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« Porno natio », ou l’extrême droite classée X

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La scène de viol est digne d’un mauvais remake d’Orange mécanique de Stanley Kubrick. Dans le salon d’une maison de campagne, une mère de famille joue au Scrabble avec son fils Manuel et la petite amie de celui-ci. Un feu de cheminée et le Beau Danube bleu de Johann Strauss accompagnent la partie. Mais voilà que quatre hommes déboulent dans la pièce : trois sont armés et cagoulés, le dernier est déguisé en ours en peluche. « On va les décoincer, ces bourgeois », se marrent-ils. Empoigné par le col, Manuel est contraint de « danser la valse », puis de coller son visage en face du « cul de sa mère par lequel il est sorti ». La soirée familiale s’achève en orgie, tandis que l’on distingue sur le plateau de Scrabble les mots « démocratie », « sionisme », « quenelle » et « terrorisme ».

Le prénom du jeune martyr fait évidemment référence à celui de Manuel Valls. Car ce court-métrage, baptisé Rapt et home-jacking chez les bourgeois, est une production de PornoQuenelle.com : une plate-forme lancée en décembre 2013, alors que bat son plein le duel à distance entre Dieudonné et le ministre de l’Intérieur. Le concept du site est exposé sur sa page d’accueil, entre une photo de l’humoriste et un drapeau français surmonté d’un ananas, autre symbole dieudonniste : « La France bouge en ce moment, un esprit de révolte et de rébellion est en marche. Ça glisse de la quenelle à tout-va et nous avons voulu rire de tout ça et dédramatiser l’actualité politique, en la mettant en scène avec du porno (…) Cette détente, nous voulions la partager avec vous, chers internautes. Vous avez des missions qui vous sont présentées et pouvez choisir les prochaines que vous souhaitez nous voir traiter de manière pornographique. Venez vivre cette aventure politico-pornographique avec nous en participant à ce nouveau concept, le porno quenelle ! » Les « missions » sont des scénarios, l’audience étant invitée à voter pour ceux qu’elle souhaite voir réaliser. Parmi les premiers choix figurent l’adoption d’une Léonarda1 transformée en « vide-couilles », une résolution du conflit syrien obtenue à coup de chibre par un faux Vladimir Poutine, ou encore une partie de jambes en l’air introduite par la lecture de Comprendre l’Empire, le principal ouvrage théorique d’Alain Soral.

« Internet is for porn2 » : Internet, c’est fait pour le porno. Cet adage reflète la place considérable du sexe sur le Web. Au moment de l’écriture de ce livre, les trois premiers sites X (Pornhub.com, Xvideos.com et Xnxx.com) totalisent plus de trois milliards et demi de visites par mois3. Ce succès peut-il être mis au service de thèses politiques ? Plaisir et « dissidence » peuvent-ils faire bon ménage ? Tel est alors le pari de Pierre H., jeune entrepreneur de vingt-sept ans, créateur de PornoQuenelle. C’est lors d’un déjeuner avec l’un de ses associés, lui aussi fan de Dieudonné, qu’il a décidé de lancer le « premier site de porno politique de France ». Pierre en est certain : le X peut être « un bon canal de communication idéologique » pour qui sait s’en servir. Car comme l’écrit Virginie Despentes, « la force majeure du porno, c’est qu’il tape dans l’angle mort de la raison. Il s’adresse directement aux centres des fantasmes, sans passer par la parole, ni par la réflexion4 ». Que l’idée chevauche l’image, et son effet en sera démultiplié chez le récepteur : ainsi raisonne le jeune dieudonniste.

Pierre connaît bien son sujet. Outre son agence Web, Roxmedia, le jeune homme gère une franchise de sextoys (SMB Prod/6Toyz) et compte plus d’une dizaine de sites X à son actif, aux noms évocateurs de Saucissonsexe.com ou Salopesdelevage.com. « C’était comme du trading : j’achetais plein de vidéos et je les revendais sur mes plate-formes, explique-t-il posément. Avec PornoQuenelle, je voulais me mettre à produire et m’éclater un peu au niveau de l’écriture. Plutôt que de montrer une bite dans une chatte, je souhaitais proposer différents scénarios aux internautes et les faire voter. L’objectif, c’était de conscientiser tous les branleurs du Net afin qu’ils comprennent que nous sommes prisonniers du même système5. »

Un vieux briscard du porno à la rescousse

Le concept établi, reste à lui donner corps. Afin de trouver des contributeurs, Pierre expose son projet sur le forum Bizpowa, véritable agora du X français. Appel entendu : « Old Nick » y répond aussitôt. Pour le commun des mortels, ce nom évoque d’abord une marque de rhum ; pour d’autres, il désigne un vieux routier de la fachosphère, tendance potache. Né le 27 juillet 1962, Olivier Nicolas, dit « Old Nick », est le fondateur de l’Organe, un site qui se vante d’être « la honte du Web depuis 1996 ». Initialement conçu comme un « Canard enchaîné en un peu plus déglingue », le site s’est rapidement doté d’une rubrique de fesses (« l’Organe sexuel ») afin de doper ses audiences. « Je récupérais plein de photos de filles postées sur des forums et je les republiais en faisant croire qu’on me les avait envoyées, rigole Old Nick, goguenard. À force, je n’ai plus eu besoin d’en chourer, on n’arrêtait pas de m’en envoyer6. »

En 1997, la rubrique devient un site à part entière : l’Orgsex. Son administrateur fait défiler les filles chez lui pour des livecam et des strip-interview. Et même, grâce aux revenus ainsi générés, pour des films X amateurs. Mais au milieu des années 2000, l’offre pornographique se démultiplie sur Internet. Incapable de faire face à cette nouvelle concurrence, l’Orgsex doit déposer le bilan, tandis que la ligne éditoriale de l’Organe vire à droite toute. Se filmant attablé entre terrine et bouteille de mousseux, Old Nick accumule les billets pamphlétaires sur l’immigration, les Roms, l’islam, le judaïsme, la communauté LGBT ou encore les « ravages » du multiculturalisme.

Éternel nostalgique de l’époque où il faisait tourner de « jolies filles », Old Nick saute donc à pieds joints dans le projet PornoQuenelle. « Je savais que Pierre allait s’en prendre plein la gueule, mais je me suis bien gardé de lui dire car je trouvais ça fun, s’esclaffe-t-il. À ses yeux, c’était un moyen encore inexploré pour toucher des gens non politisés et diffuser un message soralo-dieudonniste. »

À la recherche de nouvelles « collaboratrices », Old Nick fait appel à son vieux compère Jack Wood, un réalisateur de films X à l’ancienne, connu pour son cigare au bec et ses productions amateurs résolument trash. « J’ai tourné plus de mille quatre cents films mais c’est la première fois que je voyais un projet de ce type, raconte celui-ci. J’ai assez vite compris que, dans cette histoire, le porno ne servait qu’à habiller un message politique, et que le sexe y était assez accessoire7. »

C’est au début de l’année 2014 que débutent les tournages. Il s’agit alors de réaliser la fameuse partie de Scrabble, et l’humiliation du jeune Manuel. Les studios sont improvisés à dix kilomètres de Reims, dans le pavillon de Pierre H., qui dit avoir investi plus de 20 000 euros dans l’affaire. Quant aux actrices, elles proviennent de labels connus du grand public : Jacquie et Michel, les rois du porno amateur franchouillard, mais aussi Dorcel, comme Mademoiselle Justine, payée 1 200 euros pour deux scènes et dont la seule exigence sera de « ne pas tourner avec des acteurs de couleur ». Comme elle, la plupart des actrices ne découvrent qu’une fois sur place la dimension politique du projet. « Je ne pensais pas que c’était à ce point, confie Mademoiselle Justine. Je n’étais pas ravie des propos que je devais tenir sur François Hollande ou Manuel Valls. On m’a même demandé de faire une quenelle après une scène et j’ai refusé8. »

En dépit de ses ambitions initiales, le tournage vire rapidement au joyeux bordel. « Les scènes débutaient avec de l’alcool et deux ou trois joints dans la tronche, confie Jack Wood. D’habitude, c’est l’effort puis le réconfort ; là, c’était le contraire. La caméra bougeait dans tous les sens. » Habituée aux grosses productions (Dorcel, BlueOne…), Mademoiselle Justine est déconcertée par l’amateurisme général : « On a passé des heures à faire la première scène, le mec n’assurait pas du tout. Il connaissait très peu de positions, on a dû s’y reprendre plusieurs fois. Heureusement que je suis patiente. »

Le caractère provocateur du scénario achève de diviser l’équipe. « Je crois que le dernier jour de tournage, on aurait pu s’entretuer, il allait beaucoup trop loin », avoue Jack Wood, pourtant connu dans le milieu pour avoir dépassé toutes les frontières du trash. « Je répétais à Pierre : “Personne n’a envie de voir une scène d’inceste avec un faux Manuel Valls” mais il ne m’écoutait pas. Je trouve qu’il y a de bonnes choses chez Marine Le Pen, mais je ne voyais pas l’intérêt de mélanger autant les registres. On ne regarde pas un porno pour des leçons politiques ou pour de belles histoires, mais par instinct masturbatoire. Un mec qui a envie de se branler, si tu lui parles d’Alain Soral, ça va lui couper la trique. »

Pierre n’en démord pourtant pas : « Le but de PornoQuenelle c’était de faire du no limit, de choquer », se justifie-t-il aujourd’hui. Un objectif atteint au-delà de ses espérances : une fois mises en ligne, les vidéos de PornoQuenelle font l’unanimité contre elles. Les adversaires de Dieudonné pilonnent leurs auteurs de menaces sur les réseaux sociaux. Et l’humoriste lui-même finit par rejeter ses disciples, après un article publié sur le site d’information StreetPress9 : via son avocat, il annonce porter plainte contre ce détournement de « sa » quenelle. « Qu’un site pornographique se réfère à l’image de Dieudonné est évidemment intolérable, s’insurge son avocate, Isabelle Coutant-Peyre. Chacun son métier. Je conçois que des gens fassent des sites pornographiques, mais Dieudonné est un artiste, un humoriste, un polémiste, sans aucun lien avec ce secteur10. »

Déçu par Dieudonné, Pierre en veut surtout aux médias, et envisage de contre-attaquer en poussant plus loin encore la provocation : « J’avais imaginé une scène où l’on voyait un journaliste de StreetPress séquestré et sodomisé par des gays », lâche-t-il, encore énervé. C’en est trop pour Jack Wood, qui quitte le navire par crainte des représailles : « Nous étions bombardés de menaces, explique-t-il. À un moment, je me suis dit : “On va finir dans un trou si ça continue comme ça.” »

Quant à Pierre, à qui la polémique a coûté la plupart de ses clients, il ne tarde pas à abandonner le X et le Web. Le jeune entrepreneur laisse à d’autres le fantasme d’un porno mis au service de ses idées politiques : dans sa maison rémoise avec jardin, il s’est désormais reconverti à la permaculture11 et à l’autonomie alimentaire12.

Old Nick, lui, continue son chemin de traverse. On le retrouve au début de l’année 2016 dans une brasserie près de la place de la Bastille. Assis à une table, une valise motorisée posée à ses pieds, le quadragénaire salace livre son dernier projet. « J’ai rencontré une fille via Twitter, s’amuse-t-il. On est allés boire des coups et on s’était dit qu’on allait partir sur un scénario de films où je lui administrerais une fessée pour l’expurger du démon de l’extrême droite. Mais ça ne s’est pas encore fait, car son mec est jaloux… – Comment s’appelle-t-elle ? – Électre. »

Électre, Jeanne d’Arc du X

Une atmosphère fébrile flotte près du palais de l’Élysée. Ce vendredi 5 septembre 2014, une centaine de manifestants se sont réunis aux abords du bâtiment présidentiel. Et au traditionnel slogan droitier « Hollande démission » s’ajoute un autre, plus singulier : « Hollande, t’es foutu, les “sans-dents” sont dans la rue. » À l’origine de ce rassemblement, un livre : Merci pour ce moment, signé par l’ex-compagne du chef de l’État, Valérie Trierweiler. C’est en femme trompée que celle-ci a pris la plume et livré ce récit, parfois cruel pour François Hollande : le président est notamment accusé de désigner les pauvres par le terme moqueur de « sans-dents ». Vraie ou non, l’anecdote déchaîne les adversaires du chef de l’État, et notamment la fachosphère. Elle sert aussi de prétexte au rassemblement du jour où se mêlent partisans de la Manif pour tous et dieudonnistes survoltés, que contiennent sans mal les nombreux CRS présents autour d’eux. De cette foule bigarrée émerge alors une jeune femme blonde. Du haut de son mètre cinquante, veste camouflage et clope au bec, elle vient narguer les forces de l’ordre avec sa pancarte (« Sans-dents ? Assez pour te mordre pépère »). Ce comportement bravache, dans une assemblée largement masculine, attire les caméras : plusieurs sites de la fachosphère, dont Fdesouche, relaient aussitôt les vidéos du rassemblement13 et le pseudonyme de la jeune femme : « Électre ».

La manifestation ne fera guère trembler le pouvoir ; en revanche, elle changera la vie de sa participante. Fidèle électeur frontiste, le père d’« Électre » découvre ce surnom en même temps que les vidéos de l’événement. Une recherche Google lui apprend le reste : graphiste dans une agence Web parisienne, sa fille Agathe est aussi actrice pornographique, et possède même son propre site. Que la jeune femme utilise son corps pour faire passer un discours nationaliste et xénophobe ne change rien à l’affaire : lorsque celle-ci appelle ses parents avant de prendre le train vers le domicile familial, en Lorraine, on lui répond qu’il est inutile de rentrer.

L’extrême droite dont se réclame Électre se moque bien d’être « dédiabolisée ». Convaincue qu’il « y a des races humaines, chacune avec ses spécialités14 », la Lorraine lit avec intérêt les ouvrages de l’antisémite Hervé Ryssen et se déclare partisane de la « remigration » – c’est-à-dire du retour au pays des immigrés présents en France, voire de leurs descendants. Comme Pierre H., Électre a un rêve : faire de la pornographie un véhicule pour ses idées radicales. Mais à la différence du jeune dieudonniste, l’actrice se met elle-même en scène dans ses productions. Sur Google, l’une des premières images associées à son pseudonyme la montre nue. Seul un petit hexagone tricolore lui masque l’entre-jambe, tandis que sur sa poitrine s’étale l’inscription : « Stop au métissage forcé ».

Électre s’appelle encore Agathe lorsqu’elle naît à la politique, le 21 avril 2002. Ce soir-là, Jean-Marie Le Pen parvient au second tour de l’élection présidentielle : alors que beaucoup de Français se frottent encore les yeux, la famille de l’adolescente sabre le champagne. Jusqu’alors, Agathe ne partage pas les idées de ses parents, un médecin et une mère au foyer. Branchée sur Skyrock, elle apprend par cœur les refrains des rappeurs Disiz La Peste ou Doc Gynéco. « Je me souviens que je regardais souvent le journal de 20 heures avec mes parents et que j’étais choquée de leurs commentaires péjoratifs sur telle ou telle communauté, chuchote-t-elle. Mais après le 21 avril, j’ai pensé comme eux. »

Le déclic ? Il serait venu de l’exhortation d’un professeur à manifester contre le FN durant l’entre-deux-tours : « J’ai eu deux heures de colle pour lui avoir répondu que c’était scandaleux, poursuit-elle. Je trouvais ça inadmissible qu’un enseignant se permette d’avoir une position partiale. C’est là que j’ai compris que tout le système était biaisé. » Alors que la France vit au rythme des mobilisations anti-FN, Agathe prend un pli « cancre punk » et s’amuse à choquer ses amis, assurant qu’elle voterait Jean-Marie Le Pen si elle le pouvait.

Cinq ans plus tard, bac en poche, la jeune femme pousse la porte de la permanence frontiste de Nancy. Elle en ressort équipée d’un carton d’affiches, qu’on l’a chargée de coller dans les rues de la cité lorraine. Pour un temps, le parcours d’Agathe se lie au Front : diplômée en commerce et en « nouvelles technologies de l’information », c’est par ses relations politiques qu’elle obtient un stage de fin d’études, dans une agence de communication proche du Front national. Plus tard, devenue conceptrice indépendante, elle réalisera le site des parlementaires européens du Front national et celui de David Rachline, le maire de Fréjus. Rue des Suisses à Nanterre près du siège du parti, certains camarades frontistes l’encouragent à s’engager plus avant en politique. « Ils me disaient que je serais la Cicciolina française mais je n’avais pas envie », raconte-t-elle.

Porn studies

Pourtant, à l’instar de l’actrice X italienne des années 1980, capable de montrer ses seins à la télé comme de mener une campagne politique, Agathe joue sur deux terrains. Depuis son adolescence, elle est accro au porno. Sous son lit, la jeune fille conserve un stock de Max, magazine masculin riche en top models dénudés. « Je trouvais la presse féminine trop gnangnan, là c’était bien bourrin, rit-elle. Sauf qu’une fois ma mère est tombée dessus. Je me rappelle qu’il y avait un article hyper élogieux sur le plus grand gang bang du monde : trois cent cinquante personnes. Quand elle a lu ça, elle m’a foutu des coups de journaux et a tout balancé. »

La préférence d’Agathe va au sexe brutal, tel qu’elle le trouve sur Kink.com. Ce site, qu’elle décrit comme « plutôt bien rude », est le temple du BDSM – acronyme de « bondage, domination, sadomasochisme ». Au fil de ses visites, l’adolescente tombe en pamoison devant l’acteur Mark Davis, un quadra baraqué à l’accent britannique.

« En plus d’être un beau gosse et un très bon dominant, il est surtout connu pour avoir une très belle bite, large et pas coupée, s’émeut-elle encore aujourd’hui. Et aux States, ce n’est pas évident à trouver car ils sont tous circoncis. » À sa grande surprise, Agathe recevra une réponse au message laissé sur la page Myspace de Davis : l’étalon l’invite même à passer quelques jours chez lui en décembre 2012, à Los Angeles. La jeune femme s’y rend, et y passera plusieurs semaines. « Il habitait dans une véritable porn house, explique-t-elle. Des fois, je me levais et je voyais des gens à poil en train de baiser. C’était vraiment un gros bordel. » De drôles de vacances pendant lesquelles son hôte la convainc qu’elle a un « potentiel dans le porno » et peut y faire carrière.

C’est à son retour sur le vieux continent qu’Agathe franchit le Rubicon. Un saut qui commence par le choix de son pseudonyme, « Électre », tiré de la mythologie grecque. En mars 2013, c’est devant la caméra de John B. Root, l’un des plus célèbres « parrains » du X français, qu’elle fait ses débuts : « Je me souviens qu’elle avait une énergie incroyable, s’enthousiasme celui-ci. C’est l’une des actrices les plus douées que j’aie vues passer dans ma carrière. Je me disais qu’elle allait recevoir un milliard de propositions et qu’elle deviendrait sans problème une star du X. De Paris à Prague en passant par Los Angeles, je la voyais déjà tourner partout15. »

Lors du tournage, un « léger détail » attire cependant son attention : « J’avais remarqué une croix celtique tatouée au-dessus de son pubis. Mais je me suis dit que c’était un délire de jeunesse. » L’homme est détrompé dès le lendemain, lorsqu’il reçoit un appel éploré de sa jeune étoile : « Je suis en garde à vue après la manif », lui annonce-t-elle. Ce jour-là, la Manif pour tous a de nouveau battu le pavé en opposition au mariage homosexuel. « Mais qu’est-ce que tu foutais là-bas, tu as été casser la gueule à ces fachos ? » s’étrangle le cinéaste. « Non, c’est moi la facho », rétorque Électre.

Porno et politique : pour Électre, c’est la première fois que ces deux univers se percutent. Les premiers films de l’actrice, en effet, n’ont pas grand-chose d’engagé. Dans Pare-chocs pour beau châssis, elle interprète une mécano victime de son patron garagiste. « Puisque ses heures supp’ ne sont pas payées chaque mois, elle va se les faire donner en liquide », prévient le synopsis. Dans une parodie de l’émission de TF1 Pascal, le grand frère, celui-ci use « de tous ses vices pour ramener le calme au sein d’une famille complètement déchirée. Coups de bite, doigts au cul, l’attirail du grand frère ne sera pas de trop pour réussir cette mission périlleuse ».

À l’époque, l’actrice garde ses opinions pour elle : en interview, elle déclare simplement vouloir « faire aimer le porno à des gens pas forcément intéressés à l’origine16 ». Électre attire même l’attention de la pornstar Anna Polina, lorsque celle-ci passe de l’autre côté de la caméra et cherche des actrices : « Il n’y avait pas énormément de filles en France avec cette plastique, argumente la réalisatrice. À l’époque, elle n’avait pas encore utilisé sa sexualité comme un moyen de militer. Mais elle a quand même insisté pour ne pas faire d’interracial et souhaitait à tout prix choisir son partenaire17. »

Malgré sa discrétion initiale, les convictions d’Électre sont vite notoires dans le petit milieu du porno français. Réalisateur d’Ivre de sexe et de lumière, le dernier film dans lequel elle a joué, Jack Tyler se souvient des opinions « identitaires et nationalistes » affichées par son actrice. En plus d’effectuer une « quenelle » lors d’une partouze, Électre émet des doutes sur la suite de sa carrière. « Je lui ai dit que c’était pas le meilleur métier pour une fille qui a un cerveau, se souvient Tyler. Elle était très indépendante, ne voulait pas tourner avec des Blacks, c’était évident qu’elle n’accepterait pas durant longtemps les contraintes de l’industrie18. » L’intéressée explique : « Je me suis dit que le porno avait besoin d’icônes plus respectables que celles que l’industrie nous propose. Selon moi, il pouvait servir à défendre une autre vision politique. Quand on regarde qui s’en occupe, qui le fait, c’est une arme de guerre idéologique. Le X est sûrement le seul secteur où la réalité raciale n’est pas censurée, mais exacerbée. Il prépare l’homme métissé de demain, notamment grâce à la promotion incessante de l’interracial, que j’ai pour ma part toujours dénoncé et refusé. »

L’anti-Femen

« Mettre sa peau au bout de ses idées » : Électre veut désormais donner une interprétation littérale à ce vieil idéal de l’extrême droite. Le 10 septembre 2014, neuf Femen sont relaxées par le tribunal correctionnel de Paris. Ces militantes féministes radicales étaient jugées pour leur intrusion dans la cathédrale Notre-Dame de Paris, début 2013. « Pope no more ! » avaient-elles alors scandé, seins nus, en faisant tinter les cloches exposées dans la nef.

Tandis que les prévenues sortent du Palais de justice, Électre retourne sur les lieux du sacrilège : postée seins nus devant Notre-Dame, la jeune femme exhibe un torse barré de l’inscription : « France fille aînée de l’Église bafouée, justice à deux vitesses, Femen go home ! » La scène est capturée par les caméras de France 3, où l’on présentera sa protagoniste comme une simple « chrétienne qui utilise l’arme des activistes pour dénoncer leur action ». Impact garanti. Même les Femen réagiront au coup d’éclat sur leur compte Twitter : « Que les nationalistes françaises sont belles, mais que leurs idées sont laides. »

Sur Twitter aussi, il arrive qu’Électre tombe le haut en défense du président russe Vladimir Poutine. « Si les seules armes des Femen sont leurs poitrines et les antivaleurs qu’elles y inscrivent, je suis à tout point de vue mieux équipée qu’elles », se marre-t-elle. La militante sort aussi le pot de peinture pour recouvrir des œuvres jugées « antifrançaises », comme cette fresque du street-artist Combo rue Oberkampf à Paris19. La vidéo de l’opération dépassera les soixante mille vues en l’espace d’une semaine. Électre ira jusqu’à Calais pour manifester contre la présence de camps de migrants, affichant sur sa poitrine le mot d’ordre : « Non aux clandestins, l’Europe aux Européens ».

Généreusement surnommée « la nouvelle Jeanne d’Arc » par certains camarades de combat, Électre est devenue l’égérie d’une certaine extrême droite. Mais évidemment pas d’un FN en quête de normalisation : à part Philippe Martel, cet ex-directeur de cabinet de Marine Le Pen qui l’apprécie et l’a même présentée à Éric Zemmour, personne au Front national n’ose évoquer son nom. Depuis 2013, l’actrice n’est d’ailleurs plus membre du parti. Sur son compte Twitter rebaptisé MakeEuropeWhiteAgain, les piques antisémites côtoient des messages suprémacistes ou islamophobes. À sa photo se superposent les vignettes de deux icônes de la droite ultra : l’Américain Donald Trump et le moins connu Français Henry de Lesquen, président de Radio Courtoisie. « Pour une double dose de trolling », assure la passionaria.

Cet engagement radical a un prix : l’isolement. Entre Électre et le milieu du porno, le cordon est définitivement rompu depuis 2015 et un entretien accordé au site La Voix du X20. La jeune femme y défend l’idée qu’un « bon régime fasciste pourrait sans doute nous sortir de la merde ». Et d’ajouter : « Si tout le porno est interdit [par un tel régime], ça ne me gênera pas de ne plus pouvoir en faire. C’est comme le droit de vote : si l’on interdit à tout le monde de voter, ça ne me dérangera pas de ne plus le faire. »

Quelques mois plus tôt, Électre avait déjà dû se résoudre à l’échec d’un projet personnel, baptisé Eblows. Le concept ? Une série de vidéos de fellations administrées par elle à un public « patriote ». « Il y avait un casting cent pour cent faf, c’est-à-dire réservé aux militants nationalistes qui pensent bien, se vante Électre. J’avais fait une grosse annonce sur mon site avec un dossier de candidature à remplir. Il y avait un texte de présentation à fournir, des études, des photos. S’il y avait des fautes d’orthographe, c’était non direct. » Intéressée par l’idée de financer le projet, la société Jacquie et Michel a finalement renoncé, jugeant qu’une Web série « basée uniquement sur de la pipe n’était pas vendable ».

Mi-mars 2016, on retrouve Électre à Nancy, sur la place Stanislas. Retirée de l’industrie du X, l’ex-actrice s’est réconciliée avec ses parents. Elle vit d’ailleurs chez eux, faute de moyens, travaillant comme créatrice de sites Internet depuis le domicile familial. Toujours en place, sa propre page dispose d’un espace privé, où la vente d’images de charme lui permet de financer ses opérations militantes. Électre revendique aujourd’hui cent cinq abonnés à 10 euros par mois : « C’est une manière de faire kiffer des mecs qui le méritent en leur demandant simplement une petite obole pour me soutenir, explique-t-elle. J’en ai marre de raquer du matos pour des actions militantes en sortant tout de ma poche. »

Entre deux cigarettes et une gorgée de bière, elle assure ne pas avoir définitivement abandonné ses projets d’autoproduction, mêlant pornographie et nationalisme. « Mais pour l’instant, je n’ai pas trouvé l’homme idéal qui voudra partager ma vie et mes combats. Et ne comptez pas sur moi pour proposer ça à Jean-Marie : j’ai beau adorer les menhirs, il n’y résisterait peut-être pas, et je tiens beaucoup trop à lui pour ça. »