9

Rebecca se tenait dans l’encadrement de la porte, en équilibre sur un pied, l’autre enroulé autour de la cheville. Queue-de-cheval, longs cheveux sombres, naturellement lisses. Pas de défrisage. Pas de maquillage non plus. Un peu plus grande que Holly. Très mince ; trop, peut-être. Une bonne pizza lui aurait fait du bien. Pas jolie. Mais elle le deviendrait bientôt, lorsque ses traits auraient acquis leur forme définitive. Grands yeux bruns, braqués avec inquiétude sur Conway. Pas un regard au panneau des secrets.

Mal à l’aise ; aucune assurance, peu d’estime de soi, du moins à première vue. Du gâteau pour moi. Je jouerais le grand frère attentionné quémandant son soutien dans une affaire capitale, qu’elle seule pourrait m’aider à résoudre.

— Rebecca, c’est ça ? Merci d’être venue. Assieds-toi.

En dépit de mon sourire engageant, elle ne bougea pas. Houlihan dut la contourner avant de courir vers sa place.

— C’est au sujet de Chris, n’est-ce pas ?

Murmure à peine audible.

— Je m’appelle Stephen Moran. Holly t’a peut-être parlé de moi. Elle m’a donné un coup de main il y a quelques années.

Elle me dévisagea pour la première fois, acquiesça.

Je lui indiquai la chaise. Elle s’écarta de la porte et s’avança d’une démarche traînante, comme si seules ses chaussures la maintenaient au sol. Elle s’assit, croisa les jambes, enfouit ses mains dans les plis de sa jupe.

Connaissant Holly, fort de ce que Conway m’avait dit (« Elles ne sont pas du même tabac ») et des descriptions des autres filles, je me sentis déçu. En fait de « furie » ou de « sorcière », je n’avais devant moi qu’une réplique d’Alison, empruntée et craintive.

Je m’avachis presque, comme un ado, la gratifiai d’un nouveau sourire ; contrit, cette fois.

— J’ai encore besoin d’un coup de main. Bien sûr, je connais mon métier. Pourtant, de temps à autre, je dois m’appuyer sur quelqu’un pour ne pas m’emmêler les pinceaux. J’ai l’intuition que tu pourrais être cette personne. Tu veux bien essayer ?

Elle répéta :

— C’est à propos de Chris ?

Je fis la moue.

— Je t’avoue que je ne sais pas encore trop de quoi il s’agit. Pourquoi ? Il s’est passé quelque chose en rapport avec Chris ?

— Non, mais…

Elle regarda brièvement Conway qui, occupée à se curer les ongles avec le capuchon de son stylo à bille, ne leva pas les yeux.

— Je veux dire… Parce qu’elle est là, je croyais…

— On va essayer d’y voir plus clair ensemble. D’accord ?

Pas de réaction.

— Bien. Commençons par la soirée d’hier. Première heure d’étude : où étais-tu ?

Silence. Puis :

— Dans la salle commune des secondes. C’est obligatoire.

— Ensuite ?

— Il y a eu la pause. Mes amies et moi, on est allées s’asseoir dans l’herbe un moment.

Sa voix, toujours ténue, se raffermit lorsqu’elle prononça : « Mes amies et moi. »

— Quelles amies ? Holly, Julia et Selena ?

— Oui. Et d’autres. Nous sommes presque toutes sorties. Il faisait bon.

— Ensuite a eu lieu la seconde heure d’étude. Tu te trouvais dans la salle d’arts plastiques ?

— Oui. Avec Holly, Julia et Selena.

— Comment obtenez-vous l’autorisation de passer une heure d’étude ici ? Qui l’a demandée, à qui et quand ? Désolé, précisai-je avec un petit rire gêné, je suis un peu novice. Je ne connais pas toutes les procédures.

Prunelle morne. Bravo, grand frère. Tu te débrouilles comme un chef avec les jeunes. Tu les détends, tu les fais parler…

Conway examinait l’ongle d’un de ses pouces dans la lumière du soleil. Ne perdant rien.

— Mlle Arnold, répondit enfin Rebecca. C’est la surveillante générale. Julia lui a demandé la permission avant-hier, au moment du goûter. On voulait la salle pendant la première heure d’étude, mais elle était déjà prise. Mlle Arnold nous l’a donc proposée pour la deuxième heure. La directrice et elle n’aiment pas beaucoup que trop d’élèves restent dans le bâtiment des classes après les cours.

— Donc, pendant la pause, hier soir, les autres filles qui étaient ici vous ont remis la clé de la porte communicante ?

— Non. On n’a pas le droit de se la passer de la main à la main. Celle qui a signé pour l’avoir doit la rapporter à l’heure dite. Les autres filles l’ont donc rendue à Mlle Arnold et après, on est allées la prendre dans son bureau.

— Qui l’a fait ?

Elle pâlit légèrement. Elle avait peur et s’apprêtait à mentir. Elle n’avait aucun motif pour le faire et rien, dans ma question, ne la plaçait dans une situation délicate. Mais c’était dans sa nature. Conway avait dit vrai : cette fille était une menteuse, du moins quand elle était effrayée ; et lorsque, séparée de ses amies, elle se retrouvait seule sur la sellette.

Pas bête, toutefois, effrayée ou non. Il ne lui fallut qu’une seconde pour comprendre qu’un mensonge, en l’occurrence, n’avait pas de raison d’être.

— Moi, dit-elle.

— Alors, vous êtes montées jusqu’à la salle d’arts plastiques. Toutes les quatre ensemble ?

— Oui.

— Qu’avez-vous fait ?

— On a un projet.

Elle exhuma une main des plis de sa jupe et montra, sur une table proche de la fenêtre, une forme volumineuse sous une bâche maculée de peinture.

— Selena faisait la calligraphie, Holly pulvérisait de la craie pour figurer la neige. Julia et moi, on fabriquait des trucs avec du fil de cuivre. On réalise une maquette de l’école il y a cent ans. C’est de l’art et de l’histoire en même temps. C’est compliqué.

— Ça m’en a tout l’air. Donc, vous travaillez en dehors des cours. Qui l’a décidé ?

— Ça a été le cas pour tout le monde. On l’a fait aussi la semaine dernière.

C’était peut-être à ce moment-là qu’une fille avait eu une idée lumineuse.

— Vraiment ? Qui a suggéré de revenir ici hier soir ?

— Je m’en souviens même pas. On savait toutes qu’on devait le faire.

— Et vous êtes restées tout le temps dans la salle, jusqu’à neuf heures du soir ? Aucune d’entre vous n’est sortie ?

Elle ôta ses mains de sa jupe, les plaqua sous ses cuisses. Je posais mes questions à toute allure. Elle devenait de plus en plus tendue, de plus en plus inquiète, tout en ignorant où je voulais en venir. À moins d’être particulièrement retorse, ou si j’étais bouché, elle ne savait rien à propos de la carte.

— Juste un instant.

— Qui est allé où ?

Elle hésita, nous scruta tour à tour, Conway et moi. Assise sur sa table, Conway gribouillait. J’attendis.

— Pourquoi ? En quoi ça vous concerne ?

Je gardai le silence. Elle aussi se tut. Je n’avais plus devant moi une frêle petite chose, mais une fille déterminée, presque agressive. Conway s’était lourdement trompée sur son compte. Ou alors, Rebecca avait beaucoup changé en un an. Elle ne souhaitait pas qu’on la rassure ou qu’on la considère comme une personne exceptionnelle. Elle n’était ni Alison, ni Orla. Je faisais fausse route.

Conway avait relevé la tête. Elle m’observait.

Jetant aux orties ma fausse décontraction, je me penchai vers Rebecca, les mains croisées entre les genoux. Un adulte face à une adulte. Sérieux ; direct.

— Rebecca, il va m’être impossible de te révéler certains détails. Je vais pourtant te demander de me raconter tout ce que tu sais. J’admets que c’est injuste. Mais si Holly t’a parlé de moi, j’espère qu’elle t’a dit que je ne te traiterais pas comme une idiote ou un bébé. Si je peux répondre à tes questions, je le ferai. Témoigne-moi le même respect. Ça te va ?

Quand on fait vibrer la note juste, on l’entend. Rebecca se redressa, abandonna son air buté.

— Oui, répondit-elle au bout d’un moment. D’accord.

Conway cessa de jouer avec son stylo à bille, prête à prendre des notes.

— Magnifique, dis-je. Bon. Qui a quitté la pièce ?

— Julia est retournée dans notre salle commune pour récupérer une de nos vieilles photos, qu’on avait oubliée. Je suis allée aux toilettes ; Selena également, il me semble. Holly est partie chercher de la craie blanche, parce qu’on n’en avait plus. Au labo, je crois.

— Tu te rappelles à quel moment ? Dans quel ordre ?

— On est restées tout le temps dans le bâtiment. On n’a même pas quitté l’étage, sauf Julia, qui s’est absentée à peine une minute.

— Personne ne vous reproche quoi que ce soit, dis-je doucement. J’essaie seulement de découvrir ce que vous auriez éventuellement vu ou entendu.

— On n’a rien vu, rien entendu. On avait mis la radio. On a seulement travaillé à notre projet. Puis on a regagné l’aile des pensionnaires. On a tout laissé tel quel. Au cas où ça vous intéresserait…

Son air de défi ne m’échappa pas.

— Et vous avez rendu la clé à Mlle Arnold.

— Exact. À neuf heures. Vous pouvez vérifier.

Nous le ferions. Mais je m’abstins de le lui dire.

Je sortis la photo.

Rebecca étira le cou, comme aimantée. Je maintins le cliché face à moi, le tapotant d’un doigt.

— En te rendant ici, tu es passée devant l’endroit des secrets. Tu l’as de nouveau longé en te rendant aux toilettes et en revenant. Et une autre fois lorsque tu es partie à la fin de l’heure d’étude. Exact ?

Elle se détourna de la photo et me fit face, à la fois angoissée et intriguée.

— Oui.

— T’es-tu arrêtée pour l’examiner, à un moment ou un autre ?

— Non.

Je ne cachai pas mon scepticisme.

— On était pressées, précisa-t-elle. Il fallait qu’on travaille sur le projet. Ensuite, on devait rapporter la clé à temps. On ne pensait pas à l’endroit des secrets.

Elle libéra une de ses mains plaquées sous ses cuisses, la pointa sur la photo. Doigts longs et fins. Elle serait grande.

— Pourquoi cette question ? Est-ce que…

— Les secrets sur le panneau. Certains sont de toi ?

— Non.

Réplique spontanée, sans une hésitation. Elle ne mentait pas.

— Pourquoi ? Tu n’en as pas ? Ou alors, tu les gardes pour toi ?

— J’ai des amies. Je me confie à elles. Je ne vois pas l’intérêt de divulguer mes secrets dans tout le collège. Même de façon anonyme.

Elle avait haussé le ton. Avec fierté. Sa voix traversa les rayons de soleil, résonna dans la pièce.

— Selon toi, tes amies te racontent les leurs, elles aussi ?

Là, l’ombre d’un doute, qui s’évanouit aussitôt. Elle s’écria, presque joyeusement :

— Je sais tout d’elles !

Je n’avais plus qu’à bien me tenir. « Elles sont d’une autre trempe que Joanne et sa bande », m’avait assuré Conway. Je touchais du doigt ce qui les liait : la solidarité.

— Et vous ne dévoilez vos secrets à personne.

— Non. Aucune d’entre nous ne le ferait. Jamais.

— Donc, dis-je en lui mettant la photo dans la main, ceci ne t’appartient pas.

Elle cessa de respirer, puis poussa un cri.

— Quelqu’un, hier soir, a épinglé cette carte sur le panneau des secrets. Était-ce toi ?

Hypnotisée par le cliché, elle ne répondit pas tout de suite.

— Non, asséna-t-elle enfin.

Sûre d’elle, cette fois, catégorique. Là encore, elle ne mentait pas. Une autre fille hors de cause.

— Tu sais qui l’a fait ?

— C’était pas nous. Ni moi, ni aucune de mes amies.

— Comment en es-tu sûre ?

— Parce qu’aucune d’entre nous ne sait qui a tué Chris.

Elle me rendit la photo. Fin de partie. Elle se redressa et me fixa droit dans les yeux, sans ciller. Je poussai le bouchon plus loin.

— Admettons, à titre purement indicatif, que tu aies ton idée là-dessus. Que dirais-tu ?

— Sur quoi ? La photo, ou… Chris ?

— Les deux.

Elle répliqua par un de ces haussements d’épaules appuyés propres aux ados et qui rendent leurs parents cinglés.

— D’après tes propos, tes amies comptent énormément pour toi. Je me trompe ?

— En effet.

— On va savoir que vous avez peut-être, toutes les quatre, quelque chose à voir avec cette carte. C’est un fait contre lequel on ne peut rien. Si j’avais des amies chères, je ferais tout pour qu’un assassin n’en déduise pas qu’elles possèdent des informations sur lui. Même si cela me forçait à répondre à des questions embarrassantes.

Rebecca soupesa cette possibilité. Calmement. Puis, désignant la photo :

— Je crois que c’est un canular.

— Concocté par qui ? Tu m’as dit que ce n’était aucune d’entre vous. Donc, il ne peut s’agir que de Joanne Heffernan ou d’une de ses copines. En dehors de vous, elles seules se trouvaient dans le bâtiment au bon moment.

— C’est vous qui le dites. Pas moi.

— L’auraient-elles fait ? Auraient-elles tout inventé ?

— Possible.

— Pourquoi ?

Geste dubitatif.

— Peut-être qu’elles s’ennuyaient. Elles voulaient qu’il se passe quelque chose. Et maintenant, vous êtes là.

Froncement de nez. « Elles. » Rebecca ne les estimait guère. Pauvre petite chose au premier abord. Mais pas à l’intérieur.

— Et Chris ? Qui l’a tué, à ton avis ?

Réplique immédiate :

— Des mecs de Colm. Je pense que certains d’entre eux se sont faufilés chez nous. Ils projetaient peut-être de faire une blague, comme voler quelque chose, ou peindre Dieu sait quoi. Il y a quelques années, un groupe a tracé à la bombe un dessin sur notre terrain de sport.

Ses joues se colorèrent. Ce dessin, elle ne nous le décrirait pas.

— Je crois qu’ils se sont introduits ici dans le même but. Mais ils se sont disputés et…

Elle ouvrit les mains, nous laissant imaginer la suite.

— Chris était du genre à faire ça ? Sauter le mur de son école pour venir faire une farce chez vous ?

Elle parut se remémorer des scènes qui, un instant, l’éloignèrent de nous. Puis elle se reprit.

— Oui. C’était son genre.

Sa voix s’était altérée. Elle avait éprouvé des sentiments pour Chris Harper. Tendres, ou haineux ? Impossible de le deviner. Mais forts, certainement.

— Si tu avais quelque chose à me dire à son sujet, ce serait quoi ?

Sa réponse me surprit.

— Il était charmant.

— Charmant ? Dans quel sens ?

— Un soir, alors qu’on traînait devant le centre commercial, mon téléphone s’est mis à déconner. J’ai cru que j’avais perdu toutes mes photos. Des types ont ricané : « Oh là, t’avais quoi, là-dedans ? Des photos de… ? » Enfin, des inepties.

Elle rougit encore et poursuivit :

— Chris, lui, n’a pas ri. Il m’a dit : « Laisse-moi voir. » Il a examiné mon mobile. Les autres trouvaient ça hilarant ! Ça lui était complètement égal. Il l’a réparé, me l’a rendu. Quand je pense à lui, je me souviens de ce soir-là.

Elle soupira. Telle que je la percevais, cette scène aurait pu la frapper au cœur, prendre une importance démesurée.

Conway remua, lui parla pour la première fois.

— Tu as un amoureux ?

— Non.

Presque dédaigneuse, comme s’il s’agissait d’une question aussi stupide que : « Tu as un vaisseau spatial ? »

— Pourquoi ?

— Je suis obligée ?

— Des tas de filles en ont.

— Pas moi.

Affirmation sans réplique. Elle se fichait éperdument de ce que nous pensions. Tout le contraire d’Alison ou d’Orla.

— Nous nous reverrons, dit Conway.

Rebecca s’en alla en glissant ma carte dans sa poche, l’oubliant immédiatement.

— Ce n’est pas elle, conclut Conway.

— Non.

Comme elle ne faisait aucun commentaire, je me crus obligé d’ajouter :

— J’ai eu du mal à trouver mes marques.

— Ce n’est pas de ta faute. Je t’avais mal renseigné.

— Je suis quand même retombé sur mes pieds. Sans trop de dommages, me semble-t-il.

— Possible.

Elle eut l’air songeur, tout à coup, comme plongée dans un souvenir. Enfin, elle s’exclama :

— Ce milieu de merde ! Au moindre pas, on se casse la gueule. Quoi qu’on fasse, on se plante !

 

 

Julia Harte. Conway ne m’avait fait aucun laïus sur elle, pas après son cafouillage à propos de Rebecca, mais je sus tout de suite, en la voyant passer la porte, qu’elle était la meneuse de la bande. Petite, cheveux noirs et frisés, au fouillis canalisé tant bien que mal par une queue-de-cheval. Un peu enveloppée comparée aux autres ; des formes plus affirmées, que sa démarche mettait en valeur. Pas belle : visage lunaire, une bosse sur le nez ; mais un menton étroit, arrogant, et des yeux séduisants, noisette, aux longs cils, directs et francs. Pas un regard au panneau des secrets. Il n’y en aurait pas eu de toute façon ; pas avec celle-là.

— Inspecteur Conway, lança-t-elle d’une jolie voix, plus profonde, plus contrôlée que celle des autres, et qui la vieillissait. Nous vous manquions à ce point ?

Insolente. C’était bon pour nous. Les gens insolents parlent souvent quand ils devraient se taire, plus attentifs à l’impact de leurs propos qu’à leur contenu.

Conway lui indiqua la chaise. Elle s’assit, croisa les genoux. M’examina de la tête aux pieds.

— Je m’appelle Stephen Moran. Et toi Julia Harte. C’est ça ?

— À votre service. Que puis-je pour vous ?

— À toi de me le dire. Il y a quelque chose que je devrais savoir, à ton avis ?

— À propos de quoi ?

— De ce que tu veux.

Je lui souris, comme si nous étions de vieux complices n’ayant pas eu depuis longtemps l’occasion de se renvoyer la balle. Elle me rendit mon sourire.

— Ne cueillez les mûres qu’au-dessus du jet du renard. Ne jouez jamais à saute-mouton avec une licorne.

Le ton était donné. Il ne s’agirait pas d’un entretien, mais d’une partie de ping-pong. Sur sa table, Conway se détendit. Quant à moi, je me sentis soulagé.

— Je suivrai tes conseils. En attendant, pourquoi ne me raconterais-tu pas ce que tu as fait hier soir ? En commençant par la première heure d’étude.

Elle soupira.

— J’espérais que nous aurions une conversation intéressante. Y a-t-il une raison pour que nous abordions un sujet aussi gonflant ?

— Tu auras ta réponse lorsque j’aurai eu la mienne. Peut-être. Pour l’instant, pêche interdite.

— Topons-la. D’accord pour le récit soporifique.

Même histoire que Rebecca : le projet artistique, la clé, la photo oubliée, les toilettes et la craie, les quatre filles trop occupées pour s’arrêter devant le panneau. Aucune contradiction. C’était vrai, ou elles étaient très fortes.

J’exhumai la photo, la tapotai d’un doigt, comme d’habitude.

— As-tu épinglé des cartes à l’endroit des secrets ?

Elle ricana.

— Putain, non. C’est pas mon truc.

— Vraiment ?

— Croix de bois, croix de fer.

— Donc, tu n’as pas épinglé celle-là.

— Puisque je n’en ai épinglé aucune…

Je la lui tendis. Elle la prit. Visage impassible. Elle la retourna et se figea, et nous avec elle. Puis elle haussa les épaules et me la rendit, la lançant presque.

— Vous connaissez Joanne Heffernan, non ? Si vous voyez quoi que ce soit qu’elle ne ferait pas pour attirer l’attention, je serais ravie de l’apprendre. Cela implique sans doute YouTube et un berger allemand.

Houlihan poussa un petit cri. Julia la toisa avec une sorte de commisération.

— Julia, dis-je. Arrête de plaisanter une seconde. Si c’était toi, il faut que nous le sachions.

— Je suis capable de faire la différence entre ce qui est sérieux et ce qui ne l’est pas. Je vous l’affirme : c’était pas moi.

Elle n’était pas hors de cause ; presque, mais pas tout à fait.

— Tu estimes que Joanne est derrière tout ça ?

Second haussement d’épaules.

— Qui étaient les seules élèves à poireauter devant le bureau de la directrice ? Nous et les boniches de Joanne. En plus, vous posez des questions sur la soirée d’hier. Il faut donc que ce soit une des filles qui se trouvaient dans le bâtiment des classes à ce moment-là. C’était pas nous, donc il ne reste qu’elles. Et les trois autres ne se grattent jamais le cul sans la permission de Joanne. X’cusez mon langage.

— Comment peux-tu être sûre qu’il ne s’agit pas d’une de tes copines ?

— Parce que. Je les connais.

Son ton exprimait la certitude que j’avais perçue dans celui de Rebecca. Il y avait là quelque chose de particulier. Un lien rare.

Je secouai la tête.

— Tu ne connais pas le fond de leur pensée. Crois-moi. Ça n’arrive jamais.

Elle me scruta d’un air interrogateur, comme pour me dire : « C’est une question ? » Derrière moi, Conway bouillait d’impatience.

— Dis-nous. Tu t’es certainement demandé qui avait tué Chris. Tu as une hypothèse ?

— Ce sont des types de Colm. Ses amis. Ils trouvent poilant de sauter le mur de notre collège pour faire des blagues, piquer quelque chose, écrire « PÉTASSES » sur un mur, n’importe quoi. Et ils trouvent marrant de faire les cons dans le noir avec des bâtons ou des pierres, tout ce qu’ils peuvent trouver de plus dangereux. L’un d’eux s’est un peu excité et…

Elle ouvrit les mains. Même geste que Rebecca. Même version, presque mot pour mot. Elles s’étaient concertées.

— On nous a raconté une histoire de ce genre : les élèves de Colm traçant à la bombe un dessin sur l’herbe, il y a quelques années. C’étaient Chris et ses copains ?

— Allez savoir. Aucun ne s’est fait choper. Personnellement, je répondrais non. On était en cinquième quand ça s’est produit. Chris était donc en quatrième. Aucun gus de quatrième n’aurait eu le culot de faire ça.

— Que représentait ce dessin ?

Nouveau piaillement de Houlihan. Julia agita les doigts dans sa direction.

— Scientifiquement parlant, un grand pénis et ses testicules. Ils ont une imagination débordante, à Colm.

— Tu as une raison de penser que Chris a été tué par accident ?

— Moi ? Je m’interroge, sans plus. Je laisse l’enquête aux professionnels.

Elle battit des cils en rentrant le menton, guettant ma réaction. Rien d’aguichant, comme Gemma. Elle se payait ma tête.

— Je peux m’en aller ?

— Tu sembles pressée de retourner en classe. Studieuse, hein ?

— J’ai pas l’air d’une élève modèle ?

Petite moue provocante. Elle espérait toujours une réaction de ma part.

— Dis-moi quelque chose à propos de Chris. Quelque chose d’important.

Sa moue s’estompa. Elle réfléchit, les yeux baissés, comme une adulte, en prenant son temps, sans se soucier de nous faire lanterner. Elle déclara enfin :

— Son père est banquier. Il est riche, très, très riche.

— Et ?

— C’est sans doute la chose la plus importante que je puisse dire sur lui.

— Il le faisait savoir ? Il se poussait du col ? Les plus belles fringues et tout le toutime ?

Elle secoua lentement la tête, fit claquer sa langue.

— Rien de tout ça. Il était bien moins frimeur que la plupart de ses potes. Mais chez lui, c’était naturel. Évident. Il n’attendait pas Noël ou son anniversaire. Ce qu’il voulait, il l’avait. Tout de suite.

Conway embraya.

— Tu donnes l’impression d’avoir bien connu Chris et sa bande.

— J’avais pas vraiment le choix. Colm est à deux minutes d’ici. On fait plein d’activités ensemble. On se voit.

— Tu es sortie avec l’un d’eux ?

— Bien sûr que non ! Je serais tombée bien bas.

— Tu as un amoureux ?

— Non.

— Pourquoi ?

— On rencontre uniquement les types de Colm. Moi, je cherche quelqu’un capable de prononcer un mot de plus d’une syllabe. Je suis si difficile !

— Bien, décréta Conway. Tu peux t’en aller. Si quelque chose te revient, appelle-nous.

J’offris ma carte à Julia. Elle la prit, mais ne se leva pas.

— Pourriez-vous me fournir l’info que je vous ai demandée au début, maintenant que j’ai été une bonne fille et que je vous ai donné les miennes ?

— Je ne te promets pas de répondre, mais vas-y. Pose ta question.

— Comment avez-vous entendu parler de cette carte ?

— À ton avis ?

— Ah ! Vous m’aviez prévenue. J’ai apprécié notre conversation, inspecteur. À bientôt.

Elle se leva et pivota, faisant virevolter sa jupe au-dessus des genoux. Puis elle sortit, sans attendre Houlihan.

— Cette carte lui a causé un choc, constatai-je, une fois la prof de français partie.

— Ou alors elle est très forte, répliqua Conway.

Elle fixait la porte, frappant son calepin avec son stylo.

— Et elle l’est.

 

 

Selena Wynne.

Une jeune fille en fleur. Immenses yeux bleus légèrement somnolents, visage rose, bouche pleine et douce. Cheveux blonds, naturels ceux-là, courts et bouclés comme ceux d’un nourrisson. Pas grosse, contrairement à ce qu’avait dit méchamment Joanne, elle avait des formes harmonieuses et pleines qui la faisaient paraître plus âgée que ses seize ans. Bref, ravissante. Ce charme, toutefois, risquait de se dissiper avec le temps, de s’évanouir à mesure que se fanerait sa jeunesse.

À mes yeux, elle incarnait ce qui m’avait séduit tout d’abord dans ce collège de petites filles riches ; paisible, rassurant, à mille lieues des cités de banlieue où les bus ne s’aventurent jamais. Pourtant, je commençais à discerner derrière les apparences une menace, un danger permanent. Cette menace n’était pas spécialement dirigée contre moi, pas plus que celle qui émanait des quartiers pauvres de Dublin. Mais elle était là.

Debout à l’entrée de la salle, Selena balançait la porte d’avant en arrière, telle une gamine. Et nous observait.

Houlihan toussa dans son dos, essayant de la pousser vers nous. Elle ne lui prêta aucune attention. Elle dit à Conway :

— Je me souviens de vous.

— Même chose pour moi, lui rétorqua Conway.

D’un coup d’œil, alors qu’elle regagnait sa place, elle m’apprit que Selena n’avait pas consulté l’endroit des secrets. Zéro sur sept. Celle que nous cherchions avait du sang-froid.

— Pourquoi ne t’assieds-tu pas ?

Selena s’avança. Elle s’assit, docile, indifférente. Elle m’examina comme si j’étais un nouveau tableau sur un des chevalets.

— Je suis l’inspecteur Stephen Moran. Selena Wynne, c’est ça ?

Elle acquiesça. Toujours ce regard vague, la bouche entrouverte. Pas d’interrogation sur le motif de cet entretien, aucune inquiétude.

Inutile d’envisager la moindre connivence avec elle. Même en m’acharnant, j’obtiendrais des réponses aussi plates que si je lui avais envoyé une liste de questions par courriel. Selena ne désirait rien de moi. Pour elle, j’étais à peine réel.

Lente, pensai-je. Ou un peu dérangée. Perturbée. Rien à voir, en tout cas, avec une de ces furies qu’avait décrites Joanne.

— Pourrais-tu me raconter ce que tu as fait hier soir ?

Même récit que les trois autres, du moins dans les grandes lignes. Elle ne se rappelait pas avec certitude qui avait demandé l’autorisation, qui avait quitté la salle d’arts plastiques. Elle me considéra d’un œil vague lorsque je lui demandai si elle s’était rendue aux toilettes, me répondit que c’était fort possible, comme pour me faire plaisir, parce que, de toute façon, cela n’avait aucune importance. Et elle n’avait pas consulté le panneau des secrets de toute la soirée.

— Y as-tu épinglé des cartes ?

Geste de dénégation.

— Jamais ?

— L’endroit des secrets ne me passionne pas.

— Pourquoi ? Tu n’aimes pas les secrets ? Ou tu estimes qu’ils doivent le rester ?

Elle remua les doigts et les contempla, fascinée, comme un bébé.

— J’aime pas ça, c’est tout. Ça m’ennuie.

— Donc, dis-je en lui plaquant la photo dans la main, ceci ne t’appartient pas.

Ses doits étaient si lâches que la carte glissa entre eux et se retrouva par terre. Elle la regarda tomber sans régir. Je dus la ramasser moi-même, la lui tendre à nouveau.

Elle prit le cliché et l’examina si longuement, sans la moindre émotion sur son joli visage, que je me demandai si elle saisissait vraiment de quoi il retournait.

— Chris, chuchota-t-elle enfin.

Conway s’agita derrière moi, comme pour me dire : « Ne foire pas, Sherlock. »

— Quelqu’un a accroché cette carte à l’endroit des secrets, poursuivis-je. C’était toi ?

Selena secoua la tête.

— Selena. Si tu l’as fait, personne ne te le reprochera. Mais il faut que nous le sachions.

Elle secoua une nouvelle fois la tête. J’eus l’impression d’avoir affaire à un fantôme. Transparence absolue. Pas une faille, aucun fil à tirer. Pas moyen de l’atteindre.

— Alors, à ton avis, qui l’a fait ?

— J’en sais rien.

Elle parut sidérée, comme si j’avais posé une question totalement incongrue.

— Si tu devais donner ton opinion…

Elle s’efforça de trouver une explication, pour m’être agréable.

— C’était peut-être une blague ?

— Qu’aurait pu faire une de tes amies ?

— Julia, Holly et Becca ? Non.

— Alors, Joanne Heffernan, ou une fille de sa bande ?

— Je sais pas. Je comprends rien à ce qu’elles font.

L’évocation de leur nom la troubla. Mais elle redevint vite impavide.

— Selon toi, qui a tué Chris Harper ?

Elle y réfléchit longtemps. Ses lèvres remuaient de temps à autre, comme si elle s’apprêtait à commencer une phrase qu’elle oubliait aussitôt. Derrière moi, Conway brûlait d’impatience.

— Je crois que personne ne le saura jamais, dit enfin Selena.

Sa voix était forte, claire. Pour la première fois, elle nous regardait comme si elle nous voyait.

— Pourquoi ? s’enquit Conway.

— Il y a des histoires comme ça. Où personne ne sait jamais ce qui est arrivé.

— Ne nous sous-estime pas. Nous avons bien l’intention de le découvrir.

— Tant mieux, articula-t-elle faiblement en me rendant la photo.

— Si tu avais une chose à me dire à propos de Chris, qu’est-ce que ce serait ?

Elle eut l’air absent, comme si elle s’endormait dans les rayons de soleil, au milieu des grains de poussière. J’attendis.

Son mutisme se prolongea. Enfin, elle murmura :

— Parfois, je le vois.

Son ton trahissait une tristesse insondable. Houlihan sursauta. Conway émit une espèce de grognement.

— Vraiment ? dis-je. Où ?

— En différents endroits. Une fois ici, sur le palier du second étage, assis sur le rebord de la fenêtre et envoyant un texto. Faisant des tours de piste autour du terrain de sport de Colm, pendant un match. Une autre fois dans l’herbe, sous notre fenêtre, au milieu de la nuit, jouant avec un ballon. Il s’active toujours. Comme s’il essayait de faire tout ce qui lui sera désormais interdit, le plus vite possible. Ou bien comme s’il essayait de rester parmi nous, comme si, peut-être, il ne se rendait pas compte…

Un spasme souleva sa poitrine.

— Oh, gémit-elle doucement. Pauvre Chris.

Ni lente ni dérangée. Cela ne me venait même plus à l’esprit. Simplement, dessinant des arabesques dans le vide, elle nous entraînait dans son monde.

— Donc, il t’apparaît. Pourquoi ? Vous étiez proches ?

Son visage s’éclaira une seconde. Éclair aussi fugace que le reflet d’une lame, qui se dissipa aussitôt.

— Non.

En cet instant, j’aurais juré qu’au-delà d’un écheveau que nous ne parviendrions jamais à démêler, Selena était au cœur de cette affaire ; et que j’allais enfin avoir mon affrontement.

Je feignis l’étonnement.

— Je croyais que tu sortais avec lui.

— Non.

Rien d’autre.

— Alors, à ton avis, pourquoi le vois-tu ? Si vous n’étiez pas proches ?

— Je n’y ai pas encore pensé.

— Quand tu auras trouvé, fais-le-nous savoir, intervint Conway.

Les yeux de Selena glissèrent vers elle.

— D’accord, répondit-elle, placide.

— Tu as un amoureux ?

— Non.

— Pourquoi ?

— J’en veux pas.

— Pourquoi ?

Rien. Conway ajouta :

— Qu’est-il arrivé à tes cheveux ?

Surprise, Selena porta une main à sa tête.

— Oh, ça… ? Je les ai coupés.

— Pour quelle raison ?

Silence. La bouche humide, elle redevint indifférente, lointaine. Elle ne nous ignorait pas. Simplement, elle n’était plus là.

Nous avions terminé. Nous lui avons donné nos cartes. Elle quitta la pièce avec Houlihan, sans se retourner.

— Une autre que nous ne pouvons pas éliminer, dit Conway.

— Oui.

— Le fantôme de Chris Harper ! tonna-t-elle soudain. Nom de Dieu ! Et McKenna, là-haut, qui se félicite d’avoir mis un terme à tous ces délires avec son cérémonial à la con ! J’aimerais lui raconter ce que nous venons d’entendre, uniquement pour voir sa tronche !

 

Et, le meilleur pour la fin, Holly.

Son maintien avait changé. Pour Conway, ou pour Houlihan ? En tout cas, elle incarnait à présent la collégienne idéale, bien droite, les mains jointes devant elle. En apparaissant dans l’encadrement de la porte, elle fit presque la révérence.

Je me rendis compte, un peu tard, que j’ignorais totalement ce qu’elle voulait de moi.

— Holly, dis-je, tu te souviens de l’inspecteur Conway. Nous te sommes tous les deux infiniment reconnaissants de nous avoir apporté cette carte. Nous avons juste quelques questions supplémentaires à te poser.

— Bien sûr. Sans problème.

Elle hocha la tête d’un air grave avant de s’asseoir en croisant les chevilles. J’aurais juré que ses yeux s’étaient agrandis, étaient devenus plus bleus.

— Peux-tu nous dire ce que tu as fait hier soir ?

Même histoire que les trois autres, mais plus fluide, sans hésitations ni retours en arrière. Elle la débita comme si elle l’avait répétée, ce qui était sans doute le cas.

— As-tu déjà affiché des secrets sur le panneau ?

— Non.

— Jamais ?

Son geste d’agacement me fit retrouver, derrière son apparence de petite fille modèle, la Holly que je connaissais.

— Les secrets, on ne les dévoile pas. Si on les étale au grand jour, même de façon anonyme, ils deviennent des secrets de Polichinelle. Tout le monde, ici, sait d’où vient la moitié des cartes du tableau.

La vraie fille de son père : regarde toujours derrière toi.

— Donc, à ton avis, qui a épinglé celle-là ?

— Vous êtes arrivés à la conclusion qu’il s’agissait de nous ou de la bande de Joanne.

— Admettons. Alors, qui, selon toi ?

Elle réfléchit, ou fit semblant.

— De toute évidence, ça ne peut pas être moi ou mes amies. Sinon, je vous l’aurais déjà dit.

— Tu es certaine que tu l’aurais su ?

Nouveau geste irrité.

— Oui, j’en suis sûre. Ça vous va ?

— D’accord. Et pour les autres ? Sur qui parierais-tu ?

— Ce n’est pas Joanne, parce qu’elle en aurait fait tout un drame. Elle se serait probablement évanouie devant tout le collège et vous auriez dû aller l’interroger sur son lit d’hôpital. Quant à Orla, elle est bien trop bête pour y avoir pensé. Restent donc Gemma et Alison. Si je devais donner une opinion…

Elle se détendait à mesure qu’elle parlait. Tête basse, Conway ne bronchait pas.

— Je t’écoute, dis-je.

— Bon. Gemma et elle se prennent pour le centre du monde. Si Gemma savait quelque chose, elle ne vous dirait rien du tout. Mais si elle le faisait, ce serait sans détour. Avec son père assis à côté d’elle. Il est avocat. Je parierais donc pour Alison. Elle a peur de tout ; si elle savait quoi que ce soit, elle n’aurait jamais le courage de s’adresser directement à vous.

Elle jeta un coup d’œil à Conway pour s’assurer qu’elle prenait des notes.

— Ou bien, poursuivit-elle, et vous y avez peut-être pensé, une élève aurait pu charger une fille de la bande de Joanne d’épingler la carte à sa place.

— Laquelle aurait accepté ?

— Pas Joanne. Gemma non plus. Orla, oui, mais elle en aurait d’abord parlé à Joanne. Alison, peut-être. Mais, si elle l’a fait, elle ne vous l’avouera pas.

— Pourquoi ?

— Parce que. Joanne deviendrait dingue si elle découvrait qu’Alison a épinglé cette carte sans le lui dire. Donc, elle le gardera pour elle.

Ses déductions me donnaient le tournis. Conway y mit un terme en martelant :

— Si elle l’a épinglée, nous le découvrirons.

Holly acquiesça, avec la même gravité que tout à l’heure. Elle s’en remettait entièrement aux vaillants inspecteurs, grâce à qui tout rentrerait bientôt dans l’ordre.

— Parlons de la mort de Chris Harper, enchaînai-je. À tes yeux, qui en est responsable ?

Je m’attendais à la fable de la blague de potache ayant mal tourné, qu’Holly aurait agrémentée de détails de son cru. Or, elle asséna :

— Je sais pas !

Elle semblait tellement le regretter que sa sincérité me parut évidente.

— Donc, pas de bagarre entre les élèves de Colm, qui aurait dégénéré ?

— Je sais que certaines personnes le pensent. Toutefois, une bagarre aurait impliqué plusieurs participants. Et, je suis désolée, au moins trois ou quatre garçons réussissant à tenir leur langue, ou accordant leurs violons sans se contredire, pas même une fois ? J’y crois pas.

Elle pivota vers Conway.

— Pas si vous les avez interrogés comme vous nous avez interrogées, nous.

Je brandis la photo.

— Une fille a réussi à la boucler, pendant tout ce temps.

Elle ne dissimula pas son exaspération.

— Tout le monde nous prend pour des pipelettes sans cervelle ! C’est totalement bidon ! Les filles ne divulguent pas les secrets. Ce sont les garçons qui jactent à tort et à travers.

— Des tas de filles bavardent sur le panneau.

— C’est vrai. Mais, s’il n’existait pas, elles se tairaient. Il est là pour ça : pour qu’on vide notre sac. Dans un certain sens, c’est parfois utile, admit-elle aimablement à l’intention de Houlihan.

— Décris-moi Chris. Comment le trouvais-tu ?

Elle respira profondément, comme pour rassembler son courage. Et elle déclara calmement :

— C’était un connard.

Houlihan émit un petit bruit de protestation. Personne ne s’en soucia.

— Explique-toi.

— Il ne s’intéressait qu’à ce qu’il voulait. La plupart du temps, ça ne posait pas de problème, car il souhaitait par-dessus tout que le monde entier l’adore. Donc, il se montrait sympa. Mais quand il cherchait à faire rire en débinant quelqu’un de plus faible que lui ? Ou quand il ne réussissait pas obtenir ce qu’il désirait ? Alors, il se comportait comme un salaud.

— Donne-moi un exemple.

— Un jour, énonça-t-elle, toujours calme mais avec une nuance de colère dans la voix, on était plein de nanas au Court, avec des types de Colm, à faire la queue devant la cafète. Une fille, Elaine, commande le dernier muffin au chocolat. Chris, qui attend derrière elle, lance : « Hé, je veux ça ! » Elaine lui réplique : « Trop tard. » Alors, il hurle, pour que tout le monde l’entende : « Ton cul n’a pas besoin de muffins supplémentaires ! » Tous les types se bidonnent. Elaine pique un fard terrible. Chris lui soupèse les fesses et braille : « T’as assez de muffins là-dedans pour ouvrir ta propre boulangerie. Je peux en mordre un bout ? » Elaine s’enfuit en courant. Les types lui crient : « Remue-les, chérie ! Montre-nous ta gélatine ! » Et tout le monde rigole.

Si je me fiais à ce que m’avait dit Conway, c’était la première fois qu’on parlait de Chris de cette façon.

— Charmant, observai-je.

— Elaine a refusé de croiser les types de Colm pendant des semaines et je crois qu’elle fait toujours un régime. En fait, elle n’était même pas grosse. Et Chris n’avait pas à agir comme ça. Après tout, c’était juste un muffin, pas le dernier billet pour la finale de la Coupe du monde de rugby. Mais Chris estimait qu’Elaine aurait dû se coucher devant lui dès qu’il avait ouvert la bouche. Elle ne l’a pas fait et il l’a punie. Comme si elle le méritait.

— Elaine qui ? demandai-je.

— Heaney.

— Chris a été dégueulasse avec d’autres ?

Haussement d’épaules.

— Je ne tiens pas de journal. Il est possible que la plupart des élèves ne s’en soient pas aperçus, parce que, ainsi que je l’ai dit, ça n’arrivait que de temps en temps et que ça faisait rire les autres. Il tournait ça en plaisanterie. Mais Elaine, elle, a bien vu que c’était de la méchanceté pure. Comme toutes celles à qui il a fait le coup.

— L’année dernière, intervint Conway, tu ne l’as pas traité de connard. Tu nous as dit que tu le connaissais à peine mais qu’il te paraissait réglo.

Holly garda le silence un moment avant de répondre, en choisissant ses mots :

— À l’époque, j’étais plus jeune. Tout le monde trouvait Chris sympa, donc je pensais qu’il l’était. Je n’ai compris que plus tard que c’était un salaud.

Mensonge : ce mensonge que Conway attendait.

Elle montra la photo dans ma main.

— Alors, pourquoi nous as-tu apporté ça ? Si Chris était une telle ordure, pourquoi tiens-tu à ce que son assassin soit confondu ?

Regard de petite fille modèle.

— Mon père est inspecteur de police. Il aimerait que je fasse ce qui est juste. Que Chris m’ait été sympathique ou non.

Nouveau mensonge. Je connais le père de Holly. Pour lui, agir selon sa conscience n’a aucun sens. Il n’a jamais rien fait sans avoir une idée derrière la tête.

« On a dû lui soutirer les mots un à un, m’avait dit Conway. Comme si on lui arrachait les dents. » L’année précédente, Holly ne se souciait pas de l’identité du tueur ; pas assez, du moins, pour se manifester. Cette année, cela lui importait au plus haut point. Il fallait que je découvre pourquoi.

Je me penchai vers elle, plongeai mes yeux dans les siens. C’est moi. Parle-moi.

— Holly, tout à coup, tu souhaites que cette affaire soit résolue. Je dois en connaître la raison. Ton père serait d’accord avec moi : le moindre renseignement venant de toi nous sera utile.

Très droite, elle répliqua sans ciller :

— Je ne vois pas ce que vous voulez dire. Il n’y a aucune raison. J’essaie simplement de faire ce qui est juste.

Elle ajouta, à l’intention de Conway :

— Je peux m’en aller ?

— Tu as un amoureux ?

— Non.

— Pourquoi ?

Visage d’ange.

— Je suis tellement occupée ! Les cours et tout le reste…

— Quelle collégienne de rêve… Tu peux partir.

Conway se tourna vers Houlihan.

— Toutes les huit. Ici.

Lorsqu’elles eurent quitté la salle, elle me demanda :

— Si Holly savait qui a tué Chris, se serait-elle adressée à toi, ou à son père ? Aurait-elle dévoilé directement le pot aux roses ?

Ou aurait-elle fabriqué une carte avant de me l’apporter ?

— Peut-être pas, répliquai-je. Elle a témoigné dans une autre affaire, ce qui a été pénible pour elle. Elle n’aurait peut-être eu aucune envie de revivre cette expérience. Mais si elle avait eu une révélation à faire, elle se serait arrangée pour nous la communiquer. En nous envoyant sans doute une lettre anonyme, avec tous les détails clairement exposés. Pas grâce à cette carte ambiguë.

Conway agita son stylo entre deux doigts.

— Bien raisonné. Laisse-moi quand même te donner mon avis. Ta petite chérie s’exprime comme si la fille qui a épinglé la carte, quelle qu’elle soit, désirait que son message tombe entre nos mains. Holly a estimé qu’il ne s’agissait pas pour elle d’amener une autre élève à se déballonner. Cette fille avait l’intention de nous dire quelque chose, et c’est le meilleur moyen qu’elle ait trouvé.

Ce n’était pas ma Holly. Cela sautait aux yeux ; aux miens, en tout cas. Je gardai cette certitude pour moi.

— Holly, dis-je, a pu se sentir gênée de venir me voir. À son âge, se confier à un adulte prend des proportions démesurées. On devient une balance, le pire crime qui soit. Elle s’est donc persuadée que la fille voulait que sa carte nous parvienne.

— Possible. Ou bien elle sait tout. Dans ce cas, quelles chances avons-nous de lui faire cracher le morceau ?

Pas beaucoup. À moins que Holly n’ait décidé d’attendre le moment propice, dont nous n’avions aucune idée, pour tout nous raconter.

— Je la pousserai à parler, affirmai-je.

Conway eut une moue dubitative.

— En attendant, conclut-elle, je veux que tu les voies toutes ensemble. Cette fois, c’est moi qui mène la danse. Toi, contente-toi de regarder.

 

 

Je m’appuyai contre le rebord de la fenêtre. À travers ma veste, le soleil me chauffa le dos. Conway fit les cent pas dans la salle à grandes enjambées, les mains dans les poches de son pantalon, pendant que les filles entraient.

Elles se posèrent comme des oiseaux : la bande de Holly près des fenêtres, celle de Joanne du côté de la porte. Avachies, les coudes sur les tables et gigotant sur leurs chaises ; mines inquiètes, murmures. Elles avaient cru que nous en avions fini avec elles, nous avaient chassés de leur esprit. Du moins certaines d’entre elles.

Conway ordonna à Houlihan, par-dessus son épaule :

— Vous pouvez attendre dehors. Merci pour votre aide.

La prof de français émit son couinement habituel avant de se précipiter dans le couloir. Les filles avaient cessé de murmurer. Le départ de Houlihan les privait de la protection illusoire des autorités du collège. Elles étaient entièrement à nous.

Pour la première fois, je les avais toutes ensemble devant moi. Leurs traits se confondaient, aussi flous que les cartes épinglées sur le panneau des secrets. Je ne distinguais que les écussons de leurs blazers, et tous ces yeux.

— Bien, commença Conway. Une des deux bandes nous a menti aujourd’hui.

Elles se figèrent.

— Au moins l’une d’entre vous, rectifia Conway.

Elle s’immobilisa, sortit la photo de la carte, la brandit.

— Hier soir, l’une d’entre vous a accroché cette carte au panneau des secrets. Puis est venue s’asseoir ici pour nous jurer : « C’était pas moi, j’ai jamais vu cette carte. » Voilà les faits.

Alison clignait des yeux, comme secouée par un tic. Bras croisés, remuant un pied, Joanne jeta à Gemma un coup d’œil qui signifiait : « P’tain, j’arrive pas à croire qu’on soit obligées d’entendre ça. » Orla se mordillait les lèvres, tentant de réprimer un gloussement nerveux.

Holly et ses amies restaient calmes. Elles ne se concertaient pas. Mais on les sentait soudées, prêtes à faire front. Ce petit quelque chose…

— C’est à toi que je m’adresse, reprit Conway. Toi, la fille qui a épinglé cette carte. Toi qui affirmes savoir qui a tué Chris Harper.

Léger frisson parmi les filles.

Conway se remit à marcher, faisant tourner la photo entre deux doigts.

— Pour toi, nous mentir n’est pas plus grave que les craques que tu débites à tes profs lorsque tu prétends avoir oublié tes devoirs dans le bus ou à tes parents quand tu leur dis que tu n’as pas bu une goutte à la discothèque. Erreur. Ça n’a rien à voir. Ce n’est pas un petit bobard sans conséquence qu’on oublie dès qu’on l’a prononcé. C’est un vrai mensonge.

Toutes la suivaient des yeux, comme aimantées.

— Je ne vais pas y aller par quatre chemins. Si tu sais qui a tué Chris, alors, tu es en grand danger. Tu risques de le payer de ta vie.

Elle tapota violemment la photo.

— Tu t’imagines que cette carte va rester secrète ? Si tes copines n’en ont pas déjà parlé à tout le collège, elles le feront avant la fin de la journée. Combien de temps faudra-t-il pour que cela arrive aux oreilles du tueur ? Et combien de temps lui faudra-t-il, à lui ou à elle, pour mettre un nom sur son problème ? Et comment, à ton avis, un assassin résout-il ce genre de problème ?

Elle avait une bonne voix : tranchante, directe, pressante. Une adulte face à une adulte. Elle avait retenu ce qui avait marché pour moi.

— Tu es en danger. Tu le seras ce soir, demain. À chaque seconde, jusqu’à ce que tu nous révèles ce que tu sais. Une fois que tu l’auras fait, l’assassin n’aura plus aucune raison de s’en prendre à toi. Mais jusque-là…

Nouveau frisson. Joanne et ses amies s’observaient à la dérobée. Julia se grattait une jointure, les yeux baissés.

Conway accéléra le pas.

— Si tu as fabriqué cette carte pour rire, tu es également en danger. Le tueur ignore qu’il s’agissait d’une blague. Il, ou elle, ne peut se permettre de prendre de risques. Or, pour lui, ou pour elle, tu représentes une menace.

Elle frappa de nouveau la photo.

— Si cette carte est un canular, tu redoutes sans doute de te faire engueuler, par nous ou par la direction du collège. Ne t’en fais pas. Oui, l’inspecteur Moran et moi, nous te passerons un savon pour avoir fait perdre son temps à la police. Oui, tu seras sans doute collée. Mais il vaut mieux ça qu’être morte.

Joanne se pencha de côté vers Gemma, lui murmura quelque chose à l’oreille, sans même se cacher. Et ricana.

Conway s’arrêta. La fixa.

Joanne eut un sourire narquois. Gemma, hébétée, ne savait pas si elle devait sourire ou non, ni qui elle devait craindre le plus.

Ce ne pouvait être que Conway. Qui bondit, se planta devant la chaise de Joanne et se baissa, prête à lui donner un coup de boule.

— Je te cause ?

Joanne soutint son regard, avec une mimique dédaigneuse.

— Pardon ?

— Réponds à ma question.

Les autres filles avaient levé les yeux, comme lors d’un début de bagarre en classe, quand on attend de voir qui va saigner.

Joanne prit un air interloqué.

— Euh, je vois vraiment pas ce que vous voulez dire.

— Je ne m’adresse qu’à une seule fille, ici. Si c’est toi, ferme-la et écoute. Si ce n’est pas toi, ferme-la aussi, parce que personne ne te parle.

Dans le milieu de Conway et dans le mien, quand un gus se fout de votre gueule, on lui rentre dans le lard tout de suite, avant qu’il ne décèle chez vous un signe de faiblesse. S’il s’écrase, on est vainqueur. Dans les milieux plus policés, même si l’adversaire recule, on n’a pas gagné pour autant. On est simplement catalogué. Racaille, bête sauvage. À éviter.

Conway aurait dû s’en souvenir. Elle était allée trop loin. Cette fille, ce collège, cette affaire, tout cela l’avait excédée. Elle perdait son sang-froid.

Ce n’était pas mon problème. Je me l’étais juré le jour de mon admission à l’école de police : jamais je ne me soucierais de ceux que je coffrerais, même s’ils étaient de mon monde ; jamais je ne m’abaisserais à me comporter comme eux. Je leur passerais les menottes avant de les pousser sur la banquette arrière de ma voiture, sans le moindre état d’âme, parce que nous n’aurions plus rien en commun. Conway voulait cogner ? Libre à elle.

Joanne avait toujours son petit sourire. Conway pivota et prit une grande inspiration, comme si elle se préparait à la frapper. Elle croisa mon regard.

Décidant quand même d’intervenir, je hochai brièvement le menton. Geste de mise en garde, à peine perceptible.

Elle plissa les yeux. Puis, lentement, fit face à Joanne.

Sourire. Voix posée, appliquée, comme si elle sermonnait un bambin idiot :

— Joanne. Je sais que tu souffres de ne pas être le centre de l’attention. Je sais que tu meurs d’envie de piquer un caprice et de beugler : « Que tout le monde me regarde ! » Mais je parie que si tu fais un effort, tu pourras te retenir encore quelques minutes. Et quand nous aurons fini, tes amies t’expliqueront pourquoi cet entretien était important. D’accord ?

L’expression de Joanne devint hideuse.

— Tu peux réussir ça pour moi ? insista Conway.

Joanne se renversa dans sa chaise, roula des yeux.

— Si vous y tenez…

— Tu es une bonne fille.

Les autres apprécièrent : elles avaient leur gagnante. Julia et Holly souriaient d’une oreille à l’autre. Alison semblait terrorisée.

— Bien, reprit Conway à leur intention, Joanne étant définitivement exclue. Toi, qui que tu sois. Tu t’es bien amusée. Pourtant, les faits sont là. Ton problème reste le même. Tu ne prends pas l’assassin au sérieux. Peut-être parce que tu ignores réellement son identité, ce qui fait qu’il, ou elle, n’a pour toi aucune réalité. Peut-être parce que tu la connais, et qu’il, ou elle, ne te semble pas représenter un si grand danger.

Joanne boudait en contemplant le mur, les bras croisés. Les autres buvaient les paroles de Conway. Elle avait réussi. Elle les tenait.

Elle brandit encore, dans le soleil, la photo de Chris qui, radieux, riait.

— Chris pensait sans doute la même chose. J’ai rencontré des tas de gens qui ne prenaient pas les tueurs au sérieux. Le plus souvent, c’était à la morgue.

Sa voix était redevenue grave, implacable. Quand elle se tut, toutes en avaient le souffle coupé. La brise entrant par la fenêtre remuait faiblement les stores.

— L’inspecteur Moran et moi allons déjeuner. Puis nous passerons une heure ou deux dans l’aile des pensionnaires. Ensuite, nous devrons nous rendre ailleurs. Ce que je cherche à te dire, c’est que tu seras en sécurité pendant encore à peu près trois heures. Le tueur ne s’en prendra pas à toi tant que nous serons dans les parages. Mais après notre départ…

Silence. Orla avait la bouche béante.

— Si tu as quelque chose à nous dire, viens nous trouver cet après-midi. Si tu as peur qu’on te voie nous aborder, tu peux nous appeler, ou même nous envoyer un texto. Vous avez toutes nos cartes.

Elle les scruta une à une, en prenant son temps.

— Toi, à qui je viens de parler : c’est ta chance. Saisis-la. En attendant, prends garde à toi.

Elle remit la photo dans la poche de sa veste, qu’elle lissa avec soin.

— À bientôt, dit-elle.

Elle sortit sans se retourner. Elle ne m’avait pas fait signe, mais je la suivis.

Une fois dehors, elle tendit l’oreille vers la porte. Les filles chuchotaient, trop bas pour qu’elle les entende.

— Je vous les laisse, lança-t-elle à Houlihan, qui errait dans le couloir.

Elle ajouta, lorsque la porte se fut refermée derrière la prof de français :

— Tu vois ce que je voulais dire, à propos de la bande de Holly ? Il y a quelque chose.

— Oui. Je l’ai vu.

— Et alors ? Qu’est-ce que c’est ?

— Je ne suis pas fixé. Il faudra que je passe plus de temps avec elles.

— J’en étais sûre, ricana-t-elle.

Elle s’enfonça dans le couloir, marchant toujours aussi vite.

— Je crève de faim !