Le poète hurleur est tout à fait contemporain ; il date de la révolution de Juillet ; ce doit être quelque chose comme un héros désappointé dont on n’a pas récompensé la valeur ; il ne se montre jamais que la colère dans les yeux, l’injure à la bouche, et le fouet à la main ; il frappe à droite et à gauche, à tort et à travers, de-ci et de-là. À califourchon sur son alexandrin, il chevauche, dans ses accès d’épilepsie, au beau milieu des réputations du jour, broyant les hommes et les choses. Clic, clac, le voilà parti, gare devant !… Il passe comme une trombe, il s’élance comme une avalanche, il se précipite comme un torrent ; il renverse dans sa course les chênes politiques et les peupliers littéraires ; c’est le mistral, le simoun et le siroco réunis. Son âme est un volcan dont le cratère toujours béant lance, en guise de lave, des injures sur la tête des sommités gouvernementales ; il dépèce les gloires, anatomise les noms propres, pulvérise sous son pilon de fer les dignitaires de toute sorte, et s’écrie, pâle de fureur :
Aristophane, Archiloque, Perse, Juvénal, Daubigné, Régnier, sont des poètes bucoliques, compares au poète hurleur. Les lecteurs naïfs qui ne le jugent que sur ses aboiements lyriques, doivent le regarder comme un ogre malfaisant qui mange au moins trois petits garçons à son déjeuner en façon de biftecks ; mais, vu de près, il prend des proportions plus humaines, et il se trouve ordinairement que c’est un jeune homme très doux qui se bat les flancs pour faire une indignation qu’il ne ressent pas, et dont il se dépouillera tout à fait à la première position qu’on voudra bien lui offrir.