Épilogue

Jean est resté dans ma vie. Élisabeth aussi.

Nous habitons au bord du lac. Pas très loin de la maison bleue. Jean a ouvert une clinique vétérinaire entre le lac Supérieur et Saint-Jovite.

J’ai terminé mon bac. Je pourrais enseigner. Mais pas tout de suite. Mon ventre est gros et j’écris beaucoup.

Il m’arrive souvent de remonter le sentier, à matines ou à vêpres, et de retourner m’asseoir dans la chapelle, au milieu du premier banc. Je n’ai plus mal en entendant le chant des moniales.

J’aime la chaleur de cette petite chapelle. Certains jours, j’ai l’impression de me mêler un peu à elles. Je ne chante pas. Je ne prie pas. Mais parfois, secrètement, je Lui dis merci.

Merci d’être vivante. Merci pour cette route qui mène, par-delà le lac, par-delà la cascade, jusqu’à elles.

J’ai gardé le petit sac à dos, le porte-documents et les lettres.

Il y en a une de plus.

le 12 septembre

Chère Marie-Lune,

J’ai prononcé mes vœux solennels hier. Je n’enfreindrai plus la loi du silence. Mais jamais je ne regretterai d’avoir couru jusqu’à la maison des visiteurs cette fameuse nuit d’orage.

Tu es mon cadeau de Dieu, Marie-Lune. Sans doute voulait-il, avant que je le rejoigne, me rappeler combien les humains sont beaux.

Je n’oublierai pas ton regard mauve, si plein de vie, malgré la peur, la douleur, la détresse. Je resterai bouleversée par cette petite femme prête à braver les flammes pour moi. Je garderai un merveilleux souvenir de nos randonnées parmi les geais et les sittelles et en contemplant les arbres je penserai toujours à toi.

Surtout, jamais je n’oublierai cette voix désespérée dans la nuit d’orage. Tu te croyais si faible et si perdue… Si seulement tu avais pu t’entendre décrire ces grands sapins qui poussent vers le ciel. Qui défient les tempêtes et se moquent du vent pour valser dans la tourmente. C’est peut-être le plus bel hommage à Dieu qu’il m’ait été donné d’entendre.

Le diras-tu à sœur Louise ? Ne te moque pas… En t’écoutant, Marie-Lune, je me souviens d’avoir songé que Dieu est peut-être un arbre.

Tu me fais rire, ma belle. Crois-tu vraiment que tu n’as pas la foi ?

Réfléchis un peu…

Et jure-moi que tu ne crois pas en quelque chose de plus beau, de plus grand, de plus fort que toi ? Qui t’attire et te dépasse ? Jure-moi que tu ne ressens jamais un curieux vertige ? Une joie fulgurante, imprévue, mystérieuse ?

Tu crains toujours de ne pas être assez forte, Marie-Lune. Il aurait fallu que tu te voies dans mon petit lit, cette première nuit où je t’ai recueillie. Les joues en feu, les yeux hagards, criant, hurlant, gesticulant. Tu te débattais avec une force inouïe. Tu livrais une terrible bataille.

Tu n’as pas à épouser Dieu pour avoir la foi, Marie-Lune. Ni même besoin de connaître son nom… Je ne crois pas à ce vide en toi. Ni à ce silence immense. Creuse-les. Tu verras. Le silence est un leurre ; l’absence aussi.

Un jour, peut-être, tu parleras à Dieu. Et il te répondra. Mais tu découvriras alors que tu le connaissais déjà. Un peu comme ces gens que l’on croise tous les jours dans la rue, le long du même parcours. Et puis, un matin, pour mille raisons ou pour rien, on se dit bonjour. On se reconnaît. Après, c’est différent.

Sois heureuse, Marie-Lune. Aime Jean comme j’aurais aimé Simon. Et quoi que tu fasses, où que tu ailles, n’oublie pas que je serai toujours ici et que je resterai, si tu le veux bien, ta petite sœur,

Élisabeth