Albert Dichy, directeur littéraire de l’IMEC, me raconte la déception de Derrida à savoir ses archives séparées de celles d’Hélène Cixous. Un déjeuner fut organisé à sa demande, avec elle et Olivier Corpet, pour tenter de la faire revenir sur sa décision de tout confier à la Bibliothèque nationale. Mais il était déjà trop tard, et Derrida finit par saluer le don à la BNF, dans un de ses derniers textes.
Quand et comment devient-on Jacques Derrida ? Ses lettres de jeunesse sont simples, presque anodines. Ses préoccupations ressemblent à première vue à celles des étudiants qui l’entourent. Il pense aux concours, à la thèse, aux obligations militaires, au besoin de gagner sa vie. D’où la surprise de presque tous ses amis de jeunesse : ils ne l’ont pas vu venir.
Sa maturation ne fut pas très rapide. Son irruption sur la scène philosophique date de L’origine de la géométrie, en 1962 (il a 32 ans). Mais Derrida y avance masqué, dissimulé derrière le nom de Husserl qui seul se donne à lire sur la couverture, même si l’essentiel du livre consiste en son introduction. Il faut attendre 1967, et la parution presque simultanée de trois livres majeurs, pour que son nom commence à s’imposer. L’écriture appelle l’écriture ; les publications prolifèrent, se disséminent ; et très vite la machine s’emballe.
(Tout ceci sous réserve de ce que pourrait révéler l’examen des premiers manuscrits, à Irvine. Je viens d’y organiser mon séjour, au début du mois de juin.)