Prologue

Fachosphère : le mot et la chose

Nous sommes en octobre 2009, et Frédéric Mitterrand passe un mauvais moment. Le ministre de la Culture est au cœur d’une tempête médiatique qui menace de lui faire perdre son poste. Objet de la controverse : quelques extraits de son livre La Mauvaise Vie, dans lequel il évoque son habitude de « payer pour des garçons » lors de séjours en Thaïlande. L’ouvrage a été publié en 2005. S’il déclenche une telle polémique quatre ans plus tard, c’est que le passage incriminé a été évoqué par Marine Le Pen, alors vice-présidente du Front national, dans l’émission Mots croisés sur France 2. Un communiqué frontiste fustigera même le « ministre pédophile » – ce dernier se défendant pourtant de toute relation avec un mineur.

Frédéric Mitterrand conservera finalement son portefeuille ; Marine Le Pen aura, elle, réussi à faire l’actualité et à déstabiliser le gouvernement. Mais où la future présidente du Front national a-t-elle trouvé son inspiration ? Sur Internet, et plus précisément sur le site d’extrême droite Fdesouche.com. Le 30 septembre, soit six jours avant le début de l’affaire, celui-ci reproduisait le passage controversé – pour le mettre en parallèle avec le cas du réalisateur Roman Polanski, lui aussi accusé d’avoir eu une relation sexuelle avec une mineure1. Marine Le Pen n’aura eu qu’à prendre des notes. Dans les jours suivants, Fdesouche et d’autres sites d’extrême droite seront à l’avant-garde de la campagne contre le ministre de la Culture. « La fachosphère accuse Frédéric Mitterrand de pédophilie », peut-on alors lire sur le site de L’Express, entre autres2. Le terme est lâché ; il fera florès. Sept ans ont passé depuis l’affaire Mitterrand, et la fachosphère n’a jamais paru aussi puissante. L’année 2016 a offert plusieurs exemples de son dynamisme et de sa capacité à orienter le débat public3.

En mai 2016, c’est en grande partie à la suite de sa mobilisation qu’a été annulé un concert du rappeur Black M à Verdun, l’extrême droite ayant jugé indésirable la présence de l’artiste en marge des commémorations de la célèbre bataille. À l’été, sa mobilisation autour de l’église Sainte-Rita, un lieu de culte parisien voué à la démolition, lui donnait une nouvelle visibilité. Et lui valait cet amical salut de l’éditorialiste du Figaro, Ivan Rioufol : « La fachosphère, terme plébiscité cet été par les médias censeurs, est ce lieu rare où les opinions vivent encore en liberté dans le réel4. » Comment mieux résumer l’influence acquise sur la toile par cette extrême droite autrefois marginale ?

Une fachosphère en expansion

« Fachosphère » : voilà un vilain mot. Il n’est pas agréable à l’oreille ni flatteur pour ceux qu’il désigne. Pourtant, qui a utilisé Internet ces dernières années ne peut y avoir échappé. Il désigne en effet l’un des secteurs les plus dynamiques de la Toile, celui de la propagande d’extrême droite. Qu’il s’agisse de diffuser ses idées, d’appeler à l’action ou encore de lever des fonds, cette famille politique bénéficie sur le Web de positions remarquablement solides. Plutôt que comme l’outil naturel du camp progressiste, l’extrême droite y a vu un levier de développement providentiel qui lui permet de compenser sa moindre présence dans les médias traditionnels. Un but poursuivi avec obstination dont on peut, aujourd’hui, commencer à raconter l’histoire.

 

Décomposons. « Facho » ? Abréviation de « fasciste », ce terme bien connu s’est dilaté jusqu’à désigner, de manière familière et péjorative, tout sympathisant d’extrême droite. Quant à la « sphère », elle indique un milieu, presque un petit univers. Le suffixe se retrouve dans une multitude de néologismes désignant telle ou telle communauté, dans la « vraie vie » comme sur Internet. L’un des premiers concepts forgés sur ce modèle a été celui de « blogosphère », apparu à la fin des années 1990. Ont ensuite fleuri une « droitosphère » et une « gauchosphère », une « cathosphère » et une « réacosphère », entre autres. Popularisé par l’affaire Mitterrand, le terme « fachosphère » semble quant à lui apparaître vers 2008. Il est difficile de dire qui l’a utilisé le premier, mais un journaliste en revendique la paternité : Daniel Schneidermann, directeur d’Arrêt sur images, un site professionnel de « réflexion critique sur les médias ».

« À l’époque, de nombreux blogs d’extrême droite donnaient des consignes pour spammer et troller5 certains forums ou sites d’informations, raconte Schneidermann. Nous avions le sentiment d’une volonté d’entrisme assez importante, et d’une influence de plus en plus forte de cette mouvance. Leur sens de l’organisation m’a donné l’idée d’une sphère à laquelle j’ai adjoint le terme “facho”. Pour moi, ce dernier n’avait pas de connotation péjorative. Quand j’étais étudiant à Assas dans les années 1970, on les désignait comme ça. Et il suffit de passer cinq minutes sur Fdesouche pour se rendre compte de leur couleur politique. Si on avait vraiment voulu faire référence au fascisme, on aurait parlé de “fachistesphère” ! À la même époque, nous avions aussi inventé le terme “kakisphère” pour parler des blogs militaires qui se plaignaient du sous-équipement de l’armée française. Bizarrement, cette expression n’a pas eu la même postérité6. »

À l’automne 2008, Arrêt sur images consacre donc une série d’articles à la présence de l’extrême droite sur Internet. Ses journalistes enquêtent sur la « fièvre nationaliste » qui leur semble gagner le Web. Et constatent, notamment, la forte popularité du site identitaire Fdesouche, lancé trois ans plus tôt. Les articles sur ce sujet feront l’objet d’une nouvelle rubrique, intitulée « Fachosphère : à l’assaut du Net ».

 

La fachosphère, c’est donc l’extrême droite dans sa diversité : identitaires et maurrassiens, frontistes et disciples du gourou Alain Soral, néofascistes et « cathos tradis ». Les intéressés contestent évidemment le terme, préférant parfois celui de « réinfosphère ». Ils insistent ainsi sur la mission que se donnent certains d’entre eux : fournir une information corrigée des « bobards » attribués aux médias, voire carrément passée sous silence par les canaux du « système » – un concept manié par l’extrême droite radicale française depuis les années 1950.

Le plus souvent, cette grande ambition dissimule mal son véritable objectif : propager l’analyse et les mots d’ordre de l’extrême droite, Internet permettant de contourner le filtre des médias « traditionnels » et de toucher directement l’audience. Pour cela, la fachosphère se déploie sous tous les formats. Sites et blogs, pages Facebook et comptes Twitter, commentaires sur les forums ou les sites d’information, vidéos, photomontages : les modes d’existence en ligne sont innombrables. Ce n’est pas une sphère, c’est une nuée, dont il est tentant de dresser le plan.

La société Linkfluence, spécialisée dans l’analyse du Web social, s’est justement livrée à cet exercice7, en créant un document qui représente sous forme de carte la plupart des sites politiques, ainsi que les liens hypertextes qui renvoient de l’un à l’autre. La proximité géographique entre deux sites est proportionnelle à l’intensité des échanges entre eux. La fachosphère apparaît ainsi comme l’un des principaux « continents » du Web politique – le troisième en taille derrière la gauche et la droite. « En 2007, elle représentait quatre-vingt-six sites, soit 4,9 % du total, précise Guilhem Fouetillou, cofondateur de Linkfluence. En 2013, elle comprend deux cent trente sites et représente 14 % du total. La fachosphère est le milieu qui a le plus progressé sur Internet entre ces deux dates8. »

Internet comme arme

Si le mot « fachosphère » est récent, la réalité qu’il recouvre est ancienne. Dès 1995, le néonazi américain Milton John Klein publiait un court essai intitulé On Tactics and Strategy for USENET. Usenet était un réseau décentralisé populaire parmi les premiers connectés, permettant d’échanger des messages dans des groupes de discussions thématiques. L’auteur comprend déjà la portée révolutionnaire de ce système, qui supprime en apparence tout intermédiaire entre le producteur et le récepteur d’un message politique : « Internet offre de gigantesques possibilités pour permettre à la résistance aryenne de diffuser notre message aux inconscients et aux ignorants, écrit-il. C’est le seul média de masse à notre disposition qui reste (jusqu’à présent) relativement épargné par la censure. L’État ne peut pas encore nous empêcher de diffuser nos idées et nos organisations sur Usenet, mais je vous assure que cela ne sera pas toujours le cas. Il faut s’emparer MAINTENANT de l’ARME que représente Internet, et l’utiliser avec habileté tant que vous pouvez encore le faire librement9. » En France, c’est un raisonnement similaire qui décide le Front national à se lancer dans le bain numérique : en avril 1996, celui-ci devient le premier parti national à se doter d’un site Internet, juste avant les Verts.

D’autres organisations ou individus d’extrême droite investissent le nouvel espace virtuel. Depuis 2000, l’historien Marc Knobel rédige de réguliers rapports sur « les appels à la haine et à l’exclusion sur Internet », à destination de la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH). Signe qu’à cette date, le phénomène alerte déjà les associations antiracistes par son ampleur. « Selon les chercheurs du Centre Simon-Wiesenthal, en 1995, il n’existait qu’un seul site d’incitation à la haine raciale [dans le monde, ndla], indique Marc Knobel dans son premier rapport10. En novembre 1997, le Centre en avait recensé déjà six cents. Un nouveau chiffre était annoncé en janvier 1999 : mille quatre cent vingt sites encouragent le racisme et l’antisémitisme, diffusent de la hate music (le rock néonazi ou identitaire) ou des thèses néonazies. Au 15 juillet 1999, ce chiffre était passé à plus de deux mille cent. »

Et l’historien d’ajouter que ces données sont « probablement loin du compte ». D’autant qu’on ne saurait réduire l’extrême droite au phénomène néonazi. Au moins ces chiffres témoignent-ils que la question n’a rien de nouveau.

Pourtant, son émergence a déconcerté observateurs et adversaires de l’extrême droite. Habitués à combattre celle-ci pied à pied dans la rue ou dans les urnes, certains militants s’avouent démunis face à ce militantisme 2.0. Tel cet ancien membre du Scalp11, cofondateur du site antifasciste La Horde : « Avant, pour exister, un groupe politique devait avoir un journal, une adresse que l’on pouvait tracer. Avant, il y avait un look “faf” : les mecs, tu les voyais venir. Mais avec la fachosphère, on se bat contre des moulins à vent. On est passé des modèles du XXe siècle à ce schéma transversal où un individu solitaire peut avoir plus d’audience qu’un groupe, sans aucun contact dans la “vie réelle”. Internet est devenu un déversoir pour ce genre de profil. La présence de l’extrême droite s’est démultipliée sans que l’on puisse en tracer les contours12. »

Un trouble dont témoigne aussi, sous couvert d’anonymat, un jeune socialiste, membre de l’équipe de François Hollande lors de la présidentielle de 2012 et désormais au service du gouvernement. « Pendant la campagne, nous avions jugé inutile de construire une armée en ligne, raconte-t-il. Le Web d’alors était tellement anti-Sarkozy que la bataille était gagnée d’avance : il suffisait d’être la cerise sur le gâteau, et de donner à ses acteurs les moyens de s’organiser. La moindre opération de campagne qu’on lançait était reprise par plein de gens différents juste pour taper Sarkozy. » La victoire passée, toutefois, notre interlocuteur déchante : « Notre erreur a été de penser qu’être antisarkozyste revenait à être de gauche. En fait, pour beaucoup d’internautes, c’était d’abord être anti-pouvoir. Au lendemain de la victoire, nous avons donc observé une dilapidation rapide du Web pro-Hollande. Notre politique a déçu, mais certains alliés objectifs contre Sarkozy se sont aussi révélés être des gens d’extrême droite. Au moment où cette coalition se dispersait, la Manif pour tous est devenue un catalyseur pour la droite radicale, comme l’antisarkozysme l’avait été pour la gauche. On a vu émerger toute une génération néoréactionnaire militante. Sur Twitter, certains comptes de droite assez mineurs se sont rapidement retrouvés avec quinze mille abonnés. Sur Internet, tout semble être devenu facile pour eux13. » Et difficile pour leurs adversaires.

Définir la fachosphère

Qui s’agite derrière ce « eux » ? Analysant la fachosphère, Linkfluence y a distingué plusieurs familles : les néoconservateurs, aux confins de la droite et de l’extrême droite ; les islamophobes, reprenant à leur compte la thèse d’un « choc des civilisations » ; les sites liés au Front national ; les identitaires, défendant une vision racialiste de la société, et particulièrement actifs en ligne ; les nationalistes-révolutionnaires, à la recherche d’une troisième voie entre capitalisme et communisme ; et les catholiques traditionalistes et intégristes.

Cette diversité est aussi celle de l’extrême droite hors d’Internet, jamais réductible à l’une de ses nombreuses tendances. C’est pourquoi le terme « fachosphère » peut sembler problématique : ne rassemble-t-il pas de manière abusive les phénomènes les plus divers ? Quoi de commun, au fond, entre Dieudonné et un néopaïen, entre des néonazis et des catholiques intégristes ?

« Le terme est très efficace pour cibler un certain milieu, mais la nébuleuse qu’il désigne contient un peu tout et n’importe quoi, appuie Stéphane François, universitaire spécialiste des radicalités de droite. On en arrive sur un autre débat : qu’est-ce qu’un “facho” et qu’est-ce que l’extrême droite ? Le plus petit dénominateur commun est difficile à trouver. Par exemple, les néodroitiers du Club de l’Horloge sont économiquement libéraux, tandis que les nationalistes-révolutionnaires sont anticapitalistes. Il existe pourtant un angle d’attaque qui les réunit : tous ces groupes rejettent au moins un aspect des Lumières – le rationalisme, l’individualisme, l’intégrationisme… Et ils sont a minima méfiants vis-à-vis de la démocratie parlementaire, vue comme l’art de la parlotte perpétuelle14. »

Pour sa part, l’historien Nicolas Lebourg15 retient comme premier critère l’« organicisme », soit l’assimilation de la communauté nationale à un organisme vivant, harmonieux en soi mais menacé par des éléments extérieurs pathogènes.

Les acteurs de la fachosphère se caractérisent ainsi par une opposition commune à la modernité libérale et à son idéal de société ouverte. Non pas que ce modèle serait en deçà de ses promesses – discours qui est plutôt la marque de l’extrême gauche. Au contraire, il excéderait déjà certaines limites posées par la nature, exploitant l’individu, déchirant les communautés, corrompant les modes de vie, remplaçant partout la beauté et la vérité par la laideur et l’artifice. À ce triste tableau, l’extrême droite oppose un modèle fantasmé de Cité idéale, située dans un passé à ressusciter plutôt que dans un avenir à construire. D’où l’importance, dans ce discours, du thème de la décadence ; car l’Histoire se résume alors à une chute entre l’âge d’or et notre présente misère.

 

Dans ce récit, l’adversaire revêt bien des visages. On le retrouve régulièrement désigné par le terme générique de « système ». Utilisé par une bonne partie de l’extrême droite, ce terme vague vise aussi bien les partis traditionnels que les grands médias, la finance, les élites en général, voire d’inquiétantes sociétés secrètes.

D’autant plus partagé qu’il est mal défini, cet adversaire soude en retour une communauté d’opposants, en vertu du vieux principe : « Les ennemis de mes ennemis sont mes amis. » C’est Pierre Sautarel, fondateur du site Fdesouche, qui le dit : « De Soral au Salon beige en passant par mon site, notre seul point commun, c’est vous, les médias16. Votre réaction nous apporte la cohésion idéologique que l’on n’a pas forcément. Je ne me retrouve pas du tout dans ce que peuvent dire Dieudonné et Soral, mais j’ai choisi de les défendre. Car je me suis rendu compte qu’ils se retrouvaient face aux mêmes mecs qui me font chier d’habitude17. »

Même idée chez Michel Janva, principal animateur du site catholique Le Salon beige : « Ce qui nous réunit, c’est d’être mal connus et mal traités par les médias – d’être qualifiés de fachos, de tradis, de réacs18. »

Marine Le Pen elle-même ne dit pas autre chose : « On présente souvent la fachosphère comme une entité homogène. En réalité, il y a peu de liens entre les uns et les autres, qui sont souvent issus de chapelles différentes, concurrentes, voire adversaires. Il s’agit en réalité d’une accumulation d’initiatives personnelles, plus ou moins efficaces. Le seul point commun, c’est que nous sommes des dissidents face à un système médiatique que beaucoup jugent, à juste titre, verrouillé19. »

C’est d’abord dans l’opposition au « système » que la fachosphère trouve son unité. En témoigne la surreprésentation chez elle du lexique de la révolte, qu’illustre par exemple le succès du terme « dissident ». Dès 2011, le Front national annonçait quant à lui l’avènement d’une « révolution bleu marine ».

 

Face à l’adversaire commun naissent les convergences les plus inattendues : en janvier 2015, la manifestation Jour de colère a ainsi vu défiler à Paris, dans le même cortège, catholiques intégristes, dieudo-soraliens et néofascistes.

L’évocation du « système » caractérise aussi une pensée complotiste que partagent, à des degrés divers, une grande partie de ces mouvements. Selon ce mode de pensée, la marche du monde n’est pas le résultat d’une multitude d’événements indépendants. Au contraire, elle répond à la volonté d’un petit groupe d’individus ou d’organisations occultes, dont les institutions officielles ne seraient que les commis.

Des exemples de cette pensée se retrouvent aussi bien chez les identitaires, où l’on s’affole du « grand remplacement20 » en cours, que chez Alain Soral et Dieudonné, où l’on disserte – à l’instar de certains catholiques intégristes – sur le « classique » complot judéo-maçonnique. Cette grille de lecture du monde est si répandue dans la fachosphère qu’elle peut, elle aussi, contribuer à la définir. Et sa propagation a trouvé dans Internet un puissant canal de diffusion.

Pourquoi Internet ?

Cette appétence de l’extrême droite pour les canaux alternatifs ne date pas d’hier : « On a été les premiers à utiliser le Minitel, le disque souple, l’audiotel, et finalement Internet, se souvient le premier président du Front national, Jean-Marie Le Pen. Comment je l’explique ? Par la nécessité. Il n’y a pas de meilleur aiguillon21. » Se jugeant peu ou mal représenté dans les médias traditionnels, le FN a rapidement été en pointe dans l’utilisation d’Internet. Il se passait ainsi de la médiation des journalistes pour diffuser ses messages – paradoxe, quand on sait à quel point les médias de masse ont contribué à l’émergence du parti.

« Avec Facebook, nous nous montrons à notre audience tels que nous sommes, pas tels que les médias nous représentent22 », insiste David Rachline, ancien responsable des services numériques du Front national.

 

Singulier à ses débuts, ce tropisme numérique est désormais devenu la norme en politique. L’essor des blogs et des réseaux sociaux a donné à tout un chacun la possibilité de s’exprimer en ligne. Reste à s’y rendre visible parmi une offre foisonnante.

Le duo Dieudonné-Soral est le parfait exemple d’une production politique dont l’émergence est indissociable d’Internet. « Sans Internet, je ne pourrais pas vivre car je n’ai plus d’éditeur, explique également l’écrivain Renaud Camus, vulgarisateur du “grand remplacement”. Je n’ai d’autre existence professionnelle que “webmatique”23. »

Autre avantage de ce média : son effet de levier considérable. Entretenir un dispositif Internet de haute qualité peut coûter cher. Mais en pratique, et malgré certaines tentatives de professionnalisation, la plupart des sites de la fachosphère impliquent des coûts relativement faibles tout en rassemblant des audiences parfois considérables. Avantage décisif pour une famille dont même la tête de gondole, le Front national, a récemment traversé de grandes difficultés financières.

Pour les mouvements plus modestes, le découplage entre visibilité en ligne et forces réelles peut aussi être trompeur : tel groupuscule sans consistance peut, avec un site bien fait ou une présence suffisante sur les réseaux sociaux, se faire plus gros que le bœuf. Autre atout majeur d’Internet : la création d’écosystèmes idéologiques dont les composantes se complètent, se répondent, s’amplifient réciproquement.

 

L’essor de la fachosphère a provoqué de nombreux commentaires. Les plus tranchés y ont vu la démonstration que le Web serait « l’égout » de nos sociétés, et encouragerait toutes les perversions politiques. Il semble plus raisonnable de considérer la Toile comme une certaine image de nos sociétés : tout ce qui existe « dans la vraie vie » y trouve son reflet, pour le meilleur et pour le pire. Il est vrai que ce miroir est déformant : les extrêmes en tout genre, et notamment l’extrême droite, y sont surreprésentés.