10. Quelles sont les différentes approches ?

Les catégories d’enseignements

L’enseignement de l’advaita entre dans quatre catégories principales (mentionnées au chapitre 8).

  1. L’enseignement traditionnel, aussi appelé enseignement sampradaya. Le terme « sampradaya » signifie que les méthodes et la compréhension ont littéralement été transmises de maître à disciple pendant des milliers d’années. Puisque c’est Shankara qui a effectivement formulé les instructions basées sur tout le matériel existant à l’époque, les enseignants sampradaya modernes devraient pouvoir faire remonter leur lignée à lui. Les disciples restent habituellement dans un ashram pendant quelques années (au moins) et participent à des discussions, méditent, etc. tous les jours. C’est cet enseignement qui forme la matière essentielle de ce livre.
  2. Le néo-vedânta. C’est un développement plus tardif de l’enseignement traditionnel et, de nos jours, c’est la branche qui compte probablement le plus d’enseignants. Elle provient de Vivekananda qui, portant le message du mystique du 19e siècle Ramakrishna tout en suivant sa propre orientation, s’efforça d’apporter le vedânta en Occident – mission pour laquelle il rencontra un succès considérable. L’enseignement qu’il défendait intégrait certains aspects du Yoga. Comme le Yoga est en soi une philosophie différente, certains des principes de l’advaita vedânta s’en sont trouvés modifiés. En particulier, le néo-vedânta insiste sur le samadhi, même si l’advaita fait remarquer qu’il s’agit simplement d’une autre expérience qui ne peut pas susciter la connaissance du Soi. Cette insistance peut également être une conséquence du fait qu’au cours de sa vie, Ramakrishna lui-même avait régulièrement fait l’expérience du samadhi.
  3. Le satsang à l’occidentale. Dans son acception traditionnelle, le terme « satsang » signifie littéralement « association avec le sage ou le bon » et fait référence à un groupe d’authentiques chercheurs guidés par un maître qualifié. Il désigne une rencontre dans laquelle un enseignement est donné, suivi de questions et réponses (dans l’enseignement traditionnel, il se réfère uniquement à la séance de questions et réponses). Il est désormais courant, en Occident, qu’un « maître » parcoure le monde en tenant de courtes sessions où il ne donne pas de réels enseignements mais réponde aux questions qui se présentent. J’ai appelé ce style occidental de pseudos enseignements « satsang » dans mes livres précédents.
  4. 4. Le néo-advaita. C’est un développement relativement moderne (peut-être aussi récent que les années 1980) qui se réfère à un style d’enseignement qui prétend n’exprimer que la vérité définitive et absolue de l’advaita. Il n’admet aucun « niveaux » de réalité et ne reconnaît pas l’existence d’un chercheur, d’un enseignant, de l’ignorance, d’une voie spirituelle, etc. Alors qu’il y a chez les enseignants satsang en général de grandes différences en termes de leurs façons de parler de l’advaita et de l’enseigner, ce n’est pas le cas chez les enseignants du néo-advaita. Les déclarations des uns et des autres sont pour l’essentiel interchangeables, et seuls diffèrent les tournures et le style personnels.

Et au cas où il y ait encore un doute sur la signification du terme « illumination », voici une définition :

 

L’illumination

C’est l’ignorance du Soi qui empêche la reconnaissance de la vérité quant à notre nature et celle de la réalité. L’illumination a lieu dans l’esprit de la personne quand l’ignorance du Soi a été éradiquée. Il est vrai (dans la réalité absolue) que nous sommes déjà « libres » – il n’y a toujours eu que la réalité non-duelle, alors comment pourrait-il en être autrement ? Il n’est pas vrai que nous soyons déjà illuminés (dans la réalité empirique), comme le chercheur le sait bien. L’illumination est l’événement par lequel, en son temps, l’esprit réalise que nous sommes déjà libres.

Plutôt que de « réinventer la roue », je voudrais emprunter les conclusions à mon livre L’illumination : le chemin dans la jungle 1 pour résumer les points essentiels sur l’enseignement et l’illumination :

Véritable maître ou authentique charlatan ?

Lors des trente ou quarante dernières années, la tendance à recourir au satsang comme à la seule et unique méthode d’enseignement de l’advaita s’est accélérée en Occident. Ce phénomène vient probablement de la popularité des transcriptions des causeries de Ramana Maharshi et de Nisargadatta Maharaj mais a pris de l’ampleur lorsque de nombreux nouveaux enseignants ont sollicité les bénédictions de Sri Poonja (remarquez que tous sont des enseignants bien connus du 20e siècle. Les deux premiers sont à juste titre renommés, car les transcriptions de leurs entretiens véhiculent une sagesse considérable). Traditionnellement, un enseignant sampradaya n’autorise ses disciples à enseigner que lorsqu’il a pu confirmer leur état illuminé et vérifier leur complète compréhension des méthodes d’enseignement des textes sacrés. Aujourd’hui, il n’y a guère d’enseignant en Occident qui puisse revendiquer cette autorité (remarquez que seul Nisargadatta appartenait aux sampradayas, mais son style d’enseignement était davantage satsang).

 

Dans le néo-advaita, l’enseignement traditionnel a été appauvri jusqu’à l’épuisement, et rien ne reste de la richesse de ses méthodes et de sa capacité à pourvoir aux besoins de tous les niveaux et tous les types de chercheurs. Au lieu de cela, tout ce qui reste sont des déclarations obscures sur la nature de la réalité absolue, qui n’ont vraiment de sens que pour l’étudiant le plus avancé. Comme la plupart des chercheurs assistant à ces réunions ne sont pas avancés, leur confusion et leur souffrance s’en trouvent exacerbées plutôt que soulagées.

Il semble que de plus en plus d’enseignants satsang s’orientent dans cette direction. Cela peut être la conséquence naturelle du fait que le format même du satsang n’est pas adapté à l’enseignement authentique. Comme les chercheurs ne participent qu’occasionnellement à des rencontres, souvent avec des enseignants différents et en général avec des étudiants différents, il n’y a pas de continuité et le message doit être véhiculé rapidement. De plus, la société occidentale veut (et s’attend à) des résultats instantanés.

Le problème fondamental est l’ignorance du Soi dans l’esprit du chercheur, conséquence d’adhyasa. Une connaissance appropriée est nécessaire et cela doit être acceptable pour l’esprit, qui doit être capable d’exercer raison et discernement et ne pas se trouver déconcerté par des opinions et des croyances passées, etc. Tout cela se produit naturellement comme faisant partie du processus d’enseignement traditionnel, sous la direction d’un maître qualifié. À l’évidence, il y a dans le monde des chercheurs actifs. Ceux-ci devraient idéalement préparer leur esprit par des pratiques appropriées et suivre une voie formelle, logique et ayant fait ses preuves avec l’aide d’un guide compétent. Ce n’est que lorsqu’ils l’auront parachevée avec succès qu’ils réaliseront pleinement qu’ils ont toujours été Brahman. Tout cela est en contradiction directe avec l’enseignement du néo-advaita.

Là où l’obscurité règne, la lumière est nécessaire. L’enseignement traditionnel offre cette lumière sous forme d’une explication progressive, structurée, personnalisée et raisonnée qui peut être vérifiée par notre propre expérience et doit conduire ultimement à la réalisation de la vérité. Le néo-advaita cherche à contourner tout cela et présente la conclusion finale sans argument aucun. Manquant de logique, il s’avère également inefficace. L’enseignement satsang le moins absolutiste peut chercher à utiliser la méthodologie de l’enseignement traditionnel mais, en l’absence de structure, de contexte et de continuité, il est lui aussi condamné à l’échec dans la majorité des cas.

La plupart des enseignants satsang semblent également insister sur les aspects négatifs – neti, neti ; pas le corps, pas l’esprit, pas l’ego, etc. – et leur point d’arrivée est que ce qui reste est qui vous êtes vraiment. Le fait est, cependant, que la nature de « ce qui reste » n’est habituellement pas expliquée. Il en résulte que les chercheurs reçoivent une vue relativement nihiliste de la réalité. Dans le cas du néo-advaita, cela se combine à la vue que puisqu’il n’y a personne pour faire quoi que ce soit et que, de toute manière, le monde est une illusion, tout ce que nous pouvons faire ne fait aucune différence. Ainsi, pour certaines personnes, l’écoute de tels enseignements peut logiquement déboucher sur une perspective amorale.

Cela est entièrement contraire à l’approche traditionnelle, dans laquelle des indices de qui nous sommes (Brahman) sont donnés. La célèbre déclaration des Upanishads – « tat tvam asi » (Tu es Cela) – démantèle nos concepts erronés sur « tu » mais souligne en même temps que nous sommes « Cela », de sorte qu’il n’est jamais question de vide ou de vacuité. Au contraire, qui nous sommes est plein, complet et sans limite.

Bon nombre de ces enseignants modernes tentent de faire valoir l’argument que leur enseignement est adapté à l’époque, que les textes sacrés ne sont plus pertinents et que notre esprit instruit et sophistiqué peut désormais accepter les vérités ultimes sans les circonlocutions et les détours traditionnels. En fait, notre ignorance du Soi actuelle est identique à ce qu’elle a toujours été. Nous nous identifions toujours au corps, à l’esprit et aux rôles, et croyons encore qu’il y a un monde réel d’objets séparés et d’autres gens. Ce sont ces questions fondamentales qui sont abordées par les méthodes traditionnelles – ce que nous ne sommes pas et ce que nous sommes. Les sampradayas ont des techniques éprouvées pour résoudre ces questions. La simple déclaration des conclusions, comme le font les enseignants néo-advaitins, ne sera jamais efficace puisque ces conclusions sont complètement en contradiction avec notre compréhension actuelle de notre expérience quotidienne.

Parce que la plupart des enseignants modernes manquent d’une formation formelle et traditionnelle authentique, et à cause du format informel du satsang et du contenu raréfié de l’enseignement, il devient de plus en plus facile pour quiconque de se promulguer enseignant sans avoir véritablement de qualification – et il n’y a pas d’« association de maîtres advaitins agréés » que nous puissions consulter.

Les chercheurs, comme les enseignants, ont besoin de se réconcilier avec le fait qu’il ne peut y avoir de mesures à court terme. Nous avons des générations de pensée erronée à rectifier si nous voulons apprendre à nous considérer, nous-mêmes et le monde, d’une façon complètement différente qui contredit nos croyances actuelles. L’instinct, l’habitude et les opinions profondément ancrées ne peuvent jamais être annulés par une brève session de questions et réponses ne traitant d’aucun sujet en particulier et par des individus ayant chacun leurs propres plans. Il faut une enquête prolongée et coordonnée, qui s’appuie sur des techniques ayant fait leurs preuves, avec l’aide d’enseignants experts dans l’utilisation de ces techniques. Les authentiques chercheurs de vérité doivent trouver un milieu d’enseignement qui satisfasse ces conditions.

 
[1] Éditions Le lotus d’or, 2009 (NdT).