7. FRONTIÈRE

Nicolás, le hacker adolescent qui se faisait passer pour Yokaï, était assis à la table indiquée par Enigma ; et son hamburger était tellement énorme qu’il aurait pu occuper un siège à lui tout seul. Le garçon le dévorait à pleines bouchées.

Devant lui, sur un plateau, un grand rafraîchissement et deux petits hamburgers dans leur emballage en papier, une portion de frites et une boîte d’ailes de poulet. Je ne pus m’empêcher de me rappeler avec mélancolie les jours heureux du métabolisme enfantin, quand la nourriture disparaissait en toute simplicité, sans laisser de traces, après avoir été avalée.

— Que fait-il ici ? demandai-je.

— Je l’ai amené, bien sûr, répondit Enigma. Il était ravi… D’ailleurs, ce gamin dévore comme un réfugié, mais ne t’inquiète pas, je ne le mettrai pas sur ma note de frais ; c’est moi qui régale.

— Tu n’aurais pas dû. C’est une mauvaise idée.

— Mes idées ne sont jamais mauvaises. Viens t’asseoir. Il vaudrait mieux qu’on entame la conversation avant qu’il s’en prenne au plateau.

Enigma me traîna presque jusqu’à sa table. Je m’assis en face de Nicolás et le regardai d’un sale œil. Il se contenta de me regarder par-dessus son hamburger et de grommeler la bouche pleine, peut-être un bonjour, peut-être une insulte.

— Bon, maintenant que nous sommes tous là, nous allons parler affaires, déclara Enigma. De grâce, Nicolás, avale. Nous avons besoin de toute ton attention.

— Nico, dit-il sans cesser de mâcher – il s’essuya la bouche d’un revers de main et aspira bruyamment sa boisson avec sa paille. Mes potes m’appellent Nico.

— Nous ne sommes pas tes potes, répliquai-je – il haussa les épaules. Écoute-moi bien, je ne sais pas de quoi elle t’a parlé, mais je n’aime pas te voir ici. Je n’aime pas te voir mêlé à nos histoires et je ne veux surtout pas de ton aide. Alors, quand tu auras fini de manger toute cette… cochonnerie, je te ramènerai chez toi, compris ?

Nico ne parut pas troublé par mon intervention. Il croqua une frite avec indolence et, désignant Enigma, il grogna :

— Comme tu voudras, mais elle dit que tu es dans la merde.

— Ça ne te regarde pas.

— Ah, je crois que c’est plutôt le contraire. Elle dit que tu as des ennuis avec les flics. Que va-t-il se passer si je m’énerve et si je raconte partout que je t’ai vu et que je sais ce que tu trafiques ?

— Pour l’amour de Dieu…, soupirai-je. Tu me menaces ?

— Possible.

— Primo, essuie-moi ce ketchup qui dégouline avant de menacer quelqu’un, espèce de mini-gangster de pacotille ; deuzio… Oh, mon Dieu ! Je ne sais même pas pourquoi je te parle. Je me tire, j’en ai ma claque.

Au moment où je me levais, Enigma m’attrapa par le bras et m’obligea à me rasseoir.

— Nous allons nous comporter comme des adultes et ne pas basculer dans une bagarre de cour d’école, d’accord ?

— C’est lui qui a commencé avec ses insultes et ses… trucs, sursauta Nicolás, vexé. Je suis venu parce que tu m’as dit que je pouvais donner un coup de main, d’accord ? Je ne suis pas obligé de supporter ce type qui se comporte avec moi comme un con. C’est moi qui devrais être en colère, tu me prends la tête et ensuite tu m’envoies promener. Tu n’es qu’un sale enfoiré de menteur.

— Mais de quoi diable parles-tu ?

— De quoi je parle ? Mais bien sûr, fais l’innocent, maintenant… Qu’en est-il du “quêteur stagiaire” et tout le merdier ? Qui a dit “je ferai appel à toi quand j’en aurai besoin” ? Je pensais que tu parlais sérieusement, mec. Tu m’as roulé comme un imbécile pour me clouer le bec, c’est tout. Tu es un sacré… un sacré… connard de menteur.

— Comment se peut-il qu’on ait un vocabulaire aussi limité quand on prétend avoir lu tant de livres ? m’exclamai-je, furieux.

Nicolás fronça les sourcils, baissa la tête et, le nez dans son plateau, se mit à manger ses frites.

— Va te faire foutre…, grommela-t-il entre ses dents.

— Bon, dit Enigma. Je crois que quelqu’un doit des excuses à quelqu’un…

— Je suis d’accord, dis-je.

La quêteuse me regarda.

— Je parlais de toi.

— Quoi ? Tu es folle !

— Nico a raison : c’est toi qui lui as parlé de “quêteur stagiaire”. Ce n’est pas correct de le traiter maintenant comme s’il dérangeait.

Je regardai Nicolás qui picorait ses frites d’un air hostile. Soudain, j’eus la désagréable sensation de me regarder dans un miroir qui reflétait mon passé. Même la façon que ce garçon avait de me lancer des regards torves me rappelait ma propre attitude quand j’avais son âge et que je me sentais floué par un proche, ce qui arrivait assez souvent.

De l’autre côté de la table, je voyais un gamin qui avait perdu ses parents, sans doute très attachés à lui ; qui vivait avec une personne qui semblait se moquer de ce qu’il faisait (une parente éloignée dans son cas, une mère indifférente dans le mien… Quelle importance, puisque la situation était identique ?) et qui manquait dans son entourage de référents à admirer ou au moins à prendre en exemple. L’adolescence peut être un monde très déprimant quand les seules personnes qui ont compté sont mortes.

Je commençai à nous voir, Enigma et moi, comme il nous voyait : un élément nouveau et émouvant, dans une existence qui manquait de piment. Deux adultes dont l’activité suscitait tout son intérêt, à laquelle il aimerait être associé. D’abord on l’utilise, ensuite on l’assomme de promesses pour s’assurer de son silence, et enfin, on l’oublie. Deux noms de plus sur sa liste des abandons, que j’imaginais très longue, je me demande pourquoi.

Sans doute parce que la mienne l’était aussi.

L’adolescence n’est pas non plus un bon moment pour découvrir qu’on dérange tout le monde. Je le savais très bien. Je l’avais souffert dans ma propre chair.

— Très bien, dis-je en essayant de me calmer. Je suis désolé. Je regrette de t’avoir offensé.

Nicolás me lança un regard méfiant.

— OK… pas grave, murmura-t-il.

J’essayai de prendre un ton raisonnable.

— Je sais que je t’ai promis de t’appeler si j’avais besoin de ton aide, mais tu dois comprendre que ce n’est pas le cas. Le problème que nous avons te dépasse largement.

— Je pense que c’est à lui d’en juger, intervint Enigma. Écoute, Nico : que tu sois le hacker nommé Yokaï ou pas, je crois que tu as beaucoup de talent dans ce domaine. Je me trompe ?

— Mieux que ça. Je suis super-doué.

— Il faudra être encore plus doué si tu veux nous aider, et tu devras nous le prouver ; là, on ne te demande plus d’entrer dans la base de données de ton lycée pour changer tes notes.

Nicolás soupira avec suffisance.

— J’ai craqué votre système de sécurité, non ? Je crois que c’est une preuve suffisante de ce que je suis capable de faire.

— C’était peut-être un coup de pot, dis-je.

— Un coup de… ? Allons ! Vous êtes venus chez moi tous les deux, vous avez vu mon équipement… Tu sais combien j’ai d’ordinateurs ? Trois. L’un d’eux est un Mac Pro de la dernière génération auquel j’ai rajouté tant de merdes que je pourrais le revendre dix fois plus cher, et il n’était déjà pas donné…

— Bon. Tu as un bon équipement, mais ça ne prouve rien.

— Tu n’as pas pigé. Tu crois que c’est ma tante qui me refile ce pognon ? Elle n’a jamais vu autant d’argent de sa vie… Et mes vieux… Bon… – Nicolás s’essuya le nez d’un revers de main. Ils n’étaient pas milliardaires, loin de là ; le peu qu’ils m’ont laissé est sur un compte, pour le jour où j’irai en fac, et je ne peux pas y toucher. Ça ne m’empêche pas de dépenser une fortune en équipement, sans compter tout le fric que je claque en programmes soft et en matériel pour mes maquettes. Ça ne te dit rien, petit futé ?

— Où veux-tu en venir exactement ? demanda Enigma.

Il lança un regard nerveux à la ronde, se rapprocha et, tout bas, il répondit :

— J’ai un truc… Je peux créer un compte bancaire et en changer le solde, l’augmenter… Je sais comment modifier la base de données de la banque pour que le montant soit justifié. Ils ont leur système de sécurité pour prévenir ce genre de choses, mais j’ai appris à le bypasser ; si on fait gaffe et si on ne s’emballe pas sur les montants, personne ne s’en rend compte.

— Mon Dieu… Tu voles de l’argent à des gens ?

— Pas aux gens, aux banques, rectifia-t-il, offensé. Elles ont du fric à ne pas savoir qu’en faire, il n’y a pas de mal à leur en piquer un peu de temps en temps ! Eux, ah oui, ce sont des putains de voleurs. Vous regardez les informations ? Comment ils roulent les gens, confisquent leur baraque, tous ces trafics… ?

— Fantastique, tu es donc une sorte de petit antisystème, grognai-je.

— Me gonfle pas avec tes sermons, mec. Je te rappelle que je sais ce que vous faites.

Enigma sourit.

— Bonne réponse. Je crois, Pharos, qu’il peut nous être utile : il n’a pas de scrupules, il peut craquer le système informatique d’une banque… Et vu ce qu’il nous a raconté, on ne sera même pas obligé de le payer pour son aide : il peut se servir sur nos comptes courants.

Je devais reconnaître que si ce que disait Nicolás était vrai, son talent de hacker était assez impressionnant. Ce garçon, qui jouait les John Dillinger du XXIe siècle, était peut-être ce dont nous avions besoin dans une situation désespérée. Traiter avec lui était sûrement moins risqué qu’avec un Gaetano Rosa.

— D’accord, dis-je, admettons que tu puisses craquer la sécurité d’un réseau bancaire, en plus du Corps national des quêteurs. Ce que nous attendons de toi risque d’être un peu plus compliqué… Tu connais Interpol ?

— Et toi, tu connais la garde civile ? À quelle sorte d’andouille crois-tu parler, crétin ?

— Excuse-moi, monsieur l’expert en criminalité internationale, il ne faut pas t’énerver… Disons que quelqu’un que tu connais est dans la base de données des notices rouges d’Interpol. Tu serais capable de l’en sortir ?

— Vous avez une notice rouge d’Interpol ?

— Lui, pas moi, répondit Enigma en me pointant du doigt.

Nicolás me lança un sourire moqueur.

— Tiens, tiens… Qui est l’antisystème, maintenant ?

— Contente-toi de répondre à ma question.

Nicolás prit son gobelet et en but une bonne rasade. Puis il le reposa en émettant un rot silencieux.

— Voilà. C’est fait.

— Tu m’as l’air très sûr de tes capacités, mais je ne suis pas convaincu.

— Pourquoi donc ? Un système est un système : la plupart d’entre eux suivent des modèles ; si j’ai pu craquer le vôtre, qui était assez complexe, celui d’Interpol ne m’arrêtera pas. Il s’agit seulement de sortir un nom d’une liste ; je t’assure que c’est beaucoup plus chiant de modifier le montant d’un compte courant à l’insu d’une banque.

— Je serais beaucoup plus rassuré si tu m’expliquais comment tu comptes t’y prendre.

— Tu sais ce qu’est un DDoS ? Un keylogger, un binder, un sniffer, ou une attaque par force brute ?

— Non.

— Alors, je ne vais pas perdre mon temps à t’expliquer quoi que ce soit ; tu pigerais que dalle. Dis-moi seulement quand tu veux que je te sorte et je m’en occupe, c’est tout.

À contrecœur, je donnai à Nicolás la date à laquelle nous allions prendre l’avion à Lisbonne pour le Cap-Vert. Il acquiesça, détendu.

— On a le temps, mais il va falloir que je bosse dur. Tu me devras une fière chandelle.

J’eus un mauvais pressentiment.

— Écoute-moi bien : ceci n’est pas un jeu, vu ? Si je te fais confiance sur ce coup, je suis entre tes mains. Si tu t’en fous ou si tu m’as bourré le mou, je peux finir en prison, et je te promets que si cela arrive, tu en subiras les conséquences.

— Allons, mon vieux, pas de panique, je t’ai dit que je m’en occupe, dit-il effrayé. Que veux-tu de plus ? Que je te signe un serment avec mon sang ?

— Ne me donne pas des idées, mon gars…

— Moi, j’ai confiance en toi, Nico, intervint Enigma. Si tu dis que tu en es capable, je te crois. Je sais que tu es un garçon intelligent.

Le garçon rougit. Puis il me regarda :

— Tu vois ? Elle a l’art et la manière de demander, elle. Je veux vous aider, je t’ai déjà dit que je suis avec vous, alors pourquoi persistes-tu à te comporter avec moi comme un connard ?

À la fin de sa question, sa voix avait un vague accent plaintif.

— C’est bon, d’accord, d’accord… Si je n’avais pas confiance en toi, je ne remettrais pas mon sort entre tes mains.

— Alors sois plus aimable, merde…, râla-t-il. Mais tu dois savoir que si je peux sortir ton nom de cette base de données, ce n’est pas définitif. Les mecs d’Interpol s’en rendent forcément compte, et tôt ou tard quelqu’un voit l’erreur et te remet sur la liste.

— Combien de temps peux-tu me maintenir hors de la liste ?

— Je n’ai pas de certitude… Peut-être vingt-quatre heures, guère plus.

— D’accord, ça devrait me suffire, mais promets-moi que tu vas…

— Mais oui, merde, mais oui ! Je prends l’affaire au sérieux. Combien de fois faudra-t-il te le répéter ?

Je regardai Nicolás avec une méfiance incommensurable. J’aurais aimé une solution plus consistante que celle que m’offrait un gamin portant un tee-shirt de Game of Thrones ; malheureusement, je n’avais pas le choix.

— Si tu réussis, tu seras payé largement, dit Enigma.

— Je ne veux pas de votre fric, répliqua le garçon dans une réaction d’orgueil inattendue. Je vous le répète, je veux vous aider. J’aime ce que vous faites.

— En ce cas, je crois que nous avons une meilleure récompense à te donner si tu nous aides : un nom de quêteur. Ça te plairait, Nico ?

Je vis les yeux du garçon s’allumer comme s’il avait vu la plus belle merveille du monde.

— Ah merde… Bien sûr que oui…

Enigma sourit.

— Que penserais-tu de Yokaï ? Yokaï le quêteur.

Si elle l’avait embrassé sur la bouche à ce moment-là, il n’aurait pas eu un air plus extasié.

— Génial…, balbutia-t-il. Oui…, vachement génial… C’est… c’est… Ouah ! Oui ! Maintenant, c’est comme si on était dans la même bande, hein ? C’est… – ses mots se bousculaient sur ses lèvres, il se passait les mains sur le front et se lissait les cheveux, gagné par un enthousiasme nerveux. Merde… Merci, vraiment… Merci… Je vous jure que vous ne le regretterez pas – il me regarda et pointa sur moi ses deux index. Mec, c’est comme si tu étais déjà sorti de la liste, parole… ! Tu peux parier tes couilles que oui… Je pense que je vais bosser là-dessus comme je n’ai jamais bossé de ma vie. Tout de suite, d’ailleurs… Je vais m’arranger pour que vous soyez foutrement fiers de mon boulot !

Il se leva, bredouilla un tas de mots sans suite qu’on pouvait interpréter comme un au revoir et il partit, laissant son assiette à moitié pleine. Je me dis qu’Enigma avait créé un monstre, dont dépendait, par ailleurs, ma sécurité.

— Ça alors, Yokaï le quêteur…, dis-je sur un ton de reproche.

Elle secoua les mains en signe d’indifférence.

— Ce n’est qu’un nom… Ce n’est pas pire que lui promettre de devenir “quêteur stagiaire”.

— Dieu veuille qu’il ne soit pas un imposteur.

— Je t’assure que ce garçon a une bonne cervelle, et qu’il a du potentiel. Un bon remplaçant de Tesla, déclara-t-elle – elle avait l’air si convaincue que je fus tenté de la croire. Et puis tu as remarqué… ?

— Remarqué quoi ?

— Ce garçon t’admire, Pharos.

— Ne dis pas de bêtises.

— Comment peux-tu ne pas t’en rendre compte ? Tout est dans le langage corporel : il crève d’envie d’avoir ton approbation ; il doit te voir comme une sorte de frère aîné fascinant, ou que sais-je encore… Il a peut-être été impressionné par ce qu’il a lu dans ton dossier.

J’allais lui dire que cette idée me semblait ridicule, mais mon téléphone portable sonna.

Après un échange d’à peine deux minutes, je raccrochai. Enigma sentit que quelque chose ne tournait pas rond.

— Que se passe-t-il ?

— C’était Labulle. Il est à l’hôpital avec Danny.

Le diagnostic : deux côtes fracturées. Le médecin avait reproché à Danny d’avoir trop traîné avant d’aller voir un spécialiste. Lorsque le corps a mal, avait-il dit, c’est que ça ne va pas ; et s’il a très mal, c’est que ça ne va pas du tout. Il n’est pas prudent d’ignorer ce signal élémentaire de la nature.

Labulle me raconta que lorsqu’il était arrivé chez Danny, celle-ci tenait à peine debout, à chaque respiration son visage était déformé par la douleur et en outre elle avait de la fièvre. Pourtant, elle persistait à dire qu’elle allait bien. Labulle avait dû mobiliser toute son autorité de frère aîné pour la traîner de force aux urgences.

Par chance, les deux fractures ne nécessitaient qu’un traitement à base d’analgésiques et un repos absolu. Le temps prescrit pour le repos était de trois à quatre semaines, avec un suivi régulier les sept premiers jours pour s’assurer que tout se passait bien.

Labulle ramena Danny chez elle. Où on les rejoignit, à la demande de celle-ci.

La quêteuse vivait dans un petit appartement de location du centre, pas très loin du mien. Je n’y étais jamais allé et je fus frappé par son aspect impersonnel : fonctionnel et austère, des meubles simples, mais de qualité, et une décoration banale. On avait l’impression que l’occupant n’avait pas fini d’emménager. Pas de photographies aux murs, ni bibelots ni éléments qui évoquent la personnalité de la locataire.

La situation était un peu différente dans son petit salon, où s’imposait une bibliothèque qui occupait deux murs entiers, pleine de livres. Les titres étaient variés, pour la plupart des essais sur l’art et l’histoire, en langues étrangères. Je remarquai sur une étagère en hauteur, dans un angle, une petite collection de livres pour enfants qui semblaient très usagés. Couverts de poussière, personne ne les avait feuilletés depuis longtemps. Dix ou quinze volumes : des œuvres de Michael Ende, de Roald Dahl, d’Enid Blyton… et même quelques petits romans d’Elena Fortún. Je trouvais très significatif que Danny ait conservé ces livres, même oubliés dans un recoin de sa bibliothèque.

C’est dans cette pièce que Labulle nous fit le récit de leur passage à l’hôpital, ponctué de reproches adressés à sa sœur, qui écoutait stoïquement en fumant une cigarette. Nous étions soulagés de savoir que le mal était sans gravité, mais l’inquiétude revint vite : l’état de santé de Danny bouleversait nos plans.

— Tu n’iras nulle part avec tes côtes cassées, trancha son frère.

Danny voulut protester.

— Le médecin a juste dit que…

— Le médecin a prescrit un repos absolu, ce qui inclut forcément l’interdiction de voyager dans des pays africains au bord de la guerre civile pour chasser des reliques dans le désert.

— César, Labulle et moi, nous pourrons nous débrouiller tout seuls, dis-je.

— J’en doute, répliqua-t-elle. En tout cas, ce n’est pas le problème essentiel. Rappelle-toi ce qu’a dit Gaetano : le capitaine du Buenaventura attend trois hommes et une femme ; s’il ne me voit pas, on ne pourra même pas monter sur le ba­­teau au Cap-Vert.

— Alors, que suggères-tu ?

— Je crois que nous sommes bien obligés de remettre toute l’opération, répondit Labulle. Au moins jusqu’à ce que Danny ait récupéré.

— Il y en a pour un mois !

— Tu as une meilleure solution, Pharos ? D’ailleurs, ce n’est peut-être pas une mauvaise idée. Nous pouvons consacrer ce délai à mieux nous préparer, à envisager les choses plus calmement… J’ai toujours pensé que tout cela était trop précipité.

— Non, il n’y a pas d’autre solution ! Je vous rappelle que Voynich est impliqué dans le vol du Mardud et, à coup sûr, dans le cambriolage du musée de Saint-Béat. C’est aussi Voynich qui a chargé Gelderohde de retrouver la pile de Kerbala l’an dernier, preuve que cette entreprise sait ce qu’elle cherche depuis longtemps. À l’évidence, nous ne sommes pas les seuls sur la piste de cette Chaîne du Prophète, quoi qu’elle soit – je regardai mes compagnons, l’un après l’autre. C’est une course où l’adversaire a plus de moyens et de mobilité que nous, outre la capacité d’agir dans notre dos. Si nous lui donnons un mois d’avance, ce sera sans doute trop tard pour nous.

— Je me demande pourquoi vous vous faites tant de souci, dit Enigma, qui furetait dans les livres de Danny comme si notre conversation ne l’intéressait pas. Je crois que la solution est très simple.

— Ah oui ? Et quelle est-elle ? demanda Labulle.

— Je pars avec vous.

Il y eut quelques instants de silence. Aucun de nous ne savait quoi répondre.

— Pourquoi faites-vous cette tête-là ? dit Enigma. Vous avez besoin d’une femme, n’est-ce pas ? Bien, alors aux dernières nouvelles je suis une femme. Danny peut s’occuper du travail d’appui en Espagne et, moi, je prends sa place.

Le silence se prolongea. Je décidai de le rompre avant qu’il devienne trop gênant.

— C’est une idée… intéressante, mais…

Je ne sus comment terminer ma phrase.

— Tu es rouillée, compléta Labulle, moins diplomate que moi. Désolé, mais c’est la vérité. À quand remonte ta dernière mission de terrain ?

— Tu devrais le savoir, Labulle, nous étions ensemble. Soit, j’admets que ces derniers temps je me suis consacrée à un travail plus contemplatif, mais cela ne fait pas de moi un agent de deuxième catégorie.

— Personne n’a dit cela, corrigea Labulle, mais… Bon Dieu… Je n’aimerais pas que tu t’exposes encore à une situation à risque.

— Mais que Pharos s’expose, tu t’en moques, par exemple ?

— C’est différent : lui, je peux le contrôler… Si nécessaire, je peux l’obliger à avancer collé à mon dos pour qu’il ne tombe pas dans un guêpier ; mais toi… Désolé, je ne veux pas te vexer, mais tu sais que ça ne t’a jamais réussi de travailler en équipe, d’ailleurs tu n’aimais pas ça, c’est pourquoi Narváez t’avait écartée des missions de terrain. Tu es trop… imprévisible.

— Cela veut-il dire qu’au Mali tu vas surveiller Pharos et César ? À toi tout seul ? Jolie perspective ! Avoue-le, Labulle : tu as besoin de moi. Papa et maman se relaieront pour surveiller les poussins – Enigma s’assit à côté de Labulle, sur le bras du fauteuil qu’il occupait, et adopta une attitude complice. Ce sera comme au bon vieux temps : toi et moi, main dans la main, ne meurs-tu pas d’envie de revivre ça ?

J’étais tenté de protester que je n’avais rien d’un poussin, et que je n’avais pas besoin que “papa et maman” s’occupent de moi ; mais étant donné que Labulle se laissait peu à peu convaincre, je préférai ne pas intervenir.

Je ne voyais pas Enigma remplacer Danny dans cette quête, mais je reconnais que le préjugé embrumait passablement mon point de vue. Quand je compris que c’était du sérieux, l’idée que la quêteuse nous accompagne me remplit d’une joie absurde. C’était comme si soudain j’avais trouvé un trèfle à quatre feuilles à emporter dans mes bagages.

Enigma réussit à convaincre Danny et Labulle que sa proposition était notre meilleure solution. Ce fut une décision prise à trois, par les vétérans : je n’eus le droit ni d’intervenir ni de voter.

La réunion se prolongea encore deux bonnes heures, au cours desquelles on peaufina les détails de notre voyage. Mais on s’arrêta quand on vit que Danny montrait des signes de fatigue.

Enigma et Labulle partirent en même temps. Presque sans l’avoir voulu, Danny et moi on se retrouva seuls.

— Moi aussi, je m’en vais, dis-je après l’avoir aidée à remettre le salon en ordre. Il est tard, et tu as besoin de te reposer.

Je sentis un changement dans l’atmosphère. Logique, car c’était la première fois que nous nous retrouvions seuls, un peu détendus, depuis notre nuit à Saint-Béat. Nous n’avions pas encore reparlé de ce qui s’était passé avant qu’on se lance à la poursuite des voleurs. On avait l’impression de s’éviter, tous les deux.

— J’ai bien compris qu’officiellement je suis devenue une sorte de quêteuse invalide, dit-elle en retrouvant un de ses demi-sourires. Puis elle me regarda : Tu n’es pas obligé de t’en aller.

Il y avait tellement de façons d’interpréter cette phrase que je n’essayai même pas.

— Tu… tu veux que je reste ?

Elle ne répondit pas, j’avais l’impression de lui avoir posé la question la plus complexe de l’univers. Finalement, elle laissa échapper un soupir apaisé.

— Tout bien réfléchi, je crois que… qu’il vaut mieux que tu t’en ailles.

— Je comprends…

— Vraiment ? Alors, tu as beaucoup plus de chance que moi, Tirso Alfaro, parce que moi, je n’y comprends rien – elle s’approcha, hésita un instant et m’embrassa, puis elle recula, comme si elle avait commis un impair. N’as-tu pas l’impression, ces derniers temps, qu’il arrive plus de choses qu’on ne peut en encaisser ? La suspension du Corps des quêteurs, ton problème avec Interpol, cette Chaîne du Prophète, le voyage au Mali…

— Trop de conflits pour en ajouter un de plus, c’est ce que tu veux dire ?

— Oui… Je ne sais pas… J’essaie d’envisager les choses calmement, mais je ne peux pas. Tout ce que je désire, c’est que tu ailles au Mali, que tu trouves ce que tu cherches et que tu reviennes sain et sauf pour que je puisse enfin te regarder dans les yeux et ne penser à rien d’autre qu’à nous. C’est vraiment ce dont j’ai besoin.

— Rassure-toi, je peux attendre. Faisons les choses tranquillement, d’accord ?

— Je n’aime pas te demander ça, mais je voudrais mettre de l’ordre dans mes idées et je sais que tant qu’on n’aura pas réglé cette histoire j’en serai incapable.

— Ça me convient, ce sera un bon stimulant.

Elle me raccompagna à la porte, me regarda dans les yeux et me sourit d’un air triste.

— Prends garde à toi quand tu chercheras ton trésor. La seule chose que j’attends de toi maintenant, c’est que tu reviennes.

Elle posa ses lèves sur les miennes un bref instant. J’eus l’impression de sceller un pacte.

Chacun alla à Lisbonne de son côté, la veille du jour où on devait prendre l’avion de Gaetano Rosa. Notre idée initiale était de nous retrouver directement à l’aéroport, mais je ne pus m’empêcher d’aller voir notre nid, où Labulle et César étaient logés.

Un nid est un appartement refuge. Le Corps national des quêteurs en possède dans certaines villes où ses missions le conduisent souvent. Celui de Lisbonne se trouvait en plein Barrio Alto, et il était l’un des pires : un petit studio insalubre où deux agents tenaient à peine. Cependant, ce taudis me rappelait de bons souvenirs, car ma première mission de quêteur s’était déroulée dans la capitale portugaise.

Labulle fut plutôt content de me voir arriver à l’improviste. Il se réjouissait de pouvoir partager un peu la surveillance de César. On alla dîner tous les trois dans une gargote non loin de là. Un dîner silencieux et lugubre. César n’ouvrit la bouche que pour engloutir son plat de migas à la morue et pour poser une question :

— On emporte le timon de Gallieni et le Poisson Doré ?

— Oui, répondis-je. Ça t’intéresse de le savoir ?

— Ils peuvent nous être utiles.

De retour au nid, Labulle et moi, on échangea quelques mots en aparté.

— J’ai un mauvais pressentiment, bizuth. Il y a trop de choses qui peuvent tourner mal.

— Il est un peu tard pour reculer.

— Je sais… Bah, ne m’écoute pas. Je suis pessimiste ce soir. Merci d’être venu me tenir compagnie ; mes longs tête-à-tête avec César ne sont pas très agréables ; je t’assure que ce type me rend nerveux… Pourvu qu’on n’ait pas commis une grosse erreur en l’impliquant dans tout ça !

— Tu sais quoi ? Je me demande qui a impliqué qui, en réalité…

On se sépara. Labulle avait réussi à me refiler ses idées noires et je dormis mal, avec beaucoup de cauchemars que je fus incapable de me rappeler au réveil.

Un taxi me conduisit à l’aéroport. Je retrouvai mes compagnons au terminal des arrivées des vols internationaux. Selon les instructions de Gaetano, nous devions retrouver un homme qui tenait une pancarte où étaient inscrits les mots Cap-Vert.

L’homme en question était dans un groupe où plusieurs chauffeurs et guides de tour-opérateurs brandissaient des pancartes indiquant le nom des passagers qu’ils attendaient. Il nous guida à travers le terminal jusqu’à une porte anonyme en verre dépoli. L’homme utilisa une carte magnétique pour l’ouvrir. On se retrouva dans une petite salle d’attente plutôt luxueuse, comme celles qu’utilisent les compagnies aériennes pour accueillir les passagers de première classe.

Nous n’étions pas les seuls. Trois voyageurs attendaient, sans doute des cadres supérieurs, les yeux collés à leur écran. Il y avait un comptoir dans un angle. Un serveur nous demanda si nous voulions boire quelque chose, et nous proposa des journaux et des magazines étrangers.

Vingt minutes plus tard, apparut un jeune homme en uniforme de pilote, qui s’adressa à tout le monde.

— Bonjour, dit-il en anglais. Mon nom est Allan. Si vous avez la bonté de me suivre, je vous mènerai jusqu’à la piste d’envol où attend l’avion de M. Rosa.

Jusqu’alors, tout se déroulait comme Gaetano l’avait promis : personne ne nous demanda nos papiers, pas de service de douane en vue. J’étais rassuré.

Allan nous guida jusqu’à une petite piste où stationnaient plusieurs jets privés. Le nôtre avait sa porte d’embarquement ouverte. Nous étions sept passagers et on gravit l’échelle en silence.

À l’intérieur, c’était un débordement de luxe : les cloisons étaient doublées de panneaux de bois, les sièges étaient de larges fauteuils confortables, en cuir couleur mélasse ; et on avait l’impression qu’il y avait des écrans plasma partout.

Une ravissante hôtesse nous souhaita la bienvenue et nous invita à nous installer, et une collègue nous tendit sur un plateau des coupes de champagne et des jus de fruits. Dans un haut-parleur, la voix d’Allan donna quelques indications sur le vol : on décollerait dans quelques minutes. Puis un fond musical lui succéda.

Je commençais à savourer le confort offert par Gaetano Rosa, quand on entendit de nouveau la voix d’Allan dans les haut-parleurs.

— Je vous prie de nous excuser, mais nous aurons un léger retard, un contrôle de sécurité. Merci de ne pas quitter vos places.

J’échangeai un regard inquiet avec mes compagnons. Une hôtesse rouvrit la porte d’accès et deux policiers en uniforme apparurent. J’eus soudain la paume des mains en sueur.

J’essayai de paraître calme pendant que les deux policiers avançaient dans l’allée centrale, dévisageant chaque passager. Mon cœur se mit à battre la chamade. Arrivé près de moi, l’un d’eux me regarda en face.

J’eus l’impression que le temps était suspendu.

— Auriez-vous l’amabilité de nous accompagner un mo­­ment, monsieur ?

Il avait posé sa question en portugais. Comme je ne réagissais pas, il la répéta en anglais, croyant que je n’avais pas compris la première fois. Enigma se mordillait nerveusement la lèvre inférieure et Labulle semblait sur le point de sauter de son siège. César regardait devant lui, imperturbable. Je tentai un sourire poli.

— Il y a un problème ?

— Suivez-nous. Prenez votre passeport, s’il vous plaît.

Ses propos étaient aimables, mais son expression était loin de donner cette impression. Je fus bien obligé d’obéir.

Je me levai. Les deux agents descendirent du jet avec moi sans m’adresser la parole, sans me donner d’explications. Ils me firent monter dans un petit véhicule d’aéroport qui nous ramena au terminal.

Là, ils me conduisirent dans une salle de sécurité pas plus grande qu’une arrière-boutique. Un néon clignotait au plafond et les murs étaient tapissés d’affiches avec des instructions de sécurité ; il y avait même des photographies de délinquants recherchés.

J’avais l’impression que mon voyage au Mali touchait à sa fin.

Un des policiers me demanda mon passeport. Je le lui tendis, en m’efforçant de ne pas trembler. Il me demanda de prendre place sur une des chaises en plastique de la salle, fixées au mur. Je faillis protester, mais la prudence me conseillait de rester bouche cousue et d’obéir.

Avec mon passeport, il passa derrière un comptoir équipé d’un ordinateur qu’utilisait un autre agent. Comme la salle était petite, j’entendis toute leur conversation : ils parlaient en portugais, pensant sans doute que je ne pouvais pas les comprendre.

L’un des policiers ouvrit mon passeport et lut mon nom.

— Tirso Alfaro, dit-il. C’est lui.

— Tu en es sûr ?

— C’est le nom que donnait le message. Consulte la base de données d’Interpol, les notices rouges.

Mentalement, je maudis Gaetano Rosa et ses promesses creuses. J’étais le seul passager à qui on avait demandé le passeport, à l’évidence les policiers me cherchaient. Le proxénète m’avait tendu un piège.

J’eus un léger vertige pendant que le policier pianotait sur son clavier et scrutait son écran. Quelques secondes s’écoulèrent, puis quelques minutes. J’essayais de ne pas oublier de respirer.

Les deux policiers regardaient l’écran.

Je fermai les yeux et respirai à fond. Mes mains tremblaient.

— Je ne le trouve pas.

Je rouvris les yeux et me tournai vers eux.

— Regarde encore. Normalement, il devrait y être.

— Je te dis que non. Regarde : il n’y a personne de ce nom dans les notices rouges.

Les policiers fronçaient les sourcils et s’énervaient, pendant que peu à peu je me calmais. L’un d’eux suggéra de consulter les autres notices.

— Rien, insista l’agent derrière son ordinateur. Il n’est pas dans les notices orange, bleues ou vertes… Ce type n’est recherché nulle part.

— Merde…, grommela son collègue. Essaie la base de données de la police nationale espagnole.

— J’ai déjà regardé. Là non plus, aucun mandat d’arrêt à son nom… Manifestement, c’était un faux message : ou bien on s’est foutu de nous, ou bien on a confondu deux personnes.

J’étais déjà en train de remercier ma chance extraordinaire, les fées du destin ou une force mystique incompréhensible quand soudain je visualisai Nicolás dans ma tête, avec son gobelet géant dans la main. J’entendis même sa voix : “D’accord. C’est comme si c’était fait.” Incroyable ; ce sac d’hormones boutonneux avait tenu parole.

Yokaï m’avait sorti de la base d’Interpol.

Un policier me rendit mon passeport.

— Merci, dit-il, cette fois en espagnol. Excusez-nous pour le dérangement, tout est en ordre.

Je faillis éclater de rire, comme si je me rappelais soudain la blague la plus drôle qu’on m’ait racontée.

(“Pas de problème, préposé. Au fait, vous connaissez la blague du type passionné de maquettes qui a niqué le système informatique d’Interpol… ?”)

J’eus un ricanement nerveux et je remerciai le policier. Celui-ci, dans une attitude beaucoup plus courtoise, me raccompagna à l’avion. Il me quitta devant la rampe d’accès, non sans s’excuser encore une fois pour le dérangement, et me souhaita un bon vol. Si cet homme ne partait pas tout de suite, je risquais de lui éclater de rire au nez. Sur le mode hystérique, pour me défouler.

Je savourai les regards d’étonnement de Labulle et d’Enigma quand ils me virent revenir dans l’avion.

Je m’effondrai dans mon fauteuil. Tremblant encore, je mis ma ceinture de sécurité et éprouvai une merveilleuse sensation d’euphorie quand l’avion s’avança sur la piste.

Les roues décollèrent du macadam. Lisbonne était sous nos pieds.

Labulle n’attendit pas longtemps pour quitter son siège et me rejoindre. Il s’assit dans le fauteuil vacant à côté du mien et je lui expliquai en quelques mots ce qui s’était passé.

— Rosa… Ce porc, ce fils de pute…, dit-il entre ses dents. Il t’a vendu.

— On dirait. Mais je ne comprends pas ce qu’il y gagne.

— Qui sait ? L’ennui, avec les gens de cet acabit, c’est qu’ils doivent tant de services qu’on ne peut jamais être sûr qu’ils ne vont pas vous utiliser comme monnaie d’échange.

— Tu crois que nous aurons des problèmes pour monter sur ce bateau, à Praia ?

— En ce moment, je me demande même si ce bateau existe. De toute façon, tu l’as dit hier : nous ne pouvons plus reculer. Il faudra suivre le plan prévu et nous attendre à des surprises désagréables.

Tout content d’avoir échappé aux services de sécurité de l’aéroport, je m’offris le luxe d’un peu d’optimisme.

— Il faut plus d’une surprise pour rouler un chevalier quêteur. Nous ne tombons pas dans les pièges ; nous les créons.

— J’espère que tu as raison, Pharos. Mais restons méfiants ; nous n’en sommes qu’au commencement.