XIII

Crusow était assis dans la salle des opérations avec Mark, avec qui il avait noué une solide amitié dès son arrivée à l’avant-poste quatre. Ils rationnaient le temps d’utilisation du générateur car le diesel propre constituait une ressource non renouvelable. Ils rencontraient toutefois un succès relatif avec le biodiesel. C’était sale, ça puait, et ça rendait le travail de Crusow encore plus harassant, mais ça permettait de maintenir la température corporelle à 37°, voire au-dessus.

Crusow commençait à en avoir assez de devoir démonter, reconfigurer et réparer le moteur diesel de l’avant-poste dévolu au biodiesel, mais il savait que sans cela, la base entière ne serait qu’un bloc de glace à l’heure actuelle. Chaque jour, le fait de réussir à maintenir l’avant-poste en vie le remplissait de fierté et lui donnait la force de continuer, la force de vivre. Il se sentait cruellement seul à présent. La dernière personne à qui il tenait vraiment était morte et il espérait qu’elle ne s’était pas relevée. Il se demandait souvent si l’incendie avait achevé la besogne, mais penser à cela lui faisait presque aussi mal que d’imaginer Trisha comme l’une des leurs.

Mark et lui avaient récemment fini de réparer le réseau hautes fréquences de la base après que les bourrasques de l’Arctique avaient sectionné l’un des câbles. Ils utilisèrent l’autoneige pour tendre le câble et l’arrimer au nouveau point d’attache dans la glace. Sans HF, ils étaient totalement sourds à ce qui se passait plus au sud. Le processus de réglage des hautes fréquences requérait une intervention humaine lourde. Des connaissances basiques en théorie des ondes radio étaient également nécessaires. À certains moments, dans l’Arctique, certaines fréquences fonctionnaient, d’autres pas. Le procédé était déjà compliqué dans des conditions atmosphériques normales, mais plus on allait au nord plus les problèmes s’accumulaient de manière exponentielle. Quand le temps était clément, il leur arrivait de capter des transmissions ondes courtes de la BBC. Il s’agissait de programmes en boucle dont l’émetteur devait être alimenté par une source d’énergie alternative.

— Restez chez vous. Tous les refuges connus ont été envahis. Si vous êtes blessé, ou que vous connaissez quelqu’un qui a été blessé par un sujet infecté, adoptez immédiatement des mesures de quarantaine

Mark était assis au poste de radio lorsque la communication avec l’USS George Washington avait été établie. Le lien avait été rompu du fait du réseau déficient. Maintenant que le réseau était réparé, ils balayaient l’ensemble de la bande pour rétablir la communication avec le navire, ou avec quiconque susceptible d’être à l’écoute.

Même s’il était peu probable qu’un porte-avions vienne les sauver si loin au nord, le navire était peut-être en contact avec d’autres unités en mesure de venir récupérer Crusow, Mark et les autres survivants.

Tout ce que les habitants de l’avant-poste espéraient maintenant, c’était la possibilité de rester au chaud et de maintenir leur température corporelle. Crusow savait que l’hiver faisait rage et qu’à moins d’un miracle, ils étaient coincés dans cet enfer blanc.

À part lui-même, Mark était la seule personne à qui il faisait confiance sur les cinq survivants. Il restait très peu de militaires dans le groupe. Crusow se comportait de manière cordiale avec eux, mais ne pouvait se résoudre à leur faire confiance. On dirait des flics, pensait-il souvent. Ils veilleront les uns sur les autres, par tous les moyens.

Crusow tenait compagnie à Mark tandis que ce dernier se calait sur la fréquence 8992, conformément à son planning de transmissions.

— À toutes les stations, à toutes les stations, ici l’avant-poste Arctique quatre, terminé.

Les ondes étaient saturées de parasites lorsqu’un puissant signal HF remplaça le bruit blanc, comme si l’émetteur se trouvait dans la pièce d’à côté.

— Avant-poste quatre, ici l’USS George Washington, le signal est faible mais nous vous recevons, nous sommes ravis de vous entendre à nouveau.

Crusow et Mark se mirent à hurler de joie et la salle résonna de sifflets et de cris dans une brève démonstration d’optimisme… qui ne devait pas durer.