité est tout entière dans la facilité du genre. Ce sont toujours les mêmes idées qui reviennent avec les mêmes mots, emmaillotés dans le même rythme. Le maître est un peu mou, les disciples sont flasques. M. de Lamartine, soit impuissance, soit paresse d’esprit, soit mépris du lecteur, se donne rarement la peine de chercher au-delà du cercle parcouru un horizon plus varié ; il se contente des effets connus, et n’en veut pas de nouveaux ; son vers et sa pensée viennent au monde sans effort, mais un peu au hasard. Si son vers est beau, tant mieux ; mais s’il se traîne péniblement sur ses douze pieds, s’il est malingre et chétif, il restera toujours comme cela : le poète n’a pas le temps de le soumettre à l’orthopédie de la forme. M. de Lamartine suit tranquillement le grand chemin de sa phraséologie uniforme ; il marche où il a déjà marché ; c’est plus commode. Il sait peut-être bien qu’il existe, sous l’ombre de la poétique forêt, un sentier dont personne n’a encore foulé le gazon verdoyant ; mais pour l’aller chercher il faudrait faire un assez long détour à travers un champ abrupt, et courir le risque de se blesser les pieds aux épines. Aussi, il ne se dérange pas de son chemin, quoique un peu fatigué quelquefois des nuages de poussière que soulève sur la route le cortège de ses imitateurs.
Qu’arrive-t-il ? c’est que M. de Lamartine ne tourne pas seulement dans le cercle de ses idées, mais encore de ses phrases ; c’est qu’il se copie sans s’en douter, qu’il s’imite lui-même. Que sera donc, au point de vue littéraire, l’imitateur de M. de Lamartine, sinon un copiste ? Le poète Lamartinien est la troisième eau d’un thé, dont le premier défaut est d’être un peu faible.
Chez M. de Lamartine, le même mot se montre souvent dix fois dans une pièce de cent vers au plus. Mon âme revient à tous les vers dans les strophes harmonieuses du poète, comme mon pays se dresse héroïquement à toutes les phrases des discours parlementaires de l’orateur. On a calculé que, rien que dans ses premières Méditations, M. de Lamartine avait dix fois conjugué le verbe passer, dans tous ses temps et dans tous ses modes.
On pourrait multiplier ces citations à l’infini.
Comme on le pense bien, le disciple a encore exagéré la manière du maître. Ce qui était un défaut chez le poète a été regardé par l’imitateur comme une qualité. Alors les rimes les plus banales, les pensées les plus rebattues, les vers les plus filandreux, ont surgi de toutes parts. Dès qu’il a été reconnu que dans l’enchevêtrement seul de quelques mots, sans cesse répétés dans un vers long et flasque, résidait le secret du lyrisme, tout ce qui a voulu faire des vers en a fait, et s’est appelé poète. Les étoiles, les nuages, la nacelle, le lac, les flots bleus, la lyre, mon âme, la brise, l’espace, la mer, l’océan des jours, etc., etc., sont les seuls ingrédients nécessaires à la fabrication de cette poésie nébuleuse et calédonienne, qui a le tort de ressembler beaucoup trop à la note unique et retentissante du célèbre trombone des saltimbanques.
Voici quelques échantillons de la poésie Lamartinienne :
À Elvire, à Silvie ou à Uranie
M. de Lamartine a reçu, à titre d’hommages, plus de dix mille pièces de vers dans ce style. – Et quand on songe que c’est à lui que l’on doit cette nuée de poètes pleurards et ennuyeux, on ne le trouve pas assez puni de ces hommages multipliés ; – on les voudrait plus nombreux encore ; – du reste, c’est Mme de Lamartine qui décachète tous ces envois poétiques, lesquels sont immédiatement livrés aux flammes sans être lus ; – ce qui n’empêche pas que Mme de Lamartine ne soit encore la femme la plus occupée de France.
Le poète Lamartinien se trouve moins à Paris qu’en province, où il fait la gloire de son arrondissement en inondant de ses productions le journal du chef-lieu. – Chaque ville de France a un aligneur de strophes qui pleure au moins une fois par semaine dans un feuilleton lyrique et filandreux.
Le collégien de dix-sept ans qui ressent au fond de son âme le vague et l’incertitude des premières années, a aussi une tendance Lamartinienne très prononcée jusqu’au jour où il a été heureux. – À partir de ce jour, il se moque des fleurs de l’âme, et apprend à cancaner.