15

Lorsque la diligence atteignit Maidenhead, tous les voyageurs avaient eu le temps de faire connaissance. Merryn avait découvert que le vieux gentleman assis en face d’elle était un accordeur de pianos qui se rendait à Newbury pour accorder un des pianos à queue de lord Tate. La grosse dame à côté d’elle s’appelait Mme Morton. C’était la veuve d’un riche épicier, et la jeune fille maigre à la gauche de Merryn était sa fille aînée, Margaret. Elles allaient passer Noël chez des parents, près de Barnstaple, dans l’espoir de trouver un prétendant à Margaret.

— J’aurais tellement aimé que Margaret se marie dans la bonne société, ne cessait de répéter Mme Morton. Dieu sait que sa dot est importante, mais elle n’a attrapé personne ! Et maintenant… nous allons être obligées de nous rabattre sur quelqu’un qui devra acheter ses meubles, au lieu de les hériter de ses parents !

— Il faut voir le bon côté des choses, avait alors répondu Merryn. Vous ne pouvez imaginer les horribles meubles que nous avions à la maison quand j’étais petite ! Mais nous étions obligés de les garder, car ils étaient dans la famille depuis des années.

Tout au long de cette journée grise et froide qui annonçait la neige, Merryn regarda le paysage défiler. Pendant son enfance dans le Dorset, sa vie s’était limitée à la nursery, à la salle d’étude et au village de Fenridge. La famille ne se rendait en ville que rarement. Stephen était le seul à voyager, ce qui augmentait encore son prestige à ses yeux. Elle-même n’était jamais allée plus loin que Bath. La première fois qu’elle avait vu Kitty, c’était lorsque Garrick l’avait emmenée à Starcross Manor, pour leur lune de miel. Qu’est-ce qui avait poussé Garrick à faire ce choix malheureux ? L’un des manoirs du duché ne se trouvait pourtant qu’à quelques kilomètres de Fenners. C’était certainement Kitty qui avait dû lui demander d’aller là-bas. Elle l’avait fait exprès, afin de se rapprocher de Stephen.

Pour la première fois, le souvenir de Kitty inspira de la haine à Merryn. La douce, la jolie Kitty Farne menait en réalité Stephen et Garrick par le bout du nez. Elle était jalouse de Kitty, à cette époque, car celle-ci avait non seulement l’amour de Stephen, mais les attentions de Garrick. Elle trouvait cela injuste.

La diligence dépassa Reading en avance sur l’horaire. A Newbury, l’accordeur de pianos descendit. A l’entrée de Hungerford, ils frôlèrent un cabriolet conduit par un jeune homme, et évitèrent l’accident de justesse.

— Ces jeunes fous ! commenta Mme Morton, en faisant passer avec générosité une boîte de bonbons à ses compagnes de voyage. Avez-vous des frères, lady Merryn ?

— J’en avais un, mais il est mort.

Bercée par le mouvement de la voiture, Merryn finit par s’endormir. L’atmosphère était chaude et étouffante dans l’habitacle, d’autant que Mme Morton avait tenu absolument à lui prêter une de ses couvertures de voyage. La nuit commençait à tomber. Elles arrivèrent à Bath environnées par les flocons de neige et s’installèrent pour la nuit à l’auberge du White Hart. Merryn ne put fermer l’œil, et passa des heures à écouter les ronflements de Mme Morton, de l’autre côté de la cloison.

Elles embarquèrent le lendemain, par une belle et froide matinée, dans une voiture beaucoup moins confortable que la diligence de la veille. Finalement, les trois voyageuses arrivèrent à Kilve, un petit village du bord de mer, dans le Somerset. Merryn loua un cabriolet afin de franchir les derniers kilomètres qui la séparaient de Shipham.

Un vent glacial soufflait de la mer, et la neige menaçait. Recroquevillée dans le cabriolet, Merryn se pelotonnait sous sa pelisse en frissonnant. Maintenant qu’elle était là, elle se demandait ce qu’elle allait bien pouvoir dire à lord Scott. Elle aurait dû lui écrire au lieu de partir sur une impulsion, dans son impatience d’apprendre la vérité. Mais son avenir dépendait des événements du passé, et elle ne voulait pas attendre davantage.

Le cocher la déposa devant la grille de Shipham Hall. La demeure, un modeste manoir élisabéthain à colombages, se trouvait un peu à l’écart de la route. Merryn entendit les cris d’enfants qui jouaient dans le jardin, emmitouflés dans des écharpes et des bonnets de laine. Ils couraient dans un petit labyrinthe de buis entouré de pelouses, à l’ouest de la maison. Une nurse à peine plus âgée qu’eux, vêtue d’un tablier blanc et d’une cape, courait derrière eux en riant.

Merryn vit une fillette de sept ou huit ans, aux cheveux bruns, qui tenait un tout petit enfant par la main. Il y avait aussi un garçon d’environ cinq ans, et une fille plus grande, aux cheveux blonds. Elle avait perdu son chapeau, et le soleil de décembre éclairait sa chevelure, d’une nuance de blond qui parut familière à Merryn.

La nurse tendit les bras au bébé qui courut vers elle d’un pas incertain. Les filles se regroupèrent pour gravir les marches couvertes de givre de la terrasse. Elles parlaient entre elles en penchant la tête, l’air solennel et préoccupé. Merryn entendit une femme les appeler, de l’intérieur de la maison.

— Susan ! Anne ! Venez vous laver les mains avant de prendre le thé !

Le cœur battant, Merryn observa la fillette aux cheveux clairs.

— Susan ! Anne !

La femme sortit sur la terrasse. Elle était grande, vêtue d’une vieille robe à fleurs. Ses cheveux cachés en partie par son bonnet étaient bruns, à peine striés d’argent. Elle prit chaque fillette par la main en souriant. Lorsqu’elles se tournèrent vers la porte, Merryn entrevit son visage.

Et le monde s’arrêta alors de tourner.

L’espace d’un instant, elle crut voir Kitty Farne. Une Kitty plus vieille, avec des cheveux gris et une silhouette plus épaisse, mais le même visage, joli et souriant. Elle dut faire un mouvement involontaire, car le petit groupe la vit et s’immobilisa sur la terrasse. La fillette blonde regarda droit vers elle. Ses yeux étaient d’un bleu clair, comme ceux de Joanna, et comme les siens, songea Merryn. L’enfant sourit, et ses joues se creusèrent de fossettes, comme celles de Tess. Merryn crispa les doigts sur la grille. Un grondement sourd se mit à résonner dans ses oreilles, comme si elle était sur le point de perdre connaissance. La nurse jouait toujours sur la pelouse, avec le bébé. Leurs rires parvinrent à Merryn, comme s’ils étaient très loin.

Elle eut soudain envie de s’enfuir, loin du jardin ensoleillé et de la fillette aux yeux bleus et aux cheveux blonds. Des images oubliées, mais qu’elle avait soigneusement emmagasinées dans sa mémoire, refirent surface et se déroulèrent comme un écheveau. Elle se rappela Kitty, la dernière fois qu’elle l’avait vue. Kitty avait grossi. Elle, qui n’avait alors que treize ans, s’était demandé si elle avait mangé trop de douceurs parce qu’elle était malheureuse.

En fait, Kitty était enceinte.

Elle aurait voulu courir, mais ses jambes étaient lourdes comme du plomb. Glacée jusqu’aux os, elle se mit à trembler. C’était donc cela, l’héritage de Stephen ! Un enfant dont nul n’avait soupçonné l’existence, et que Garrick avait pris de grandes précautions à cacher. Elle songea à l’amour qu’elle portait à Shuna, la fille de Joanna, à l’amour qu’elle aurait pu donner à cette nièce qu’elle ne connaissait pas. Son cœur se brisa de chagrin.

Elle entendit le bruit d’une voiture sur la route, derrière elle. Elle se retourna très lentement. Elle savait que c’était Garrick. Il était venu pour protéger la famille de Kitty, l’enfant de Kitty, comme il l’avait fait depuis douze ans.

Il sauta du cabriolet et se précipita vers elle. Il semblait très las ; ses yeux étaient cernés ; une barbe naissante ombrait ses joues. Il avait dû rouler toute la nuit.

— Merryn !

Il lui tendit la main, mais elle recula en trébuchant.

— Vous saviez ! Vous saviez que Stephen me manquait désespérément ! Je n’avais plus rien de lui, pas le moindre souvenir. Et pendant tout ce temps, vous saviez qu’il avait eu un enfant. Vous vous apprêtiez à m’épouser, sans pour autant me le révéler !

Elle essuya les flocons de neige qui se collaient à son visage, se mêlant à ses larmes. Du coin de l’œil, elle vit la femme qui ressemblait à Kitty se diriger vers eux. Le regard de Garrick passa de l’une à l’autre.

— Nous pourrions parler, suggéra-t-il.

Il n’alla pas plus loin, car elle secoua la tête en signe de refus.

— Je ne veux pas vous parler. Je ne veux plus jamais vous voir !

La femme s’arrêta près de la grille.

— Garrick ! s’exclama-t-elle en souriant. Nous ne savions pas que vous alliez venir. Vous auriez dû nous prévenir.

Elle regarda Merryn et son sourire s’effaça.

Merryn lui tourna le dos et s’éloigna, engourdie par le froid.

Stephen avait eu un enfant et Garrick avait gardé le silence ! Tout était parfaitement clair, à présent… Garrick avait reconnu qu’il y avait eu une querelle. La suite n’était pas difficile à deviner. Il avait découvert que Kitty attendait un enfant de Stephen. Les deux amants lui avaient peut-être annoncé qu’ils allaient s’enfuir ensemble. Il avait alors tué Stephen par jalousie, ou pour se venger. Puis avec sa famille et celle de Kitty, il avait monté une conspiration du silence, afin que Joanna, Tess et elle-même n’apprennent jamais l’existence de leur nièce.

Elle ne se doutait pas que le chagrin et la colère pouvaient être aussi douloureux. Pourtant une voix minuscule, en elle, lui soufflait qu’elle se trompait. Que l’homme qui l’avait protégée, sauvée d’une mort certaine, n’avait pu se comporter de telle façon. La voix lui conseillait de réfléchir, de ne pas perdre foi en l’homme qu’elle aimait. Car elle n’était pas tombée amoureuse de lui sans raison.

Il y avait eu trois coups de feu, disait l’entrefilet que lui avait remis Tom. Deux balles avaient été retrouvées dans le corps de Stephen… Qu’était devenue la troisième ? Garrick lui avait dit que Stephen avait essayé de tuer Kitty. Elle n’avait pas voulu le croire, elle était tellement sûre que Stephen et Kitty s’aimaient ! Mais si elle se trompait, cela signifiait que Garrick avait vraiment voulu défendre Kitty. Qu’il avait essayé de la sauver… Et comme Kitty était enceinte, Garrick l’avait emmenée au loin, afin de la préserver du scandale. Tout comme plus tard il avait protégé son enfant.

Des sanglots lui nouèrent la gorge. L’instinct qui l’avait poussée à faire confiance à Garrick se déployait de nouveau dans son cœur comme une fleur. Elle devait retourner sur ses pas ; elle devait prendre son courage à deux mains, parler à Garrick et entendre enfin la vérité. Et si ce qu’elle avait toujours cru n’était pas ce qui s’était passé en réalité, il faudrait qu’elle se fasse une raison.

*  *  *

Le chemin qui longeait la falaise était sauvage et désert. Un sentier accidenté, bordé de touffes de trèfle, descendait jusqu’à la mer. Merryn l’emprunta et atteignit la plage au-dessous de Shipham. Elle s’arrêta, inhalant profondément l’air iodé de la mer. Il faisait si froid qu’elle en eut la respiration coupée. Ses larmes s’étaient taries, elle se sentait fatiguée. Elle s’assit sur un rocher, près du sable. Quand elle se sentirait mieux, elle remonterait et irait retrouver Garrick. Elle écouterait ce qu’il avait à lui dire.

Au bout d’un moment, un bruit de pas s’enfonçant dans le sable la fit tressaillir. Elle se retourna. L’espace d’un instant, elle crut avoir des visions. Tom Bradshaw se tenait derrière elle. Il portait ses vêtements londoniens, et son expression n’était pas amicale.

— Bonjour, Merryn.

Il assortit ces paroles d’un sourire qui n’atteignit pas ses yeux.

— Que diable faites-vous là, Tom ?

— Je vous ai suivie depuis Londres. Il fallait que je vous parle…

Il se détourna un peu, enfonçant les mains dans ses poches.

— Ça doit vous faire un choc de découvrir que non seulement Garrick Farne a tué votre frère, mais qu’en plus il lui a volé son enfant.

— Taisez-vous ! Ne dites pas ça.

— Je suppose qu’il vous présentera les choses sous un jour parfaitement honorable. Un choix impossible, une promesse faite à sa femme sur son lit de mort, une enfant qui ne pourrait jamais porter son nom, parce que née trop tôt pour être de lui…

Il haussa les épaules.

— Vous devriez apprécier cette version. Vous qui avez toujours eu de grandes idées sur l’honneur et la justice…

— Que voulez-vous dire ? Et comment savez-vous toutes ces choses, Tom ?

— Oh ! J’en ai entendu parler par une amie, répondit-il, l’air très content de lui. En fait, elle croyait que l’enfant était la fille illégitime de Farne, mais j’ai vite découvert la vérité. Cette bâtarde était celle de sa femme, pas la sienne. Après ça… le reste de l’histoire était facile à deviner et je n’ai eu aucun mal à combler les vides. Les domestiques parlent toujours, vous savez. Il suffit de savoir auxquels s’adresser, et de bien les payer. Certains sont là depuis longtemps ; ils se rappellent avoir vu Garrick Farne amener l’enfant dans cette maison. Et ils se souviennent même que votre père, le duc de Farne et lord Scott se sont réunis et ont décidé ensemble de dissimuler la vérité. Kitty Farne devait emporter son secret dans la tombe. Et nul ne l’a en effet divulgué. Sauf que les choses enfouies finissent toujours par remonter à la surface…

Il marqua une pause et ajouta, pensif :

— Votre frère n’était pas innocent non plus. Vous voulez tout savoir ?

Il avait les yeux brillants et Merryn comprit, choquée, qu’il se délectait de cette histoire, qu’il s’amusait de son chagrin. Elle avait toujours su qu’il était impitoyable, qu’il pouvait même être cruel. Mais elle ne s’était jamais doutée qu’il se réjouissait du malheur des autres. Elle serra les poings. Malgré ses gants de cuir, ses doigts étaient ankylosés par le froid.

— Je ne veux pas en entendre davantage. Pas par vous, en tout cas. Si quelqu’un doit me raconter cette histoire dans les détails, c’est Garrick. Pas vous !

— Votre loyauté est tout à fait charmante. Au moment où vous pourriez penser le pire à son sujet, vous vous accrochez tout de même à l’idée qu’il ne peut être totalement mauvais.

— Je sais qu’il est plus intègre que vous ! lança Merryn, furieuse, en se levant. Vous avez essayé de faire chanter ma famille. Vous prétendez travailler dans l’intérêt de la justice, alors qu’en réalité vous ne pensez qu’à vous. Vous… vous vous êtes servi de moi.

Tom éclata d’un rire mauvais.

— Eh bien ! Il vous en a fallu du temps pour comprendre ! Vous avez raison. J’ai entretenu à dessein votre haine pour Farne. Je n’ai pas cessé de vous manipuler. Je vous utilisais pour obtenir les renseignements dont j’avais besoin.

Merryn sentit son sang se glacer.

— Pourquoi ? Pourquoi avez-vous fait ça, Tom ?

— Parce que je veux détruire le duché de Farne.

Il sourit de nouveau, mais son regard était froid.

— Je veux ruiner Garrick Farne. Il possède tout ce qui aurait dû me revenir !

Il orienta son visage vers la mer, et le vent ébouriffa ses cheveux. La marée montait lentement, grignotant le ruban de sable de la plage.

— Je suis moi aussi le fils de Claudius Farne. Mais contrairement à Garrick, je n’ai pas eu droit aux privilèges réservés aux aristocrates.

— Vous ? Mais votre père travaillait sur la Tamise ! Vous m’en avez souvent parlé…

Elle se tut en s’apercevant que Tom ne lui prêtait plus la moindre attention. Il contemplait la mer. Un nouvel orage se préparait, faisant surgir des crêtes blanches sur les vagues.

— Ma mère était femme de chambre à Farne House.

Son regard revint vers elle, mais elle eut l’impression qu’il ne la voyait pas.

— Elle connaissait mon père, c’est-à-dire l’homme qui m’a donné son nom, depuis l’enfance. Elle était déjà enceinte lorsqu’il l’a épousée. Quant au duc…

Il rejeta les épaules en arrière, sous sa veste.

— Il se servait des servantes de la maison comme si elles lui appartenaient. Qu’était-ce qu’une femme de chambre, pour lui ? Quelle importance, qu’elle soit consentante ou non ? Il n’offrit aucune compensation à ma mère. Elle fut mise à la porte sans un penny.

— Je suis désolée, dit Merryn.

Le vent emporta ses mots. L’orage se rapprochait, des flocons de neige tourbillonnaient au-dessus du sable.

Tom prit un médaillon dans sa poche. L’or accrocha la lumière, qui fit étinceler la médaille. Il la jeta de toutes ses forces dans le sable.

— Ma mère a volé ce médaillon avant de quitter Farne House. C’était un portrait du duc, mais ce n’est pas lui qui le lui avait offert. Il ne lui a jamais rien donné…

La médaille scintilla un instant sur le sable, puis disparut.

— A sa mort, j’ai cru qu’il avait peut-être fini par reconnaître mon existence, d’une façon ou d’une autre. J’ai attendu, attendu… C’était ridicule, bien entendu. Je n’étais rien pour lui. Moins que rien.

— Et c’est après le décès du vieux duc que vous m’avez montré cet article relatif à la mort de mon frère…

Tom acquiesça d’un hochement de tête. Comme elle avait été idiote ! Elle voyait bien, maintenant, que Tom l’avait habilement influencée, lui fournissant certaines informations, l’aiguillonnant, tout en lui faisant croire qu’il avait des doutes sur l’affaire. Il n’avait eu aucun mal à se servir d’elle, car dans sa quête éperdue de vérité et de justice, elle était restée aveugle à tout le reste.

— J’ai toutes les preuves nécessaires à présent, reprit Tom. Je sais qu’il n’y a pas eu de duel. Et je peux le prouver. Je révélerai la vérité, et je ferai en sorte que Farne soit pendu.

— Non !

Merryn songea aux enfants qu’elle avait vus dans le jardin, à tout ce que Garrick s’était efforcé de protéger. Elle se souvint des mots qu’il avait prononcés au bal : « Si vous persistez dans cette voie, des innocents souffriront… » Elle voyait à présent les choix difficiles qu’il avait dû faire, les décisions qu’il avait dû prendre.

— Je vous en empêcherai, dit-elle. Je témoignerai contre vous, s’il le faut. Vous ne ferez pas de mal à cette enfant et…

Elle prit une longue inspiration, avant d’ajouter :

— Je ne vous laisserai pas détruire Garrick.

Tom eut un rire dur.

— Vous croyez que je me soucie de la bâtarde de votre frère ?

Il mit la main dans sa poche et en sortit un pistolet.

— J’aurais dû me douter que vous tomberiez amoureuse de Farne. C’est un idéaliste, comme vous.

La tempête de neige les atteignit tout à coup dans un tourbillon, et une bourrasque les enveloppa. Tom visa et Merryn se retourna, reculant vivement, se prenant les pieds dans sa robe. Une vague déferla jusqu’à elle et la renversa. Elle sentit le sable se retirer sous ses pieds, le sol se creuser. Dans un éclair de terreur, elle songea au médaillon qu’elle avait vu scintiller un instant sur le sable puis disparaître. Elle était au bord de sables mouvants. Elle ne l’avait pas compris jusqu’ici. Une autre vague l’atteignit, et elle vit le sable tourbillonner autour de ses chevilles. C’était terrifiant ! Elle avait l’impression de sentir le vide au-dessous d’elle. Le sable l’attirait vers le bas, la dévorait.

Tom restait immobile devant elle, l’arme au poing, à regarder le sable l’avaler, sans faire un geste pour l’aider.

Les minutes parurent s’étirer indéfiniment.