William Holman Hunt, Nos Côtes anglaises, 1852 (Strayed Sheep), 1852.

Huile sur toile, 43,2 x 58,4 cm. Tate Collection, Londres.

 

 

La Peinture de genre

 

La critique anglaise blâmait les peintres parce qu’ils se désintéressaient des grands événements de l’histoire contemporaine pour ne s’attacher qu’aux scènes de la vie familière, celles de la rue. Telle est bien, en effet, la tendance générale de l’école depuis Wilkie et Leslie.

Si le mouvement des gares et des courses occupait tant de place dans la peinture d’Outre-Manche, c’est qu’il occupait une grande place dans I’activité du pays. En outre, les peintres anglais nous donnent une expression très complète aussi de la vie intime, de la vie intérieure.

Non seulement c’est avec une constante prédilection qu’ils retracent les mœurs sociétales et familiales, mais ils pénètrent également en profondeur dans l’analyse psychologique de l’individu. Ils s’appliquent à traduire la secrète émotion des pensées. Rendre sensible un état d’âme ou d’esprit : le plus souvent, leurs tableaux n’ont pas d’autre objet. Et cela suffit à émouvoir le public.

Tous, à quelques exceptions près, s’attachent à fixer le mouvement expressif de la physionomie humaine. Peu soucieux, en général, des lois de la composition, du dessin et de la couleur qui préoccupent encore les écoles du continent, dans leurs tableaux de genre, ils poursuivent le succès par l’intérêt du sujet et par l’expression.

Dans ce chapitre, consacré aux physionomistes, presque toute l’école anglaise pourrait donc être analysée. Mais je ne voudrais ranger sous ce titre que les artistes qui ont poussé au plus loin cette tendance commune et qui, faisant de l’expression l’objet capital et à peu près exclusif de leur observation, ont exigé de leur art tout ce qu’il pouvait rendre, et même au-delà. Les uns reproduisent de préférence les scènes de la vie contemporaine, les autres empruntent leurs motifs à l’Histoire et au roman.

Erskine Nicol est le premier à faire cela. Il appartient à l’école écossaise. Il apporte une étrange âpreté ainsi qu’une verve singulière à peindre les mœurs de l’Irlande misérable.

Deux de ses tableaux sont particulièrement saisissants : Le Paiement du loyer et Tous deux embarrassés. Ici, c’est une humble et maussade école de village. Le maître, pauvre diable, ignare et bourru à proportion de son ignorance, tient sous son regard terrible et méfiant une de ses victimes, un de ses rares élèves. L’enfant lui demande sans doute l’explication de quelque mot, de quelque phrase dont le sens lui échappe. Arrêté de court comme le petit garçon, le pédant sanguin, violent, soupçonne un piège. Il n’aime pas ces curiosités mal plaisantes, et tout porte à craindre qu’il ait recours au martinet pour sortir de la situation qui les tient tous deux embarrassés.

Le Paiement du loyer est une page comme il y en a tant dans l’œuvre de Balzac, une de ces nombreuses scènes où dans nos dures sociétés modernes s’étalent les plaies cachées et les hontes humiliées des déshérités de la Fortune, auprès des hautaines insolences de ses favoris. L’intendant du lord est venu avec son commis pour percevoir les loyers du vaste domaine. Impassibles comme des instruments de torture, ces valets encaissent avec une indifférence méprisante les billets de celui-ci, les couronnes et les shillings péniblement amassés de celui-là.

Ils entendent d’une oreille bestialement stoïque les excuses, les lamentations, les prières d’ajournement que leur adresse la veuve. Ils ne voient même pas les humbles saluts, les basses protestations des pauvres gens qui se retirent une fois leur dette payée. Leurs yeux n’ont de regard, un regard aigu, que pour la vérification des titres et le contrôle des billets de banque.