Le serpent

Il y a toujours quelqu’un pour se souvenir

D’une tranche de pastèque mangée à deux

Quand la lumière est à pic

Sur les fontaines à Florence.

Du fond d’un chagrin sans égal on peut

Alors tenir en respect le Vieillard Temps

Et sa manie de tout racler contre les murs;

Mais lui, avec un savoir-faire plus précis

Que toutes les insomnies, chope la carte postale,

Pisse dessus, et entre deux rires :

« Crétin, ça un événement ? Tu n’es même pas

Capable de te rejoindre, tu as livré

Ton cul aux mouches et tu te plains

De la destinée ! Tout le monde a, comme moi,

D’abord été ce jeune homme qui passe,

En équilibre sur la roue, avec la réussite

Pour l’an qui vient ; la suite,

C’est ce qu’on perd entre les jours et l’ombre,

A trop tailler le buisson des voyelles,

Et c’est toujours trop tard;

Tu fais le fier parce que tu crois encore

Au vieux chant des noms propres,

Mais tu vaux moins que tes songes

Et seul l’oubli t’aurait permis

De ne pas finir comme le serpent

Qui m’accompagne et qui depuis des siècles

N’en finit pas de se mordre la queue ».

The Serpent

There’s always someone to remember

A slice of watermelon you two shared

When the light came straight down

On the fountains of Florence.

From the depths of a matchless grief you can

Then affront Father Time and his obsession

With scraping everything against the walls;

But he, with a know-how more precise

Than all your insomnias, swipes the postcard,

Pisses on it, and between two snickers:

“Idiot, that was an event? You can’t even

Agree with yourself, you’ve sold

Your ass to the flies, and you complain

About fate! Everyone has, even I,

Been that young man who goes by

Balancing on a wheel, with good luck

For the year to come; what follows

Is what’s lost between the days and shadows,

Wasting your time pruning the vowel bushes,

And it’s always too late;

You put on airs because you still believe

In the old song of proper names,

But you’re worth less than your own daydreams

And only forgetfulness would have allowed you

Not to end up like the serpent

Who keeps me company and who for centuries

Hasn’t stopped biting his own tail.”