Avant-propos
C’est grâce à Pierre Boulez que j’ai connu Francis Bacon et c’est donc indirectement grâce à lui que j’ai pu réaliser mes entretiens avec le peintre. Un livre existe aujourd’hui en Folio essais chez Gallimard. Un des éditeurs de cette collection m’a alors demandé de réaliser dans le même format un ouvrage d’entretiens, cette fois avec le musicien Pierre Boulez. Amorce d’une collection d’entretiens grand public, souhait de transmettre les réflexions de l’un des plus authentiques créateurs du siècle, je ne sais pas au fond ce qui m’a séduit le plus dans cette idée, probablement les deux à la fois, j’ai aussitôt accepté.
Deux obstacles de taille cependant se présentaient à moi pour mener à bien cette seconde entreprise. Le premier de ces obstacles résidait dans l’insuffisance de ma formation musicale pour échanger avec Pierre Boulez sur l’immense galaxie de la musique contemporaine et plus particulièrement sur son travail.
De ce point de vue, lorsque le lecteur voudra en savoir plus sur les aspects proprement historiques et musicologiques de son œuvre, il devra se reporter à l’ouvrage de référence de Dominique Jameux, Pierre Boulez, ou aux différentes références données en bibliographie sélective.
Le second obstacle qui, d’une certaine façon, découle du premier, est que plus encore que pour tout autre créateur, on pourrait appliquer à Pierre Boulez musicien ce que Georges Braque disait du peintre en général : celui-ci « ne tâche pas de reconstituer une anecdote, mais de constituer un fait pictural ».
Là réside l’une des vérités de l’art, vérité que l’art moderne et contemporain a systématisée. Aussi pourrait-on dire en paraphrasant le peintre que le compositeur ne tâche pas de reconstituer une anecdote (ce que la musique est si souvent), mais de constituer un fait musical. D’où le malentendu, et parfois la brouille, entre les créateurs et leurs publics puisque là où les seconds attendent du bien connu, voire du convenu, les premiers se débattent dans leur tentative, toujours fragile, de créer de nouveaux langages.
Doit-on pour autant posséder nécessairement une connaissance intime de ces langages quand on n’est pas soi-même musicien et que l’on décide d’aller à la rencontre de l’un des plus grands compositeurs du siècle ?
Cela vaudrait certainement mieux, mais j’ai néanmoins tenté de relever le défi que l’on m’avait lancé. Les lecteurs jugeront du bien-fondé de l’entreprise. Je voudrais seulement ajouter que Pierre Boulez, dont les qualités de pédagogue ne sont plus à vanter, s’est prêté avec bonne grâce et grande patience à ce qui a dû lui sembler relever parfois peut-être de l’anecdote. Qu’il en soit ici infiniment remercié.
MICHEL ARCHIMBAUD