7

– En fait, Jean-Sébastien, tout s’est vraiment terminé l’année dernière, alors que j’étais en troisième. On vivait à Lille, depuis la rentrée de septembre, enfin pas vraiment à Lille mais à Villeneuve-d’Ascq, une ville nouvelle juste à côté.

Comme d’habitude, maman bossait dans le social, comme on dit. Je l’ai toujours connue faisant ce genre de jobs, éducatrice, aide à domicile, permanente dans des associations de réinsertion, etc. Je pense, en fait, que c’est parce que tous ses anciens potes, ceux qui avaient cru à la révolution, ils avaient décidé de continuer leur action plus modestement, plus concrètement. Ils ne pouvaient plus espérer changer le monde, alors ils essayaient de le rendre moins dur en distribuant de la bouffe dans les Restos du cœur, ou en empêchant des gamins de devenir complètement délinquants, ou en montant des pièces de théâtre dans des centres culturels paumés au milieu des ghettos.

Et je pense que c’est eux qui ont aidé maman, en lui trouvant ces boulots discrètement, au nom de leur passé commun.

Tiens, à Saint-Amand-Montrond, par exemple, elle bossait dans un centre pour trisomiques et, un jour où il devait y avoir eu une grève des instits, je suis restée toute la journée avec elle et je me souviens de l’espèce de malaise que j’ai ressenti quand je l’ai vue leur servir un goûter. Ils avaient l’air si proches et si différents à la fois, ces enfants.

Ou alors, quand on s’est retrouvées à Limay, près de Mantes, après mon évasion de la colo de Cancale, je me souviens aussi de la maison de quartier où maman aidait des Maliennes, des Sénégalaises ou même des Françaises complètement paumées à remplir des papiers pour obtenir je ne sais quelle allocation, pour faire je ne sais quelle demande d’aide sociale.

Je l’attendais pendant des heures dans ce décor triste comme la mort, parce que maman ne voulait pas que je traîne après être sortie du collège, et je la retrouvais toujours à cette maison de quartier avec tous les pauvres, les oubliés, les solitaires qui attendaient sous les néons. Et moi je contemplais maman, patiente, compréhensive, expliquant dix fois de suite la même chose, toujours souriante, et toujours avec un geste affectueux pour les bébés collés contre leurs mères dans les plis des boubous multicolores.

Tu vois, Jean-Sébastien, maman a peut-être tué ce patron à Roubaix en 85, ou même ce flic américain devant l’ambassade des États-Unis en 87, quand la moitié du groupe Action rouge est restée sur le carreau (tu as peut-être vu les actualités de l’époque avec les flics français et les marines américains qui vérifient en donnant des coups de pied que les corps allongés sont bien morts, comme on le ferait avec des bêtes fauves), oui, peut-être que maman a participé à toute cette folie mais, en même temps, quand je la revois dans ces centres sociaux, à s’occuper de ceux que personne ne veut plus voir, les drogués, les immigrés, les SDF, les malades mentaux, eh bien je peux te dire que je suis fière d’elle, quand même, et que je trouve que faire ça pendant presque vingt ans, ça suffit peut-être à effacer les années où elle était terroriste.

D’un côté, tu as une gamine révoltée et de l’autre une femme de quarante ans. Ce n’est pas la même, ce n’est plus la même et j’aimerais bien que les juges le comprennent, que maître Derville, l’avocat « sympathisant », qui n’a pourtant jamais mis les pieds dans un centre social, arrive à faire prendre en compte tout ça à tout le monde. Et parfois, sincèrement, j’en doute…

J’allais au collège Molière, l’année se passait vraiment bien. C’était un collège plutôt sympathique avec un vrai mélange. Des fils de médecins, d’ouvriers, de postiers, des Noirs, des Blancs, des Beurs, sans que personne cherche à prouver sa supériorité. En plus, j’aimais bien le programme de troisième, surtout en français et en histoire. Et je me rappelle maintenant que les nazis, ils appelaient les résistants des terroristes et je me dis pour me consoler que maman, elle se voyait sûrement en résistante, pas en terroriste, même si elle avait tort…

Maman semblait plus détendue, aussi. On avait une de ces petites maisons ouvrières, à la limite de Villeneuve et de Lille. En fait, ça allait presque bien. Les cauchemars de maman étaient moins fréquents, ses insomnies aussi.

Un homme passait la voir régulièrement, il avait son âge à peu près, un type très costaud, très doux aussi, qu’elle appelait Bruno. Normalement, il s’arrangeait toujours pour venir quand je n’étais pas là, mais il m’est arrivé de le voir assez souvent quand je rentrais plus tôt parce qu’un cours était supprimé, par exemple.

Une fois, j’ai attendu dans le couloir pour écouter ce qu’ils pouvaient bien se dire autour de leurs tasses de café, et c’est en faisant ma petite espionne que, pour la première fois, j’ai entendu le nom de Duvert :

– Il a dû perdre ta trace, Nathalie, maintenant, cette ordure…

– J’espère, Bruno, j’espère pour moi, j’espère surtout pour la petite… La clandestinité, c’est déjà dur, mais en sachant que ce pourri nous poursuit depuis plus de quinze ans…

– Écoute, sois tranquille. Encore quelques mois et il y aura la prescription. Tu pourras essayer de…

– … De quoi, Bruno, de quoi ?

– De retrouver une vie normale…

– Tu sais, d’une certaine manière, j’ai une vie normale…

– Ce n’est pas une vie normale quand la peur est toujours là… Et puis, vingt ans de cette peur-là, tu as assez payé, non ?

– Sans doute…

Et là, j’ai pointé mon grand museau d’écrevisse blonde, l’air de rien, et j’ai dit : « Bonjour, monsieur ! » et le Bruno a eu l’air tout gêné et il a dit : « Bon, Nathalie, je te laisse, tu sais comment me joindre en cas de problème… »

Elle a dû savoir, effectivement, oui, où le joindre en cas de problème, le Bruno, parce que, le 12 mai dernier, je suis rentrée vers trois heures et demie à la maison et c’est là que le cauchemar a vraiment commencé.

J’ai utilisé ma clef, j’ai poussé la porte pour rentrer et je l’avais à peine entrouverte qu’une main m’a tirée de toutes ses forces à l’intérieur et s’est plaquée contre ma bouche alors que la porte se refermait violemment derrière moi. J’ai essayé de crier mais cette main avait une taille et une force qui me semblaient incroyables.

Ensuite, j’ai été jetée dans le salon, la pièce où Bruno et maman avaient l’habitude de prendre leur café et de faire leurs messes basses, et ce que j’ai vu, c’était l’horreur.

Une voix derrière moi a dit : « Si tu cries, petite pouffe, je bute ta mère ! »

J’étais allongée sur le ventre, à même le carrelage. J’avais un goût de sang dans la bouche parce que le type qui m’avait plaqué sa main sur le visage l’avait fait vraiment fort et que ma lèvre supérieure s’était fendue.

Lui, je ne le voyais toujours pas mais ce que je voyais, en revanche, je sais, Jean-Sébastien, que ça me poursuivra jusqu’à la fin de ma vie. Il y avait maman, en larmes, avec une grande balafre sur le menton, très profonde.

Bruno était là aussi, mais Bruno était mort. Il avait un trou dans le front et il avait l’air scandalisé qu’on lui ait fait ça. Il était assis sur le divan, et évidemment le divan était blanc, et évidemment il y avait du sang partout, et évidemment j’ai voulu crier mais le pied du type derrière moi s’est appuyé sur ma tête et il m’a collé la joue contre le sol.

– Duvert, je t’en prie ! a dit maman.

Et c’est comme ça que j’ai entendu pour la deuxième fois le nom de l’ombre qui nous poursuivait depuis ma naissance, celle qui m’avait fait quitter en catastrophe tellement d’endroits, y compris la colonie de vacances de Cancale.

– Écoute-moi, Nathalie, tu sais ce que je veux et tu vas me le donner. J’ai tout perdu avec tes conneries.

– Ce que tu veux, Duvert, n’existe pas, tu le sais très bien et si tu ne lâches pas ma fille…

– Ne me prends pas pour un con, Nathalie…

Et à ce moment-là, l’homme derrière moi m’a relevée, m’a forcée à me tenir debout et a appliqué le canon d’un pistolet contre mon front.

Ce n’est pas un truc qu’une fille avoue à un garçon facilement, Jean-Sébastien, mais de voir maman en larmes, le cadavre de Bruno et de sentir le canon de cette arme sur ma tête, eh bien j’ai fait pipi sur moi.

– Arrête, Duvert, ça suffit, a dit maman. Tu as déjà tué son père… Je te dis que ce que tu veux n’existe pas. Si ça existait, tu crois que je vivrais comme je vis ? Tu es complètement dingue, Duvert. Laisse ma fille…

– Je ne crois pas que je vais laisser ta fille, comme tu dis, Nathalie, et si tu veux la revoir, tu me donnes ce que je veux.

Et à ce moment-là, le canon de l’arme a quitté ma tempe, j’ai entendu maman qui hurlait et puis il y a eu une grande douleur lumineuse dans ma tête et puis plus rien.

 

– Tu trembles, Émilie, tu trembles…

C’est Jean-Sébastien qui me parle. Le soleil fait une grosse boule rouge sur la Seine, maintenant, et un petit vent s’est levé sur la côte Sainte-Catherine. J’ai un peu froid et sans même que j’aie besoin de dire quoi que ce soit, Jean-Sébastien déplie son pull, celui sur lequel je reposais ma tête, et il m’aide à l’enfiler.

– On peut arrêter, Émilie, tu n’es pas obligée de tout raconter. Si tu trouves ça trop dur…

– Au point où on en est…

Je niche ma grande carcasse d’écrevisse à lunettes contre lui. La flèche de la cathédrale donne l’impression d’être en feu au soleil couchant. Et je continue mon récit.

 

Quand je me suis réveillée, j’étais attachée sur une chaise, dans une pièce vide, avec plein de gravats sur le sol. J’ai appris par la suite que Duvert m’avait emmenée dans une petite maison abandonnée, dans les dunes, près de Stella Plage.

Ma tête me faisait mal, mes lèvres me faisaient mal, et j’avais honte parce que j’avais l’impression de sentir l’urine. Et surtout, je mourais de trouille.

En face de moi, assis en tailleur, se tenait un type immense, roux avec des mèches blanches et des yeux méchants :

– Alors, tu te réveilles ? Tu as bien la même tronche que ta mère. Pas celle de ton père, par contre.

Il s’est tu, il a allumé une cigarette. J’entendais la mer, pas loin ; le vent aussi. J’étais complètement désorientée.

– Mais on va peut-être faire d’abord les présentations. Je suis l’inspecteur William Duvert, enfin, j’étais l’inspecteur William Duvert. Je ne suis plus dans la police depuis 1988, depuis l’année où l’on a démantelé le groupe de ta mère, Action rouge. Et tu sais pourquoi, petite ? Parce qu’il paraît que j’ai été trop brutal, comme si on pouvait être trop brutal avec des enfoirés de terroristes comme les petits copains et les petites copines de ta mère, comme si on pouvait être trop brutal avec des petits braqueurs de banques qui font semblant d’avoir des motifs politiques, avec des petits salauds qui tuent des pères de famille à la sortie des bureaux parce que ces pères de famille bossent pour des usines d’armement ou des boîtes de sécurité…

Il s’est levé, s’est approché de moi et m’a balancé une grande baffe à travers la figure. Plus que la douleur, c’est la trouille qui m’a envahie. Son geste était totalement gratuit. Je n’avais rien dit mais il avait quand même frappé. J’ai commencé à pleurer…

– Tu vas pas te mettre à chialer en plus, non ? Tu crois qu’ils n’ont pas chialé, les enfants des victimes d’Action rouge. Vous m’avez tué un collègue en 87, lors d’un attentat contre la PJ, à Paris. Un père de trois enfants, un ami. Si ça se trouve, c’est ta mère qui a appuyé sur le détonateur. Ta mère ou ton père… C’est là que j’ai un peu pété les plombs, je reconnais, et c’est là que j’ai commencé à avoir des méthodes qui n’ont pas plu à ma hiérarchie. La torture, par exemple, ou les exécutions sommaires. Tu sais ce que ça veut dire, exécution sommaire, petite ignorante ? Ça veut dire que, lorsque j’arrêtais un membre d’Action rouge, je faisais toujours semblant qu’il avait voulu s’échapper et je lui tirais trois balles dans le dos avec ça…

Et Duvert m’a brandi son flingue juste devant le visage en me tapotant de plus en plus fort la pommette avec le canon, jusqu’à ce que je crie parce que ma peau s’arrachait et que ça me brûlait.

– Et le meilleur, c’est que mes chefs ont trouvé que mes méthodes étaient inacceptables et que j’ai été révoqué. Révoqué, ça veut dire viré, au cas où tu ne le saurais pas, idiote. Juste quelques mois avant que la brigade antiterroriste où je bossais coince le groupe de ta mère et que tout le monde soit tué ou arrêté. Seulement ta mère et son pote espagnol, sans doute celui qui a été ton père, ils ont réussi à s’échapper. Et ce dont je suis sûr, quoi qu’en dise ta mère, c’est que le groupe Action rouge avait ce qu’on appelle un trésor de guerre. Avec leurs braquages et l’argent qu’ils devaient recevoir des Russes ou des Palestiniens, je suis sûr que vous étiez pétés de thune, à Action rouge…

Il est revenu vers moi, il m’a balancé deux baffes, comme ça, sans préavis, et mon nez aussi a commencé à saigner et tout ça s’est mélangé avec mes larmes. En même temps, c’est étrange, Jean-Sébastien, mais j’écoutais de toutes mes oreilles parce que l’ironie du sort faisait que c’était ce monstre qui me révélait des pans entiers de mon passé.

– Alors, tu comprends, petite, j’ai décidé que ça devenait une affaire personnelle. Je voulais retrouver ta mère, ton père, les buter tous les deux et repartir avec le trésor de guerre. Je vous ai localisés en 1991, sur la Costa Blanca. Tu étais encore toute petite, tu marchais à peine. Vous aviez une maison de pêcheur à Moreira, sur le port, un peu à l’écart. Quand j’y suis entré, ta mère et toi étiez parties faire des courses, ton père lisait tranquillement mais il avait de bons réflexes et il a failli m’avoir. On s’est tiré dessus presque en même temps et c’est moi qui l’ai eu même si sa balle m’a retiré un bout d’oreille.

Et Duvert a collé son oreille sous mon nez, une oreille dont il manquait des morceaux, et il a dit de son ton de dingue :

– T’as vu ce qu’il a fait, ton vilain papa, mais si ça se trouve, c’était même pas ton papa, ta mère elle devait faire ça avec tous ceux d’Action rouge…

Je lui ai craché au visage parce que ce qu’il avait dit m’avait mise en colère et que parfois la colère c’est plus fort que la peur et la douleur. Lui, il s’est essuyé et il a appuyé le canon sur mon front en hurlant :

– Tu refais ça et je t’explose la tête…

Puis il s’est calmé en respirant à grandes goulées et il a continué :

– Je ne sais pas si ta mère s’est doutée de quelque chose, mais j’ai eu beau attendre dans la maison, vous n’êtes jamais rentrées. Alors, depuis 1991, je vous traque comme un chien de chasse traque le gibier. J’ai encore quelques relations chez mes anciens collègues et je connais mon métier. J’ai failli vous avoir plusieurs fois, de peu, toi et ta mère. Mais ta mère est douée, elle sait se fondre dans le paysage, et elle aussi doit avoir ses réseaux, sans compter ce trésor de guerre avec lequel vous avez vécu.

Duvert s’est tu. La mer était toujours là, la nuit tombait et, bien qu’on ait été en mai, je grelottais. J’avais mal partout.

Duvert a regardé sa montre :

– Si, dans deux heures, ta mère n’est pas là avec l’argent du trésor de guerre, je vais être obligé de te tuer, gamine…

Et après, il n’a plus rien dit, le temps s’est mis à couler et j’aurais tout donné, Jean-Sébastien, pour pouvoir connaître l’heure ou pour qu’il y ait une horloge dans cette maison désaffectée. Je voyais simplement que Duvert regardait de plus en plus fréquemment sa montre et que son visage s’assombrissait au fur et à mesure. Moi, je ne savais plus quoi penser, je me disais que cette histoire de trésor de guerre me semblait complètement folle, que maman et moi, on avait toujours vécu modestement et que les gens que j’avais parfois entrevus et qui nous avaient aidées n’avaient pas l’air non plus de rouler sur l’or. Et puis, s’il avait existé, ce trésor de guerre, je ne vois pas pourquoi maman et moi on n’aurait pas vécu dans un pays lointain, au soleil, très loin de la police et des fous furieux comme l’ex-inspecteur Duvert…

Il a commencé à allumer cigarette sur cigarette et il m’a dit :

– Il ne te reste plus que dix minutes à vivre, cocotte…

Et, pour bien me faire comprendre, il a fait monter une balle dans le canon de son pistolet et le bruit de l’acier m’a semblé résonner dans toute la pièce, au point de couvrir celui du vent et des vagues.

Ensuite, tout s’est passé très vite et je n’ai pas eu le temps d’avoir peur. Duvert allait allumer une nouvelle cigarette quand tout d’un coup la pièce où l’on était s’est illuminée de tous les côtés comme une scène de concert au moment où l’artiste arrive.

Des hommes en noir, casqués, avec des lunettes opaques et des mitraillettes minuscules qui faisaient des bruits de fermeture Éclair sont entrés par tous les coins en tirant et en lançant des grenades qui m’ont aveuglée et m’ont déchiré les tympans.

J’ai vu Duvert qui tressautait comme un mannequin désarticulé, mais qui trouvait le moyen de pointer son pistolet vers moi et de tirer.

J’ai eu l’impression que mon épaule avait explosé et je t’assure, Jean-Sébastien, que j’aurais bien aimé perdre connaissance, mais hélas, je me souviens très bien de tout, du corps de Duvert qui tombait lentement, des hommes en noir qui criaient des choses que je ne pouvais pas entendre à cause de ces grenades assourdissantes et qui me désignaient de leurs mains gantées. On m’a détachée, on m’a allongée sur une civière, la douleur était atroce, je hurlais mais je n’entendais même pas mes hurlements. Je me souviens de l’hélicoptère sur la plage, de la civière qu’on glisse et de ce policier qui retire son casque et ses lunettes, et essaie de me faire un sourire avec son visage noirci par le camouflage, alors qu’un médecin et une infirmière commencent à me mettre des aiguilles partout, et que là, enfin, j’arrive à perdre connaissance…

 

La nuit est presque tombée sur la côte Sainte-Catherine. Je passe mes mains sur mon visage qui brûle un peu. Même le soleil de ce début d’octobre ne m’aura pas épargnée.

– Je ne sais pas quoi dire, dit Jean-Sébastien, je suis…

– Tu n’y es pour rien, tu sais…

– Il va falloir qu’on rentre, Émilie…

Nous prenons le chemin du retour en nous cramponnant l’un à l’autre pour ne pas trébucher sur les racines dans l’obscurité, avant de retrouver l’asphalte de la route qui redescend vers la ville.

– Et après ? demande Jean-Sébastien.

– Oh ! après, il y a eu ce séjour au CHR de Lille où une femme policier très gentille m’a tout raconté. Duvert m’avait kidnappée et avait dit à ma mère où lui remettre ce trésor de guerre qui n’avait jamais existé. Mais elle, elle était allée tout de suite au commissariat central de Lille et elle avait tout expliqué.

– Du même coup, ils l’ont arrêtée pour sa participation à Action rouge ?

– Voilà, tu as tout compris. Ensuite, la femme policier m’a dit que j’avais vécu sous un pseudo et qui était vraiment maman. Puis Derville, l’avocat, est apparu peu de temps avant ma sortie de l’hôpital, pour m’annoncer que maman que je réclamais chaque jour était incarcérée en quartier de haute sécurité à B. et il m’a présenté par la même occasion mes grands-parents, ce qui est toujours un peu étrange, si tu y penses, de te découvrir une famille que tu ne connaissais pas, dans une chambre d’hôpital, alors que tu as l’épaule plâtrée et des griffures et des bleus sur tout le visage.

Nous arrivons vers les lumières du centre. Des voitures passent près de nous, assez vite.

Jean-Sébastien me pose alors la seule question qu’il faut me poser, en cet instant précis :

– Si je comprends bien, tu n’as pas revu ta mère depuis le jour où Duvert t’a enlevée ?

– Non, et, pour te dire la vérité, ça commence à me rendre folle, je crois.

– Alors on va voir ce qu’on peut faire.