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Gideon gara la jeep le long du petit chemin de terre conduisant au ranch de Ute Creek. Il lui fallait impérativement se calmer, rassembler ses pensées. Il s’était comporté de façon abominable avec Willis en le terrifiant, le brutalisant, l’humiliant. Le gourou de la secte avait beau ne pas être un saint, il ne méritait pas un tel traitement à partir du moment où il était innocent. Car il était innocent. À moins que les coupables ne se dissimulent au sein de sa communauté ? Non, impossible. Willis l’aurait su.

Gideon devait se rendre à l’évidence : il s’était trompé de cible.

Pour couronner le tout, il était 1 heure du matin, la veille du jour N. Plus qu’un jour. Or, Gideon n’était pas plus avancé qu’à son arrivée à Santa Fe, une semaine plus tôt…

Il se cramponna au volant, à la limite du malaise.

Il coupa le moteur, ouvrit sa portière et descendit du véhicule en chancelant. La nuit était fraîche, une légère brise caressait les branches des arbres sous le regard des étoiles. Il s’obligea à reprendre sa respiration et s’enfonça dans les bois.

Puisque la communauté de Ute Creek n’était pas impliquée dans l’attentat terroriste, les coupables étaient forcément Joseph Carini et les fidèles de la mosquée Al-Dahab. Gideon avait eu tort de chercher midi à quatorze heures. La solution la plus simple est souvent la meilleure. Son expérience de scientifique le lui confirmait.

D’un autre côté, pourquoi les musulmans auraient-ils fait passer Gideon pour l’un des leurs en l’accusant, au risque de renforcer l’attention des enquêteurs sur eux ? Et pourquoi lui ? La mosquée grouillait d’enquêteurs fédéraux, pourquoi Carini aurait-il jeté son dévolu sur lui ? Gideon et Fordyce n’avaient rien découvert de probant lors de leur passage à la mosquée. Cela n’avait pas empêché un mystérieux inconnu de se compliquer sérieusement la tâche en important ces faux e-mails dans un ordinateur ultraprotégé. Il fallait que Gideon ait mis le doigt sur un détail bien compromettant pour que le coupable s’en prenne à lui…

Gideon s’arrêta net. Comment n’y avait-il pas pensé plus tôt ? Le bouc émissaire, c’était lui, et lui seul. Pourquoi ne pas s’en être pris à Fordyce ? Depuis le sabotage de l’avion, il était persuadé qu’on avait voulu les empêcher de poursuivre leur enquête. Il n’en était rien. Le chien dans un jeu de quilles, ce n’était pas Fordyce, qui restait plus que jamais sur la brèche, c’était lui, Gideon !

Qui avait-il donc rencontré seul ?

La question à peine posée, la réponse lui apparut dans toute son évidence : Willis innocent et les musulmans hors de cause, il ne restait plus qu’une solution.

Il fit demi-tour et regagna la jeep en se souvenant de la devise de Sherlock Holmes : Lorsque l’on a éliminé l’impos­sible, la vérité s’impose d’elle-même, aussi improbable soit-elle.