Voilà encore un poète d’une physionomie bien tranchée et dont la race se perdra comme celle des carlins, si l’on n’y fait pas attention. – Il ne s’agit pas ici de ce poète amoureux des trois unités d’Aristote, qui siège dans un fauteuil plus ou moins élastique au sein d’une académie quelconque ; nous voulons parler de cet éternel lauréat qui passe sa vie à recueillir des palmes, à moissonner des couronnes et à vendanger des mentions honorables dans les quatre-vingt-six départements qui ont l’avantage de composer le beau pays de France.
Le poète académique est le commis-voyageur de l’art ; il passe sa vie sur les impériales de diligences, et fabrique ses poèmes entre une malle et un paquet. Il concourt partout où il existe quarante mortels très vieux et très laids, érigés en tribunal littéraire. Que le clairon poétique retentisse à Carpentras ou à Brives-la-Gaillarde, aussitôt notre paladin, arrivé par la diligence Laffitte et Gaillard, se précipite, armé de toutes pièces, dans l’arène académique. Vainqueur ou vaincu, il poursuit sa route et vole à de nouveaux combats. Son héroïsme n’est jamais en défaut, son ambition n’est jamais satisfaite ; les couronnes tombent sur sa tête de toutes parts, les palmes fleurissent en foule à sa boutonnière, les médailles de toute grandeur lui sont accordées, les mentions honorables les plus variées lui arrivent du midi et du septentrion, et cependant il rêve encore d’autres couronnes, d’autres médailles, d’autres palmes et d’autres mentions. Il est insatiable comme toutes les natures énergiques, et gagne, bon an mal an, de deux à trois mille francs à ce rude métier.
Il ne dispute pas seulement les différents prix proposés par les académies plus ou moins littéraires dont la France est ornée, il se fait encore adjuger certaines petites rétributions à titre d’encouragement par des sociétés d’agriculture, dont les membres, qui ont bien soin de ne jamais étudier aucune question utile et sérieuse, s’occupent à chanter Vertumne et Pomone dans des alexandrins alignés comme des soldats de plomb. Il court aussi les congrès scientifiques ; imposantes réunions, composées de messieurs décorés de Paris et des départements, qui se réunissent chaque année tantôt ici, tantôt là, sous le prétexte d’opérer une décentralisation provinciale à laquelle ils ne croient pas eux-mêmes, mais en réalité pour parler chacun à son tour, et surtout pour dîner en famille. Grâce à cette existence nomade et cosmopolite, le poète académique continue à faire de très mauvais vers, mais il a fini par acquérir des connaissances assez agréables. Il n’est personne au monde qui n’ignore moins que lui les productions littéraires et gastronomiques de notre féconde patrie. Il a retiré de ses voyages départementaux des impressions profondes, et des notions importâmes sur l’art et la cuisine. Il sait, par exemple, que Marseille se distingue parmi ses sœurs du Midi par la multiplicité de ses poètes et l’excellence de ses bouillabaisses ; que Bayonne cultive avec bonheur le genre élégiaque et les jambons, et que les truffes et le vers satirique se rencontrent plus particulièrement à Périgueux. Il possède aussi mille petits talents de société qu’il doit à la fréquentation des commis-voyageurs, ses compagnons de tables d’hôtes. Il ingurgite un verre de vin de champagne d’un seul coup, fait dix calembours à la file, et rend la fumée de son cigare par les yeux et les oreilles. Le poète académique mérite d’être encouragé, et a droit à toutes nos sympathies. Nous appelons sur lui la sollicitude d’un gouvernement juste et ami des arts.