20

Un après-midi d’avril, à la fin de la partie de volley-ball, après les cours. Le printemps est enfin là. Les crocus, les perce-neige et les jonquilles jaillissent dans le parc, mais le ciel est lourd, gris, et il fait encore frais : la sueur ne séchera pas sur leur peau. Julia relève sa queue-de-cheval pour aérer sa nuque. Il reste à Chris Harper un peu moins d’un mois à vivre.

Holly et ses amies ramassent les ballons de volley, en prenant leur temps car les douches seront occupées quand elles rentreront. Derrière elles, les Daleks baissent les filets, lentement, ricanant comme à l’accoutumée.

— Ces cuisses ! couine Gemma. On dirait deux morses en train de baiser. C’est dégueu…

Nul ne sait si elle décrit celles d’une autre fille, ou les siennes.

— Samedi soir, interroge Julia, on y va ?

C’est le jour de la fête de Colm.

— Peux pas ! s’époumone Holly du fond du terrain. J’ai demandé l’autorisation. Réunion familiale, et patati et patata !

— Pareil pour moi, clame Becca en jetant un ballon dans le sac. Ma mère sera à la maison. Même si elle serait ravie que je me maquille comme une pute et que j’y aille en minijupe.

— Fais-lui plaisir, répond Julia. Rentre chez toi bourrée, camée et en cloque.

— Je garde ça pour son anniversaire.

— Lenie ?

— Je serai chez mon père.

— Merde ! s’exclame Julia. Finn Carroll me doit dix euros et j’en ai besoin. Mes écouteurs sont foutus.

— Je t’avancerai le fric, propose Holly en jetant le dernier ballon dans le sac, qu’elle rate. De toute façon, j’irai pas faire de courses ce week-end.

— Merci, mais je veux rappeler sa dette à cet enfoiré.

En fait, elle meurt d’envie de revoir Finn.

— Il sera au débat la semaine prochaine, précise Holly.

Un instant, Julia envisage de se rendre à la soirée toute seule. Elle renonce.

— Je sais. Je le choperai à ce moment-là.

Elles inspectent une dernière fois le terrain, puis s’en vont. Assoiffée, Julia s’arrête devant le robinet proche de la grille, laisse les autres s’éloigner, Becca portant le sac, sous les injonctions de Mlle Waldron : « Un deux, un deux ! On y va, les filles ! » Elle boit dans le creux de sa main, asperge son visage et son cou. L’eau fraîche la revigore. Elle renverse la tête, admire les oies sauvages qui, en criant, rasent les nuages.

Alors, les Daleks s’approchent. Joanne se plante devant Julia, croise les bras et la fixe. Les trois autres l’entourent, croisent elles aussi les bras, la fixent à leur tour.

Muettes, elles lui barrent le passage.

— Y a un problème ? demande Julia.

Joanne retrousse les lèvres. Elle s’imagine que cela lui donne un air supérieur. Si elle le faisait une seule fois devant sa glace, elle changerait d’avis.

— Arrête de frimer. Faut qu’on te parle.

— Elles parlent ? se moque Julia en désignant les trois autres. Je les prenais pour des robots.

Orla et Gemma lui jettent un regard outré. Joanne siffle d’un ton sans réplique :

— Tu diras à ce boudin de Selena de se tenir éloignée de Chris Harper.

— T’es mauvaise joueuse ?

— Fais pas l’innocente. On sait tout.

Les robots acquiescent. Julia s’adosse au portail, s’essuie avec le bas de son T-shirt. Elle commence à s’amuser. Ce qui est marrant avec les Daleks, c’est qu’elles inventent n’importe quoi pour foutre la merde.

— En quoi ce que fait Selena vous concerne ?

— C’est pas ton problème. Le tien, c’est de t’assurer qu’elle dégage, avant d’avoir de gros soucis.

Joanne grimace de façon terrifiante. Les robots la singent.

— Sûr ! martèle même Alison.

Julia rétorque avec un grand sourire :

— T’en pinces pour Chris Harper.

Avec une mimique outrée, Joanne éructe :

— Certainement pas ! Sinon, je me le taperais.

— Alors, pourquoi tu t’intéresses à ce que Selena fait avec lui ?

— Parce que. Tout le monde sait qu’il regarderait même pas un laideron dans son genre si elle le laissait pas faire. Elle lui arrive pas à la cheville. Elle est tout juste bonne à se faire tripoter par un boutonneux comme Fintan Machin Chose qui n’arrête pas de lui tourner autour.

Julia s’esclaffe. Son rire joyeux, spontané, monte vers les nuages.

— Donc, t’es là parce que Selena se la joue et qu’il faut la remettre à sa place ? Sérieux ?

Joanne se dresse sur ses ergots, pointant son menton, ses coudes, ses nichons, son popotin. Plus elle s’énerve, plus elle devient moche.

— Hé, tu crois quoi ? Que Chris va rester avec une pouffiasse comme elle ? Dès qu’il en aura marre de ses nibards, il va la larguer sur son gros cul et envoyer des photos pornos à tous ses potes. Dis-lui de le laisser tranquille ou elle le regrettera.

Julia avale une gorgée, s’essuie le menton. Elle rêve de rentrer dans le lard de Joanne. Elle se contient et répond calmement :

— Même si on la payait, elle ne draguerait jamais ce minable. Elle sait à peine qu’il existe. Elle ne lui a jamais parlé.

— Vraiment ? ironise Joanne. Me dis pas que t’es pas au courant. Gemma les a vus ; enlacés, emmêlés.

Julia blêmit. N’importe quel ragot venu des trois autres l’aurait laissée de marbre. Mais de Gemma… Elles ont été copines, en cinquième, quand elles étaient gosses.

Elle la dévisage. Gemma déclare, sous les quolibets des autres Daleks :

— Hier soir, j’ai fait le mur. Je marchais dans le sentier, vers le portail du fond. Ils étaient là, tous les deux, dans cette clairière entourée de grands arbres où vous vous retrouvez. J’ai failli avoir une crise cardiaque. J’ai cru que c’étaient des bonnes sœurs, ou des fantômes. Et puis je les ai reconnus. Ils parlaient pas de la pluie ou du beau temps. Ils étaient vautrés l’un sur l’autre. Si j’étais restée là quelques minutes de plus…

Nouveaux ricanements. Gemma jouit d’une vue parfaite, et personne, au collège, n’a des cheveux semblables à ceux de Selena. Mais Gemma est une menteuse de première. Julia vacille. Son cœur bat la chamade. Elle se souvient de la Gemma d’autrefois, avec qui elle échangeait des chips et des crayons, il y a si longtemps…

— Quoi que vous ayez fumé, toi et ton petit étalon, assène-t-elle froidement, je peux en avoir un peu ?

Gemma hausse les épaules.

— J’y étais. Pas toi.

— On arrête là, conclut mielleusement Joanne, avec un air angélique que dément le retroussis de ses lèvres. On voulait juste t’avertir, parce qu’on est sympa. On le fera plus.

Elle tourne les talons. Elle ne claque pas des doigts pour rameuter les Daleks, mais c’est tout comme. Elle longe le court de tennis, remonte le sentier menant au collège. Les autres trottinent derrière elle.

Julia ouvre de nouveau le robinet, laisse couler l’eau dans sa paume, au cas où les filles se retourneraient. Elle est incapable de boire. Son T-shirt colle à sa peau. Son cœur s’affole, comme si le ciel l’écrasait.

 

Selena est seule dans sa chambre ; les autres, sans doute, prennent encore leur douche. Jambes croisées sur son lit, elle brosse ses cheveux mouillés tout en fredonnant. Lorsque Julia entre, elle sourit.

Elle est toujours la même. En la voyant, Julia s’apaise, oublie la mesquinerie des Daleks. Elle n’a qu’une envie : serrer son amie contre elle, sentir sa chaleur au creux de son épaule.

— Tu devrais donner rendez-vous à Finn, suggère Selena.

Il faut à Julia quelques secondes avant de comprendre de quoi elle parle.

— Peut-être, répond-elle.

— T’as son numéro ?

— Oui. Mais c’est pas grave. Je le verrai un de ces quatre.

Julia s’assied par terre, gamberge en délaçant ses runners. Si Selena sortait avec Chris, elle aurait trouvé le moyen de se rendre samedi à la fête de Colm, par crainte qu’il ne drague une autre fille. Si elle avait fait le mur la nuit précédente, les autres se seraient réveillées. Si elle sortait vraiment avec Chris, elle n’aurait pas été la première à sortir de la douche. Elle aurait, quelques instants encore, gardé l’odeur de son corps, de l’herbe d’hiver, de sa culpabilité. Si Selena sortait avec un type, cela se verrait comme des suçons dans son cou. Si elle l’avait fait, ça l’obséderait. Et elle ne pourrait pas s’empêcher d’en parler à quelqu’un.

— Lenie…

— Oui ?

Selena lève la tête. Ses yeux bleus, impénétrables…

— Rien.

Elle continue, paisiblement, à se brosser les cheveux.

L’idée du vœu est venue d’elle. Pourtant, c’est elle qui a également eu l’idée de barboter la clé pour sortir la nuit.

Julia se bat contre un nœud bloquant les lacets d’une de ses chaussures. Elle y plonge ses ongles. Selena cesse de fredonner, comme si elle voulait lui dire quelque chose.

Mais non. De nouveau le doux frottement de la brosse, et Selena chantonnant.

Ce ne peut être qu’un bobard. Si les mecs de Colm avaient trouvé le moyen de faire le mur, tout le monde le saurait. Dans le cas contraire, qui Gemma retrouve-t-elle ? À moins qu’elle ait tout inventé…

— Cette chanson ! crie soudain Holly en pénétrant en trombe dans la chambre, sentant le shampoing à la fraise, les cheveux torsadés comme une glace à la vanille. C’est quoi, cette chanson ? Celle que tu fredonnais ?

Elles ne s’en souviennent ni l’une ni l’autre.

 

Julia reçoit un texto de Finn pendant la première heure d’étude. On se voit samedi soir ? G une surprise pour toi.

— Téléphones éteints, ordonne la cheftaine qui fait office de pionne.

Dans la salle commune, la lumière faiblit, comme si les ampoules renonçaient à lutter contre les ténèbres du dehors.

— Pardon, j’avais oublié.

Julia glisse son téléphone sous son livre de maths et tape à l’aveuglette : Samedi, non. Au bout d’un moment, elle ajoute : Demain, après les cours ? G kelke chose à te dire.

Elle coupe le son du mobile, le fourre dans sa poche et feint de s’intéresser aux maths. Moins d’une minute plus tard, elle sent un bourdonnement contre sa jambe. Le Pré ? 16 h 15 ?

L’idée qu’il puisse l’attendre là-bas la fait frissonner. Elle répond : D’accord, avant d’éteindre son téléphone. En face d’elle, Selena résout paisiblement des équations du second degré. Quand elle sent le regard de Julia sur elle, elle lève la tête.

Avant de pouvoir s’en empêcher, Julia, d’un geste du menton, désigne l’ampoule du plafond. Selena fronce les sourcils : Pourquoi ? Remuant les lèvres, Julia lui répond : Fais-le.

Selena presse son stylo. L’ampoule flamboie. La salle commune s’illumine aussitôt, s’agrandit, retrouve ses couleurs. Jusque-là penchées sur leurs tables, les autres filles sursautent. Leur éblouissement ne dure pas. Aussitôt, la lumière redevient blafarde, et leurs visages replongent dans la pénombre.

Selena sourit à Julia, comme si elle lui faisait un cadeau. Julia lui rend son sourire. Elle se sent soulagée. Pourtant, son anxiété subsiste.

 

L’après-midi suivant, lorsque Julia et ses amies se faufilent sous les barbelés, les Daleks sont déjà perchées sur un tas de parpaing, minaudant comme à leur habitude. Trônant sur la machine rouillée, des élèves de Colm s’agitent pour attirer leur attention. Assis sur un autre tas de parpaing, Finn dessine sur ses runners. Ses cheveux resplendissent contre le ciel gris, humide et froid. Julia a envie de les prendre à pleines mains, de s’y réchauffer.

— Je vous rejoins tout de suite, annonce-t-elle aux autres.

— Fais gaffe, lui souffle Holly.

Julia traverse le Pré.

— Salut, dit-elle en se hissant près de Finn.

Le visage du garçon s’éclaire. Il cesse de dessiner, se redresse.

— Salut. Pourquoi tu ne viens pas samedi ?

— Bisbilles familiales.

Les Daleks s’esclaffent. Julia leur envoie un baiser.

— On dirait qu’elles t’aiment pas, dit Finn en remettant son feutre dans sa poche.

— On s’en tape. Je les aime pas non plus. Qu’est-ce que t’as pour moi ?

— Toi d’abord.

Julia attend ce moment depuis des semaines. Avec un sourire de triomphe, elle brandit son mobile. Sur la photo, on la voit sur la pelouse de derrière, bravade stupide parce que n’importe quelle nonne pourrait regarder par la fenêtre de sa chambre ; mais elle se sent toutes les audaces. Avec une moue insolente, une main sur la hanche, elle pointe un doigt sur l’horloge. Minuit sonne.

Elle se remémore la scène

— T’es décidée ? a demandé Holly, le téléphone de Julia à la main.

— Plus que jamais, a-t-elle asséné, s’assurant que l’horloge serait bien sur la photo. Pourquoi ?

— Parce qu’il va savoir qu’on fait le mur.

Derrière elles, pâles contre les arbres, Selena et Becca attendaient.

— On n’a jamais dit qu’on ne ferait pas confiance aux garçons, a objecté Julia. On a simplement juré de ne jamais les toucher.

— Et on n’a jamais promis de ne pas se payer leur tête devant tout le monde.

— Finn gardera ça pour lui. Je le jure.

Holly a eu un geste résigné. Julia a pris la pose face à l’horloge.

— C’est parti.

Le flash a jailli tel un éclair. Et toutes les quatre ont éclaté de rire.

À présent, Julia exulte.

— J’exige mes dix euros, dit-elle. Et des excuses.

— Je me rends, répond Finn. Tu veux que je me mette à genoux ?

— C’est tentant, mais j’irai pas jusque-là. Sois simplement sincère.

Il porte la main à son cœur.

— Je te demande pardon de t’avoir traitée de pétocharde. Tu es la fille la plus courageuse que la terre ait portée.

— Belle formule. T’es pardonné.

— C’est une bonne photo, constate-t-il en l’examinant une seconde fois. Qui l’a prise ? Une de tes copines ?

— La bonne sœur fantôme. Je t’ai dit que j’étais pas en sucre.

Elle reprend son mobile.

— Mon pognon.

— Minute ! lance-t-il en sortant son téléphone. J’ai une surprise pour toi. Tu t’en souviens ?

Si c’est une photo de sa bite, pense-t-elle, je le tue.

— Étonne-moi, rétorque-t-elle.

Finn lui tend le téléphone avec son petit sourire de gamin roublard. Alors, une onde de soulagement, de culpabilité et de tendresse l’envahit. Elle a envie de l’étreindre, de l’embrasser pour se faire pardonner de l’avoir encore une fois sous-estimé.

— Les grands esprits se rencontrent, dit-il en montrant l’écran.

La photo le représente sur la pelouse, presque au même endroit : la capuche noire de son sweat couvrant ses cheveux roux, une main au-dessus de la tête, exactement comme elle, le doigt pointé sur l’horloge. Minuit.

Tout d’abord, Julia ne peut réprimer un bref mouvement de colère : C’est notre endroit, la nuit, il nous appartient, est-ce qu’on peut même pas avoir… Puis elle comprend.

— Tu veux toujours ton blé ? s’enquiert Finn en accentuant son sourire, ravi de son exploit. Ou est-ce qu’on est à égalité ?

— Comment t’es sorti du collège ? murmure Julia.

Fier de sa surprise, il ne remarque pas son changement de ton.

— Top secret.

Julia se reprend.

— Super ! s’écrie-t-elle en lui jetant un regard admiratif. Je savais pas que pouviez faire ça, toi et tes copains.

Cette fois, elle ne le sous-estime pas. Si content de lui, de son ingéniosité, il se rengorge.

— J’ai grillé l’alarme de la sortie de secours. J’ai eu le mode d’emploi sur le Net. Ça m’a pris cinq minutes. Je peux pas ouvrir la porte de l’extérieur, mais je l’ai coincée avec un bout de bois pour pouvoir rentrer.

— Oh, m’Dieu ! s’exclame Julia, la main devant la bouche. Si quelqu’un était passé par là et t’avait vu, t’aurais vraiment eu des problèmes. T’aurais pu être viré !

Il prend un air décontracté, se renverse en levant un pied, les mains dans les poches de son jean.

— Ça vaut le coup.

— Tu l’as fait quand ? On aurait pu se trouver nez à nez, dit-elle avec un petit rire.

— Y a un bail. Quinze jours après le bal de la Saint-Valentin.

Cela laissait tout le temps à Chris d’organiser un rendez-vous avec Selena, puis une dizaine d’autres ; s’il savait.

— T’étais seul ? T’as fait un selfie ? P’tain, t’as vraiment pas peur des bonnes sœurs !

— Des vivantes, oui. Elles me terrifient. Mais pas des mortes.

Le rire de Julia se prolonge.

— Donc, t’as fait le mur tout seul ? Sérieux ?

— J’ai amené des potes, pour rigoler. Mais je suis aussi sorti seul.

Il contemple ce qu’il a dessiné sur sa godasse, comme si cela le fascinait.

— Vu qu’on peut sortir tous les deux et qu’on n’a pas peur… Tu veux qu’on se retrouve, une nuit ? Pas pour… Juste pour discuter. Et voir si on aperçoit le fantôme de la nonne.

Julia n’a plus le temps de jouer la comédie. À quelques mètres de là, au milieu des jacobées et des pissenlits qui, cette année, poussent avec une vigueur inhabituelle, Selena, Holly et Becca tentent d’écouter, toutes les trois ensemble, quelque chose sur l’iPod de Becca, jouant des coudes pour s’approcher de l’écouteur, riant et emmêlant leurs cheveux, comme si rien, encore, ne venait troubler leur complicité. Julia brûle d’envie de renverser le parpaing d’un coup de pied, de laisser libre cours à sa colère. D’une seconde à l’autre, un pote de Finn va se ramener en braillant. Et il faut qu’elle sache, tout de suite. Si Gemma n’a pas menti, elle a besoin du week-end pour décider de ce qu’elle doit faire.

— Vous êtes copains, Chris Harper et toi, pas vrai ?

— Oui, répond-il en reprenant son téléphone et en le remettant dans sa poche. Pourquoi ?

— Il sait que tu as coupé l’alarme ?

— Sûr. C’était même son idée. C’est lui qui a pris la photo.

Gemma n’a pas menti.

— Et si c’est lui que tu voulais draguer, t’aurais pu le dire dès le début.

Elle l’a donc pris pour un imbécile, pense-t-il.

— Non, répond-elle.

— P’tain, j’aurais dû m’en douter.

— Si Chris disparaissait de la surface de la terre dans la fumée d’une décharge, j’applaudirais. Crois-moi.

— À d’autres…

Il a changé de couleur. Ses yeux se sont assombris, ses joues sont devenues cramoisies. Si Julia était un type, il lui casserait la gueule. Comme elle n’en est pas un, il reste désarmé et triste.

— T’es un sacré numéro, tu sais…

Si elle ne rétablit pas la vérité tout de suite, elle n’en aura plus l’occasion et il ne le lui pardonnera jamais. Mais elle ne sait comment s’y prendre. Ce qu’elle vient d’apprendre l’obsède au point de reléguer Finn au second plan.

— Crois ce que tu voudras.

Elle glisse le long du parpaing et se dirige vers les autres, sentant dans son cou, telles des aiguilles, les yeux des Daleks, regrettant de ne pas être un garçon pour que Finn lui envoie son poing dans la figure et qu’on en finisse une bonne fois pour toutes. Alors, elle pourrait aller trouver Chris Harper et lui démolir le portrait.

Les yeux de Holly rencontrent brièvement les siens. Ce qu’elle y discerne la met en garde ou la satisfait, ou les deux. Becca s’apprête à poser une question. Selena lui touche le bras et elles retournent à l’iPod. Un jeu vidéo projette de petites flèches orangées zigzagant sur l’écran. Des ballons blancs explosent avec lenteur, laissant flotter des fragments qui descendent en silence. Julia s’assied dans les mauvaises herbes et regarde Finn s’en aller.