La femme que j’aime est partie se baigner. Nous sommes en vacances à Roses-sur-Mer et nous nous reposons.
L’eau lui monte à la taille. Elle hésite, se retourne. Je lui fais un signe de la main.
J’aimerais qu’elle meure là, sur-le-champ. Je suis au courant de tout ce qui se passe ici. Les morts et les suicides. J’aimerais tellement ressentir une douleur violente, insupportable. J’aimerais me sentir vivant, et puis me désintégrer dans la honte. C’est la première fois que j’éprouve un sentiment aussi fort que celui-là.
La femme que j’aime met sa tête sous l’eau et cesse de respirer. Elle imagine qu’un poisson énorme lui mange la tête d’un seul coup et qu’elle sort de l’eau torse nu, décapitée. Et pourtant sa voix murmure encore des mots qui font mal. Des mots obscurs sans queue… ni tête.
La femme que j’aime n’a pas toute sa tête.
La femme que j’aime voit un bateau passer et elle envoie la main à ses passagers comme si c’étaient de vieux copains. Elle agite les bras dans tous les sens, si bien qu’un homme sort ses jumelles pour la regarder. Ses cheveux sont plaqués sur son visage et elle se demande ce qu’elle fait là, au beau milieu de l’océan.
La femme que j’aime avance trop loin dans l’eau. Le sauveteur siffle et lui signale de revenir. La femme que j’aime n’écoute pas et nage comme un poisson sans tête. De gauche à droite, de droite à gauche. Le sauveteur siffle encore et une dame se rend près d’elle pour l’avertir de revenir un peu plus près de la grève. La femme que j’aime regarde dans ma direction et je ne bouge pas.
J’étends de la crème solaire sur mes jambes et je prends mon livre pendant que la femme que j’aime sort de l’eau. Elle s’ébroue comme une chienne près d’un couple qui construit des châteaux de sable avec ses petits. La femme que j’aime a un corps magnifique et plusieurs hommes se retournent sur son passage. Ses seins sont complètement sortis de leur triangle de soie et la femme que j’aime s’en fout royalement.
La femme que j’aime prend son ballon et s’en retourne à la mer, heureuse comme au temps des premières eaux. Elle avance jusqu’à ce que l’eau atteigne sa taille puis elle hésite. Elle se retourne et je lui fais un signe de la main.
La femme que j’aime est folle.
Mais elle voulait voir la mer.