57

Gideon se leva avec les premières lueurs de l’aube, le crâne dans un étau. Il ramassa ses vêtements et s’habilla à la hâte, laissant Alida endormie, nue sur la peau d’ours devant la cheminée, auréolée de ses cheveux blonds. D’épais nuages obscurcissaient une partie du ciel et un vent porteur d’humidité fouettait les pins. Le temps était à l’orage.

Les souvenirs des événements de la nuit se bousculaient dans sa tête. Il avait trop bu, trop fait l’amour, et surtout trop promis. Comment avait-il pu se comporter de la sorte ? Comment avait-il pu trahir Alida, sachant qu’il soupçonnait son père d’appartenir à une organisation terroriste ?

Il ne pouvait tout de même pas la mettre dans la confidence. Jamais elle n’accepterait de croire que son père, le célèbre écrivain Simon Blaine, était l’un des responsables du complot. À présent qu’il avait menti à Alida, Gideon se voyait contraint de poursuivre Blaine avec l’espoir de l’arrêter à temps. Dans l’impossibilité de prendre l’avion puisqu’il était recherché par toutes les polices du pays, il allait devoir rejoindre le Maryland à bord de la jeep d’Alida.

Gideon s’en voulait terriblement, mais il n’avait pas le choix. Des milliers de vies étaient en jeu, et lui seul pouvait prévenir la catastrophe.

Son regard se posa sur le corps de la jeune femme, son visage, ses cheveux magnifiques. Jamais il n’aurait dû tomber amoureux d’elle.

Surtout, ne plus y penser.

Il essayait de détacher son regard de la silhouette endormie lorsqu’elle ouvrit les paupières.

— Aïe, gémit-elle en grimaçant. J’ai la gueule de bois.

Gideon s’efforça de lui répondre par un sourire.

— Moi aussi.

Elle se redressa.

— Tu as une tête à faire peur. J’espère que ce n’est pas à cause de moi, dit-elle avec un sourire entendu.

Il cacha son trouble en nouant ses lacets.

— Je te trouve bien matinal, poursuivit-elle.

Il releva la tête à regret.

— Je dois aller au ranch de Ute Creek, m’expliquer avec Willis.

— Tu as raison. Ce type-là est coupable, ça ne fait aucun doute à mes yeux. Je t’accompagne.

— Non, c’est trop dangereux. Et puis ta présence pourrait l’inciter à ne pas parler.

Elle hésita.

— Tu as raison, mais fais bien attention à toi.

— J’ai besoin de la jeep, dit Gideon, l’air de rien.

— Pas de souci. Veille à emprunter les petites routes de montagne.

Il hocha la tête.

Avant qu’il ait pu s’échapper, elle s’était levée, le prenait dans ses bras et l’embrassait longuement en collant son corps nu contre lui. Gideon rendit les armes en sentant sa chaleur traverser ses vêtements.

Elle le libéra enfin.

— C’était pour te porter chance, lui expliqua-t-elle.

Gideon acquiesça d’un air niais. Elle prit les clés de la jeep dans un tiroir et les lui lança.

— Dis-moi… aurais-tu de l’argent, au cas où je devrais prendre de l’essence ?

Elle ramassa son pantalon, roulé en boule par terre, et sortit un portefeuille de l’une des poches.

— Tu as besoin de combien ?

— Ce que tu as, si possible.

Elle lui tendit une liasse de billets de vingt dollars, un sourire radieux aux lèvres.

Paralysé par la honte, il ne trouvait plus la force de partir. Comment pouvait-il lui voler sa voiture et son argent, sachant qu’il se lançait à la poursuite de son père ? La réponse était simple : s’il restait là, des milliers de gens mourraient et il risquait de finir ses jours en prison ; s’il partait…

— J’ai pas mal de trucs à régler, j’en ai pour un petit moment, précisa-t-il. Ne m’attends pas ce soir.

Elle posa sur lui un regard inquiet.

— D’accord, mais évite les zones habitées. Mon père m’a dit qu’ils avaient établi des barrages sur les routes principales conduisant à Los Alamos et Santa Fe. Sois prudent.

— Promis.

Il fourra la liasse de billets dans sa poche, évita un dernier baiser et gagna précipitamment la jeep. Il s’éloignait au milieu d’un nuage de poussière lorsqu’il se retourna. Debout sur le seuil de la maison, sa silhouette nue nimbée d’une auréole blonde, Alida lui adressait un dernier signe de la main.

— Merde, merde, et merde, gronda-t-il entre ses dents en tapant du poing sur le volant.

Au détour du chemin, il aperçut le cabanon qui servait d’antre à Simon Blaine. Pris d’une inspiration, il stoppa devant la porte, cassa un carreau d’un coup de démonte-pneu et se glissa dans la pièce par la fenêtre. Quelques instants plus tard, il jetait l’ordinateur portable de Blaine sur la banquette arrière de la jeep et reprenait sa route.