Pour une résurrection, c’était une résurrection ! Rien à voir avec l’apprenti cadavre qu’on s’était coltiné toute la nuit. C’était bien notre patient pourtant, aucun doute là-dessus. Mais sous la forme d’un petit homme propret, sautillant dans les voilages de son after-shave. Juste un sparadrap sur le haut du front. Haussé sur ses talonnettes, il a levé vers Madrecourt un œil vif et a entrepris de faire notre éloge à tous. Non, Madrecourt ne devait pas nous « gronder » (sic), nous avions été « parfaits », chacun dans notre rôle, et notre efficacité attestait la qualité de l’enseignement que Madrecourt nous avait dispensé. Si, si.
– La précision du diagnostic alliée à la rapidité du geste thérapeutique, stupéfiant ! Proprement stupéfiant ! Le docteur Angelin, par exemple…
Et le voilà qui se met à nous passer tous en revue : Angelin, Placentier, Saliège, Verhaeren, Juraj, Aymard et les autres… Sans blague, un Bonaparte au lendemain de la victoire, sur le point de nous tirer le lobe de l’oreille.
– Jusqu’au jeune Galvan qui a pris soin de graisser les chariots !
Et de tartiner sur le jeune Galvan, omniprésent, compatissant, dévoué jusqu’à l’épuisement, Galvan qu’il s’était bien gardé de réveiller ce matin en partant : « Ne m’en veuillez pas, Galvan, il fallait que je passe chez moi faire peau neuve. »
– Et dire qu’il se trouve des gens, en France, pour critiquer le milieu hospitalier ! Si quelqu’un, désormais, peut témoigner de l’excellence de vos services, mesdames et messieurs, c’est bien moi ! Et je ne m’en priverai pas !
La déferlante des louanges. Seulement, nous commencions à reprendre du poil de la bête. On avait quelques questions à lui poser, tout de même. Il a dû le sentir parce qu’il a anticipé :
– Vous devez vous demander ce que signifie cette comédie ? À quel genre de cinglé vous avez affaire ?
Il parlait d’une voix claire comme une avant-scène.
– Quelque chose me dit que vous allez remiser vos anciens diagnostics et chercher du côté de la psychiatrie…
Le fait est qu’on était assez tentés d’explorer ce terrain-là. Il a proposé de nous y aider.
– Bon, si vous le voulez bien, excluons tout de suite l’hypocondrie. Jamais un hypocondriaque n’aurait le courage de s’exposer de la sorte. C’est la peur qui domine, chez l’hypocondriaque !
Assentiment général.
– Bien. Voyons le reste… À quoi pourrions-nous attribuer une symptomatologie si riche, alliée à une pareille maîtrise du corps ? Une bonne vieille hystérie ? Une hystérie à l’ancienne, à la Charcot ? Somatisations sur commande, manifestations spectaculaires, pseudo-épilepsie… Il y a peut-être un peu de ça, oui…
Il y a réfléchi lui-même une seconde ou deux, puis :
– À moins que… un syndrome de Münchausen… non ?… Cette aptitude à glisser d’une maladie à l’autre au moment où le diagnostic va vous saisir… vous ne trouvez pas ? Il n’y a pas plus glissant qu’un Münchausen.
Quelques-uns ont fait oui de la tête. Les marcassins prenaient des notes comme s’il y allait de leur vie. Madrecourt laissait dire. Il se demandait peut-être si l’olibrius faisait partie du canular.
– Mais cette exposition de soi, tout de même… Les Münchausen ont beau flirter avec les médecins, jamais ils ne s’exposent à ce point !
En effet, semblait dire le silence général.
– Non, il y a là-dedans une érotisation du corps… une érotisation massive du corps malade… un peu comme si…
Là, il s’est adressé plus spécialement aux marcassins :
– Un peu comme si ma maman m’avait donné le bain jusqu’à mes quarante ans, pendant que mon papa s’envoyait en l’air avec sa sœur cadette… Vous voyez ?
Deux ou trois étudiants ont froncé des sourcils entendus. Au-dessus d’eux, Angelin et Saliège ont échangé un coup d’œil très clair : Ça suffisait comme ça ! Il s’est adressé à eux juste avant qu’ils ne craquent :
– Vous pourriez aussi opter pour un délire paranoïaque.
Là, il a marqué une pause. Puis, nous englobant tous dans le même regard :
– Mon corps persécuté par le corps médical, apportant à chaque changement de symptômes la preuve de vos incompétences…
Saliège et Juraj ont suspendu leur souffle.
Madrecourt ne bronchait toujours pas.
Lui a éclaté de rire :
– Mais non ! Hypothèse annulée par mon entrée en matière. Encore une fois, vous avez toute mon admiration, vraiment ! Et ma reconnaissance, au nom de tous les malades de France et de Navarre !
Soupirs de soulagement.
– Mais revenons à la question première : Pourquoi ? Pourquoi m’être prêté à cette revue de symptômes ? Je crois que vous avez droit à la véritable explication.