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Mattie Abrams pouffa alors que Bouncer essayait de voler le jouet couineur de Peewee. Le grand croisé mastiff et saint-bernard n’allait pas laisser le petit croisé terrier prendre son jouet favori. La jeune femme regarda ses chiens avec tendresse. Ils venaient tous les six de la fourrière et elle aimait chacune des particularités qui les rendaient uniques.

Des avortons, des inadaptés et des chiens de la cambrousse dont personne ne voulait, pensa-t-elle avec un sourire en coin. Comme moi.

Cela ne dérangeait pas Mattie que sa mère et son père soient heureux de ne plus avoir à communiquer avec elle. Ils en avaient fini avec leur responsabilité de l’élever. À vrai dire, ils avaient manqué son anniv trois ans de suite, car ils étaient chacun focalisés sur quelqu’un d’autre.

Sa famille était à présent composée des six chiens, des quatre chats et de la ménagerie d’autres petites créatures poilues qu’elle dressait. Chaque animal avait une place spéciale dans son cœur, et leur singularité les rendait extraordinaires. Mais par-dessus tout, ils l’aimaient inconditionnellement telle qu’elle était.

Mattie passait son temps libre à visiter les centres de protection des animaux des villes dans lesquelles se rendait le cirque. Elle avait un faible pour les rejetés. Enfant, elle avait investi tout son amour et sa solitude pour aider autant d’animaux errants que possible. Ses parents s’en fichaient tant que cela l’occupait. Elle avait dressé des furets, des souris et une ribambelle de chiens et de chats.

Elle était tellement douée qu’à ses douze ans, elle était devenue dresseuse d’animaux, en particulier de chiens. Le bouche-à-oreille lui avait permis de développer son activité.

Plusieurs attentats à la bombe à travers le pays lui donnèrent envie de dresser des chiens renifleurs. La mort et la dévastation l’avaient choquée et elle espérait pouvoir empêcher que cela se reproduise à l’avenir. Elle avait fait du bénévolat pour le département de police local et avait trouvé son créneau, qui s’était avéré très rentable.

Avant ses dix-huit ans, elle était parvenue à économiser assez pour acheter une maison dans un beau quartier. C’était ce qu’elle aurait fait si elle n’avait pas rejoint le cirque par tranquille jour d’été. Dès l’instant où elle avait franchi le portail, elle s’était sentie chez elle.

Elle avait passé les trois jours suivants à assister à tous les spectacles et à discuter avec les gens qui y travaillaient. L’un d’eux avait fini par lui montrer Walter. Après l’avoir rencontré, ainsi que Nema, sa femme, et Ricki, sa fille, elle était rentrée chez elle, avait empaqueté quelques affaires et emporté Calico, son chat. Elle s’était acheté un pick-up et une caravane au lieu d’une maison. Le lendemain, elle était sur la route.

Cela faisait maintenant six ans, et elle n’avait pas une fois regretté sa décision. Sa petite famille s’était agrandie et comptait à présent tous les membres du cirque. Elle avait quelques amis proches, mais aucun ne rivalisait avec ses animaux, les seuls capables de combler sa solitude.

— À quoi tu penses si sérieusement ? demanda Suzy en venant s’asseoir à côté d’elle sur la marche.

Mattie sourit à l’ancienne clown de rodéo qui comptait maintenant parmi les clowns vedettes du cirque. C’était également son amie humaine la plus proche. Lorsque Chia et Oscar vinrent s’allonger à côté d’elle, Mattie se pencha et les caressa. Elle parcourut du regard l’immense soute dans laquelle se trouvait actuellement leur foyer.

— J’essaye encore de me faire à l’idée qu’on est dans l’espace, avoua-t-elle. C’est difficile de croire que les extraterrestres existent vraiment et qu’on va sur une autre planète avec eux.

— C’est vraiment fou, hein ? dit Suzy avant de toucher le bras de Mattie. Tu t’inquiètes ? Je veux dire…

Elle s’interrompit un instant avant de reprendre :

— Ce n’est pas une mince affaire d’abandonner un monde entier, tout ce qu’on a toujours connu. J’ai Curly, c’est mon repère. Tu as peur de ne pas trouver quelqu’un qui puisse être le tien là-bas ?

Mattie secoua la tête avec timidité.

— Non, je ne pense même plus à ce genre de choses. Je ne veux personne, répondit-elle doucement. Je n’ai pas eu les meilleurs exemples en grandissant et après… eh bien, disons simplement que je m’entends mieux avec les animaux qu’avec les gens.

— Mattie, tu as vu les mecs à bord ce vaisseau, commença Suzy d’un ton hésitant. Je veux dire, ils sont sexy. Je suis certaine qu’il y a une chance que tu rencontres quelqu’un. Tous les hommes ne sont pas comme George, tu sais. Avoir Curly dans ma vie… je n’ai pas les mots pour le décrire.

Mattie lui sourit. Son amie n’avait pas besoin de dire quoi que ce soit à propos de l’effet que Curly avait sur elle. Elle le voyait à chaque fois qu’ils étaient ensemble. En son for intérieur, elle espérait trouver un jour quelqu’un d’aussi spécial que Curly, mais elle craignait d’exposer son cœur à la souffrance si elle tombait amoureuse de la mauvaise personne.

Elle l’avait fait une fois, quand elle avait vingt-et-un ans. George avait été embauché pour rejoindre l’équipe technique du cirque. Elle avait cru ses mensonges quand il lui avait dit qu’il l’aimait. Elle avait pensé être prudente. Ils étaient sortis ensemble pendant presque trois mois avant qu’elle le laisse emménager chez elle. Six mois plus tard, elle l’avait trouvé avec une autre femme dans un bar miteux d’une ville où le cirque donnait une représentation. Suzy et Curly étaient avec elle. Curly avait mis un coup de poing à George et lui avait dit qu’il était un homme mort s’il l’approchait à nouveau.

Mattie baissa les yeux vers les chiens, qui jouaient maintenant à se battre. Elle n’aimait pas se remémorer cette période de sa vie ; elle n’était pas certaine qu’elle aurait survécu sans ses amis à fourrure. C’étaient eux qui la motivaient à se lever tous les matins et à continuer. Frustrée par le tour que prenaient ses pensées, elle se leva et fit signe aux chiens de la rejoindre.

— Tout le monde n’a pas la chance de trouver l’amour comme Curly et toi, dit-elle sans regarder Suzy. Les chiens ont besoin de faire de l’exercice. Je pense que je vais les emmener faire un tour dans ce niveau. Je n’ai pas vu grand-chose à bord du vaisseau et ce serait chouette de visiter.

Suzy se leva également. Elle savait que Mattie voulait éviter de parler de ses sentiments ; elle esquivait la douleur. Suzy aurait voulu pouvoir mettre un coup de poing dans le nez des parents de son amie, elle aussi. Ils n’avaient jamais apprécié leur belle fille sensible à sa juste valeur. Au lieu de cela, elle étreignit fermement Mattie.

— Sache qu’on t’aime tous énormément, murmura-t-elle.

Mattie sourit en reculant.

— Je sais. C’est uniquement pour ça que j’ai accepté de venir. Je ne pouvais pas imaginer vous perdre.

— Va faire ton jogging, répondit Suzy d’une voix bourrue. C’est moi qui prépare le dîner ce soir. Ne sois pas en retard.

Mattie commença à se diriger vers l’entrée de la soute.

— Pas de soucis. Je t’aime, Suzy, lança-t-elle par-dessus son épaule avant de se mettre à courir.

— Je t’aime aussi, Mattie. Je t’aime aussi.