MICHEL ARCHIMBAUD – Pierre Boulez, où et quand êtes-vous né ?
PIERRE BOULEZ – Je suis né le 26 mars 1925, à Montbrison, dans le département de la Loire.
M. A. – Avez-vous des frères et sœurs ?
P. B. – J’ai une sœur aînée et un frère cadet.
M. A. – Quels sont vos liens avec eux ?
P. B. – Ma sœur aînée et moi avons été élevés ensemble parce qu’il y a peu de différence d’âge entre nous. En revanche, j’ai moins vu mon frère… Il avait onze ans de moins que moi et nous n’avons pas reçu la même éducation. Quand je suis parti de chez mes parents pour poursuivre mes études, mon frère avait quatre ans, et comme, à ce moment-là, c’était la guerre, les transports étaient difficiles et je ne retournais dans ma famille que pour les vacances.
M. A. – Quel métier exerçait votre père ?
P. B. – Il était ingénieur dans la métallurgie.
M. A. – Pourriez-vous décrire le milieu familial dans lequel vous avez évolué ?
P. B. – C’était un milieu tout à fait traditionnel, celui d’une petite ville de province de sept mille habitants où la vie culturelle était pratiquement inexistante : il y avait quelques représentations théâtrales de temps à autre avec des pièces classiques, mais aucun concert. J’ai dû voir quelques Molière… À l’époque, il n’y avait pas de maisons de la culture ou de théâtres municipaux. La maison de la culture de Saint-Étienne, la grande ville la plus proche de Montbrison, n’a été créée qu’après la guerre.
M. A. – Comment en êtes-vous venu à la musique ?
P. B. – Tout naturellement… On avait mis ma sœur aînée au piano et j’ai voulu en faire autant le moment venu.
M. A. – Vous souvenez-vous avoir eu des impressions visuelles et sonores marquantes ?
P. B. – L’apprentissage du piano en a été une. J’ai aussi été élevé dans un collège religieux. Il y avait une chorale dans laquelle j’ai commencé à chanter à l’âge de neuf ans. Cela m’a beaucoup apporté, a contribué à mon éducation musicale et fait partie des choses que je regrette le moins.
M. A. – À quel âge avez-vous commencé le piano ?
P. B. – J’ai commencé le piano à Montbrison vers l’âge de six ans, puis je suis allé prendre des cours avec le professeur le plus qualifié de Saint-Étienne. Pendant mes études supérieures, comme je n’avais plus trop le temps de travailler la musique, j’ai continué à me cultiver musicalement de mon côté. Il existait aussi à l’époque des groupes de musiciens amateurs qui faisaient de la musique de chambre. Je me suis joint au piano à l’un de ces groupes et c’est ainsi que j’ai découvert tout le répertoire classique de musique de chambre : Haydn, Schubert, Beethoven, et même César Franck et Fauré…
M. A. – Vous avez quitté le cocon familial à quinze ans. Quelle a été votre formation secondaire et universitaire ?
P. B. – J’ai eu les deux baccalauréats : le premier baccalauréat latin-grec, puis le deuxième bac, de mathématiques élémentaires, « maths éléms » comme on disait. J’ai terminé en 1941, à seize ans. Ensuite, alors que j’aurais préféré faire des études de musique, je suis parti à Lyon pour commencer des études supérieures de mathématiques parce que mon père le désirait… Mais j’ai déclaré forfait au bout d’un an et je me suis dirigé vers la musique.
M. A. – Quand avez-vous compris que vous alliez consacrer votre vie à la musique ?
P. B. – J’ai pris cette décision à dix-sept ans, comme il peut arriver que certains adolescents prennent des décisions à cet âge-là. Les choses sont allées très vite et à vingt-et-un ans, j’avais fini mes études musicales. C’est pourquoi j’ai toujours gardé cette idée que les rapports pédagogiques ne doivent pas s’éterniser.
M. A. – Qu’entendez-vous par « finir vos études musicales » ?
P. B. – Être entré puis sorti du Conservatoire de Paris… Et, à dire vrai, en être sorti était peut-être plus important pour moi que d’y avoir été. De fait, si j’excepte la classe d’Olivier Messiaen, ces études m’ont, dans leur ensemble, paru inutiles.
M. A. – Vous considérez-vous comme un autodidacte, comme certains le prétendent ?
P. B. – Non, la première marche, c’est l’enseignement qui me l’a fait gravir et c’est seulement après que je suis devenu autodidacte. Si l’on ne déduit pas une méthode d’investigation personnelle de ce que l’on nous a appris, on reste toujours dans la dépendance des autres. Ce qu’il faut acquérir avant tout, c’est l’autonomie. Pour moi, être autodidacte, c’est être autonome. On est autodidacte par volonté de l’être et pas seulement parce qu’on n’a pas eu la chance de rencontrer quelqu’un pour vous apprendre les choses et que l’on a été obligé d’apprendre par soi-même.
Messiaen m’a indiqué très précisément la façon de réagir par rapport à une partition. Ensuite, il m’a fallu me « faire moi-même ». Après quelques mois, je ne suis plus retourné aux cours de Messiaen parce que j’ai estimé que je n’en avais plus besoin et qu’il me fallait apprendre par moi-même, c’est-à-dire prendre une partition et regarder ce qu’il y avait dedans, afin de faire quelque chose d’autre, quelque chose qui serait la marque de mon autonomie.
Être autodidacte ce n’est pas seulement se fier à son instinct ou refuser l’éducation, c’est aussi percevoir l’éducation comme sienne, ce qui est tout à fait différent. Tout le monde est autodidacte – je ne le prends pas dans le mauvais sens – mais il faut pousser l’autodidactisme jusqu’à s’enseigner complètement les choses. C’est une recherche de soi. C’est vraiment « s’enseigner soi-même », selon le sens étymologique.
M. A. – Avant d’entrer au Conservatoire, quelles étaient vos connaissances musicales ?
P. B. – J’ai découvert le répertoire classique et romantique à Lyon. Jusqu’alors, à part les quelques rares concerts entendus à la radio durant mon adolescence, je ne connaissais pas cette musique. À cette époque, avec la division de la France en deux zones, Lyon était, en quelque sorte, la seconde capitale du pays et l’activité musicale y était remarquable : c’est à Lyon que j’ai entendu pour la première fois les Valses nobles et sentimentales de Maurice Ravel et ses deux Concertos pour piano. De grands solistes s’y produisaient et c’est ainsi que j’ai eu l’occasion d’entendre Alfred Cortot dans un concerto de Camille Saint-Saëns. Mais il n’y avait pas que des concerts, il y avait aussi l’opéra. André Cluytens, personnalité de premier plan et grand chef d’orchestre, avait été nommé directeur de la musique à l’Opéra et c’est là que j’ai assisté à mes premières représentations avec Les Maîtres chanteurs de Nuremberg de Richard Wagner, et Boris Godounov de Modest Moussorgski. Boris fut l’un des premiers opéras que j’ai vus. Ce fut une vraie expérience, visuelle et auditive. Je ne saurais dire aujourd’hui si cela était d’un haut niveau parce que, comme je découvrais tout au fur et à mesure de ce que j’entendais, je n’avais pas de point de comparaison, mais j’en ai conservé un grand souvenir. C’est une époque où je me suis imprégné de musique.
Pour ce qui est de la musique moderne, Arthur Honegger en était alors le musicien phare en France et l’écoute de son œuvre m’a aussi grandement stimulé. La musique moderne m’attirait déjà énormément et j’étais comme aimanté par elle. Je me souviens très bien avoir entendu un jour à la radio en direct le Chant du rossignol d’Igor Stravinski avec Ernest Ansermet à la baguette. Un passage m’avait alors énormément surpris – je crois que j’en avais été à la fois choqué et fasciné –, c’est le moment où le violon solo est accompagné par deux clarinettes. Quand je dirige cette œuvre aujourd’hui, je me remémore encore le choc que cela fut pour moi d’entendre ce passage. Aujourd’hui, ce n’est plus un choc, mais cela a conservé une saveur très particulière.
M. A. – À Paris, vous assistiez à de nombreux concerts…
P. B. – Dans la mesure de mes moyens financiers, qui n’étaient pas importants… C’est d’ailleurs quelque chose qui m’est resté comme une sorte d’injustice. Quand vous acquérez une certaine notoriété, tout le monde vous adresse des places pour les spectacles, et vous ne pouvez même pas aller partout, tant les propositions sont nombreuses. Aujourd’hui, il y a les réductions pour étudiants mais, à l’époque, c’était beaucoup plus limité. J’ai assisté à des spectacles, mais pas autant que je l’aurais voulu…
M. A. – Peut-être aussi que les circonstances n’étaient pas vraiment favorables ? Paris, en 1943…
P. B. – Non, détrompez-vous. Quand je parle aux gens de votre génération, je suis toujours surpris de les voir s’étonner qu’il ait pu y avoir une vie culturelle sous l’Occupation. Il y avait non seulement une vie culturelle, mais elle était très active : beaucoup de gens, n’ayant pas grand-chose d’autre à faire, se rabattaient sur la vie culturelle et notamment les concerts. Je me souviens très bien d’un concert donné salle Gaveau par le pianiste Jean Doyen, quelques jours seulement avant la Libération de Paris, en août 1944.
Il flottait un parfum bien particulier dans la capitale… On se demandait ce qu’il allait arriver et si cela n’allait pas arriver d’une heure à l’autre. C’était un après-midi, je m’en souviens très bien parce qu’on jouait à la lumière naturelle, et la salle Gaveau était pleine. Et ce n’est pas un cas d’espèce.
Je me souviens aussi des cours de Messiaen, rue Visconti. C’était privé bien sûr, mais là aussi, on s’y pressait. Les gens venaient comme ils le pouvaient, à pied, à bicyclette… Ils se retrouvaient là parce qu’ils avaient le désir d’entendre, de voir et d’assister à des manifestations qui compensaient, d’une certaine façon, les difficultés de la vie quotidienne de l’époque. Après la guerre, quand la vie est redevenue plus facile, cette ferveur est retombée. Les gens ont pu commencer à consommer et le culturel est repassé au second plan. C’est exactement ce qui a eu lieu dans les pays de l’Est. Les gens ne voulaient plus aller au théâtre, ils voulaient un frigidaire ou une voiture plus performante. Quand l’Est s’est ouvert à l’Ouest, j’ai eu l’impression de retrouver la situation de 1945-1946 en France.
M. A. – Vous entrez au Conservatoire de Paris en 1943…
P. B. – Je suis entré dans la classe préparatoire d’harmonie de Georges Dandelot et on ne peut pas dire que ses cours m’aient laissé un grand souvenir. Pendant cette première année à Paris, j’ai continué à découvrir la musique grâce aux Concerts du Conservatoire où j’ai pu entendre Charles Munch diriger. C’est là que j’ai entendu pour la première fois une œuvre d’Olivier Messiaen, Thème et Variations pour violon. Même si, aujourd’hui, elle me fait beaucoup plus penser à du César Franck qu’à du Messiaen, on y trouvait quand même une grande originalité, notamment de langage modal. J’avais déjà entendu parler de Messiaen car il avait une réputation sulfureuse. Cela peut paraître surprenant, mais en 1944, Messiaen n’était pas encore la sommité qu’il est devenu par la suite. À l’époque, il n’était pas professeur de composition mais professeur d’harmonie. D’ailleurs, sur mon initiative, on avait écrit une lettre au Conservatoire pour le faire nommer à la tête de la classe de composition, mais on ne lui a pas donnée la place, craignant qu’il n’influence trop ses élèves. Il n’a été nommé professeur d’analyse, puis enfin professeur de composition que plus tard. Mon année préparatoire terminée, j’ai souhaité rejoindre sa classe et j’ai demandé à le rencontrer. C’est de cette époque que date un courrier – qui doit se trouver aujourd’hui à la Fondation Sacher, où ont été regroupées mes archives – où Messiaen m’invitait à venir entendre les Visions de l’Amen dans un salon de la rue Visconti, chez son ami égyptologue Guy-Bernard Delapierre, avec Yvonne Loriod au piano. Comme il fallait passer un examen pour entrer dans sa classe, il m’a pris comme élève particulier pour m’y préparer en me donnant quelques leçons, puis j’ai rejoint sa classe pour en sortir, un an après, avec le prix.
M. A. – Pourriez-vous nous en dire plus sur les cours de Messiaen au Conservatoire ?
P. B. – J’ai suivi les cours d’harmonie qu’il donnait au Conservatoire et aussi les classes d’analyse et de composition qu’il donnait à ses meilleurs élèves en dehors du Conservatoire. C’est grâce à ses cours que je me suis tourné vers la composition. Il faut dire qu’à l’époque, en matière de composition, c’était le désert complet…
M. A. – Au Conservatoire, la composition a donc primé sur le piano… Mais n’avez-vous pas eu de regrets de ne pas avoir accompli une carrière de pianiste ?
P. B. – Je me suis assez vite rendu compte que je n’avais pas commencé le piano suffisamment tôt. Démarrer réellement le piano à dix-sept ans, c’est trop tard si vous voulez devenir professionnel et je n’ai donc pas insisté. C’est au même moment que j’ai découvert que c’était la composition qui m’intéressait vraiment. J’ai donc arrêté de persévérer dans l’étude du piano car je n’avais pas d’autres prétentions que de savoir en jouer…
J’ai toujours été attiré par la composition et j’ai toujours pensé que le métier de compositeur était plus intéressant. Connaître l’instrument, oui, mais faire une carrière, c’était de toute façon trop tard quand je suis arrivé au Conservatoire. J’avais peut-être encore alors quelques regrets mais, une fois entré dans la classe de composition d’Olivier Messiaen, ce fut une page définitivement tournée…
M. A. – Au Conservatoire, n’y avait-il que Messiaen ?
P. B. – À part Messiaen, il y eut un autre professeur avec qui j’ai beaucoup aimé travailler le contrepoint, c’est Andrée Vaurabourg, la femme de Honegger. J’ai conservé un excellent souvenir de son enseignement, ce qui ne fut pas le cas des autres classes de contrepoint. Ce n’était pas auprès des Tony Aubin ou des Henri Busser que l’on pouvait espérer apprendre quelque chose. On en était encore au XIXe siècle, et encore, pas le bon, mais le mauvais XIXe siècle !
C’est Messiaen qui m’a certainement donné le coup de pouce qui me manquait. Je me demandais comment j’allais résoudre les problèmes qui se posaient à moi, comment j’allais m’en sortir et c’est avec lui que le déclic s’est produit. Au fur et à mesure que j’avançais, je me suis rendu compte qu’il ne valait pas la peine que je travaille avec quelqu’un d’autre que lui. Mes quelques contacts avec René Leibowitz n’avaient eu pour conséquence que de me persuader de quitter le Conservatoire. J’y ai fait encore un an en contrepoint et fugue, puis j’ai rejoint Messiaen en dehors de l’institution. Pour les classes de composition, je n’y suis même pas allé dans la mesure où elles étaient tenues par des gens qui ne m’intéressaient pas.
M. A. – Pourquoi l’enseignement de Leibowitz ne vous convenait-il pas ?
P. B. – Je le trouvais stérile. Ce n’était pas de l’académisme traditionnel, mais, au fond, cela ne valait guère mieux… Faire de l’analyse en alignant les douze sons sans se soucier du contenu stylistique était complètement absurde. Ce n’était rien de plus que de l’arithmétique. Ses analyses des Variations pour orchestre, op. 31 d’Arnold Schoenberg ou de la Symphonie, op. 21 d’Anton Webern ne présentaient aucun intérêt pour moi. On avait le sentiment de relever des compteurs à gaz. C’était épouvantable !
M. A. – Mais l’originalité de Leibowitz ne résidait-elle pas dans le courage qu’il avait eu de faire travailler des œuvres encore peu connues à l’époque ?
P. B. – Leibowitz nous a mal fait connaître le dodécaphonisme. Je crois que, pour lui, cet enseignement était surtout un marchepied et rien de plus. Il s’était trouvé dans l’orbite de l’École de Vienne et en avait fait, en quelque sorte, son « fonds de commerce ». Savez-vous d’ailleurs qu’on a contesté le fait qu’il ait été l’élève de Schoenberg comme il le prétendait ? Schoenberg avait quitté Vienne très tôt pour enseigner à Berlin, puis il avait émigré aux États-Unis ensuite. Certains se sont même demandé quels avaient été les liens réels d’enseignement entre Schoenberg et Leibowitz… Leibowitz se contentait de déifier la trinité viennoise et enfermait ces œuvres dans une sorte de carcan arithmétique, niant, en définitive, leur inventivité. Ce qui me gênait aussi, c’était son manque d’imagination. Je me suis également rebellé contre ce que j’appelais le « retard stylistique » de Messiaen, mais Messiaen avait de l’imagination, et surtout un vrai point de vue…
M. A. – En quoi l’enseignement d’Olivier Messiaen était-il différent ?
P. B. – Tout l’intérêt de son enseignement résidait dans sa conception historicisante de la musique. Messiaen ne faisait pas de devoirs dans l’abstrait mais toujours en fonction d’une certaine stylistique. Cette approche n’existait pas dans la classe de contrepoint et fugue du Conservatoire. Je trouvais totalement inintéressant de réaliser des exercices académiques complètement détachés des œuvres et j’ai fini par être renvoyé de la classe de fugue. J’ai écrit une lettre assez insolente au directeur du Conservatoire où je lui disais qu’il ferait mieux de s’occuper de la qualité de l’enseignement plutôt que de l’absence des élèves. Le contenu de l’enseignement importe plus qu’un cahier d’absences et un directeur n’a pas à se demander qui est absent, mais pourquoi des élèves s’absentent…
M. A. – Quelles œuvres Messiaen analysait-il ?
P. B. – En classe d’harmonie, il jouait et analysait ce qu’il y a d’essentiel pour l’harmonie : Bach, Mozart, dans une moindre mesure Beethoven, Schubert – Schumann plus que Schubert, d’ailleurs – Debussy et Ravel, qu’il nous a fait travailler en fin d’année. Nous avons aussi travaillé Wagner. Messiaen était très attiré par Debussy, Ravel, Stravinski et Bartók…
M. A. – Messiaen a-t-il analysé Pelléas et Mélisande de Claude Debussy ?
P. B. – Oui partiellement, à la fin de la classe d’harmonie. À cette époque, il y avait quatre semaines libres où l’on continuait à travailler après l’examen, mais sans l’inquiétude de l’examen, et cela a été très positif pour moi. Je me souviens que Messiaen a analysé Pelléas et les Études pour piano, op. 18 de Bartók. Je crois que Pelléas était une œuvre qui lui tenait à cœur, c’était l’œuvre clef de son univers. Ses analyses ont eu une grande influence sur moi. C’était plus difficile, mais en même temps plus formateur, parce que le vocabulaire musical moderne m’était plus proche et qu’il m’était plus facile d’en déduire quelque chose qu’avec un vocabulaire plus ancien.
M. A. – Et Boris Godounov ?
P. B. – Non. Comme je vous l’ai dit, Boris a été l’un des premiers opéras que j’ai vus et j’en ai gardé une impression très forte. Je crois avoir compris avec cette œuvre ce que pouvait être l’opéra. C’est la même chose avec Les Maîtres chanteurs. Je garde une vision très précise de la représentation de ces opéras à Lyon, mais je ne les ai pas analysés lors de cours donnés ou reçus.
M. A. – Et Pelléas est-il également important pour vous ?
P. B. – Oui, mais je tiens aussi bien à Wagner qu’à Debussy. Je tiens aussi à Moussorgski, mais Moussorgski, c’est une œuvre tandis que Wagner, c’est un monument. Je trouve que Moussorgski est un talent extrêmement original qui a chuté et pas seulement en raison de l’alcool… Je pense que l’alcool devait être une compensation parce qu’il n’arrivait pas à développer son écriture. Il est allé très loin et il aurait pu aller plus loin encore. Dans Boris, il y a des chansons très bien placées mais qui restent des numéros. La grande force de Wagner a été d’inventer la continuité dans l’opéra et c’est une grande innovation. Bien que j’aime beaucoup Berlioz et Moussorgski, c’est pour cette raison que je reconnais en Wagner un innovateur infiniment plus puissant. Il a poussé les choses à l’extrême de leurs conséquences…
M. A. – Et l’École de Vienne ?
P. B. – Messiaen n’était pas très attiré par l’École de Vienne qu’il connaissait mal. Mais nous avons quand même travaillé le Pierrot lunaire de Schoenberg et la Suite lyrique d’Alban Berg. Je ne lui fais pas grief d’avoir ignoré l’École de Vienne dans la mesure où elle n’était pratiquement jamais jouée en France. Il y avait, depuis longtemps, une réelle aversion, pour ne pas dire une hostilité considérable vis-à-vis de la culture germanique. Cette réaction négative, dans le domaine de la musique, datait déjà d’avant-guerre. Nombre de musiciens ne comprenaient pas cette musique, de la même façon que leurs aînés n’avaient pas compris Wagner et avaient fait de l’anti-wagnérisme primaire. Tout ceci est peut-être aussi à mettre au compte du long et sanglant conflit franco-allemand qui a duré plus de soixante-dix ans. Nous représentions la clarté française, contre l’obscurantisme germanique. Le même genre d’âneries qui nous ont empêchés pendant trois générations de regarder ce qui se passait ailleurs que chez nous. Il ne faut pas oublier non plus le label infamant d’« art dégénéré » dont les nazis avaient affublé certaines expressions artistiques, parmi lesquelles les travaux de l’École de Vienne. La culture germanique n’a donc pas eu besoin des nazis pour être rejetée dans notre pays : elle l’avait été dès le début des années 1920. Les essais qu’avaient tentés quelques précurseurs pour la faire connaître furent des échecs.
On peut avoir de bonnes raisons de rejeter Schoenberg ou Stravinski, on peut aussi s’opposer à un musicien de peur d’être phagocyté par lui – comme Debussy, par exemple, avait pu le faire avec Wagner – mais il est absurde de s’opposer juste pour s’opposer parce qu’on n’a rien d’autre d’intéressant à proposer. En général, les réactions épidermiques n’ont aucun intérêt.
Il faut dire aussi que la question matérielle de l’exécution de cette musique s’est également posée parce que ses premiers interprètes n’étaient pas très qualifiés et manquaient de professionnalisme. Ils lui faisaient parfois plus de tort en la jouant que si elle n’était restée qu’à l’état de partition. J’ai assisté à certaines exécutions de Leibowitz ou de Max Deutsch qui étaient épouvantables parce qu’ils ne savaient pas diriger. À l’époque, « au royaume des aveugles, les borgnes étaient rois ». C’est aussi la raison pour laquelle je me suis promis de ne donner de concerts que le jour où j’aurais le niveau musical pour le faire. D’où ma démarche au début du Domaine musical de m’adresser à des gens comme Scherchen ou Rosbaud qui étaient de grands professionnels.
M. A. – Est-ce que Désormière aurait eu, d’après vous, ce niveau de professionnalisme ?
P. B. – Probablement… Mais autant Désormière était à l’aise dans le Pelléas de Debussy, ou dans certains Stravinski, comme celui des Noces ou du Sacre du printemps, autant il l’était beaucoup moins dans le Kammerkonzert de Berg. Peut-être qu’à la longue il y serait parvenu, étant un grand professionnel… Mais, au premier contact, cette musique était trop loin de sa sensibilité de départ.
M. A. – Quelles œuvres Messiaen a-t-il analysées dans ses cours en dehors du Conservatoire ?
P. B. – Je me souviens très bien de son analyse de Ma mère l’Oye de Ravel lors de ses premières classes de composition et d’analyse en dehors du Conservatoire. D’ailleurs, à chaque fois que j’ai dirigé cette œuvre – ce qui m’est arrivé assez souvent –, je repense toujours à mon premier contact avec cet opus de Ravel où j’ai vraiment compris comment on pouvait analyser une œuvre. C’était d’abord la source poétique : Messiaen se reportait au texte qui avait donné son inspiration au musicien, les Contes de ma mère l’Oye de Charles Perrault. Il analysait ensuite le contenu purement musical, puis l’orchestration. Je me rappelle aussi d’une analyse de Petrouchka de Stravinski. Il avait analysé l’aspect rythmique, l’orchestration, et ainsi de suite. Il passait tout en revue… C’est à son contact que j’ai compris ce qu’était l’analyse et combien cela pouvait servir. Nous menions une vraie investigation sur une œuvre, c’était un véritable travail de fond. Et l’analyse, c’est précisément cela : décortiquer, non pas en atomisant tous les éléments de façon stérile, mais en les mettant en perspective. Bien sûr, je ne sais pas ce que j’en penserais aujourd’hui si je pouvais me retrouver en ces années-là, mais à l’époque, ce fut essentiel pour moi.
M. A. – Quelles furent les musiques qui vous ont le plus influencées alors ?
P. B. – Certains opéras de Mozart, particulièrement Don Giovanni, mais aussi les derniers quatuors et sonates de Beethoven et sa Neuvième Symphonie. Sinon, j’ai fini par laisser progressivement de côté Brahms et Moussorgski. Pour Wagner, comme on ne montait que Les Maîtres chanteurs et Tristan – qui était alors très populaire – et pas les autres opéras, je n’ai jamais eu l’occasion de voir le Ring pendant mes années de formation. Je peux aussi citer Debussy, dont j’ai fini par connaître très rapidement tous les opus pour piano – y compris les Études – et aussi ses œuvres d’orchestre –, qui sont très peu nombreuses – comme le Prélude à l’après-midi d’un faune, les Nocturnes, La Mer et Jeux. En revanche, je n’avais jamais entendu Pelléas. Pelléas que Messiaen avait analysé si souvent et qui l’a tant influencé… Bartók m’a aussi vivement intéressé avec sa Musique pour cordes, ses quatuors, sa Sonate pour deux pianos et percussions et ses Premier et Deuxième concerto pour piano. Il y eut encore les grands opus de Stravinski, en particulier les quatre ballets : L’Oiseau de feu, Petrouchka, Le Sacre du printemps et Les Noces, et aussi, mais à un degré moindre, la Symphonie de psaumes. Pour l’École de Vienne, je ne l’ai pas connue dans sa totalité car les partitions n’avaient pas encore été réimprimées en 1944, et on avait donc beaucoup de mal à se les procurer. Je me souviens ainsi d’avoir copié des partitions de Webern que l’on ne trouvait plus.
Par la suite, j’ai été très intéressé par des œuvres comme Die Altenberg Lieder de Berg, mais ce fut plus tard, parce que les réductions pour piano ne furent disponibles qu’en 1952-1953, et la partition d’orchestre seulement au début des années 1960… Je n’ai connu les partitions d’orchestre des concertos pour piano de Bartók qu’en arrivant en Allemagne à la fin des années 1950. Auparavant, on ne pouvait avoir que des réductions pour deux pianos.
M. A. – Quelles étaient les raisons de ce manque de partitions ?
P. B. – Une Europe ravagée par la guerre et tous les problèmes que l’on a connus à la Libération, notamment en ce qui concerne le papier. Comme ces partitions avaient été imprimées avant-guerre, on ne pouvait plus les obtenir en 1944-1945 parce qu’elles étaient épuisées. J’ai eu la chance plus tard de trouver une partition du Sacre du printemps qui n’avait pas été rééditée dans une édition russe datant de 1925 ou 1927. Au Conservatoire, on avait des réductions pour piano à quatre mains. De plus, les 33 tours, ce que l’on a appelé les disques longue durée, n’ont été disponibles que vers la fin des années 1940. Avant, c’était vraiment la préhistoire. J’avais entendu chez un camarade du Conservatoire un vieil enregistrement du Sacre du printemps par Pierre Monteux qui s’arrêtait toutes les trois minutes et demie… On n’a pas idée de la difficulté qu’il y avait à se procurer des partitions ou des documents sonores. Cela peut paraître surprenant aujourd’hui où l’on peut tout obtenir si facilement. On a l’impression de parler de temps héroïques, alors qu’il y a à peine cinquante ans de cela.
M. A. – Aujourd’hui, si vous vous trouviez dans la situation de Messiaen enseignant, procéderiez-vous de la même façon ?
P. B. – Plus tard, quand j’ai moi-même enseigné à Bâle de 1961 à 1963, je n’ai pas suivi la méthode de Messiaen. Je faisais travailler deux œuvres ou deux séries d’œuvres par an, une par semestre. Il s’agissait à chaque fois de se concentrer sur une œuvre. Nous avions, par exemple, consacré tout un semestre à Wozzeck de Berg et l’autre semestre aux Études pour piano de Debussy. Ce qui importe finalement, c’est d’apprendre à considérer la structure générale d’une œuvre. Cela ne consiste pas seulement à considérer son développement et comment une idée est développée, mais comment, à partir d’une idée, on engendre quelque chose. Cela recoupe cette notion – qui m’est très chère – de « prolifération ». Je donnais à mes étudiants de composition un texte à analyser, par exemple une pièce du Pierrot lunaire de Schoenberg. Puis, quand je les revoyais la fois suivante, un élève faisait la classe pendant quelques minutes. L’idée était d’autoriser la critique, mais de sorte que celle-ci ne fût pas stérile. Si quelqu’un critiquait une œuvre, il lui fallait étayer sa critique, être actif et ne pas se contenter de critiquer passivement. Il ne suffisait pas de dire que les choses auraient pu être faites autrement, il fallait proposer autre chose. C’est une forme de pédagogie active : si vous critiquez, proposez autre chose.
M. A. – Quelle influence la musique de Messiaen a-t-elle eu sur vous ?
P. B. – Cela va peut-être vous surprendre, mais j’aime beaucoup le Messiaen du début. J’ai beaucoup joué les Poèmes pour Mi. La personnalité de Messiaen s’est révélée dès 1944 avec les Vingt Regards sur l’Enfant Jésus. Je n’ai découvert sa période d’avant-guerre qu’après avoir été son élève. Celle-ci m’a beaucoup intéressé, ainsi que ses œuvres des années 1950-1960 : une grande recherche, avec le Livre d’orgue, Chronochromie, etc. Sa spéculation sur le temps, sa réflexion sur le temps musical, sur les modes – les « modes » au sens littéral du terme, c’est-à-dire les « modes d’intervalle » –, sa curiosité vis-à-vis des cultures non occidentales comme la culture indienne et balinaise, son intérêt pour le grégorien… Tout cela a constitué les jalons très importants de ma propre formation.
À propos du grégorien, il était horrifié par les réformes du concile de Vatican II. Je partageais tout à fait son point de vue : le chant grégorien est une merveille, alors que les cantiques que les catholiques se sont mis à entonner après Vatican II sont catastrophiques.
La musique d’orgue de Messiaen pose problème puisqu’elle ne fait partie ni de la liturgie, ni du concert. Elle est entre deux chaises… C’est une étrange survivance. Ses Pièces pour orgue sont plus ou moins indépendantes de la liturgie et ne se jouent ni dans les églises, ni dans les salles de concert. L’acoustique d’une salle de concert se prête mal à l’exécution de ces œuvres et c’est toute la littérature d’orgue – y compris celle du XIXe siècle – qui s’en trouve bannie. Quant à la littérature d’orgue baroque, elle se joue dans les églises, et c’est à l’église d’être à la fois une salle de concert et une église. La plupart du temps, les manifestations proprement musicales se déroulent en dehors des offices et de tout emploi proprement religieux, ce qui est le cas pour Messiaen comme pour l’ensemble du répertoire.
M. A. – Aimez-vous la sonorité de l’orgue ?
P. B. – C’est un instrument qui a une sonorité trop statique. J’aime son timbre, le fait que l’on puisse tenir une note pendant le temps qu’on veut et le sentiment d’éternité qu’on en retire mais je n’aime pas sa puissance. Je me souviens d’avoir entendu Pierre Cochereau à pleins tubes sur l’orgue de Notre-Dame, c’était terrible… Le timbre m’intéresse, mais la statique – c’est-à-dire la dynamique par plan – n’a qu’un intérêt tout à fait limité pour moi.
M. A. – Il y avait aussi tout un groupe de jeunes musiciens autour de Messiaen à cette époque. Qui étaient-ils ?
P. B. – Serge Nigg, Jean-Louis Martinet, Yvette Grimaud et Yvonne Loriod.
M. A. – Quels étaient vos liens avec ce groupe ?
P. B. – Nous étions tous élèves de Messiaen mais je ne me suis jamais senti très proche d’eux. Finalement, je m’en suis détaché très vite et en 1947, je m’étais déjà éloigné sans qu’il y ait eu de rupture. À l’époque, ce qui m’a séparé de Jean-Louis Martinet et de Serge Nigg, ce fut le réalisme socialiste. Là, je n’ai pas du tout marché. Les thèses d’Andreï Jdanov, le ministre de la Culture de Staline après-guerre, et ses oukases sur la musique m’ont guéri à tout jamais du communisme. C’était absurde. Les nazis avaient déjà fait la même chose : eux aussi avaient légiféré sur ce qu’il fallait faire et ne pas faire en matière d’art.
Un jour, j’ai eu une conversation avec Michel Foucault sur ce sujet. Il m’avait interrogé sur mes engagements politiques et je lui avais répondu que mon engagement s’était abruptement terminé en 1947-1948, au moment où Jdanov avait promulgué ses règles sur l’art en général et sur la musique en particulier. La politique culturelle d’un gouvernement ou d’un parti est ce qu’il y a de plus important pour moi : une politique acceptable ou inacceptable se juge aux choix et à la politique culturelle qu’un parti ou qu’un gouvernement engage et conduit.
Ce n’est pas pour autant que j’ai adhéré à un autre parti, mais en tout cas, j’ai su que je ne pouvais pas adhérer à une telle idéologie. Ce fut une époque redoutable.
En peinture, c’était pareil : André Fougeron ou Louis Aragon étaient insupportables d’histrionisme et légiféraient en permanence sur la peinture acceptable et celle qui ne l’était pas. Aragon était toujours aux ordres des dernières malhonnêtetés du parti. Un jour, vous le trouviez faisant l’éloge de Tito, puis peu après, le même Tito était devenu la lie de l’humanité. Aragon n’était pas le seul, il y en avait beaucoup d’autres dans son genre, un homme politique comme Jean Kanapa, par exemple… Je n’aurais jamais pu avoir affaire avec de pareils truqueurs. Je crois que c’est ce qui s’est passé pour quelqu’un comme le compositeur Serge Nigg. Je ne sais pas s’il était de bonne foi ou non dans son engagement, mais ce que je sais, c’est que cela a eu, à mon avis, des conséquences catastrophiques sur sa création. On ne peut pas affirmer un jour que Schoenberg est le grand phare de la musique moderne, pour déclarer le lendemain que le cosmopolitisme du même Schoenberg est absolument inacceptable. On finit par se trahir soi-même…
M. A. – On sait que vous avez fait partie du Manifeste des 121 dans les années 1960… Que représente pour vous l’engagement politique ?
P. B. – S’il s’agit de signer des manifestes, il ne faut le faire que dans des circonstances exceptionnelles, sinon on prend le risque de démonétiser sa démarche. Toute démarche doit s’appuyer sur un raisonnement politique solide qui permette de faire réfléchir autrui.
M. A. – Le créateur a-t-il besoin d’être engagé ?
P. B. – Je ne pense pas qu’un intellectuel ait plus de perspicacité que quiconque du point de vue politique… Hélas, la morale n’a rien à voir avec le talent ou le génie. L’antisémitisme de Wagner est absolument rédhibitoire, mais cela n’empêche pas Parsifal d’être une très grande œuvre. L’attitude de Céline a été répugnante mais, quand il écrivait, c’était tout simplement un génie du langage. On pourrait évidemment souhaiter que l’homme et le créateur soient de la même stature qu’un René Char, mais le talent et le génie n’ont rien à voir avec la moralité. Il y a des gens qui ont du courage civique mais pas de talent, et des gens qui ont du talent mais pas de courage civique. On a trop souvent tendance à confondre les deux. L’exemple de Jean-Paul Sartre en est une parfaite illustration : ce fut un immense écrivain, d’une grande générosité, mais que de sottises il a pu dire, écrire et faire dans sa vie et dans ses engagements. Un grand nombre de gens n’avaient pas eu le courage de dénoncer le Goulag parce que le communisme était un idéal généreux…
M. A. – Quand vous avez commencé à composer, vous êtes-vous senti isolé de vos contemporains ?
P. B. – Aucun de mes condisciples du Conservatoire n’a duré. On écrit en fonction de ce que l’on perçoit, mais quand on ne perçoit rien, cela pose vite des problèmes.
M. A. – Qu’avez-vous fait après le Conservatoire ?
P. B. – Je suis entré presque aussitôt chez Jean-Louis Barrault en septembre 1946, grâce à Honegger qui avait écrit une musique de scène pour Hamlet, le premier spectacle indépendant de Barrault avec sa compagnie. Du fait de la partition, Honegger avait besoin d’une onde Martenot et comme je savais en jouer, Barrault m’a engagé sur la recommandation de Honegger. C’est comme cela que j’ai pu commencer à gagner ma vie.
M. A. – Juste avant d’entrer chez Barrault, n’y a-t-il pas eu, dans ces années-là, un épisode Folies-Bergère ?
P. B. – Oui, entre la sortie du Conservatoire et l’entrée chez Barrault. À l’époque, il y avait aux Folies-Bergère un chef d’orchestre qui écrivait les arrangements des spectacles. Comme il n’avait qu’un petit orchestre, il avait trouvé que les ondes Martenot représentaient une bonne solution puisque c’était une sorte d’ersatz d’orchestre. Mais je n’étais pas titulaire et je ne faisais que des remplacements, surtout les mois d’été. Cela m’a guéri du music-hall pour le restant de mes jours !
M. A. – Qu’est-ce qu’a représenté pour vous ce travail chez Barrault ?
P. B. – La troupe de Barrault était composée des meilleurs acteurs de l’époque : Pierre Brasseur, Edwige Feuillère, et des membres permanents comme Jean Desailly, Charles Granval… Le niveau était remarquable. Plusieurs raisons m’ont incité à travailler pour Barrault : le répertoire y était intéressant et le travail que j’avais à y faire ne me prenait pas trop de temps, ce qui me laissait du temps libre. Plus tard, j’ai aussi eu la possibilité de voyager quand la troupe partait en tournée. J’allais enfin pouvoir découvrir le monde, ce qu’il m’avait été impossible de faire jusque-là en raison de la guerre. Entre 1939 et 1945, j’étais adolescent. Le pays était complètement bouclé et il n’était pas question d’en sortir. Mon premier séjour à l’étranger date de 1947 avec les Barrault. Nous n’avons pas été bien loin : Belgique, Pays-Bas, Suisse et Luxembourg… Mais c’était déjà cela…
M. A. – À quel titre avez-vous été engagé par Barrault et quelles furent vos fonctions exactes ?
P. B. – Je devais m’occuper de la musique de scène. Les musiciens écrivaient une partition et j’adaptais la musique à ce que Barrault souhaitait : il fallait couper un passage trop long, supprimer un instrument trop fort… Avec ce genre de musique, c’est un peu comme un costume à faire retoucher.
M. A. – Qu’y avez-vous appris ?
P. B. – J’y ai appris le métier comme, par exemple, à faire la mesure sur un texte parlé. Plus tard, quand j’ai dirigé des opéras, c’était évidemment une activité plus complexe, mais je n’ai pas eu d’appréhension grâce à cette expérience initiale.
M. A. – J’imagine que vous avez pu créer aussi des liens importants avec des personnalités du monde des arts et des lettres ?
P. B. – Je n’étais qu’un modeste participant, mais j’ai rencontré, à cette occasion, quelques grands écrivains. J’ai gardé un fort souvenir de ma rencontre avec Paul Claudel, qui était alors dans son grand âge. Il intervenait dans la conception des mises en scène de ses œuvres et avait toujours une vue très précise de ce qu’il voulait. J’ai beaucoup observé les rapports qu’il entretenait avec Barrault… J’ai aussi rencontré André Gide lorsque Barrault a monté son adaptation du Procès de Kafka en 1947. J’ai vu aussi Jean Cocteau – qui ne m’a pas vraiment intéressé – et même Jean Genet, mais plus tard.
M. A. – Combien de temps avez-vous travaillé avec Jean-Louis Barrault ?
P. B. – Dix ans, de 1946 à 1956. Barrault a vite su que je ne ferais pas cela toute ma vie. Du reste, quand je me suis lancé dans l’aventure du Domaine musical, il a été extrêmement généreux avec moi puisque c’est lui qui a entièrement financé la première saison. À l’époque, Barrault avait un théâtre privé et il ne percevait donc pas de subventions. Il m’avait expliqué qu’il pourrait nous aider pendant un an et qu’après, nous devrions nous débrouiller autrement… Ce que nous avons pu faire grâce au mécénat de Suzanne Tézenas. C’est Barrault qui nous a donné le coup de pouce pour démarrer l’aventure du Domaine !
M. A. – Que fut pour vous l’expérience du Domaine musical ? Pouvez-vous en rappeler la genèse, le développement, puis le rayonnement ?
P. B. – Au départ, ce fut une convergence entre les projets de Barrault et les miens. Au tout début des années 1950, il y avait de nombreuses polémiques sur la musique de ma génération… On ne l’entendait jamais car il n’y avait pas de lieux pour cela et les institutions officielles d’alors étaient tout à fait étrangères à la création de leur temps. Cette situation m’énervait beaucoup et j’en parlais souvent avec mon ami Pierre Souvtchinsky, un extraordinaire musicologue, spécialiste de la musique russe, grand connaisseur de la musique moderne et contemporaine, et ami proche de Stravinski… Nous étions d’accord pour dire qu’il fallait remédier à cet état de choses et organiser des concerts de musique moderne et contemporaine. Roger Désormière se joignait régulièrement à nous dans ces conversations et partageant notre avis, il était tout désigné pour devenir le chef d’orchestre des concerts que je voulais mettre sur pied. Certes, il jouait du Francis Poulenc et du Henri Sauguet, la musique de sa jeunesse, mais il s’intéressait aussi à celle de ma génération. Malheureusement, une attaque le laissa paralysé au printemps 1952 et il ne put se joindre à notre projet. Peu après, c’est grâce à Souvtchinsky que je suis entré en relation avec Hermann Scherchen et c’est lui qui a dirigé le premier concert.
Dans le même temps, Barrault avait toujours eu cette envie de développer du théâtre expérimental en parallèle du répertoire classique. Il ne voulait pas le jouer dans des salles trop grandes qui eussent été vides, il voulait le jouer dans des salles plus petites qui auraient été pleines. À Marigny, il y avait une petite salle qui avait été dans le temps un ancien cabaret, le Perroquet, mais la présidence de la République ne voulant absolument pas d’une boîte de nuit à côté de sa « maison », il avait été finalement fermé dans les années 1920. C’est ainsi que Barrault eut l’idée de créer le Petit Théâtre Marigny dans cet ancien cabaret.
Il m’a parlé de ses projets pour ce nouveau théâtre quand nous revenions en bateau d’une tournée en Tunisie au printemps 1953 : il voulait commencer avec une pièce de Georges Schéhadé, le dramaturge franco-libanais. Quand je lui ai dit que je me verrais bien y organiser des concerts, il a été tout de suite d’accord et c’est ainsi que les choses ont commencé…
La première année, Barrault a assumé le déficit. Ce fut un geste remarquable de sa part, car n’ayant pas de subventions, ce furent les recettes de ses spectacles qui nous permirent de monter nos concerts. Cette année-là, nous donnâmes quatre concerts, mais la situation ne pouvait pas s’éterniser. C’est ainsi qu’avec Suzanne Tézenas et Pierre Souvtchinsky, entre autres, nous avons créé un comité de patronage. Les concerts ne s’appelleraient plus « les Concerts du Petit Marigny », mais « les Concerts du Domaine musical », car il s’agissait de les distinguer du théâtre lui-même. Nous avons débuté le 13 janvier 1954 et sommes restés au Petit Marigny jusqu’en 1956, date à laquelle Barrault a quitté le Marigny. De 1957 à 1959, nous nous sommes retrouvés à la salle Gaveau, seule salle alors disponible, pour deux, trois saisons, puis lorsque Barrault est arrivé à l’Odéon en 1959, nous l’y avons rejoint et notre collaboration a repris.
Les premières années furent les plus marquantes du Domaine… En raison aussi des saisons théâtrales de Barrault qui furent elles-mêmes remarquables. C’est dans ces années qu’il créa Rhinocéros d’Eugène Ionesco, Des journées dans les arbres de Marguerite Duras… Son répertoire attirait un certain public et une partie de celui-ci assistait aussi aux concerts car ils étaient, d’une certaine façon, le prolongement du répertoire de théâtre. Le quartier s’y prêtait également et on y contestait volontiers.
Je me souviens d’une œuvre de Mauricio Kagel qui avait soulevé la colère du public… Les gens manifestaient leur opinion, c’était très vivant. Je suis resté au Domaine jusqu’en 1967, l’année où il y a eu toute l’histoire avec Marcel Landowski, puis c’est Gilbert Amy qui a pris ma succession. Il est resté à l’Odéon encore un an et après mai 1968, il est passé au Théâtre de la Ville qui était dirigé par Jean Mercure.
M. A. – Vous souvenez-vous des œuvres qui ont été données ce 13 janvier 1954 ?
P. B. – Je me souviens parfaitement de ce premier programme. Il ne fut pas dirigé par moi mais par Hermann Scherchen. À l’époque, je n’avais pas vraiment d’expérience dans la direction d’orchestre et je ne me sentais pas prêt pour affronter pareille responsabilité. Ce fut un concert-fleuve : Scherchen avait tenu à jouer la presque totalité de l’Offrande musicale de Bach dans sa transcription pour orchestre, ce qui représentait déjà une cinquantaine de minutes de musique, à quoi s’ajoutait la partie contemporaine avec les Kontrapunkte de Karlheinz Stockhausen, Polifonica-Monodica-Ritmica de Luigi Nono et le Concerto, op. 24 de Webern. Et, pour le final, à la demande de Barrault qui voulait attirer les gens – ce qui était bien compréhensible vu les risques qu’il prenait – on donna en plus une version mimée de Renard de Stravinski. La scène était très petite, la salle aussi et les gens étaient les uns sur les autres, mais Barrault réussit à réaliser un vrai spectacle dans des lignes restreintes certes, mais un vrai spectacle. Scherchen dirigeait, et Barrault et trois autres acteurs mimaient l’intrigue de Renard. C’était très réussi, une sorte de divertissement final dans l’esprit du nô ou du kyôgen.
M. A. – Combien de concerts par an donnait le Domaine musical ?
P. B. – En général, nous donnions quatre concerts par an et jamais plus de six, simplement parce que nous n’avions pas les moyens d’en faire plus. Ces concerts étaient des concerts de musique de chambre de petite formation, le plus souvent non dirigés, parce que cela aurait coûté trop cher de faire venir un chef. Les seuls concerts un peu onéreux ont été montés grâce à la collaboration des radios allemandes, en particulier l’Orchestre symphonique de la radio du Südwestfunk de Baden-Baden (SWF), avec lequel j’étais très lié en raison de mon amitié avec Heinrich Strobel, directeur du département de la musique, et avec Hans Rosbaud, son chef d’orchestre. C’est ainsi qu’en octobre 1957, l’orchestre du Südwestfunk est venu à Paris pour un concert de Agon de Stravinski, avec Stravinski lui-même à la direction, et Hans Rosbaud dirigeant tout le reste du programme qui comportait les Cinq Pièces pour orchestre, op. 16 de Schoenberg, les Trois Pièces pour orchestre, op. 6 de Berg et les Six Pièces pour grand orchestre, op. 6 de Webern. Les pièces de Webern et de Berg étaient données pour la première fois en première audition, alors que Berg était mort depuis vingt-deux ans et Webern depuis douze ans ! Nous avions cinquante ans de retard ! Cela prouve seulement que la vie musicale française à l’époque était complètement bloquée et autarcique, sans aucune ouverture sur la culture germanique. En d’autres occasions, grâce à l’aide de l’Orchestre symphonique de la radio du Westdeutscher Rundfunk de Cologne (WDR), nous avons pu donner mon Visage nuptial, les Gruppen de Stockhausen, et le Il Canto Sospeso de Nono.
M. A. – Aujourd’hui, que vous inspire l’expérience du Domaine musical ?
P. B. – Sur le moment même, il était difficile de juger. Il y avait les concerts, les polémiques et on ne pouvait pas savoir quel rayonnement tout ceci avait. Avec le temps, je crois que le mérite principal du Domaine aura été de révéler ma génération et peut-être aussi un peu celle qui nous a suivis.
M. A. – À la fin des années 1950, quelles sont les raisons profondes qui vous ont conduit à quitter la France pour l’Allemagne, puis pour l’Angleterre et les États-Unis ? Vous êtes resté, je crois, dix-neuf ans à l’étranger ?
P. B. – Je n’ai pas pris la décision d’aller en Allemagne, en Angleterre ou aux États-Unis… J’ai travaillé dans des pays où l’on m’a offert la possibilité de travailler avec des conditions de travail qui coïncidaient avec ma vision des choses. Quand les gens m’engageaient, ils savaient pourquoi ils m’engageaient, il n’y avait pas de surprises et les choses étaient bien claires entre nous. Ce n’était pas dû au hasard. Les raisons de mon départ ont été multiples, mais je pense que la raison principale fut le constat de l’inexistence de la vie musicale contemporaine dans notre pays.
Les Allemands ayant été sevrés de culture moderne pendant le nazisme, l’après-guerre fut pour eux une période d’intense découverte culturelle. À cela s’ajoutaient le plan Marshall et les grands moyens financiers mis à la disposition des autorités allemandes pour remonter le pays. Il ne fallait pas refaire les mêmes erreurs qu’en 1918… En France, nous n’avons jamais eu pareille aide, en dépit des lourdes pertes matérielles subies pendant la guerre. En Allemagne, il y avait donc des conditions très favorables mises à la disposition d’un jeune compositeur comme moi.
Pour l’Amérique, c’est George Szell, le directeur musical de l’Orchestre de Cleveland qui, ayant eu connaissance de ce que je faisais à Amsterdam avec l’Orchestre du Concertgebouw, m’a invité à Cleveland en 1969. De Cleveland, je suis passé à Boston, Chicago et Los Angeles… Ce fut un vrai phénomène de boule de neige. Quand je suis arrivé à New York, j’ai eu quelques semaines de concerts, puis on m’a demandé d’être le directeur musical de l’Orchestre philharmonique de New York de 1971 à 1977.
M. A. – Pourquoi êtes-vous rentré en France ?
P. B. – En 1971, j’ai reçu une invitation à dîner de Georges Pompidou, qui était alors président de la République. Il me disait regretter ce qui s’était passé avec André Malraux et souhaitait mon retour en France. Ma réponse fut claire : si c’était pour me proposer une place de chef d’orchestre, je ne pouvais que refuser puisque j’avais tout ce que je souhaitais aux États-Unis. J’avais fait aussi partie d’institutions officielles comme la BBC ou le New York Philharmonic où j’avais pu injecter un peu de sang nouveau. Il était donc évident que je n’allais pas revenir en France pour recommencer le Domaine musical ou Darmstadt, qui avaient correspondu à d’autres périodes de ma vie. Mais Pompidou avait un tout autre projet : il voulait fonder un centre culturel, qui serait à la fois un musée et un centre de création, et on pensait à moi pour en diriger la partie musicale. Là, les choses prenaient une tout autre tournure et j’ai été tout de suite très intéressé. C’était une nouvelle expérience qui allait placer de nouveau la composition au centre de mon existence…
M. A. – Comment vous est venue l’idée de l’Ircam ?
P. B. – J’avais remarqué que, dans la vie musicale française et internationale, il n’y avait pas de refuges pour travailler, réfléchir et expérimenter. Ce qui m’importait alors, c’était de créer des outils permanents de réflexion. En raison du développement technologique, il fallait imaginer une structure qui donnerait le temps à des musiciens de réfléchir et de mener à bien une certaine confrontation entre la technologie et la musique. Et ceci devait se faire de façon indépendante, c’est-à-dire que cette structure ne devait dépendre ni d’une université comme aux États-Unis, ni d’une radio comme en Allemagne, car dès qu’il y avait des difficultés de budget, ces refuges étaient menacés au point de disparaître. Par ailleurs, comme il était très important pour moi que cet organisme soit un organisme indépendant, le Centre Pompidou fut vraiment l’occasion ou jamais de mener à bien ce projet.
Je savais aussi qu’il me fallait un bras séculier par rapport au bras régulier, et ce fut l’Ensemble Intercontemporain. Il fallait que les œuvres pensées et conçues à l’Ircam soient transmises par un ensemble d’interprètes, afin de donner aux compositeurs la possibilité de ne pas avoir à se préoccuper de leur avenir et de se consacrer entièrement à leur création.
M. A. – D’où l’organisation des concerts de l’Ircam ?
P. B. – Absolument. Je tiens à préciser, en dépit des critiques qui m’ont été faites sur le caractère dictatorial de mes choix de concerts, que ceux-ci ont souvent été montés par les responsables en place auxquels je laissais toute latitude. On a aussi prétendu que l’Ircam était une espèce de forteresse souterraine, alors que nous avons toujours eu le souci de présenter des œuvres qui n’avaient pas été réalisées à l’Ircam, au contraire de certains organismes dont je ne citerai pas les noms.
M. A. – Quel était le projet que vous avez proposé ?
P. B. – J’avais déjà un document tout prêt car j’avais retravaillé mon ancien projet pour l’Institut Planck. En 1968, l’Allemagne et la Suisse envisageaient de créer un Institut Max-Planck. Ce genre d’institut très spécialisé a, en général, une vocation scientifique, mais des scientifiques germanophones avaient eu l’idée de créer un institut musical de recherche et les responsables du projet étaient venus me trouver pour que je prenne en charge le département d’expérimentation électronique : ce devait être un espace multipolaire où il devait y avoir un département de pédagogie, un département pour la musique ancienne, etc. J’avais alors établi un plan et un document mais le projet n’aboutit finalement pas. J’ai donc repris ces documents et j’ai proposé quelque chose de vraiment très détaillé. J’avais tout divisé en départements : il y avait un département d’expérimentation instrumentale, un département d’expérimentation électronique – comme on l’appelait à l’époque puisqu’il n’y avait pas encore d’ordinateurs –, un petit département ordinateur, parce que j’avais eu des contacts à New York avec Max V. Mathews qui m’avait mis la puce à l’oreille sur l’importance que ceux-ci allaient prendre. Il y avait aussi un département Diagonal, pour essayer de mettre tout le monde en phase, et un département pédagogique.
M. A. – Comment les choses se sont-elles mises en place ?
P. B. – Les débuts furent un peu difficiles… Dans le plan initial de Beaubourg, la place réservée à la musique était insignifiante. On me proposait une sorte de petite bibliothèque de consultation de musique contemporaine et évidemment, il n’en était pas question pour moi. L’ouverture de l’institut ne s’est faite qu’en septembre 1977 et la mise au point a pratiquement pris cinq ans. Lorsque je suis intervenu avec mon plan, la construction de Beaubourg avait déjà commencé et il n’était plus possible de faire entrer mon projet dans le bâtiment tel qu’il était déjà conçu. C’est là que Robert Bordaz a été très astucieux : on avait prévu une école dans ce qui allait devenir les locaux de l’Ircam et, avec l’appui de Georges Pompidou, il a fait libérer les locaux et transférer l’école rue du Renard.
M. A. – Pour vous, l’Ircam représente-t-il aussi un institut de création ?
P. B. – Oui. Il y a pu y avoir des échecs, mais c’est la création qui a toujours été visée à l’Ircam. Et c’est dans cette perspective que j’ai souhaité qu’il existe une convergence entre l’Ensemble Intercontemporain et l’Ircam pour que les œuvres puissent être interprétées au fur et à mesure de leur conception.
M. A. – Qu’aimeriez-vous que l’on retienne de votre parcours ?
P. B. – Que c’est un parcours qui a une certaine complexité, mais que pour l’apprécier, on n’est pas obligé de le connaître. Pour goûter les fruits d’un arbre, il n’est pas besoin de connaître l’arbre. Dans une existence, il reste un certain nombre d’œuvres. On peut leur trouver une explication par la démarche et cette démarche peut être décrite mais, néanmoins, les œuvres sont le produit de cette démarche. Si l’on considère mon existence en résumé, dans une espèce de ligne générale, alors, elle apparaît relativement simple, comme toutes les vies d’ailleurs. La complexité est dans le détail…