John Constable, Le Chariot de foin, 1821.
Huile sur toile, 130,2 x 185,4 cm.
National Gallery, Londres.
Les peintres anglais obéissent donc d’une part à leur instinct personnel, d’autre part aux nécessités de leur situation en face de leur public. À quelque point de vue que l’on se place, en effet, l’école anglaise nous révèle une particulière disposition de l’esprit britannique en général. Ses œuvres ne démontrent pas du tout l’importance de la peinture proprement dite, considérée comme l’un des beaux-arts. L’art de peindre ne paraît nullement répondre à un besoin sensuel des Anglais, à un sentiment vraiment intime de la beauté ou de l’expression plastique. Il me paraît évident qu’un tableau est pour eux un objet de luxe, que l’acquisition d’un chef-d’œuvre est une marque de richesse et de distinction qu’il faut produire, mais qu’ils ne s’en promettent aucune des joies que l’on attend de la contemplation d’un chef-d’œuvre. C’est là pendant tout le XIXe siècle le fond du goût artistique en Angleterre.
Et c’est ce qui explique, chez les acheteurs du XIXe siècle, la recherche de la singularité plutôt que de la pure beauté. Ces grands fous raisonnables, dès qu’il ne s’agit plus que d’un objet de distraction, s’attachent avant tout à l’étrange et au bizarre. Partant de là, en dehors de leurs propres tendances, les peintres se croient tenus de tout sacrifier à l’excentricité. À la même époque, cette soumission au caprice du public est bien plus grande encore et plus visible dans l’art britannique que dans l’art français, où, toutefois, il ne paraît encore que trop et tourne si souvent à la grossièreté. Au XIXe siècle, grâce à la concentration des fortunes, l’artiste de l’autre côté de la Manche connaît d’avance son vrai public. Celui qui paye, il sait fort bien qu’une seule classe l’encouragera et le récompensera de ses efforts, et c’est dans cette prévision qu’il se fait courtisan. Hogarth est-il autre chose que le courtisan de la société puritaine de son temps ?
À ce compte, nous ne saurions nous étonner que l’Angleterre ait été si peu artiste. Elle professait, il est vrai, la plus vive admiration pour ses grands hommes. Mais ne soyons pas dupes des tombeaux de Westminster, ni des colonnes, ni des statues dressées sur les places et dans les monuments publics. Les Anglais du siècle dernier n’avaient qu’une estime médiocre pour leurs contemporains en mesure de devenir grands à leur tour. Leur courtoisie ne s’étendait guère jusqu’aux gens de goût. Les artistes à leurs yeux étaient des instruments bâtis tout exprès pour amuser et distraire l’aristocratie. Est-ce là un sérieux appel à la grandeur et à l’élévation dans l’art ?
Aussi ces deux mots, grandeur, élévation, doivent-ils être rayés de toute étude sur les peintres britanniques d’alors. Ils ont une naïveté apprêtée, qui devient promptement monotone. Ils sont prodigues d’effets littéraires plutôt que pittoresques. Leurs qualités sont à eux cependant, et ils en ont. Ainsi, dans la peinture de genre, ils font preuve d’observation. Dans le paysage, ils réussissent très bien les ciels, c’est là une de leurs supériorités. Ils ont mis une application extrême à rendre ce spectacle toujours changeant, à fixer cette irréalisable variété d’aspects. N’oublions pas enfin qu’ils comptent parmi eux des portraitistes illustres et que le portrait est un des arts les plus difficiles.