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AVANT-PROPOS

M. Patin, professeur de poésie latine à la Faculté des lettres dé Pans de 1832 à 1876, qui fil son cours sans interruption pendant trente-trois ans jusqu'en 1865, année où il fut nommé doyen, prenait quelquefois pour sujet de ses leçons le Poëmede la nature, qu'il commentait dans le dernier détail, vers par vers, avec autant de grâce littéraire que d'autorité. Naturellement il traduisait à mesure qu'il expliquait le fond de la doctrine et les formes du langage. Plus d'un ancien auditeur de la Sorbonne se rappelle encore le solide agrément du commentaire et la finesse de la traduction. Cette traduction, trouvée après sa mort dans les manuscrits du savant professeur, nous a paru digne d'être conservée, e4 nous avons d'autant moins de scrupule à la livrer au public, que M. Patin lui-même, nous le savons, avait l'intention de la publier, qu'il attendait le moment où il aurait le loisir de composer une grande introduction sur Lucrèce, dont il avait depuis longtemps préparé les matériaux, travail de prédilection qu'il se réservait pour sa vieillesse, mais que d'autres travaux plus urgents ne lui ont pas permis d'accomplir.

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Il est plus d'une manière de traduire un poêle tel que Lucrèce, et c'est se hasarder beaucQup que de prétendre, comme on fait souvent, qu'il n'y en a qu'une qui soit la bonne. Le système change nécessairement avec le temps, selon le but qu'on se propose, selon les besoins des esprits auxquels on s'adresse. Tel traduira pour mettre surtout en lumière le sens philosophique de l'auteur, comme a fait par exemple Lagrange au xviii' siècle, sans beaucoup d'efforts pour reproduire l'éclat poétique ; tel autre marquera surtout la suite lo* gique des idées, dût-il rompre le cours des périodes dont la longueur lui paraîtra embarrassée et confuse; un autre enfin, plus sensible aux charmes du style, se mettra en frais pour trouver des expressions de poète. Comme une véritable image du texte est chose impossible, on peut dire que chacun, ne pouvant remplir toutes lès conditions d'une œuvre parfaite, a raison de faire du moins ressortir ce qui est l'objet de sa préoccupation et sert le plus à son dessein. M. Patin, traduisant pour des auditeurs qui avaient le texte à la main, devait mouler la phrase française sur la phrase latine; il suivait tous les détours, les méandres de la période la plus longue, conservant de son mieux l'ordre des mots, afin que l'auditeur comprît toujours de point en point, à mesure qu'il avançait dans sa lecture, que ce qu'il entendait de la bouche du professeur correspondît à ce qu'il lisait lui-même dans le livre, que son oreille et

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AVANT-PROPOS. m

ses yeux fussent sans cesse d'accord. C'était là assurément un grand soulagement pour l'attention de l'auditoire. Si, de cette façon, la période française était souvent un peu longue et sinueuse, pour mieux ressembler à celle de Lucrèce, les intonations du professeur marquaient les temps d'arrêt et comme les étapes de la pensée. On retrouvait ainsi dans la traduction l'ampleur des démonstrations de Lucrèce, les plis compliqués de sa phrase souvent mal ajustée, la succession, pour nous un peu bizarre, des formules logiques les plus sèches et des expressions poétiques les plus charmantes, enfin les incertitudes et les manquements d'un art qui n'était pas encore parvenu à la nette et sobre précision virgilienne, C'était une fidélité de plus.

Cette traduction, si bien accommodée aux besoins d'un auditoire, oifrira aux lecteurs désavantages analogues, en leur permettant de faire facilement ce qu'on appelle dans les classes le mot à mot. Elle sera particulièrement utile à ceux qui tiennent à connaître non-seulement la philosophie de Lucrèce, mais encore les habitudes et les formes de son exposition. Ce volume sera donc un commode instrument de travail.

Nous devons prévenir que cette traduction, composée depuis longtemps, ne répond pas en tout au texte de Lucrèce, tel qu'il a été établi par Lachmann et ses disciples. Elle a été faite sur les textes autrefois en crédit de Creech, de Wakefield

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et plus particulièrement sur celui de la colleciion Lemairc, encore aujourd'hui très-répandu en France. Les changements proposés par une nouvelle et savante école de critique n'étant pas tous acceptés, n'étant pas non plus tous importants, on peut dire que la traduction de M. Patin s'adapte à toutes les éditions, ou du moins qu'il sera toujours facile de reconnaître les endroits où elle s'en éloigne. Pour nous, nous avons cru devoir ne rien changer à l'œuvre de l'excellent professeur, par la crainte de lui imposer de notre propre autorité des leçons et, par suite, des interprétations qu'il eût peut-être repoussées de son vivant II est bon d'ailleurs qu'une œuvre posthume reste ce qu'elle est. Celle de M. Patin marquera une date dans l'histoire de la traduction et, en laissant voir où en était sur Lucrèce la science du temps, montrera aussi quel était le système alors adopté par ceux qui étaient justement regardés comme les maîtres dans l'art de traduire.

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LUCRÈCE

DE LA NATURE

LIVRE I

Mère d'Énée et de sa race, volupté des hommes et des dieux, bienfaisante Vénus, qui, sous la voûte du ciel et ses signes errants, peuples la mer aux vaisseaux rapides, la terre aux riches moissons; car c'est par toi que tout ce qui respire, que toutes les espèces vivantes sont conçues, et arrivant à l'existence, voient,la lumière du soleil. Devant toi, ô déesse, à ta seule approche, fuient les vents, fuient les nuages ; sous tes pas la terre étend la douce variété de ses tapis de fleurs, les flots de la mer te sourient, et dans le ciel plus serein se répand et resplendit la lumière.

Quand s'est manifestée la première apparence d'un jour de printemps; que, longtemps captive et engourdie, se ranime l'haleine féconde du zé-

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phir, les habitants de Tair, d'abord, les oiseaux, ô déesse, témoignent de tes atteintes, frappés au cœur par ta puissance. Ensuite s'emportent les troupeaux qui bondissent dans les gras pâturages, ou qui traversent les fleuves rapides; cédant à ton charme j à tes doux attraits, toute la nature animée te suit avec ardeur dans la voie où tu l'entraînes. Enfin dans les mers, sur les montagnes, au sein des fleuves impétueux, sous les feuillages qu'habitent les oiseaux, parmi les herbes des prairies, atteignant tous les cœurs des doux traits de l'amour, tu inspires à chaque espèce l'ardeur de se perpétuer.

Puis donc que seule tu gouvernes la nature, que sans toi rien n'aborde aux rivages de la* lumière, rien ne se produit de doux et d'aimable, je te voudi'aîâ pour compagne dans le travail de ces vers où je m'efforce d'expliquer la nature à mon cherMemmius, qu'en tout temps, ô Déesse, et en toutes choses, tu as comblé de tes dons. Daigne donc, ô Déesse, en sa faveur surtout, prêter à mes paroles un charme éternel.

Fais, cependant, que sur toutes les mers, sur toute la terre, cessent les travaux guerriers, que leur fureur s'assoupisse et s'apaise. Car toi seule peux rendre aux mortels le repos, le bonheur de la paix, puisque, ces travaux guerriers. Mars y préside, le dieu puissant des armes, qui souvent

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vient tomber dans tes bras, vaincu par son amour, succombant à son éternelle blessure. Alors, les yeux élevés vers toi, de la couche où repose sa tète, il repaît de ta vue ses regards avides, et suspend son souffle à ses lèvres. Ah! lorsqu'ainsi, ô déesse, il repose près de ton corps sacré, entoure-le de tes bras, et que ta bouche se répandant en douces paroles lui demande le repos de la paix pour les humains. Car, moi-même, je ne pourrais, parmi les embarras de la patrie, donner à ce travail un esprit libre, ni l'illustre rejeton des Memmius manquer, en de telles conjonctures, au salut commun.

Prête-moi donc, Memmius, une oreille libre et attentive, donne-toi, dégagé des soucis de la vie, à l'étude des vrais principes; ce don que te prépare le zèle de ma fidèle amitié, ne Va pas, avant d'en avoir compris la valeur, le dédaigner, le délaisser. Car c'est d'un système qui comprend et le ciel et les dieux que je vais commencer à t'entretc-nir; ce sont les commencements des choses que je vais te découvrir ; je te dirai de quoi la nature lés crée, les entretient, les nourrit; à quoi, après leur destruction, la nature les ramène; désignant ces éléments par les noms de matière, de corps générateurs, de semences, les appelant aussi premiers corps, parce que c'est d'eux premièrement que tout procède.

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Les dieux en effet, de leur nature, doivent jouir nécessairement d'une durée immortelle, dans une souveraine paix, séparés, éloignés de nous et de ce qui nous touche. A l'abri de toute douleur, de tout péril, puissants par leurs propres forces, sans aucun besoin de nous, nous ne pouvons ni capter, par nos mérites, leurs bonnes grâces, ni exciter leur colère.

Lorsque, spectacle honteux, la vie humaine gisait à terre, accablée sous le poids d'une religion, qui, des régions du ciel, montrait sa tête aux mortels, et les eflrayait de son horrible aspect, le premier, un homme de la Grèce, un mortel, osa lever vers le monstre un intrépide regard, le premier il engagea la lutte. Ni les récils qu'on faisait des dieux, ni leurs foudres, ni le ciel, avec ses menaçants murmures, ne purent le réduire; Son ame généreuse n'en fut que plus animée du désir de rompre la première les étroites barrières de la nature. La force de son intelligence vainquit donc et s'avança bien loin hors des murs enflammés du monde. Il parcourt par la pensée l'espace immense, et de là, nous rapporte vainqueur la connaissance de ce qui peut se produire et ne ie peut, de la puissance départie à chaque être et du terme inébranlable qui la limite. La superstition est à son tour terrassée, foulée aux pieds, noble victoire qui nous égale aux dieux.

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Mais ici j'éprouve une crainte. Peut-être vas-tu croire qu'on t'initie à des doctrines d'impiété, qu'on t'ouvre la voie du crime, lorsque, au contraire, c'est la superstition qui a enfanté tant d'actes criminels et impies. C'est ainsi.qu'à Aulis, l'autel de Diane, de la chaste déesse, fut hideusement souillé du sang d'Iphigénie par l'élite de l'armée grecque, ses chefs, ses héros. Quand le bandeau funèbre eut enveloppé les parures virginales de la jeune princesse et fut retombé également des deux côtés de son visage, qu'elle comprit que son triste père était là, devant l'autel, et, près de lui, les prêtres dérobant aux yeux la vue du couteau, et tout autour le peuple fondant en larmes à son aspect, alors, muette de terreur, elle fléchit, et ses genoux allaient.chercher la terre. La malheureuse! que lui servait en un tel moment d'avoir la première donné à un roi le nom de père? Des mains d'hommes la saisissent et, tremblante, l'emportent à l'autel; non, pour que les cérémonies saintes accomplies, un éclatant cortège la conduise à la maison d'un époux, mais pour que, sa pureté blessée par un contact profane, au temps même de l'hymen, elle tombe, triste victime, immolée par un père, dont il faut bien que la flotte obtienne des dieux un heureux, un fortuné départ. Tant la superstition a pu conseiller d'horreurs !

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Tei-même, en bieji des circonstances, vaincu parles effrayants discours des poètes, des devins, tu chercheras à m'échapper. Que de songes, en effet, ils peuvent imaginer capables de renverser tout le plan de ta vie, de troubler par la crainte ta fortune prospère. Et ce n'est pas sans raison : car si les hommes voyaient un terme assuré à leurs peines, ils auraient quelque moyen de résister à la superstition et aux menaces des devins : aujourd'hui point de résistance possible, s'il faut craindre, dans la mort, des châtiments éternels.

On ne sait en effet quelle est la nature de l'âme. Naît-elle avec le corps, ou y entre-t-elle au moment de la naissance? périt-elle avec nous par la dissolution qui suit le trépas, ou va-t-elle visiter les ténèbres de renfQ.r et ses vastes marais? Faut-il croire que les dieux l'envoient animer d'autres êtres, comme l'a chanté notre Ennius, qui, le premier, des riants sommets de l'Hélicon, rapporta au milieu des peuples de l'Italie une couronne d'un éclat immortel*^ Et, toutefois, dans ses impérissables vers, il nous parle des demeures de l'Achéron, où ne descendent ni nos âmes, ni nos corps, mais de certains fantômes d'une pâleur étrange. C'est de là, dit-il, que vint lui apparaître la figure d'Homère, à l'éternelle jeunesse, versant des larmes amères et lui dévoilant les secrets de la nature.

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Si donc il nous faut rendre compte des choses d'en haut, de ce qui produit les mouvements du soleil et de la lune, de ce qui gouverne toutes choses sur la terre; il nous faut aussi, au moyen d'une pensée pénétrante, rechercher quelle est la nature de l'esprit et de l'âme ; ce que c'est que ces objets effrayants qui s'offrent à nous, même éveillés, dans la maladie, ou ensevelis dans le sommeil, quand nous croyons voir et entendre ceux qui ont subi la mort et dont la terre recouvre les os.

Je ne me cache point que les systèmes obscurs des Grecs, il est bien difficile de les rendre clairement dans nos vers latins, surtout lorsqu'il faut user de tant de mots nouveaux, à cause de l'indigence de la langue et de la nouveauté des sujets. Et, toutefois, l'attrait de la vertu, la douceur espérée de contenter une amitié si chère, m'engagent à surmonter toutes les fatigues, à veiller, sans relâche, durant les nuits sereines, cherchant, par quelles paroles et dans quels vers je pourrai faire luire à ton esprit une lumière qui éclaire pour lui les plus profonds secrets de la nature.

Or ces terreurs de l'âme, ces ténèbres, il faut, pour les dissiper, non pas les rayons du soleil, les traits lumineux du jour, mais l'image fidèle de la nature, les vues de la raison.

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Le point de départ sera pour nous cette vérité première que rien ne peut être engendré de rien par la volonté et la puissance divine. Car si une crainte superstitieuse tient comme enchaînés tous les mortels y c'est parce que sur la terre et dans le ciel ils sont témoins de bien des faits dont ils ne peuvent, en aucune sorte, apercevoir les causes, et qu'ils les regardent comme provenant d'une action de la divinité. Quand donc nous aurons vu que rien ne peut recevoir l'être de rien, alors ce que nous cherchons se montrera plus directement à nos regards; nous saurons de quoi chaque chose peut recevoir l'être, comment toutes choses se forment, sans l'opération des dieux. ^ Si de rien pouvait venir quelque chose, de tout indifféremment pourraient naître toutes les races ; à nulle il ne faudrait de semence. Ainsi de la mer les hommes pourraient tirer leur origine, de la terre les races qui portent écailles ou qui volent, du ciel s'élanceraient les grands troupeaux, le petit bétail, tandis que les bêtes sauvages, selon le hasard de la naissance, occuperaient ou les régions habitées, ou les déserts. On ne verrait point constamment les mêmes fruits sur les mêmes arbres ; cet ordre changerait, tous pouvant égale-lementtout produire. Comme il n'y aurait point pour chaque être d'éléments générateurs, comment chacun pourrait-il avoir une mère a part? Mais,

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dans la vérité, comme les êtres ont tous leur semence propre, ils naissent et arrivent à la lumière, quand se trouve réunie la matière de chacun, ses éléments premiers ; et, si tous ne peuvent s'engendrer de tous, c'est à cause des propriétés distinctes de ces éléments.

En outre, pourquoi voyons-nous se répandre au printemps les roses, au temps de la chaleur les blés, avec l'humide automne les fruits de la vigne, sinon parce qu'il y a un moment marqué, où les germes affluant tous ensemble, la voie s'ouvre à la création des êtres divers, quand la saison est venue, quand la terre vivifiée peut exposer sans crainte ses tendres productions à la lumière. Que si elles sortaient du néant, elles apparaîtraient tout à coup, à des époques indéterminées, et dans des parties de l'année peu favorables. Il n'y aurait plus de premiers principes dont une saison contraire pût arrêter le concours fécond.

Pour l'accroissement des êtres il ne serait plus besoin du temps qui suit la réunion de leur semence, s'ils pouvaient se faire de rien. Ils devien-dmient jeunes en un moment, sortis à peine de leur première enfance ; de la terre s'élanceraient tout à coup des arbres déjà grands. Or il est clair que rien de cela n'arrive, que toutes choses au contraire se développent par degrés, comme il est naturel venant d'un germe déterminé, et que dans

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ce développement le caractère de l'espèce se conserve; d'où l'on peut reconnaître que chaque être a sa. matière à part qui le fait grandir, qui l'entretient.

Ajoutons que, sans le secours assuré des pluies annuelles, la terre ne pourrait produire au jour ses riantes productions. Les animaux eux-mêmes, privés de nourriture, ne pourraient propager leur espèce et maintenir leur existence.

On concevrait plutôt des éléments communs à plusieurs êtres, comme le sont aux mots les lettres, que l'existence d'un être sans éléments premiers.

Enfin, pourquoi n'a-t-il pas été donné à la nature de produire des hommes tellement grands, qu'ils pussent traverser à pied la mer comme un gué, écarter de leurs mains les montagnes, et par la longue durée de leur vie dépasser de nombreuses générations, sinon parce qu'une somme déterminée de matière a été attribuée à la production de chaque être et que de là résulte tout ce qui peut arriver à la naissance. Il faut donc avouer que nulle chose ne peut provenir de rien, puisqu'il faut à toutes une semence de laquelle elles reçoivent l'être, pour se développer ensuite au sein de l'air qui les reçoit.

Enfin, puisque nous voyons les lieux cultivés l'emporter sur les lieux incultes, et, par l'effort de nos mains, rendre de meilleurs fruits, il y a, nous

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devons le croire, dans la terre, des germes primitifs, que nous, ensuite, retournant avec le soc la glèbe féconde et domptant le sol, nous appelons à la naissance. S'il n'y en avait pas, on devrait voir, sans notre travail, toutes choses se produire d'elles-mêmes et beaucoup mieux.

Ajoutons que la nature réduit chaque tout en ses parties élémentaires, mais ne le fait point périr, ne l'anéantit point.

S'il y en avait de mortels en toutes leurs parties, les choses disparaîtraient tout à coup à nos yeux et cesseraient d'exister; il ne serait, en effet, besoin d'aucune force pour en séparer les parties, pour en délier les nœuds. Tandis qu'étant formées d'une semence éternelle, jamais, jusqu'au moment où il se rencontre une force qui les heurtant au dehors, ou les pénétrant au dedans par les intervalles du vide, en détruit l'assemblage, la nature ne nous en laisse voir la fin.

En outre tout ce qu'à force de durée éloigne de nos yeux le cours des âges, s'il le détruisait tout entier, s'il en consumait toute la matière, comment pourrait Vénus amener successivement à la lumière de la vie les générations des animaux; la terre, à la riche parure, nourrir, développer ces générations nouvelles, offrant à chacune la pâture convenable? Comment les pures fontaines, les fleuves errants suffiraient-ils à l'entretien de la

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mer; l'éther à la nourriture des astres? des êtres au corps mortel, la longueur infinie du temps écoulé, des jours accomplis, devrait les avoir entièrement consumés. Que si, dans ce vaste espace du passé, il n'a pas manqué d'éléments propres à réparer sans cesse l'ensemble des choses, il faut bien que ces éléments soient doués d'une énergie immortelle. Il ne se peut donc pas que quoi que ce soit retourne au néant.

Tous les êtres, enfin, succomberaient à l'action d'une même cause, si une matière éternelle ne maintenait par des nœuds plus ou moins serrés leur assemblage. Le contact seul serait pour eux une cause suffisante de mort. N'étant point formés d'éléments éternels, toute rencontre pourrait en rompre le tissu. Mais il en est autrement : des nœuds de diverse sorte lient leurs parties élémentaires, ces parties sont faites d'une matière éternelle, ils subsistent donc dans leur intégrité, jusqu'à ce qu'il survienne quelque atteinte trop forte pour leur tissu. Ainsi nulle chose ne retourne au néant, toutes retournent, après leur dissolution, à la masse de la matière.

Les pluies semblent se perdre quand le père des dieux l'Éther les a précipitées dans le sein de la mère commune, la terre. Mais du sol s'élèvent les florissantes moissons, sur les arbres verdissent les rameaux; eux-mêmes, les arbres croissent et

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se courbent sous le poids des fruits. De là la nourriture de notre espèce et des animaux ; de là tous ces enfants qui font comme fleurir les villes réjouies; tous ces oiseaux, nouvellement éclos, qui font chanter le feuillage des forêts; de là ce gras bétail qui repose dans les abondants pâturages son corps fatigué d'embonpoint et dont la mamelle gonflée distille une blanche liqueur; de là ces jeunes rejetons des troupeaux, se jouant, faibles encore et tout tremblants, parmi les herbes, quand le lait maternel a comme enivré leurs âmes naissantes.

Rien donc ne se perd, ne périt tout à fait de ce qui semblait périr, puisque d'un être la nature tire un être nouveau, et qu'elle ne permet pas qu'aucun puisse prendre vie sans l'aide de quelque mort.

Tu sais maintenant, je te l'ai enseigné, que les choses ne s'engendrent point du néant, et qu'une fois produites, elles n'y retournent point. Mais comme il pourrait t'arriver d'en douter par cette raison que leurs parties élémentaires échappent à nos yeux, je vais te citer des corps dont il te faut bien confesser l'existence bien qu'on ne les puisse voir.

D'abord c'est le vent qui, de ses coups redoublés, frappe la mer, renverse les vaisseaux, disperse les nuages; qui, d'autres fois, promenant un tourbillon rapide dans les plaines, les jonche de

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grands arbres renverses, ou bien tourmente de son souffle, fléau des forêts, le sommet des montagnes; tant sévit sa force frémissante, au menaçant murmure! Les vents sont donc des corps invisibles, qui balayent et la terre et la mer et les nuages du ciel, enveloppant, emportant tout dans leur tourbillon. Leur cours, par lequel se propage au loin la ruine, n'est pas autre que celui de cette eau d'abord paisible qui tout à coup se précipite en flots abondants, grossie qu'elle est par les torrents descendus des montagnes, et entraîne avec elle les débris des forêts, des arbres même tout entiers. Point de ponts, de digues si solides, qui puissent soutenir sa subite violence; le fleuve, aux ondes turbulentes et ta)ubles, vient se heurter avec trop de force contre leurs masses ébranlées ; il les fait crouler à grand bruit, il en roule les immenses pierres dans ses eaux; il renverse tout ce qui fait obstacle à son cours. Ainsi doit s'emporter le souffle du vent : partout où il s'abat à la manière d'un fleuve impétueux, il heurte violemment ce qu'il rencontre, il le renverse par ses assauts répétés ; quelquefois il le saisit dans l'étreinte de son onde. Il l'emporte dans la fuite de son rapide tourbillon. Les vents sont donc, je le répète, des corps invisibles, puisque par leurs actes, leurs procédés, ils rivalisent avec les grands fleuves, coi'ps visibles à nos yeux.

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La variété des odeurs^se fait sentir à nous et cependant nous ne les voyons pas arriver à nos narines; nos yeux ne perçoivent pas davantage la chaleur, le froid, les sons, toutes choses qui doivent être de nature corporelle puisqu'elles affectent les sens. Car toucher, être touché, nulle autre chose que le corps ne le peut.

Sur le rivage où brisent les vagues, si l'on suspend des vêtements, ils deviennent humides; étendus au soleil ils sèchent, et l'on ne voit ni de quelle manière l'humidité y pénètre, ni de quelle manière elle s'en retire. Il faut donc qu'elle soit divisée en parties très-petites, que les yeux ne peuvent d'aucune façon apercevoir.

Avec le cours des années, l'anneau que nous portons au doigt s'amincit par dessous; la chute répétée d'une goutte d'eau creuse la pierre; le fer du soc recourbé décroît insensiblement dans le sillon; sous les pas de la foule on voit s'user les pierres qui pavent les rues; et les statues d'airain placées à la porte des villes nous montrent des mains usées aussi au contact des passants qui les adorent. Si donc ces objets s'usent', c'est, nous le voyons, qu'ils souffrent une diminution. Mais quels corps s'en retirent à tout instant? La nature flous en a envié le spectacle.

Enfin, de tout ce que les jours et la nature ajoutent peu à peu aux choses, pour les faire

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croître par degrés, il n'.est rien que l'effort de notre vue puisse atteindre. Nos yeux n'aperçoivent pas davantage ce que leur enlève le temps en les maigrissant, les vieillissant. Les rochers suspendus au-dessus de la mer, sans cesse rongés par le sel de ses eaux, font à tout instant des pertes, que nous ne voyons pas. C'est donc au moyen de corps invisibles que la nature agit et gouverne.

Ne crois pas, cependant, qu'il n'y ait partout que des choses de nature corporelle, pressées les unes contre les autres; il y a encore du vide. C'est là une connaissance qui te sera utile en bien des cas ; qui ne te permettra plus d'erreurs., de doutes, d'incertitudes sur l'ensemble des choses, de défiance à l'égard de nos paroles. (Posons donc en principe qu'il y a un4ieu intangible, inoccupé, qu'il y a du vide.) S'il n'y en avait point, les choses ne pourraient absolument se mouvoir; cette propriété qu'ont les corps de s'opposer, de résister, ferait, atout moment, obstacle à tous; rien n'avancerait parce que rien ne commencerait à céder. Au contraire, et la mer, et la terre, et les hauteurs du ciel contiennent des corps sans nombre qui se njeuvent de mille manières à nos yeux : que s'il n'existait point de vide, ils ne connaîtraient point ces mouvements, celte agitation ; bien plus, ils ne seraient point arrivés à

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l'existence, l'amas universel de la matière demeurant dans son repos.

En outre, bien que les corps nous paraissent denses, on peut juger qu'en ^réalité ils sont rares.

A travers les rochers, les parois des cavernes, pénètre l'humidité des eaux, qui, de toutes parts, y dégouttent en larmes abondantes. Par tout le corps des animaux se distribue la nourriture. Les arbres croissent et, le temps venu, versent leurs fruits en abondance, parce qu'eux-mêmes, la nourriture les renouvelle tout entiers, montant de l'extrémité de leurs racines à leurs troncs, et se répandant jusque dans leurs derniers rameaux. La voix passe à travers les clôtures, et les murailles des maisons n'arrêtent point son vol. Le froid se fait sentir jusqu'à nos os. Or s'il n'y avait point de vide qui livrât passage à la mîrtière, rien de tout cela ne serait possible.

Enfin, pourquoi remarquons-nous une différence de poids entre des choses qui ne diffèrent point par la figure? Un flocon de laine, une masse de plomb, de même volume, devraient peser également; puisque c'est une propriété de la matière de tendre en bas par sa gravité, tandis que le vide est sans pesanteur? concluons que si une chose égale à une autre en grandeur semble plus légère, elle fait connaître par là qu'il y a en elle plus de

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vide. Est-elle plus lourde, c'est un clair indice qu'elle renferme moins de vide avec plus de matière.

Il se mêle donc aux choses, le raisonnement nous en fait suivre la trace, ce que nous nommons le vide.

Ici, je dois aller au-devant d'une raison que plusieurs imaginent et qui pourrait t'écarter du vrai. Les eaux, disent-ils, cèdent à l'effort de la race qui porte écailles, et lui ouvrent un liquide chemin, parce que derrière il reste un espace lihre où, dans leur retraite, elles peuvent refluer. On doit donc admettre que d'autres choses encore peuvent se mouvoir entre elles et changer de place, bien que le tout soit plein. Mais c'est d'un faux raisonnement qu'on tire cette conséquence : comment, en efi'et, les poissons iraient-ils en avant, si les eaux ne leur faisaient place; et comment se retireraient les eaux, si les poissons n'avançaient pas ? il faut donc refuser le mouvement aux corps, ou reconnaître qu'il s'y mêle ce vide nécessaire pour que le mouvement commence.

Enfin, si, après s'être rencontrés, deux corps à surface plane se repoussent, se séparent tout à coup, il faut que tout l'air qui s'introduit entre eux prenne possession du vide. Or cet air, quelle que soit la rapidité de son souffle, ne peut, en un mo-

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ment, remplir l'espace entier : il doit en occuper , d'abord les parties extrêmes, puis les autres successivement. Que si quelqu'un pense que, quand les deux corps se repoussent et se séparent, cela vient de ce que l'air se condense, il est dans l'erreur; car alors il se fait un vide, qui n'était pas auparavant, et le vide d'abord existant se remplit ensuite. ' Ce n'est pas ainsi que l'air peut se condenser; et, la chose serait-elle possible, il ne pourrait, je pense, sans vide, se ramasser en lui-même, ramener à un tout ses diverses parties. Il vous faut donc, quelque retard que vous y apportiez par vos difficultés, arriver à cette conclusion, que dans les choses il y a du vide.

Je pourrais encore, parbien des arguments, que me fournirait ma mémoire, gagner à mes discours ton assentiment. Mais, pour ton esprit pénétrant, il suffit de ces quelques traces, qui l'amèneront de lui-même à la connaissance du reste. Quand le limier poursuit sur les montagnes la bête fauve, son odorat lui fait trouver le repaire caché dans le feuillage, une fois qu'il a mis les pieds sur une piste certaine. Ainsi tu pourras, de toi-même, aller dans cette étude, de conséquence en conséquence, pénétrer ses profondeurs, ses obscurités, et en tirer la vérité qui s'y cache.

Que si ton zèle se ralentit, s'il hésite à poursuivre, voici ce que je puis, en pleine assurance.

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le promettre, ô Memmius. La source où je puise est si abondante et, de mon esprit enrichi, s'épancheront, par ma bouche harmonieuse, de tels trésors de doctrine, que la vieillesse, je le crains, se sera glissée dans mes membres engourdis, y relâchant les barrières de la vie, avant que, sur chaque point, mes vers aient porté à ton oreille toute la suite de mes preuves. Mais il m'en faut reprendre le tissu commencé.

La nature entière, coftime nous la concevons, s'est donc formée de deux choses ; elle comprend des corps et ce vide où ils se placent et se meuvent. L'existence des corps; le sens commun suffit pour nous l'attester, et sans ce premier fondement de notre foi, nous ne pourrions, à l'égard de ce qui se cache à notre vue, appuyer notre jugement sur quoi que ce soit. Quant au lieu, à l'espace que nous nommons vide, s'il n'était pas, il n'y aurait pour les corps ni place, ni moyen quelconque de mouvement, comme je te l'ai montré tout à l'heure.

En outre, il n'est rien que tu puisses dire exister à part de toute espèce de corps, à part du vide, rien en quoi tu puisses t'imaginer avoir découvert comme un.troisième ordre d'êtres. Quelque chose que ce fût, encore lui faudrait-il, pour être quelque chose, des dimensions grandes ou petites; or, si le toucher pouvait l'atteindre, même le moins

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du monde, on devrait le compter au nombre des corps, l'ajoutera leur masse. Le supposerait-on intangible, incapable d'opposer dans quelqu'une de ses parties la moindre résistance au passage des corps, alors ce serait ce que nous nommons le vide.

De plus, toute chose par soi-même existante devrait être ou active, ou à l'égard d'autres choses, passive, ou bien encore capable de contenir en soi des existences, des actes. Mais agir et être l'objet d'une action n'est point possible sans corps, et contenir n'appartient qu'à l'espace, au vide. Donc, en dehors du vide et des corps, il n'y a point un troisième ordre d'êtres existant par eux-mêmes, qu'on puisse y ajouter; il n'y en a point qui, à aucun moment, tombe sous les sens ou qu'atteigne la pensée.

Dans tous ceux qu'on pourrait alléguer on ne doit voir que des propriétés ou des accidents soit du vide, soit des corps. Une propriété c'est ce qu'on ne peut détacher, séparer d'une chose sans que ce déchirement n'entraîne sa perte, comme le poids pour la pierre, la chaleur pour le feu, la fluidité pour l'eau, comme la tangibilité pour les corps, l'intangibilité pour le vide. Quant à l'esclavage, à la pauvreté, à la richesse, à la liberté, à la guerre, à la concorde, à tout ce dont la présence ou l'absence laisse subsister les choses dans leur

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intégrité, c'est là ce qu'on appelle, et qu'on doit appeler du nom d'accident.

Mais le temps? Il n'est point par lui-même. Ce sont les choses qui rendent sensibles le passé, le présent, l'avenir. A personne, il le faut avouer, le temps ne se fait sentir indépendamment du mouvement des choses où de leur repos.

Enfin si, nous parlant d'événements, comme le rapt d'Hélène, la défaite, la soumission de la nation troyenne, on nous dit qu'ils sont, gardons-nous d'avouer qu'ils soient par eux-mêmes, puisque les générations, auxquelles ils appartiennent comme accidents, ont été irrévocablement emportées par le cours des âges. Il n'y a point d'acte, de fait qui, à l'égard ou du lieu, ou des hommes, ne puisse être dit accident.

Si à la production des faits avait manqué la matière, comme aussi ce lieu, cet espace, où toutes choses ^s'accomplissent, jamais la flamme amoureuse allumée par la beauté de la fille de Tyndare, et nourrie au sein du phrygien Paris, n'eut allumé l'incendie d'une cruelle guerre, et ce cheval qui dans l'ombre de la nuit, pourlaperte des Troyens, enfantait des guerriers grecs, n'eût point brûlé Pergame. On peut voir par là que les faits du passé, sans exception, ne sont point, n'ont point d'existence propre comme les corps, comme le vide, mais qu'on doit bien plutôt les regarder, à

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juste titre, comme des accidents et des corps et du vide, de ce lieu où ils s'accomplissent.

Les corps sont d'une part les principes simples des choses, d'autre part les composés formés par eux. Pour les principes simples, il n'est aucune force qui puisse les altérer ; leur solidité résiste à toute atteinte. Ce n'est pas qu'il soit facile d'admettre que parmi les corps il y en ait de parfaitement solides.

La foudre, en effet, traverse les remparts de nos maisons, comme les cris, comme les sons de la voix : le fer blanchit, s'amollit dans la fournaise, les pierres se dissolvent sous l'action d'une chaleur brûlante, la dureté de l'or cède elle-même à cette atteinte, elle en est ébranlée et détruite : l'airain, poli et froid comme la glace, se fond comme elle, vaincu par la flamme : le chaud et le froid pénètrent à travers l'argent jusqu'à nos mains, quand, dans la solennité des festins, elles tiennent la coupe, où* l'on verse la liqueur des libations. Rien enfin dans les corps ne nous paraît parfaitement solide. Toutefois, puisque la vraie philosophie, puisque la nature elle-même oblige de l'admettre, laisse-moi te dire en quelques vers qu'il y a des êtres au corps solide et éternels, semences, principes des choses, selon nous, desquels résulte tout l'ensemble des choses créées.

D'abord, puisqu'il a été reconnu que la nature

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est double, composée de deux choses fort dissemblables, de la matière et du lieu où tout s'accomplit, il faut que chacune de ces deux choses s'appartienne à elle-même, entièrement, sans mélange. Partout où s'étend l'espace inoccupé que nous appelons vide, il n'y a point de matière ; partout où se tient la matière, le vide non plus ne peut exister. Les corps élémentaires sont donc solides; ils n'admettent point le vide.

De plus, puisque dans les agrégations passagères il y a du vide, il faut qu'il y ait à l'entour de la matière solide. Le raisonnement ne saurait établir que du vide y est caché et contenu, si, pour le contenir on ne reconnaissait la présence de quelque chose de solide. Ce ne peut être qu'un assemblage d'éléments matériels qui cache ainsi, qui contienne le vide. Il y a donc des éléments matériels, doués de solidité ; et ils peuvent être éternels, tandis que tout, le reste se dissout.

S'il n'y avait rien d'inoccupé, le tout serait solide; et, d'autre part, sans de certains corps remplissant le lieu qu'ils occupent, l'espace tout entier resterait inoccupé. La matière est donc distincte du vide, puisqu'il n'y a absolument ni plein ni vide, et il existe de certains corps auxquels il appartient d'opérer cette distinction.

Ces corps, nul choc extérieur ne les dissout ; rien ne les pénètre et n'en rompt le tissu ; aucune

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atteinte quelconque ne les ruine, comme je te Tai montré tout à l'heure. Car, sans la présence du vide, une chose ne peutêtre ou brisée, ou séparée en plusieurs parties ; elle ne peut donner accès à Fhumidité, au froid, au feu, qui viennent à bout de tout; plus au contraire elle contient de vide, plus ces causes destructives l'atteignent profondément, et l'ébranlent. Si donc les corps élémentaires sont solides, sans mélange de vide, et je te l'ai fait voir, il faut, de nécessité, qu'ils soient éternels.

Sans cette éternité de la matière, les choses seraient de bonne heure retournées au néant, et du néant seraient nées à leur tour celles que nous voyons. Mais puisque, tu t'en souviens, rien de ce qui prend naissance, ne vient de rien et ne retourne à rien, il faut que les premiers principes soient des corps immortels, qui se séparent dans les composés mottels à l'heure suprême de la dissolution, et par qui soit fournie sans cesse une matière suffisante à la réparation des choses. Les premiers principes sont donc simples et solides ; autrement ils ne pourraient se conserver à travers les âges et poui'voir à la réparation des choses pendant des temps infinis.

Enfin si la nature n'avait point mis de terme à la division des corps, les éléments de la matière seraient réduits à un tel état par l'action dissol-

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vante des siècles antérieurs, que rien, après un certain intervalle, n'en pourrait naître, et parcourir jusqu'au bout les divers degrés de l'existence. Toute chose se détruit plus promptement qu'elle ne se rétablit : aussi, ce que la longue et infinie durée du temps précédemment écoulé aurait dissous jusqu'à ce moment, à force de le disperser et de le rompre, ne pourrait, dans toute la suite des siècles, se réparer. Mais, au contraire, il a été mis un terme, et un terme assuré à la dissolution des êtres, puisque nous les voyons tous se reformer et que, dans chaque espèce, un temps déterminé leur a été donné pour atteindre à la fleur de leur âge.

Ajoutons que, malgré l'extrême solidité des éléments de la matière, il peut s'en former des corps mous, tels que l'air, l'eau, la terre, les vapeurs, de quelque manière qu'ait lieu cette formation el que les choses se passent, dès qu'une fois à ces composés il se mêle du vide. Si^ au contraire les principes étaient mous, d'où proviendrait la dureté des caillons et du fer? On ne pourrait s'en rendre compte. Il manquerait à tous les êtres delà nature un premier fondement. Il y a donc des corps doués de simplicité, de solidité, dont l'assemblage plus ou moins dense produit dans les êtres la densité et la force.

Si l'on ne reconnaît point de terme à la division des corps, il faut que, cependant, à travers l'éter-

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nelle durée du temps, il s'en soit conservé jusqu'à ce moment, que n'ait point encore atteints le danger. Mais s'ils sont de nature fragile, il répugne qu'ils aient pu, pendant une éternité, se maintenir contre les innombrables chocs qui les (ftit assaillis.

Dans les diverses classes d'êtres, un terme a été assigné à leur croissance et à leur vie ; par les lois de la nature a été réglé ce que chacun peut, ou ne peut pas ; aucun ne change ; bien plus, chez tous, il y a une telle constance, que les oiseaux, au plumage bigarré, montrent toujoui's sur leur corps, d'après un ordre invariable, les taches dis-tinctives de leur espèce. Il faut donc que leurs éléments matériels soient eux-mêmes soustraits au changement. Car si ces éléments changeaient sous l'action de quelque cause victorieuse, alors deviendraient incertains ce qui peut se produire et ne le peut^ la puissance départie à chaque être, le terme inébranlable qui la limite; et, dans les générations successives ne se renouvelleraient pas tant de fois les formes, les mouvements, les habitudes, le caractère des pères.

Chaque corps élémentaire aboutissant à un point extrême, que nos sens ne peuvent distinguer, cette extrémité n'offre point de parties et est de nature infiniment petite ; elle n'a point d'existence à part, et n'en aura jamais; elle appartient à un

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composé dont elle est la première et la dernière partie : associée à d'autres parties semblables, elle forme avec elles par leur agrégation étroite la matière du corps. Xlomme ces parties ne peuvent exister seules, il faut qu'elles s'unissent dans un tout dont on ne puisse les séparer.

Il y a donc des corps premiers solides et simples, formés par l'étroite cohésion de parties minimes. Ils ne résultent pas d'une rencontre, d'un concert; leur simplicité est éternelle; rien n'en peut être retiré, retranché. La nature ne le permet pas, les tenant en réserve pour être la semence de toutes choses.

S'il n'y a point de dernier degré dans la division des corps, les plus petits se composeront de parties à l'infini, la moitié pouvant toujours se résoudre en deux moitiés, sans aucun terme au partage. En quoi différeront donc le plus grand et le le plus petit? En rien assurément ; comfiie le grand tout lui-même, le plus menu corpuscule sera infini étant aussi composé d'une infinité de parties. Mais la droite raison réclame; elle nie que l'esprit puisse admettre rien de semblable : il te faut donc te regdre et convenir qu'il y a des corps dépourvus de parties et de dimension minime, et s'il y en a, tu dois en même temps les reconnaître comme solides et éternels.

Sans la dissolution des êtres en minimes élé-

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ments, la nature créatrice n'en pourrait tirer des êtres nouveaux, les choses qui ont des parties n'étant pas susceptibles de ce qui rend la matière féconde, connexions diverses, pesanteurs, chocs, rencontres, mouvements, enfin de ce qui sert à tout produire.

Aussi, ceux qui ont pensé que la matière du monde c'était le feu, que du feu seul était résulté l'ensemble des êtres, me semblent s'être donné beaucoup de peine pour s'écarter du vrai système. Heraclite marche le premier en tête de leur bataillon, ce philosophe qui doit son éclat à l'obscurité de sa langue, qu'ont célébré, chez les Grecs, plutôt les esprits frivoles, que ces graves esprits auxquels le vrai est nécessaire. Il en est en effet qui dans leur stupidité n'admirent et n'aiment que ce qui se cache et qu'ils croient apercevoir sous des paroles détournées de leur sens; qui ne reconnaissent pour la vérité que ce qui flatte leurs oreilles, ce qui se présente à eux fardé par d'agréables sons.

D'où viendraient, je le demande, des êtres à ce point divers, si le feu, le feu seul, les avait produits. En vain on imaginerait de le condenser, de le raréfier; les parties n'ayant pas une autre nature que le tout lui-même. Une ardeur plus vive succéderait seulement à la concentration des parties, une plus languissante à leur séparation, à

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leur dispersion. Rien de plus, croyez-le bien, ne résulterait de telles causes, bien loin que la diversité des êtres pût provenir du feu plus ou moins condensé et raréfié.

Et encore, il leur faut admettre, dans la composition des corps, le mélange du vide, s'ils veulent que le feu se condense et se raréfie. Mais le sentiment qu'ils ont de ce qui dans leur système peut leur être opposé, leur répugnance à laisser au vide sa place dans les corps, tout cela, par crainte des difficultés, les écarte de la vraie voie; et cependant ils ne voient pas que, le vide retiré, tout se condense e- ne forme plus qu'un seul corps, d'où rien ne peut s'échapper, comme s'échappent du feu la lumière et la chaleur, ce qui montre, bien qu'il ne se compose pas de parties entièrement adhérentes.

S'ils croient possible, de quelque manière, que, dans la composition des corps, le feu s'éteigne et change de nature, s'ils ne reculent pas devant cette supposition, le feu alors périt tout entier et devient un néant, c'est du néant que proviennent toutes les créations. Car le changement qui fait sortir un être de ses limites est véritablement la mort de son état antérieur. Il faut donc qu'il reste dans le feu quelque chose d'inaltérable, pour que tout ne s'en aille pas au néant, pour que du néant ne renaisse pas, ne germe pas, tout ce qui existe.

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En réalité, puisqu'il y a de certains corps, qui conservent toujours la même essence, dont la retraite, l'accession, l'ordre modifié produisent les changements qui ont lieu dans les choses, il est clair que ces parties élémentaires ne sont point ignées. Qu'importerait que quelques-unes se retirassent, passassent ailleurs, se disposassent dans un nouvel ordre, si toutes, gardant leur nature, n'étaient jamais que du feu? Ce serait du feu que tout ce qui s'en formerait. Mais voici, je pense, la vérité : il y a de certains corps qui par leurs rencontres, leurs mouvements, leur ordre, leur situation, leur figure, produisent le feu, ou la combinaison étant changée, des choses d'une autre sorte. Ils ne ressemblent point au feu, ni à rien de ce qui frappe nos sens par ses émanations,*de ce qui nous fait sentir son contact.

Dire que toutes choses se réduisent au feu, ne vouloir compter que le feu au nombre des choses réelles, comme fait ce même Heraclite, me paraît le comble de la folie. Il part des sens et il lutte contre les sens; il les ruine, eux de qui dépendent toutes nos croyances, par qui précisément lui est connu ce qu'il nomme le feu. Il croit en effet que les sens nous donnent la connaissance du feu, mais non pas du reste, qui cependant n'a pas une moindre évidence. Cela me paraît bien déraisonnable et même bien insensé. A quoi re-

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courir, en effet? quel témoignage pour nous plus sûr que celui des sens? comment reconnaître autrement ce qui est vrai, ce qui est faux?

En outre, est-on plus fondé a écarter toutes choses pour ne laisser subsister que le feu, qu'on ne le serait à nier l'existence du feu, pour admettre le reste? C'est égale folie, ce me semble, d'avancer l'un ou l'autre.

Aussi, ceux qui ont pensé que la matière universelle c'était le feu, et que du feu pouvait se composer le grand tout; ceux qui ont assigné pour principe à la naissance des êtres l'air ; ceux auxquels il a semblé que l'eau était par elle-même capable de tout produire, que la terre suffisait k toutes les créations, se convertissait en chaque nature particulière, ceux-là ont pris bien de la peine pour s'écarter bien loin du vrai.

Ajoutez ici ceux qui accouplent, deux à deux, ces principes, l'air avec le feu, la terre avec l'eau ; ou bien qui se persuadent que toutes choses peuvent résulter du mélange des quatre, du feu, de la terre, de l'air, de l'eau.

Parmi ceux-ci, et avant tous, est le philosophe d'Agrigente, Empédocle, qu'a porté, entre ses trois rivages, cette île à l'entour de laquelle bouillonne la mer Ionienne, y creusant des golfes spacieux et faisant jaillir la rosée amère de ses flots azurés ; cette île, dont un étroit passage, un courant rapide,

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sépare les côtes de la terre d'Éolie. Là est la profonde Charybde, et là les menaçants murmures de l'Etna font craindre que sa colère depuis longtemps amassée ne vomisse encore, de sesgoufTres béants, des tourbillons de flammes, n'envoie de nouveau vers le ciel ses éclairs et ses tonnerres. Mais malgré tout ce qui fait de cette contrée, pour les races humaines, un si merveilleux spectacle, quelle que soit la richesse de ses productions, la multitude et la force^de ses défenseurs, il ne semble pas, cependant, qu'elle ait jamais rien possédé de supérieur à un tel homme, de plus saint, de plus étonnant, de plus précieux. Et voilà que ses vers, expression d'un esprit tout divin, nous font entendre encore sa grande voix, nous exposent ses illustres découvertes. A peine peut-on croire qu'il soit sorti d'une souche mortelle.

Il s'est trompé cependant, lui et ceux dont je parlais tout à Theure, qui lui cèdent à tant de titres et lui sont si inférieurs,*bien que, souvent, leur esprit inspiré ait découvert le vrai, et que de cette sorte de sanctuaire soient sorties des réponses plus saintes et plus sûres que n'en fait entendre la Pythie sur le trépied et sous le laurier de Phé-bus. Au sujet des premiers principes, tous sont tombés dans l'erreur, et là ces grands hommes n'ont trouvé que l'occasion d'une grande et lourde chute. D'abord ils supposent l^ îppuyement, tout

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en supprimant le vide ; ils admettent des corps tendres et rares, air, soleil, feu, terre, animaux, moissons, sans que le vide y soit mêlé. Ils veulent ensuite qu'il n'y ait point de fin à la division de la matière, de terme à sa ruine ; point d'infiniment petit qui persiste. Et cependant nous apercevons dans les choses une partie extrême que nos sens jugent infiniment petite; d'où l'on peut inférer l'existence, hors de la portée de la vue, de quelque autre partie extrême infiniment petite et persistante.

Autre difficulté : les principes qu'ils supposent sont des corps de nature molle, c'est-à-dire, pensons-nous, mortelle, qui ont pris naissance et périssent entièrement. Or, dans cette supposition, l'ensemble des choses devrait retourner au néant, et sortir de nouveau du néant, ettu sais, Memmius, combien l'un et l'autre s'éloignent de la vérité.

Ensuite ce sont des principes ennemis, ils sont les uns pour les autres comme des poisons ; lors donc qu'ils se rapprocheront, ils périront, ou fuiront de toutes parts, comme on voit fuir, quand la tempête s'est amassée, et les tonnerres, et les pluies et les vents.

Si de quatre éléments sont formées toutes choses pour se résoudre ensuite en ces mêmes éléments, pourquoi reconnaître comme principes, et appeler ainsi les uns plutôt que les autres? Ils s'engendrent

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tour à tour, échangeant leur couleur (leur forme extérieure), leur nature entière, de toute éternité. Si, au contraire, vous pensez que s'unissent ensemble et le feu, et la terre, et le souffle de Tair, et la fluidité de Teau, de telle sorte que dans cette union ne s'altère en rien leur nature, de ces éléments nulle chose ne pourra se former, ni animée, ni au corps inanimé, comme est un arbre ; chacun, dans cet assemblage confus et disparate, laissera voir sa nature ; Tair y paraîtra mêlé avec la terre, le feu avecTeau, mais subsistant toujours. Il faut, au contraire, que, dans les générations des êtres, les principes apportent une nature cachée et invisible, de peur qu'il ne se rencontre quelque chose de dominant qui combatte, qui fasse obstacle, et qu'ainsi une existence propre manque aux êtres créés.

De plus, leur point de départ c'est le ciel et ses feux ; ils supposent que, d'abord, le feu se change en air, que de l'air s'engendre la pluie, que de la pluie se forme la terre, puis que, dans un ordre inverse, la terre ramène toutes choses, l'eau d'abord, ensuite l'air, enfin le feu, qu'il y a une perpétuelle transformation de ces éléments les uns dans les autres, un perpétuel passage du ciel à la terre, de la terre aux astres du ciel : mais des principes ne peuvent, en aucune manière, se comporter ainsi. Il faut qu'il reste quelque chose d'w-

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muable pour que le tout ne soit pas entièrement réduit au néant, car le changement qui fait sortir un être de ses limites est véritablement la mort de son état antérieur. Ainsi, puisque ces éléments dont nous parlions tout à Theure en viennent à ces mutuelles transformations, il faut qu'ils se composent eux-mêmes d'autres éléments incapables de se transformer, sans quoi l'ensemble des choses serait entièrement réduit s^ néant; ou plutôt il faut admettre certains corps de telle nature, que si, par exemple, ils donnent naissance au feu, ils puissent aussi, par le retrait ou l'addition d'un petit nombre d'entre eux, par une autre disposition, un autre mouvement), produire l'air, et de même toutes les métamorphoses qui s'opèrent dans les êtres.

Mais, dis-tu, il est visible, manifeste que, s'éle-vant dans les airs de la terre qui les porte, toutes choses tirent d'elle leur accroissement, leur nourriture ; que pourtant si la saison ne donne libéralement ses pluies au moment favorable, si les nuages se fondant ne font ployer les arbres, si le soleil, pour sa part, ne contribue de sa bienfaisante chaleur, rien ne peut plus croître, ni moisson, ni plantes, ni animaux. Oui, sans doute; et nous-mêmes, à moins que des aliments secs et une humide boisson ne nous vieniient en aide, notre corps se perd et la vie tout entière se dé-

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tache de tous nos nerfs, de tous nos os. Nous sommes aidés, en effet, cela n'est point douteux, nous sommes nourris par de certaines choses, et de certaines choses aussi aident et nourrissent cha- ' cun des autres êtres ; mais c'est parce que dans la multitude des êtres se mêle diversement une multitude de principes communs à tous. Voilà pourquoi avec la variété des êtres varie la nourriture. Dans l'association de ces éléments primordiaux sont de grande importance la nature de ceux auxquels ils s'unissent, la position qu'ils prennent, les mouvements qu'ils communiquent ou qu'ils reçoivent. Les mêmes peuvent former le ciel, la mer, la terre, les fleuves, le soleil, ou bien encore les blés, les arbres, les animaux. Mais leurs mouvements les distribuent, les agrègent diversement.

Bien plus, dans nos vers mêmes, vous voyez nombre de parties élémentaires, de lettres communes, à bien des mots; et cependant ces vers, ces mots, vous devez convenir que pour le sens, et pour le son, ils diffèrent beaucoup entre eux. Tant ont de puissance les- parties élémentaires, quand seulement l'ordre en est changé! Mais nos principes apportent bien plus d'éléments à la formation, à la diversité des êtres.

Il nous faut maintenant approfondir aussi VHo-méomérie d'Anaxagore, comme l'appellent les

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Grecs par une expression que ne nous permet pas de traduire l'indigence de notre langue. Quant à la chose elle-même il est facile de faire comprendre par des paroles ce que c'est que ce principe des choses qu'il appelle Homéomérie, Pour lui un os est un assemblage de petits os, comme un viscère un assemblage de petits viscères ; le sang est formé par un grand nombre de gouttes de sang qui se rapprochent et se mêlent; l'or résulte de paillettes d'or, la terre de parties terreuses, le feu de parties ignées, l'eau de parties liquides; tout le reste il le compose de même, sans accorder qu'il y ait du vide dans les corps, ni reconnaître un terme à la division des corps. Or, sur ces deux points d'abord, il me paraît dans une erreur pareille à celle des philosophes dont j'ai parlé plus haut.

Ajoutez qu'il suppose des principes trop faibles, si l'on peut appeler principes des parties de même nature que leur composé, s'altérant, périssant de même, n'étant par rien retenues sur cette pente fatale. Laquelle, en effet, s'il survient un choc violent, pourra durer assez pour échapper à la mort, étant déjà placée sous sa dent? Est-ce dans le feu, dans l'eau, dans l'air qu'elle se trouvera? ou bien encore dans le sang, dans les os? Dans rien, je pense; toutes choses n'étant pas moins mortelles que ce que nous voyons sous nos yeux succomber' à quelque atteinte. Mais les êtres ne

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peuvent retourner au néant, comme ils n'en peuvent sortir; j'en atteste les preuves que j'en ai déjà données.

De ce que les aliments accroissent notre corps en le nourrissant on peut conclure que nos veines, notre sang, nos os, nos nerfs sont faits de parties hétérogènes. Si l'on dit que tout aliment est un corps mixte, contenant des parcelles d'os, de veines, de sang, alors, il faudra le croire, et l'aliment solide, et l'aliment liquide se trouveront eux-mêmes composés de parties hétérogènes ; ce sera un mélange d'os, de nerfs, de veines, de sang.

Si tout ce que la terre fait croître est d'abord dans la terre, il faut que la terre se compose de ces choses hétérogènes qui naissent de la terre. Transporte ailleurs l'argument, tu pourras le reproduire dans les mêmes termes. Si dans le bois se cachent la flamme, la fumée, la cendre, il faut que le bois se compose de ces choses hétérogènes qui naissent du bois.

Reste ici, pour échapper à la conclusion, une faible ressource, dont use Anaxagore. Il imagine que les choses de toutes sortes sont mêlées ensemble et que, dans leur mélange, celle-là seule nous apparaît, qui s'y rencontre en plus grand nombre et plus près de la surface. Mais c'est ce que repousse bien loin la vérité. Alors, en effet, il pourrait quelquefois arriver que le blé^ sous la

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redoutable pierre qui le brise, fît paraître du sang, ou quelqu'une des autres choses qu'il nourrit dans notre corps. De n^ême on verrait quelquefois s'échapper de l'herbe des gouttes de même saveur que celles qui s'expriment des mamelles de la brebis. Voilà ce qui arriverait ; comme aussi dans la glèbe rompue s'apercevraient quelquefois les traces éparses des herbes, des grains, des feuillages, que contient en petit la terre; ou dans le bois s'apercevraient cette cendre, cette fumée, ce feu^ qu'il contient en petit. Mais puisqiîe, bien évidemment, rien de tout cela n'arrive, on doit reconnaître qu'il n'y a ppint dans les choses le mélange dont on parle, mais bien, en grand nombre et diversement mêlés, des éléments communs à tous les êtres.

Mais, dis-tu, dans les hautes forêts que couvrent les grandes montagnes, il arrive fréquemment que, les arbres se heurtant par leur faîte, sous l'effort continu des vents, le frottement y fait comme fleurir l'éclat de la flamme. Oui, sans doute : mais ce n'est pas que dans le bois existe déjà le feu, c'est plutôt qu'il contient en grand nombre les éléments du feu, lesquels, par suite du frottement qui les rassemble, produisent l'incendie. Si la flamme toute formée était recelée dans le bois, elle n'y pourrait un moment rester cachée, elle embraserait et consumerait aussitôt arbres et forêts.

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Par là tu peux voir, dès à présent, combien importe, ainsi que je te le disais il n'y a pas longtemps, dans l'association des mêmes éléments primordiaux, la nature, la position de ceux avec lesquels ils sont mis en contact, les mouvements qu'ils communiquent ou qu'ils reçoivent. Tu vois que les mêmes, au moyen d'un léger changement, font sortir de ce qui est ligneux ce qui est igné. C'est aussi un léger changement dans les parties élémentaires, dans les lettres, .qui nous fait distinguer ces mots eux-mêmes ligneux et igné.

Enfin, si tout ce qui se découvre à vos sens, dans les choses, ne peut être compris de vous, sans la supposition de parties matérielles de même nature que ce qu'elles composent, ces parties, avec un tel système, cessent d'être des principes. Elles devront (che'z l'homme, comme la personne elle-même) être ébranlées par la convulsion du rire, ou baigner leur visage de larmes amères.

Poursuivons, d'autres vérités me restent à te dévoiler. Je n'ignore pas quelle en est l'obscurité; mais, d'un coup de son thyrse a frappé mon cœur transporté le grand espoir de la gloire; il m'a pénétré du doux amour des muses; ainsi animé, fortifié, je parcours, dans le domaine des Piérides, des lieux écartés, ou nul pied encore n'a imprimé sa trace : j'aime à m'approcher de sources vierges et à m'y abreuver; j'aime à cueillir des fleurs nou-

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velles et à en former pour mon front une couronne dont jamais les muses n'aient ombragé le front d'aucun mortel. D'abord j'enseigne de grandes choses et travaille à dégager les âmes des liens étroits de la superstition ; ensuite, sur un sujet obscur, je compose des vers brillants de clarté, où tout s'empreint par mon art de l'agrément des muses. Gela même ne semble pas dépourvu de toute raison. Les médecins, lorsqu'ils présentent aux enfants et veulent leur faire accepter la noire absinthe, commencent par enduire les bords du vase d'un miel doré et plein de douceur, pour que l'imprévoyance de leur âge s'y trompe, que, par leurs lèvres abusées, pénètre la potion amère, que leur erreur les préserve, et qu'ils reviennent à la santé : Ainsi moi-même, sachant bien que ces doctrines sont peu attrayantes pour quiconque y est nouveau, que le vulgaire les rédoute et s'en détourne, j'ai voulu te les exposer dans le doux langage des muses, les imprégner pour ainsi dire de leur miel; heureux, si par mes vers je pouvais te tenir attentif au spectacle de la nature et de ses combinaisons.

J'ai enseigné que la matière se compose de corpuscules d'une solidité parfaite, toujours volant, sans que rien les puisse vaincre pendant toute la durée des âges. Voyons maintenant si leur nombre est fini ou ne Test pas; si le vide, dont nous avons

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reconnu l'existence, si cet espace, ce lieu, où tout s'accomplit, est fini lui-même, ou bien s'il s'étend sans limites dans ses dimensions, dans l'abîme de sa profondeur.

Le tout n'est limité par rien; autrement, il aurait une extrémité, et une extrémité n'est possible que s'il y a plus loin une limite, une limite visible et au delà de laquelle ne puisse aller le regard. Hors de l'ensemble des choses il n'y a rien, on en conviendra; il n'a donc point d'extrémité, par conséquent point de fin, point de terme ; et peu importe le point que vous y occuperez, puisque, hors de ce point où vous vous serez placé s'étend en tous sens l'infini.

Si on limile l'espace, et qu'on se suppose arrivé jusqu'à son extrémité et de là lançant une flèche, cette flèche, sous l'implusion d'une main puissante, volera-t-elle au loin, dans la direction qui lui aura été donnée, ou bien préfères-tu qu'elle rencontre en chemin quelque obstacle qui l'arrête? L'un ou bien l'autre doit arriver, il t'en faut convenir; il te faut, de toute nécessité, choisir entre deux aveux dont chacun te ferme toute retraite, te contraignant d'enlever cette borne où tu renfermais l'espace. Car, soit qu'il y ait obstacle et impossibilité d'atteindre le but, soit que le passage reste libre, son point de départ ne pouvait être ta borne prétendue. Ces. ainsi que je veux

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te suivre sans relâche : en quelque endroit que tu t'arrêtes pour y placer une limite, je te demanderai ce qu'il advient de la flèche. Il adviendra que nulle borne fixe ne pourra être établie, et qu'au vol de la flèche toujours s'ouvrira l'espace.

En outre, si cet espace qui entoure tout l'ensemble des êtres était renfermé dans des limites, était borné, la masse de la matière, entraînée par son poids, se serait de toutes parts précipitée en bas; rien ne se produirait plus sous la voûte du ciel, il n'y aurait plus de ciel, de lumière du soleil ; toute la matière se serait accumulée, en un monceau inerte, depuis un temps infini, s'affais-sant, s'abaissant toujours. Mais, au contraire, il n'y a pas de repos pour ses éléments, parce qu'il n'y a point de fond où ils se précipitent et puissent se fixer. C'est toujours et partout un perpétuel lïiouvement ; sans cesse se succèdent, venus en foule de l'espace infini, de nouveayx éléments.

Enfin, nos yeux nous font voir que les choses se servent mutuellement de bornes. L'air se termine aux collines, et les collines à l'air; la terre à la mer et la mer à la terre. Pour le grand tout, il n'a rien, hors de lui, qui le limite. Il y a donc une région, un espace d'une infinie profondeur, que les fleuves célèbres pourraient traverser pen-diant l'éternelle durée des âges sans en atteindre le terme, sans que jamais, à force de coiiler, ils

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eussent moins de chemin à faire. Tant est immense le champ ouvert à la nature, tant il s'étend sans limites et de toutes parts.

Que l'ensemble des choses puisse s'arrêter de soi-même à un dernier terme, la nature ne le permet pas ; elle veut que la matière soit bornée par le vide, le vide par la matière, et qu'au moyen de ces alternatives le toiit soit infini. S'ils ne se limitaient mutuellement, si, toujours simples, ils s'étendaient sans fin, ni la mer, ni la terre, ni la voûte brillante du ciel, ni la race mortelle, ni les corps sacrés des dieux, ne pourraient subsister un moment. Arrachée à son assemblage toute la matière serait emportée à travers l'immense espace, comme en poussière ; ou plutôt, jamais elle ne se serait combinée pour former des corps, nulle force ne pouvant rappeler, réunir ses éléments dispersés.

Car ce n'est pas certainement en vertu d'un dessein arrêté, par l'inspiration d'une pensée intelligente que les premiers principes des choses sont venus occuper leur place ; les mouvements qu'ils devaient accomplir, ils ne les ont pas réglés par un contrat. Mais comme ils sont nombreux, sujets à un grand nombre de changements, soumis dans l'espace, pendant l'infinie durée du temps, à des rencontres, à des chocs, ils arrivent enfin à une disposition telle qu'il en peut résulter l'en-

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semble des choses créées; et cet ensemble se maintenant dm'ant de longues années, du moment où ont concouru à le former des mouvements convenables, il se fait que la mer aride est incessamment réparée par les eaux qu'y apporte le cours des fleuves, que la terre échauffée par les feux du soleil renouvelle ses productions, qu'à sa surface fleurissent cQmme des moissons d'êtres animés, que la vie des feux errants de l'éther est elle-même entretenue. Or, cela ne pourrait être, si la matière ne fournissait sans cesse, à l'infini, de quoi réparer les pertes.

Car de même que sans noui'riture la nature animale se fond et n'a plus de corps, de même toutes choses se dissolvent, quand cesse de fournir à leur entretien la matière détournée de sa voie.

Des chocs extérieurs ne suffisent pas pour conserver uni l'assemblage déjà formé. Ils peuvent bien, par leur action répétée, le maintenir en partie jusqu'au retour d'autres chocs et lui permettre de se compléter. Bien souvent, cependant, le rejaillissement qui les suit donne aux parties élémentaires et l'espace et le temps nécessaires pour s'échapper, pour s'emporter librement loin de leur centre de réunion. Il faut donc, encore une fois, que ces parties élémentaires soient incessamment fournies en grand nombre, et pour suf-

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fire aux choses elles-mêmes il est besoin d'une masse infinie de matière affluant de toutes parts.

Et, à ce sujet, Memmius, garde-toi bien de croire que toutes choses tendent, comme ils disent, vers un centre commun; que le monde subsiste ainsi sans qu'il soit besoin de chocs externes, sans que ses parties supérieures et inférieures puissent s'en détacher, s'appuyant toutes également sur le centre. Gomment croirais-tu qu'une chose soit à elle-même son fondement, que sous la terre des corps pesants se dressent dans l'air, sans cesser de reposer sur le sol, ainsi que nous voyons dans les eaux les images des objets? C'est pourtant ainsi qu'ils supposent des êtres qui marchent renversés, et auxquels il n'est pas plus possible de quitter la terre pour tomber au-dessous d'eux dans le ciel, qu'à nos corps de s'envoler d'eux-mêmes vers la voûte céleste; des êtres qui voient le soleil quand se découvrent à nous les astres de la nuit, qui partagent avec nous les vicissitudes du ciel, ayant des joura égaux à nos nuits.

Ce sont là de vaines imaginations qu'aura suggérées l'erreur à des insensés fourvoyés d'abord dans une fausse route et obstinés à la suivre. Il ne peut exister de centre dans un espace infini, et ce centre existerait, qu'il n'y aurait pas de raison pour que rien s'y arrêtât plutôt qu'à tout autre point.

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Cet espace, que nous nommons vide, doit livrer passage à des corps pesants, et par son centre, et par ce qui ne serait pas son centre, partout où les portent leurs mouvements. Il n'y a pas un seul point où les corps, perdant leur pesanteur, puissent s'appuyer sur le vide; d'autre part, ce qui est vide ne peut servir d'appui à quoi que ce soit et cesser d'être, selon sa nature, pénétrable. Si donc l'assemblage des choses se maintient, ce n'est pas de la façon qu'on suppose, par l'attrait puissant du centre.

En outre, à ce qu'ils s'imaginent, ce ne sont pas tous les corps qui tendent vers le centre, mais ceux qui se composent de terre et d'eau, comme les flots de la mer, les torrents des montagnes, ceux encore qui ont avec les compositions terrestres de Taffinité; mais, selon eux, les soufflés légers de l'air, les chaudes vapeurs du feu, s'écartent loin du centre ; et de là viennent ces signes qui scintillent de toutes parts dans l'éther, cette flamme du soleil qui se nourrit dans l'azur du ciel, parce que là chaleur, échappée du centre, s'y rassemble tout entière. Ils reconnaissent encore que de la terre sort ce qui nourrit les espèces vivantes, que, sur les arbres, les hautes branches ne verdiraient pas, si la terre ne tirait de son sein et ne leur envoyait leur nourriture ; que tout est recouvert, enfermé par la voûte céleste, de peur

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que s'envolant comme la flamme, les remparts du monde ne s'enfuient tout à coup, ne se dissipent à travers l'espace, que tout le reste ne suive ce mouvement, que le séjour du tonnerre ne s'écroule sur nos têtes; que le sol ne se dérobe sous nos pieds ; que parmi les ruines confondues de la terre et du ciel, tous les êtres ne se dissolvent et ne s'en aillent dans les profondeurs de l'espace, de sorte qu'en un moment il ne reste plus rien que le désert du vide et d'invisibles éléments. Car partout où vous faites cesser la continuité des corps peut s'ouvrir la porte de la mort et par elle se précipiter en foule toute la matière. Pour pénétrer dans ces vérités, tu ne prendras que peu de peine ; elles s'éclaireront les unes les autres, sans que jamais la nuit te dérobe la vue du chemin et empoche tes regards d'atteindre aux plus profonds secrets de la nature : de sujets en sujets passera la lumière.

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Il est doux, quand la vaste mer est troublée par les vents, de contempler du rivage la détresse d'un autre; non qu'on se plaise à voir souffrir, mais par la douceur de sentir de quels maux on est exempt. Il est doux encore d'assister aux grandes luttes de la guerre se développant dans les plaines, sans prendre sa part du danger. Mais il n'est rien de plus doux que d'habiter ces sommets élevés et sereins, ces forts construits par la doctrine des sages, d'où l'on peut apercevoir au loin le reste des hommes égarés dans les routes de la vie, y luttant de génie, y contestant de noblesse, s'épui* sant en efforts et le jour et la nuit, surnageant enfin pour saisir la fortune et la puissance. 0 malheureuses pensées des humains I esprits aveugles ! Dans quelles ténèbres, parmi quels dan* gers, se consument ce peu de jours, qui est notre vie ! quoi ! ne pas comprendre ce que réclame le cri de la nature, un corps préservé de la douleur, et pour l'âme d'agréables impressions, l'absencd des soucis el de la crain

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A la nature corporelle, il suffit, ce semble, de peu de choses, pour écarter la douleur et aussi pour faire naître sous les pas bien des délices, de sorte qu'elle-même ne puisse quelquefois rien souhaiter de plus agréable. S'il n'y a point, dans leur demeure, de statues d'or avec des flambeaux dans les mains, pour éclairer leurs nocturnes repas; si leurs murs ne resplendissent point de l'éclat de l'argent et de l'or; si le son des cithares ne fait pas résonner leurs lambris dorés; du moins, couchés ensemble sur un tendre gazon, près d'une source d'eau vive, à l'ombre d'un arbre élevé, ils pourvoient joyeusement et à peu de frais aux besoins du corps, surtout dans la riante saison où l'année émaille de fleurs l'herbe verte des prairies. Et puis l'ardeur de la fièvre ne sera pas plus empressée de quitter ton corps, s'il se débat sur les peintures d'une riche tapisserie, ou sur la pourpre éclatante, que s'il te faut reposer sur une couche plébéienne.

Si donc, pour notre corps, ne peuvent rien la fortune, la noblesse, la gloire du trône, elles ne sont pas, d'ailleurs, on doit le croire, plus utiles à notre âme. Quand tu vois comme bouillonner dans la plaine tes légions qui représentent une Image des combats, bouillonner sur la mer ta flotte pr.omenant au loin ses voiles, si, à ce spectacle, les superstitions, les terreurs de la mort, ne sortent

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pas avec épouvante de ton ûmc, te rendant de libres instants, dégagés de tout souci; s'il ne faut voir là qu'un frivole appareil, que de vains jouets et que, dans la réalité, les craintes de l'homme, les soucis qui le poursuivent, ne redoutent ni le bruit des,armes, ni l'atteinte des traits, et se montrent insolemment parmi les rois et les puissants, sans respect pour l'éclat de l'or et les splendeurs de la pourpre, peux-tu douter qu'un tel pouvoir n'appartienne qu'à la raison, quand, surtout, notre vie, pendant tout son cours, se travaille si péniblement dans les ténèbres? Car de môme que les enfants tremblent dans l'obscurité et s'y effrayent de toutes choses, ainsi nous-mêmes,, au grand jour, nous redoutons ce qui n'est pas plus redoutable que les objets de leurs nocturnes alarmes. Or ces terreurs de l'âme, ces ténèbres, il faut, pour les dissiper, non pas les rayons du soleil, les traits lumineux du jour, mais l'image fidèle de la nature, les vues de la raison.

Maintenant, au moyen de quels mouvements les corps élémentaires engendrent-ils la variété des choses pour en opérer ensuite la dissolution, à quelle force obéissent-ils, quelle est cette mobilité qui les emporte à travers le vide? je vais le dire; toi, prête attention à mes paroles.

Car, assurément, les éléments de la matière ne SQ touchent pas d'assez près pour être cohérents.

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Ne voyons-nous pas tous les objets s'amoindrir, s'écouler à la longue, pour ainsi dire au courant des âges, faire disparaître à nos regards ce qui est ancien, tandis que le grand tout demeure évidemment sans atteinte. C'est que les particules qui se détachent des corps amoindrissent celui qu'elles quittent, viennent accroître celui auquel elles s'attachent, font vieillir l'un, et au contraire fleurir l'autre, sans s'y fixer encore. Ainsi l'ensemble des choses se renouvelle incessamment, et c'est d'emprunts mutuels que vit ce qui est mortel ; telle espèce's'augmente, telle autre diminue; en peu de temps changent les races animales et, comme les coureurs, se passent le flambeau de la vie.

Si tu penses que les éléments premiers peuvent être en repos, et, toutefois, du sein de ce repos, donner naissance à des mouvements, tu t'écartes bien loin de la vérité. Puisqu'ils errent dans le vide, il faut qu'ils soient emportés ou par leur gravité propre, ou par une impulsion étrangère ; car, dans leur agitation, il arrive qu'ils se rencontrent, qu'ils se heurtent et rejaillissent tout à coup en divers sens ; ce qui n'a rien d'étonnant, durs, solides, pesants, comme ils sont et ne rencontrant rien au dehors qui les retienne. Pour mieux comprendre comment s'agitent ainsi les éléments de la matière, souviens-toi qu'il n'y a point dans le grand tout de partie inférieure, point* de lieu où ils puissent

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s'arrêter, l'espace s'étcndant en tout sens, à Tin-lîni ; cela est bien évident; de sûrs arguments l'ont établi.

Puisqu'il en est ainsi, il ne peut y avoir de repos pour ces éléments, au sein de l'espace immense; au contraire, ils y sont livrés à un mouvement continuel et divers, ils s'y heurtent et rejaillissent les uns à de grandes distances, les autres à une si faible que du choc résulte leur cohésion. Ceux qui forment les assemblages les plus denses, pour ne s'être écartés, après leur rencontre, que de fort peu, pour s'être embarrassés les uns dans les autres et liés étroitement en raison delà diversité de leurs formes, ceux-là servent de base aux corps si durs de la pierre, du fer, d'autres encore, de même sorte, en très-petit nombre. Ceux, au contraire, qui errent dans le vide et qui conservent entre eux, et quand ils se repoussent bien loin, et quand de bien loin ils se rapprochent, de grands intervalles, ceux-là nous donnent les corps rares, tels que l'air et la brillante luinière du soleil.

Il y en a beaucoup d'autres, égarés dans le vide, exclus de toutes les combinaisons, qui n'ont trouvé nulle part à quoi associer leurs mouvements. La chose nous est comme représentée, comme figurée par un spectacle sans cesse offert à nos yeux, et qui nous poursuit partout.

Vois, quand la lumière du soleil fait pénétrer

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ses rayons dans l'obscurité de nos demeures. De nombreux corpuscules se meuvent en tous sens, s'agitent confusément, dans le sillon lumineux. C'est comme une guerre éternelle, où leurs escadrons ennemis se livrent des combats sans trêve, ne cessant, dans leur inquiète activité, de se joindre, de se séparer. Par là tu peux te faire une idée de la manière dont s'agitent sans cesse dans l'espace les éléments primordiaux; autant, toutefois, qu'une petite chose peut en représenter une grande, mettre en chemin delà connaître.

Une raison surtout de donner ton attention à ces corpuscules qu'on voit s'agiter confusément dans les rayons du soleil, c'est qu'une telle agitation témoigne des mouvements cachés à nos yeux auxquels sont eux-mêmes soumis les éléments de la matière. Tu verras en effet beaucoup de ces corpuscules atteints sans doute de chocs imperceptibles, changer de direction, s'écarter, revenir, aller à droite, à gauche, dans tous les sens. Leur mobilité ne peut tenir qu'à celle de leurs principes.

D'abord se meuvent d'eux-mêmes ces éléments primordiaux; puis, leurs plus petits assemblages, les plus voisins pour ainsi dire de la force qui les a formés, reçoivent l'impulsion de leurs invisibles chocs ; à leur tour, ces premiers assemblages en attaquent de plus grands; ainsi, à partir des prin-

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cipes, monte toujours le mouvement, pour arriver peu à peu jusqu'à la portée de nos sens. Voilà comment se meuvent eux-mêmes les corpuscules que nous pouvons apercevoir dans la.lumière du soleil, sans que les chocs, dont leurs mouvements résultent, nous soient apparents.

Quelle est, maintenant, l'extrême mobilité des éléments de la matière, il ne me sera pas difficile, Memmius, de te le faire comprendre. D'abord, quand l'aurore de retour répand sur la terre une clarté nouvelle, et que les oiseaux, au plumage bigarré, volant çà et là dans la profondeur des boiSj remplissent l'air limpide de leurs purs et clairs accents, avec quelle rapidité le soleil, qui se lève en cet instant, répand-il partout sa lumière et en revêt-il tous les objets, chacun le sait et l'a pu voir. Mais cette lumière, cette chaleur, qu'envoie le soleil, ne passent pas à travers un espace vide; elles s'avancent donc avec quelque lenteur, obligées qu'elles sont de fendre les ondes aériennes. Et ce n'est pas à part que voyagent leurs parties élémentaires, c'est réunies, liées, formant corps; se gênant donc mutuellement et rencontrant un obstacle au dehors, elles sont nécessairement retardées dans leur marche. Mais les éléments primordiaux qui sont simples dans leur solidité et qui passent à travers un espace vide ; que rien ne retarde à l'extérieur, et qui, avec leur complète

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unité, sont nécessairement emportés dans une direction une, ces éléments doivent l'emporter de beaucoup en mobilité, en rapidité, sur la lumière du soleil ; ils doivent franchir d'immenses espaces dans le même temps que met cette lumière à traverser le ciel. Car on ne supposera point que leurs propres conseils puissent les ralentir et qu'ils aient à délibérer sur les modes de leur action.

Mais plusieurs nous opposent, avec ignorance, que la matière ne pourrait, sans l'intervention des dieux, être mise en si grand accord avec les humaines nécessités, varier les saisons, produire les fruits, accomplir enfin tout le reste ; ouvrir aux êtres mortels cette voie où les engagé et les conduit le guide de la vie, la divine volupté, afin que doucement attirées aux actes de Vénus, les races se perpétuent et que le genre humain ne périsse point. Quand ils imaginent que c'est pour l'homme et par les dieux que tout a été ainsi établi, ils s'écartent en toutes choses, bien loin de la vérité. Pour moi, quand j'ignorerais l'existence des éléments premiers, j'oserais encore, d'après ce qui se passe dans le ciel, d'après bien d'autres choses, affirmer que la nature n'a pas été faite pour nous et n'est pas de création divine, défectueuse comme elle semble. Mais c'est, Mem-mius, ce que jeté ferai voir plus tard avec évidence.

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Maintenant il faut que j'en finisse avec ces mouvements que je dois t'expliquer.

C'est le lieu, je pense, de te démontrer qu'aucune chose corporelle ne peut, par une force qui lui soit propre, monter, s'élever. Il ne faut pas qu'à cet égard ce qui se passe pour la flamme te fasse illusion. Sans doute c'est en haut qu'elle tend quand elle se forme, qu'elle s'augmente, et c'est dans le même sens aussi que croissent les blés et les plantes, tandis que tout ce qui est pesant est de soi-même emporté dans une direction contraire.

Quand la flamme s'élance vers le toit d'une maison et de ses jets rapides semble en lécher les poutres, ne va pas croire qu'elle agisse ainsi d'elle - même, sans qu'une force étrangère l'y oblige. Il en est d'elle comme du sang forcé de sortir du corps, il s'élance en hauteur et se répand. Ve vois-tu pas encore avec quelle violence de grosses, d'énormes pièces de bois sont rejetées par l'eau. Plus nous faisons d'eflbrts pour les y enfoncer, les y retenir et plus l'eau montre de passion pour les vomir, les expulser, à ce point qu'elles s'échappent de son sein, qu'elles en jaillissent presque en entier. Et cependant, ces objets, , nous ne doutons pas qu'abandonnés à eux-mêmes dans le vide ils ne fussent portés à descendre. C'est de la même manière que la flamme peut

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s'élever à travers les airs, cédant à leur pression; bien que sa pesanteur lutte autant qu'il est en elle pour l'attirer en bas.

Et ces nocturnes flambeaux volant au haut du ciel, ne vois-tu pas comme ils laissent derrière eux de longs sillons de flamme partout où la nature leur ouvre un passage ? ne vois-tu pas les étoiles, les astres, tomber sur la terre ; le soleil même, du faîte élevé d'où il disperse en tous sens de brûlants rayons, semer dans nos champs la lumière ? C'est donc vers la terre aussi que tendent ses feux. Tu vois comme à travers le ciel volent les tonnerres*; partis de points divers, des nuages d'où ils s'échappent avec violence, ils se rencontrent, et c'est sur la terre que tombe le trait enflammé.

Voici encore, en cette matière, ce que je veux te faire connaître. Les corps premiers descendent bien en droite ligne dans le vide entraînés par leur pesanteur; il leur arrive toutefois, on ne saurait dire où ni quand, de s'écarter quelque peu, le moins possible. Sans cette déclinaison, tous, comme des gouttes de pluie, ne cesseraient de descendre à travers le vide immense; il n'y aurait point lieu à rencontres, à chocs pour ces principes des choses, et de cette manière jamais la nature n'eût pu rien créer.

Si l'on pense que de ces coi^ps premiers qui descendent en ligne droite à travers le vide, les plus

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graves étant les plus rapides rencontrent en leur chemin les plus légers et amènent ainsi des chocs d'où résultent les mouvements générateurs, on s'écarte beaucoup de la vérité. Ce qui tombe dans l'eau ou dans l'air doit sans doute accélérer sa chute en raison de sa pesanteur, parce que ces corps légers de l'eau ou de l'air ne peuvent s'opposer également au passage des autres corps, qu'ils cèdent plus vite à l'action des plus graves. M.iis à aucun corps, en aucun point, dans aucun moment, le vide ne peut faire obstacle; il ne peut cesser d'être, selon sa nature, pénétrable. Les corps premiers doivent donc tous, à travers le vide en repos, être emportés d'un mouvement égal, malgré l'inégalité de leurs pesanteurs. Jamais sur les plus légers ne tomberont les plus graves, produis sant d'eux-mêmes, avec des chocs, ces mouvements divers au moyen desquels peut opérer la nature.

Ainsi, encore une fois, il faut que les corps premiers s'écartent de leur direction, mais seulement un peu, le moins possible. Ne paraissons pas leur prêter des mouvements obliques que démentirait la réalité. C'est en effet une chose à notre portée et toute manifeste que, d'eux-mêmes, les corps pesants ne peuvent se diriger obliquement lorsqu'ils descendent; cela est visible à chacun : mais que rien ne puisse dévier en quoi que ce soit de la ligne droite, qui pourrait le voir?

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(32 DE LA NATURE. 25à - £73

Enfin, si tous les mouvements sont liés entre eux de sorte que d'un premier naisse toujours un second, suivant un ordre certain; si, par leur déclinaison, les éléments primordiaux ne donnent pas lieu à quelque impulsion nouvelle qui rompe les lois de la fatalité, qui empêche que les causes ne §e succèdent à l'infini ; d'où vient donc sur la terre, chez les êtres animés, d'où vient, dis-je, cette libre volonté, soustraite à la tyrannie d'une cause fatale, qui nous fait aller partout, où l'attrait nous mène, qui détourne nos mouvements, non pas dans un temps, dans un lieu déterminé, mais selon que nous pousse l'inspiration de notre âme elle-même. Car, sans aucun doute, de tels actes ont dans la volonté leur principe et c'est de là que le mouvement se répand dans les membres. Ne voyez-vous pas qu'au moment où s'ouvre la barrière, l'ardent coursier ne.peut s'élancer aussi vite que le voudrait son âme elle-même ? Il faut que de tout son corps se rassemble une masse de matière, qui impétueusement portée dans tous ses membres, s'unisse à son désir et ensuive l'emportement. Vous le voyez donc; c'est de l'âme que le mouvement reçoit d'abord son commencement, sa naissance, c'est de la volonté de l'âme qu'il procède immédiatement, pour se communiquer de là à tout le corps, à tous les membres.

Il n'en est pas de même quand c'est un choc qui

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nous pousse et que nous sommes contraints à marcher par la violence de quelque force étrangère. Car alors, cela est manifeste, toute la masse de matière que contient notre corps est emportée malgré nous, et ne s'arrête dans nos membres, où elle s'égare, que retenue par le frein de notre volonté. Ne voyez-vous pas que malgré la violence étrangère qui nous force à avancer, à nous précipiter malgré nous, il y a pourtant dans notre ûme quelque chose qui peut combattre et résister? C'est ce quelque chose dont les ordres tantôt émeuvent en nous la matière et la dirigent dans nos membres, tantôt contiennent son essor et la ramènent en arrière.

On doit donc, dans les principes eux-mêmes, reconnaître quelque chose d'analogue, une cause dé mouvement autre que les chocs et les pesanteurs, d'où nous vienne primitivement une telle faculté. Car de rien, nous le savons, rien ne peut provenir. La pesanteur s'oppose bien à ce que tout se fasse par des chocs, c'est-à-dire, par une force externe; mais il faut encore que l'âme ne porte pas en soi une nécessité intérieure qui l'oblige dans tous ses actes et, triomphant d'elle, la réduise à un état passif : or c'est l'effet d'une légère déclinaison des principes en des lieux et à des moments indéterminés.

La masse de la matière n'a jamais été ni plus

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dense, ni plus rare qu'elle ne l'est aujourd'hui : rien ne l'accroUj en effet, comme rien ne s'en perd. Aussi les mouvements des corps premiers ont-ils été les mêmes qu'aujourd'hui dans les âges précédents et par la suite s'accompliront-ils toujours d'une façon semblable : ce qu'ils ont continué de produire, ils le produiront encore, dans des conditions pareilles et l'on ne cessera de voir leurs créations vivre, grandir, se fortifier, conformé-mentaux invariables lois de la nature. Point de fprce d'ailleurs capable de changer l'ensemble des choses; car il n'est point de lieu où puisse s'enfuir, se séparant du tout, une portion quelconque de la matière et, d'autre part, il n'en est point d'où puisse fondre sur le tout cette force nouvelle qui viendrait troubler Tordre de la nature et de ses mouvements.

Une chose dont il ne faut pas s'étonner, c'est que, les éléments primordiaux ne cessant de se mouvoir, le tout cependant semble tout immobile et dans un complet repos, sauf les mouvements particuliers qu'exécutent certains corps. C'est que ces éléments sont bien loin de la portée de nos sens et qu'invisibles à nos yeux, ils doivent ainsi nous dérober leurs mouvements ; avec d'autant plus de raison que les mouvements mêmes des corps que nous voyons nous sont rendus insensibles par la distance.

Souvent, sur le penchant d'une colline, s'avan»

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cent lentement, tondant un gras pâturage, des brebis à la laine épaisse; elles errent çà et là, selon que les attire l'herbe fraîche, où brillent encore les perles de la rosée, et près d'elles se jouent, dans d'innocents ébats, leurs agneaux rassasiés. De loin, tout ce tableau ne nous offre qu'un objet confus, une tache blanche étendue sur le vert de la colline. Voyez encore, quand de grandes légions sont venues occuper quelque plaine, pour y représenter une image des combats, qu'un éclair jaillit vers le ciel, que de toutes parts l'airain des armes fait resplendir la terre, que sous les pas des guerriers retentit un bruit sourd, que leurs cris renvoyés par les collines sont portés jusqu'aux astres, que çà et là volent des cavaliers, traversant impétueusement la plaine ébranlée ; eh bien ! il y a toujours au sommet des montagnes un point, d'où ce mouvement, ce flottant éclat semblent immobiles.

Maintenant, les premiers éléments de toutes choses, apprends quels ils sont, combien divers de formes, combien variés dans leurs figures : non qu'un petit nombre seulement soient semblables entre eux, mais parce qu'entre tous il n'y a pas complète parité. Rien d'étonnant à cela : leur nombre étant si grand, qu'on ne peut, je l'ai enseigné, lui trouver un terme et le compter, il faut bien que chez tous tout ne soit pas d'un même tissu, n'affecte point une même figure.

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Vois en outre la race humaine, les muets animaux armés de nageoires et couverts d'écaiiles, les gras troupeaux, les bêtes sauvages, les oiseaux au plumage bigarré, et ceux qui, dans de frais pacages, peuplent les bords des ruisseaux et des lacs, et ceux qui volent çà et là dans la profondeur du bois; si, parcourant ces classes d'êtres, tu prends Tun après l'autre chacun de ceux qui les composent, tu trouveras entre eux des diiférences de formes.

Autrement les enfants ne pourraient distinguer leurs mères, les mères leurs enfants ; ce qui se peut cependant, nous le voyons, chez les animaux non moins que chez les hommes.

Souvent, au seuil d'un beau temple, près d'un autel où fume l'encens, tombe, sous le couteau sacré, un jeune taureau, dont la vie s'exhale, de sa poitrine ouverte, avec un tiède ruisseau de sang. Sa mère, cependant, restée seule, parcourt la verte forêt, laissant partout, sur le sol humide, l'empreinte fourchue de ses pas; elle porte ses regards en tous lieux, dans l'espoir d'y découvrir l'enfant qu'elle a perdu ; elle remplit de sa plainte le bocage où quelquefois elle s'arrête; et, atout instant, s'en revient visiter l'étable, le cœur profondément atteint du regret de son nourrisson. Ni les tendres pousses du saule, ni l'herbe ranimée par la rosée, ni les fleuves coulant à pleins bords, ne peuvent

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charmer sa pensée, ni en détourner le souci qui vient de l'assaillir. La vue des autres veaux qui se •jouent dans les gras pâturages n'a pas le pouvoir de la distraire et de la consoler ; tant lui est propre, tant est connu d'elle ce qu'elle redemande ! G'esl ainsi encore que le tendre chevreau témoigne par les accents de sa voix tremblante qu'il reconnaît sa mère, au front armé de cornes. C'est ainsi que par l'agneau folâtre est distingué le bêlement de la brebis qui le nourrit. Selon le vœu de la nature, chaque animal court à la source particulière où il doit puiser le lait.

Enfin voyez les blés, de quelque espèce que ce soit : dans chacune, les épis ne sont pas si semblables entre eux, qu'il ne se môle à la régularité de leur forme quelque différence.

Nous voyons de même les coquillages peindre diversement le sein de la terre, dans ces enfoncements des rivages où le sable s'humecte des eaux moins émues de la mer. De même, je le répète, il faut que les premiers éléments, puisqu'ils existent naturellement, qu'ils ne sont paâ faits de main d'ouvrier, d'après un modèle unique, volent dans l'espace sous des formes diverses.

Il nous est très-facile, au moyen du raisonnement, de nous expliquer pourquoi le feu de la foudre, dans son écoulement, pénètre les corps plus que notre feu ordinaire produit de matières

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terrestres. On peut dire que la flamme céleste, plus subtile, se compose de très-petits éléments, et qu'ainsi elle passe par d'étroits conduits où-n'aurait point accès notre feu provenu du bois et d'autres grossières substances.

En outre la corne laisse passer la lumière et repousse l'eau. Pourquoi? Sinon, parce que les éléments de la lumière sont moindres que ceux de l'eau.

Nous voyons le vin traverser avec rapidité le filtre, l'huile au contraire avec lenteur. C'est que les éléments de l'huile sont plus grands, ou bien plus liés entre eux, plus embarrassés les uns dans les autres. Il en résulte que, moins prompts à se séparer, ils se distribuent moins vite entre les ouvertures du filtre.

Ajoutons que le miel et le lait, introduits dans la bouche, y flattent la langue par une sensation agréable, tandis que Taff'reuse, la repoussante saveur de l'absinthe ou de la centaurée, nous fait crisper le visage; d'où l'on peut facilement connaître que des éléments lisses et arrondis composent ce qui afiecte agréablement nos sens; et qu'au contraire ce qui leur semble amer et âpre provient de l'assemblage^d'éléments plus crochus, forçant par cette raison l'accès de nos sens et y pé-,nétrant avec violence.

Enfin, les éléments propres à plaire aux sens et

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ceux qui les blessent, sont de formes dissemblables et comme ennemies.Ne va pas croire que l'âpre grincement de la scie résulte d'éléments polis comme ces accents des Muses, éveillés sur les cordes de la lyre par le musicien, dessinés par ses doigts agiles. Ne crois pas non plus que des éléments de même forme pénètrent dans les narines, près d'un bûcher où brûlent d'affreux cadavres, ou bien près d'une scène qu'on >'ient d'arroser de safran de Cilicie, près d'un autel d'où s'exhale l'odeur des parfums de l'Arabie. N'attribue pas à une même composition ces couleurs agréables, nourriture de la vue, et ces autres couleurs qui blessent l'œil et le forcent aux larmes, ou dont l'aspect est hideux et repoussant. Rien, en effet, de ce qui flatte le regard, ne peut se produire s'il n'y a eu dans ses principes quelque chose de lisse ; comme aussi, d'autre part, rien ne le blesse, ne le repousse, dont la matière première ait été sans aspérité.

Parmi les parties élémentaires il s'en trouve encore qu'on peut croire, à bon droit, n'être ni tout fi fait lisses, ni armées de pointes tout à fait recourbées, mais offrir des angles peu prononcés et propres à chatouiller les sens plutôt qu'à les blesser : de ce genre sont celles dont se forme la saveur de la fécule et de l'aulnée.

Enfin, que la flamme brûlante, que les frimas

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glacés soient diversement armés pour mordre, pour percer notre corps, c'est ce que nous révèle, dans l'un et l'autre cas, le toucher.

Le toucher, grands dieux ! le toucher, c'est le sens du corps tout entier : Par lui pénètrent en nous les impressions du dehors ; par lui celles qui viennent de l'intérieur, ou nous blessent, ou, comme dans les actes de Vénus, nous affectent agréablement; par lui enfin a lieu, à la suite d'un choc, et du trouble, de l'émotion qui en résultent dans nos éléments matériels, un sentiment confus de douleur. Tu en peux faire toi-même l'expérience en frappant de ta main quelqu'un de tes membres. Il faut donc que les principes diffèrent beaucoup de formes, pour produire ainsi des sensations diverses.

Enfin ce qui nous semble durci, épaissi, doit être maintenu dans cet état de cohésion solide par des éléments que confondent davantage leurs saillies recourbées et comme leurs rameaux. De ce genre sont, en premier lieu, au premier rang, le diamant inaltérable aux coups et qui les brave, les durs cailloux, le fer inflexible, et l'airain qui crie quand roulent les portes sur leurs gonds. D'autre part, des éléments lisses et arrondis doivent composer ce qui est liquide, ce qui coule... les assemblages en effet ne s'y maintiennent point et tout y roule entraîné par un courant rapide.

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457-475 LIVRE IL .71

Quant à ces corps que tu vois se dissiper en un moment, tels que lafumée, le brouillard, la flamme, ils ne doivent pas être composés d'élément lisses et arrondis, ni, davantage, d'éléments étroite-ments liés et entrelacés. Ils ne pourraient ainsi ou nous piquer, ou pénétrer dans la pierre. Ils ne sont pas non plus le produit d'une cohésion intime, comme nous voyons que sont les épines; d'où il est facile de reconnaître que leurs éléments ne sont pas propres à se lier, à s'entrelaceir, mais de forme aiguë.

S'il se trouve de l'amertume dans certains corps fluides, on ne doit point s'en étonner. La partie fluide se compose d'éléments lisses et arrondis, et à ces éléments lisses et arrondis s'en mêlent d'autres qui sont cause de douleur. Il n'est cependant pas nécessaire que ceux-ci soient armés de crochets qui les retiennent assemblés. Ils ont tout ensemble la forme d'un globe et une surface rude, afin de pouvoir également et rouler, et blesser les sens.

Voulez-vous achever de vous convaincre que d'un mélange d'atomes anguleux et d'atomes polis se forme le corps amer de Neptune ? On peut en séparer les éléments, les considérer à part. Cette eau perd son amertume, quand, plus d'une fois filtrée à travers les terres, elle coule dans de profonds réservoirs où elle achève de s'adoucir ; elle

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laisse dans les couches supérieures les principes de sa repoussante âpreté, principes raboteux et qui par là peuvent mieux rester attachés à la terre.

Je poursuis et, à ce que j'ai enseigné, j'ajoute une chose qui y tient et en tire son évidence : c'est que, si dans les éléments premiers, la forme diffère, cette diversité est limitée. Autrement, certains devraient s'accroître à l'infini ; car, dans leur commune petitesse, ils ne peuvent différer beaucoup entreeux, quant àlaforme. Supposez les composés de parties minimes, de trois, ou un peu davantage; eh bien, ces parties d'un seul corps si vous les transposez, de haut en bas, de gauche à droite, essayant de toutes manières quelle variété de formes peuvent donner ces changements de dispositions; pour peu que voiis vouliez encore varier la forme, vous devrez ajouter des parties nouvelles; et toujours, par une raison semblable, ^ d'autres dispositions exigeront ^d'autres parties, pour peu que vous vouliez encore varier la forme. La nouveauté dans la forme entraîne donc l'accroissement dans le volume ; de là, l'impossibilité de croire à une infinie diversité de formes entre les éléments premiers. Ce serait vouloir que certains prissent d'immenses proportions; ce que j'ai déjà montré ne pouvoir être établi.

Les brillantes étoffes des Barbares, la pourpre

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teinte dans Mélibée du sang des coquillages thessa-liens, le riche plumage des paons, avec ses grûces riantes, tout cela tomberait, vaincu par l'éclat de couleurs nouvelles ; l'odeur de la myrrhe, fa saveur du miel seraient méprisés ; les accents harmonieux du cygne, les chants dePhœbus unis aux accords de la lyre, seraient de même condamnés au silence; puisque toujours se produirait quelque chose de supérieur.

Par un mouvement contraire, les choses pourraient devenir pires, aussi bien que meilleures ; elles arriveraient à offenser dé plus en plus l'odorat, l'ouïe, la vue, le goût. Mais puisqu'il n'en est point ainsi, que dans l'un et l'autre sens il n'est rien qui n'ait des limites fixes, il faut bien avouer que pour les éléments de la matière eux-mêmes la diversité des formes est limitée.

Enfin, des feux de l'été aux glaces de l'hiver il y a des limites fixes, et, dans l'ordre inverse, l'année est mesurée de même. Elle est toute chaleur et froid, avec des saisons intermédiaires plus tempérées qui la complètent. Toutes ont reçu une étendue limitée, puisque, à leurs points extrêmes, elles sont comprises entre la flamme et les frimas.

Je poursuis, et à ce que j'ai enseigné j'ajoute une chose qui y tient encore et en tire son évidence; c'est que, parmi les éléments premiers,

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ceux qui sont semblables de forme, sont sans limite quant au nombre. Et, en effet, la diversité de forme étant limitée il est nécessaire ou que les éléments semblables soient en nombre illimité, ou que la masse totale de la matière ait une limite, ce que j'ai prouvé ne pas être.

Tout cela établi, je vais, Memmius, dans Un doux langage et en quelques vers, te montrer que les corpuscules éléments de la matière, entretiennent de toute éternité, et partout, l'ensemble des choses par une suite de chocs non interrompus.

Si, comme on peut le voir, certains animaux sont rares, tandis que d'autres se multiplient avec plus de fécondité, c'est que dans d'autres lieux, dans d'autres pays, dans des terres éloignées, il y en a beaucoup de cette espèce qui complètent le nombre total.

Ainsi, parmi les quadrupèdes, sont surtout ces animaux à la trompe flexible comme un serpent, adroite comme une main, les éléphants: l'IndevCn a des milliers qui l'entourent d'un rempart d'ivoire, de sorte qu'on n'y peut pénétrer. Tandis qu'on les voit là en si grand nombre, nous ne les connaissons que par quelques rares exemplaires. Mais je veux bien accorder qu'il se produise un être, absolument unique, qui n'ait point de semblable sur tout ce globe : sans une infinie quantité de matière pour en amener la conception, la naissance, il ne

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pourra exister; il ne pourra pas davantage s'alimenter et croître.

Donnons-nous en effet le spectacle d'éléments, en nombre limité, seuls propres à engendrer une même chose et s'agitant dans l'espace infini. D'où viendraient-ils, où iraient-ils pour se rencontrer, par quelle force, de quelle manière se ferait leur réunion, dans cette tourmente de la matière, au milieu de cette foule d'éléments de nature différente? Jamais, je pense, ils ne parviendraient à s'assembler. Après de nombreux, de grands naufrages, la mer immense roule dans ses flots des bancs de rameurs, des carènes, des antennes, des proues, des mâts, des avirons, débris flottants, portés vers tous les rivages, comme pour conseiller aux mortels de segarderdu terrible et traître élément, de ne s'y fier en aucun temps, même quand rit perfidement sa face paisible. De même, si vous bornez le nombre des éléments primordiaux, ils devront, pendant toute la durée des âges, être emportés en tous sens par les fluctuations de la matière, sans pouvoir jamais former d'assemblage, ni demeurer unis, ni recevoir d'accroissement. Or, il est également manifeste et que les choses s'engendrent, et qu'engendrées elles croissent. Il faut donc que dans chaque genre des éléments primordiaux infinis en nombre fournissent à tous leurs besoins.

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Les mouvements qui donnent la mort ne peuvent pas l'emporter entièrement et ensevelir à jamais la vie ; ceux desquels résultent la naissance et l'accroissement, ne peuvent pas toujours créer et conserver. C'est ainsi que luttent, sans pouvoir se vaincre, engagés dans une guerre sans fin, les principes contraires. Tantôt triomphe, ici ou là, la puissance vitale, tantôt elle succombe.

Aux funérailles se mêlent ces cris plaintifs que poussent les enfants, apercevant les rivages de la lumière. Non, point de nuit, remplaçant le jour', point d'aurore succédant à la nuit, qui n'ait entendu, mêlés à des vagissements douloureux, ces pleurs, cortège de la mort et des noires funérailles.

Une chose qu'il faut encore se mettre dans l'esprit, garder fidèlement dans sa mémoire, c'est que de tous les êtres dont nous pouvons connaître la nature, il n'en est aucun qui soit produit par une seule sorte de principes, aucun qui ne résulte d'un mélange. Plus un être a en soi de propriétés, de facultés différentes, plus est grande, il nous l'apprend par là, la diversité de ses principes et de leurs formes.

D'abord, la terre contient en elle les corps élémentaires, au moyen desquels les ruisseaux, roulant avec leurs eaux la fraîcheur, ne cessent de renouveler la mer immense. Elle contient ceux

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d'où naît la flamme, car, en beaucoup de lieux les profondeurs du sol sont embrasées, et même des feux étrangers s'élancent impétueusement de f'Etna en furie ; elle a de quoi produire pour la race humaine les riantes moissons, les plantes fertiles ; de quoi offrir à la faim des animaux errant sur les montagnes de tendres feuillages, de douces pâtures. Aussi, Tappelle-t-on la grande mère des Dieux, la mère des bêtes sauvages, la mère aussi de notre espèce.

La vieille Grèce, parla voix de ses doctes poètes, a dit, qu'assise sur un char elle conduisait un attelage de lions, enseignant ainsi, que ce vaste globe est suspendu dans les airs, et que la terre ne peut avoir sur la terre son point d'appui. Au char ils ont attaché des bêtes sauvages, pour faire entendre que la race la plus farouche doit se laisser amollir et vaincre aux tendres soins des parents. Ils ont ceint le front de la déesse d'une couronne de tours, parce que, sur ses hauteurs, la terre porte des villes, et c'est maintenant avec cet insigne qu'est promenée à travers les vastes terres, inspirant partout une sainte horreur, l'image de la mère divine. Chez les diverses nations, d'après les rites antiques, on l'appelle Mère Idéenne ; on lui donne pour cortège des troupes de Phrygiens, parce que c'est de leur pays que l'usage du blé s'est d'abord répandu sur la terre. Des Galles lui

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sont attribués comme ministres, parce que ceux qui ont violé la majesté maternelle, qui ont été trouvés ingrats à l'égard de leur père, on veut faire entendre qu'ils sont indignes de faire eux-mêmes arriver à la lumière une postérité. Entre leurs mains tonne la peau tendue des tambours, retentissent au loin les creuses cymbales, menacent en rauques accents les clairons, et s'échappent de la flûte ces modulations phrygiennes qui troublent les âmes. Ils sont armés de traits, emblème de la fureur qui les transporte. Il fallait que les cœurs ingrats, les âmes impies du vulgaire, se sentissent saisies de crainte, en présence de la redoutable divinité.

Lors donc que traîné à travers les grandes villes, le muet simulacre vient favoriser les mortels de sa vertu secrète, partout, sur son passage, l'airain et l'argent, tombant en généreuses off'randes, jonchent le sol des rues ; une neige de roses enveloppe de son ombre la déesse et son cortège. Des hommes armés, des Curetés de Phrygie, comme disent les Grecs, les mains entrelacées, forment tumultueusement la chaîne, bondissent en cadence tout dégouttants de sang,balançant,sur leurs têtes qui s'agitent, des aigrettes menaçantes. Ils rappellent ces Curetés du Dicté, par qui jadis, dans la Crète, furent, dit-on, couverts ces fameux vagissements de Jupiter. Autour de l'enfantdivin, des

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enfants armés frappaient en cadence l'airain contre Tairain, de crainte que Saturne, s'il se saisissait de son fils, ne le lît périr sous ses dents, et ne frappât le cœur de la mère d'une éternelle blessure. Voilà pourquoi des hommes armés accompagnent la grande Mère; ou bien encore veut-on faire entendre, au nom de la déesse, qu'on doit, les armes à la main, être prêt à défendre par son courage la terre où l'on est né, être le rempart et la gloire de ses parents.

Si bien entendues que paraissent toutes ces choses, elles s'écartent beaucoup des notions de la vérité. Les Dieux en effet, de leur nature, doivent jouir, nécessairement, d'une durée immortelle, dans une*souveraine paix, séparés, éloigaés de nous et de ce qui nous touche. A l'abri de toute douleur, de tout péril, puissants par leurs propres forces, sans aucun besoin de nous, nous ne pouvons ni capter par nos mérites leurs bonnes grâces, ni exciter leur colère.

Pour la terre, elle est en tout temps privée de sentiment, mais contenant une multitude de semences diverses, elle les produit diversement à la lumière du jour. Que s'il plaît à quelqu'un d'appe-. 1er la mer Neptune, le blé Cérès, d'employer par abus le nom de Bacchus au lieu du terme propre qui désigne le jus de la vigne, je lui accorderai aussi de dire la mère des Dieux, au lieu du globe

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de la terre, pourvu que ce globe n'en reste pas moins ce qu'il est.

Souvent donc on voit tondre l'herbe d'un même pré, couverts par le même ciel, apaisant leur soif aux mêmes eaux, le bétail qui porte laine, la race belliqueuse des chevaux, les grands troupeaux de bœufs : ils vivent ensemble et offrent aux yeux des apparences diverses, où se maintient leur caractère natif; en eux se reproduisent les mœurs particulières à leurs espèces. Tant est grande dans chaque sorte d'herbes la diversité des éléments de la matière ; tant elle est grande dans chaque cours d'eau. Ainsi se forme chez les animaux un système un, et aussi très-varié d'os, de sang, de veines, de chaleur, d'humidité, de viscères, de nerfs, lequel résulte de la forme variée des éléments premiers.

Ce que l'on brûle nourrit au moins en soi de quoi lancer de la flamme, répandre de la lumière, faire pétiller des étincelles et voler au loin de la fumée et de la cendre.

Parcours de même par la pensée d'autres objets et tu trouveras qu'ils recèlent tous, en grand nombre, des éléments de diverses formes.

Tu en vois qui ont à la fois et couleur, et saveur, odeur en même temps ; tels sont surtout ces offrandes que présente aux dieux une honteuse superstition. Il faut donc qu'ils se composent d'éléments à formes diverses. L'odeur en effet pénètre

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en nous par une autre voie que le suc; le suc de même et la saveur ont une route à part pour s'introduire dans nos sens : d'où tu peux connaître qu'ils diffèrent par la forme de leurs éléments premiers. Des éléments à forme diverse se rencontrent donc dans un même assemblage, et c'est du mélange des principes que résultent les choses.

Bien plus, dans ces vers mêmes, tu vois nombre de parties élémentaires, de lettres, qui sont communes à bien des mots; et cependant ces vers, ces mots, tu dois bien convenir qu'ils sont diversement composés ; non qu'il n'y entre que peu de ces éléments communs, non qu'il ne s'en puisse trouver deux où tous ces éléments soient semblables, niaisparce qu'il n'arrive guère qu'il y ait entre les choses une absolue parité. C'est ainsi que dans d'autres choses, il y a et beaucoup d'éléments communs à beaucoup d'êtres divers et, pour chaque être, une somme différemment constituée de ces éléments. On peut donc le dire avec vérité, autre est la composition de la race humaine, autre celle des blés, celle des arbres.

Il ne faut pas croire cependant que tous les éléments puissent s'unir, et de toutes manières. On verrait alors se produire communément bien des monstres, des êtres moitié bête moitié homme, de grands rameaux poussant sur un corps vivant, des mélanges d'animaux terrestres et d'animaux

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marins, des chimères à la noire bouche vomissant la flamme, que nourrirait la nature sur la terre propre à tout engendrer. Mais il est bien manifeste que rien de tout cela n'a lieu; nous voyons, au contraire, tous les êtres provenir d'une semence, d'une mère déterminée, avec la faculté de croître et de conserver leur espèce.

Et cet accroissement lui-même doit avoir lieu d'une manière déterminée. Dans chaque être s'introduisent, fournis par les aliments divers, les éléments qui lui sont propres; ils s'y unissent et accomplissent ensemble les mouvements convenables. Pour ceux qui lui sont étrangers, nous voyons la nature les rejeter sur la terre. Il y en a beaucoup d'imperceptibles que des chocs font sortir de notre corps; ceux-là n'ont pu, nulle part, s'unir à d'autres, participer aux mouvements d'où • résulte la vie, l'existence de l'être animé.

Ne va pas croire que les êtres animés soient seuls assujettis à ces lois ; il y a une règle qui fixe les limites de tous les êtres. Gomme il ne se produit dans la nature entière que des êtres dissemblables, ils doivent résulter nécessairement de principes de figure dissemblable eux-mêmes : non qu'un petit nombre seulement de ces principes soient semblables entre eux, mais parce qu'entre tous il n'y a pas complète parité. Les semences des choses différant donc, il faut que diflfè-

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rent aussi les distances, les directions, les affinités, les pesanteurs, les chocs, les adhésions, les mouvements. Et c'est ainsi que les corps élémen-. taires distinguent non pas seulement les uns des autres les êtres animés, mais la terre de la mer, mais le ciel de la terre.

Voici encore des vérités recueillies par mon doux labeur. Reçois-les, Memmius. Il ne faut pas croire qu'ils tiennent leur blancheur de celle dont seraient doués leurs principes ces corps que tes yeux voyent blanchir ; que ceux, qui t'apparaissent noirs, proviennent d'une noire semence; qu'autrement colorés, ils soient tels parce que leurs éléments matériels sont teints d'une couleur semblable. Les éléments matériels n'ont point du tout de couleur, de couleur pareille à celle des corps, ou qui en diffère. Peut-être te semble-t-il que sur des éléments de cette sorte l'esprit n'a point de prise? Ce serait t'égarer bien loin du vrai. Car, de ce que les aveugles de naissance, qui jamais n'ont vu la lumière du soleil, connaissent dès leur enfance, par le toucher seul, des corps auxquels ne s'est jamais ajoutée pour eux la couleur, on peut conclure qu'à notre connaissance peuvent arriver aussi des corps sans apparence colorée. Nous-mêmes enfin quand nous touchons quelque objet dans l'obscurité, nous ne le sentons point teint de quelque couleur.

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Ce que les faits attestent invinciblement, je vais maintenant le prouver. Il n'y a point de couleur qui ne puisse se convertir en toute autre. Or des principes ne peuvent, en aucune manière, se comporter ainsi. Il faut qu'il reste quelque chose d'immuable pour que le tout ne soit pas entièrement réduit au néant. Car le changement qui fait sortir un être de ses limites est véritablement la mort de son état antérieur. Gardez-vous donc d'étendre la couleur aux semences des choses de peur devoir par là tout réduit au néant.

En outre, si l'on admet que la couleur n'appartient absolument point aux principes, doués seulement d'une diversité de figures au moyen desquelles ils engendrent des couleurs de toutes sortes et en varient les nuances ; si d'ailleurs on considère que, dans l'association des éléments primordiaux, sont de grande importance la nature de ceux auxquels ils s'unissent, la position qu'ils prennent, les mouvements qu'ils communiquent ou qu'ils reçoivent, on n'aura nulle peine à s'expliquer pourquoi ce qui tout à l'heure était noir peut tout à coup égaler le marbre en blancheur, comme la mer dont les flots quand le puissant souffle des vents les soulève, prennent la blanche couleur du marbre. On pourra dire, en effet, que ce que nous voyons noir, pour peu qu'il s'opère dans ses éléments matériels quelque mélange, quelque chan-

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gement de disposition, quelque addition ou quelque retranchement, arrive aussitôt à nous paraître blanc. Que si, au contraire, les flots se composaient d'éléments azurés, il n'y aurait pas moyen qu'ils pussent blanchir ; car ce qui a la couleur de l'azur on aura beau l'agiter, on ne le fera jamais passer à la blanche couleur du marbre.

Ces éléments pourraient encore être teints de couleurs diverses qui, par leur réunion, donneraient à la mer le pur éclat d'une seule couleur, de même que d'un certain nombre de figures assemblées peut résulter la figure unique du carré. Mais alors, de même que dans le carré, nous distinguons les figures dont on l'a formé, de même, dans la mer, ou tout autre objet d'un seul et pur éclat, nous devrions distinguer la variété des couleurs primitives.

En outre la variété des figures n'est pas un obstacle à l'existence extérieure du carré, et celle des couleurs s'oppose à ce qu'un objet unique puisse briller d'un seul et même éclat.

Ainsi tombent les raisons par lesquelles on serait tenté d'attribuer aux éléments la couleur, puisque ce qui est blanc ne peut provenir d'éléments blancs, ce qui est noir, d'éléments noirs, mais sont un effet de leurs autres diversités. Et, quant à la blancheur, elle aurait certainement plus de penchant à naître de l'absence de toute couleur,

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S6 DE LA NATURE. 796-817

que de la couleur noire, ou de quelque autre qui lui serait contraire et hostile.

Ajoutons que les couleurs ne pouvant exister sans la lumière, ni les éléments se produire à la lumière, on doit en conclure que ceux-ci ne sont revêtus d'aucune couleur. Que serait dans l'obscurité une couleur qui change à la lumière, selon qu'elle est frappée, éclairée de ses rayons directs ou obliques. Ainsi, en effet se colore, à la lumière du soleil, le plumage des colombes, ce cercle qui couronne leur cou. Quelquefois il rougit comme le pyrope ; quelquefois on dirait qu'il mêle à son azur le vert des émeraudes. La queue du paon, quand un large flot de lumière y tombe, en reçoit aussi, selon la variété de ses expositions, des couleurs changeantes. Ces couleurs, c'est le rayon dont le corps est frappé qui les fait naître et l'on doit en conclure que, sans lui, il n'en serait pas de même.

Si la pupille reçoit un choc d'un certain genre, quand elle sent, comme on dit, la couleur blanche, et un choc d'un genre différent, quand elle sent la couleur noire ou quelque autre, si, d'ailleurs, ce qui importe dans les objets que l'on touche, ce n'est pas leur couleur mais leur figure,* on peut conclure que la couleur n'est nullement nécessaire aux principes, que c'est par les diversités de leurs figures qu'ils produisent les diversités du toucher.

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En outre, si à de certaines figures n'appartiennent pas essentiellement de certaines couleurs, et si, comme on le veut, tous les principes, de quelque manière qu'ils soient figurés, peuvent être colorés diversement, pourquoi ce que composent ces principes ne se teint-il pas pareillement de couleurs de toute sorte? Il devrait arriver que quelquefois des corbeaux aux blanches ailes en feraient jaillir, dans leur vol, une couleur blanche ; que d'une noire semence se formeraient des cygnes noirs, ou de quelque autre couleur, ou même de couleurs bigarrées.

Autre raison : plus on divise en menues parcelles un objet quelconque, plus on peut voir sa couleur s'évanouir peu à peu et s'éteindre. C'est ce qui arrive quand l'or est découpé en très-petits morceaux. La pourpre de même, et la plus éclatante, si on en décompose fil par fil le tissu, perdra toute sa couleur. Par là on peut connaître que des moindres portions de la matière toute couleur s'exhalera, avant qu'elles se soient réduites aux premiers éléments des choses.

Enfin, puisque l'on convient que tous les corps n'envoyent pas des sons et des odeurs et qu'en conséquence, on n'attribue pas à tous cette propriété, on peut aussi conclure de ce que nos yeux ne sauraient les distinguer tous, qu'il y en a de dépourvus de couleur, comme d'étrangers à la pro-

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duction de l'odeur et du son, et qu'un esprit pénétrant peut les concevoir à l'égal de ceux qui ne portent pas la marque des autres qualités.

Mais ce n'est pas seulement de couleur, garde-toi de le croire, que sont dépouillés les corps élémentaires ; ils ne participent pas davantage à la tiédeur, à la chaleur, au froid ; il y a chez eux stérilité de son, disette de saveur; il ne s'en échappe point d'odeur qui leur soit propre. C'est ainsi, que pour composer ces aimables parfums, nectar embaumé des narines, qui se tirent de la marjolaine, de la myrrhe, du nard, il faut rechercher avant tout, autant que la chose est possible, une huile parfaitement inodore, qui n'affecte en rien l'odorat, pour que les senteurs mêlées, incorporées à sa substance ne s'altèrent point au contact de ses exhalaisons.

Par une raison semblable les éléments primordiaux ne doivent apporter à la formation des choses, ni odeur, ni son, et, de même, exempts comme on les sait être de toute émanation, aucune saveur quelconque, rien de froid, de chaud, de tiède. Tout ce qui, de sa nature, est mortel, en raison d'une nature, ou molle, ou friable, ou poreuse, tout cela il faut le séparer des principes, si l'on veut placer l'ensemble des choses sur un fondement immortel, où repose sa durée; si l'on veut qu'il ne s'en aille pas tout entier au néant.

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Maintenant, Memmius, il te faudra convenir que tout ce qu'on voit doué de sentiment provient d'éléments insensibles. C'est là une] proposition que ne réfutent pas manifestement, contre laquelle ne s'élèvent pas, les faits qui sont à notre portée, que nous connaissons : au contraire, ils nous amènent comme par la main, ils nous forcent à croire que d'éléments insensibles, je le répète, s'engendrent tous les êtres animés.

On peut voir, en effet, que des vers se produisent, prennent vie dans la noire fange, dans la corruption contractée par la terre, quand des pluies hors de saison l'ont détrempée. On voit en outre chaque chose se convertir en une autre ; l'eau des fleuves, les feuillages, l'herbe des prairies en troupeaux; les troupeaux en la substance de notre corps; tandis que souvent de notre corps lui-même s'accroissent le corps et la force des animaux sauvages, des oiseaux à l'aile puissante. La nature convertit donc tous les aliments en corps vivants, elle en tire la sensibilité de tous les êtres animés; à peu près comme elle développe en flammes le bois sec et change en feu toutes choses.

Tu vois de quelle importance sont l'ordre où s'arrangent les éléments primordiaux, la variété de leurs associations et de leurs actions réciproques.

Mais qui vient troubler, frapper ton esprit, et lui

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fait chercher des raisons de ne pas croire que d'éléments insensibles puisse s'engendrer ce qui sent? ceci sans doute, que des pierres, du bois, de la terre même mêlés ensemble, ne sauraient produire sur-le-champ le sentiment et la vie. Ici il convient de te remettre en mémoire la règle que j'ai posée : ce n'est point, ai-je dit, de tous les éléments créateurs, iudifféremment, que s'engendre ce qui est sensible, le sentiment : à cette œuvre importe, chez ceux qui sont appelés à la produire, leur grandeur, leur figure, leurs mouvements, leur ordre, leur situation, des conditions enfin qui ne se rencontrent aucunement dans ces morceaux de bois, ces mottes de terre, dont nous parlions : et cependant, ces objets eux-mêmes, quand la pluie les a putréfiés, font éclore des vermisseaux; parce que les éléments de la matière, troublés dans leur ordre primitif, par quelque circonstance nouvelle, s'associent de telle manière qu'il doit s'en ergandrer des êtres animés.

Ceux qui veulent que d'éléments sensibles puisse se former ce qui sent, ceux-là, trop accoutumés à penser d'après autrui, en font des éléments de substance molle; car la sensibilité est liée aux viscères, aux nerfs, aux veines, toutes choses, à ce qu'il nous paraît, de substance molle et par conséquent mortelle.

Mais j'accorde que de tels éléments puissent du-

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rer éternellement; encore faudra-t-il qu'ils sentent ou en qualité de parties, ou comme le tout que forment les êtres animés. Or, que des parties puissent sentir par elles-mêmes, c'est ce qui n'est point admissible ; car chacune reste.étrangère à la sensibilité des autres, et séparés du corps la main, ou tout autre de nos membres, ne conservent plus de sensibilité.

Reste de les regarder comme semblables à ce tout que forme un être animé, vivant de même d'une sensibilité commune. Comment alors pourraient-ils garder le nom d'éléments primordiaux, éviter la route du trépas, étant de véritables animés, de même nature que ces êtres animés qui les contiennent et par conséquent condamnés à mourir.

Ils le pourraient, que de leur assemblage, de leurs combinaisons, il ne résulterait jamais qu'un peuple, une foule d'êtres animés, de même que des unions formées entre les créatures humaines, les animaux domestiques, les bêtes sauvages il ne s'engendre non plus autre chose que leur espèce. Ainsi, de toute manière, ils ne pourraient être sensibles autrement que nous.

Mais peut-être quittent-ils leur sensibilité propre pour en prendre une autre. Quel besoin, alors, de leur attribuer ce qu'on devait ensuite leur retirer? Enfin, c'était tout à l'heure notre refuge,

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nous voyons les œufs se convertir en vivantes volatiles, les vermisseaux pulluler dans la terre putréfiée par des pluies hors de saison, et nous apprenons par là que d'éléments non sensibles peut s'engendrer la sensibilité.

Quelqu'un dira peut-être que si le sensible peut provenir du non-sensible, c'est seulement à la suite de quelques changements analogues à ceux qui précèdent l'enfantement. Il suffira de lui expliquer, de lui démontrer qu'il n'y a point d'enfantement sans un concours antérieur, point de changement sans une nouvelle combinaison des principes : dans aucun corps ne peut exister la sensibilité, avant la production delà vie elle-même. Or les particules matérielles sont éparses dans l'air, dans les fleuves, dans la terre, dans ce qui naît de la terre, et, lorsqu'elles se sont rencontrées, elle ne s'accordent pas tout aussitôt à exécuter en commun les mouvements qui doivent produire la vie et allumer le flambeau de cette sensibilité universelle, tutrice des êtres animés.

Qu'un être animé quelconque soit atteint par un choc au-dessus des^forceè de K.nature, à l'instant il BSt terrassé et partout, dans son corps, dans son âm^, sa.trotïblent les fonctions de la sensibilité. C'est que les rapports mutuels des principes ont été altérés, le mouvement de la vie empêché ; tant qu'enfin, par suite de l'ébranlement des éléments

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matériels dans tous les membres, se relâchent et se rompent les nœuds qui attachent l'âme au corps et que, dissoute, elle s'enfuit par toutes les issues. Car que peut faire un pareil choc? uniquement ébranler et désunir.

Il arrive aussi, qu'après un choc moins violent, les restes du mouvement vital persistent, et par cette persistance apaisent le trouble survenu, ramènent chaque chose dans ses voies, arrêtent dans le corps envahi le progrès de la mort, rallument la flamme presque éteinte de la sensibilité. S'il n'en était ainsi, comment, au seuil même du trépas, l'âme se rejetant en arrière, retournerait-elle à la vie, au lieu de suivre le mouvement qui déjà l'emportait.

Il y a douleur, quand les éléments de la matière sont violemment atteints dans les viscères de l'être animé, dans ses membres, troublés, ébranlés dans leurs retraites profondes ; puis, quand ils retournent à leurs places, succèdeune douce impression de plaisir. On doit conclure que ces éléments primordiaux ne peuvent être afi'ectés à part d'aucune douleur, d'aucun plaisir, puisqu'ils ne sont point composés de ces corps élémentaires, dont les mouvements, par leur nouveauté, sont accompagnés de souflrance, ou font goûter quelque douceur. Ils ne sauraient donc, en aucune façon être doués de sentiment.

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Enfin, s'il est besoin, pour qu'un être animé puisse sentir, qu'on attribue le sentiment à ses principes, dans ceux de l'homme doit se trouver ce qui est propre à l'homme; comme lui donc ils ébranlent leur visage par la convulsion du rire ou l'arrosent de larmes, ils raisonnent sur les combinaisons des choses, ils s'inquiètent, de connaître leurs éléments, car, semblables en tout aux mortels, ils sont eux-mêmes formés départies élémentaires, et celles-ci d'autres à leur tour, sans que jamais vous puissiez arriver au terme. Je ne me lasserai point de les suivre en effet et toutes les fois que vous prêterez à des éléments la parole, le rire, la sagesse, je prétendrai, de mon côté, qu'ils les tiennent d'autres éléments doués de même. Que si c'est là bien évidemment une folie, un délire, si un être peut rire sans être formé d'éléments qui rient eux-mêmes, penser sagement, raisonner, s'expliquer doctement, sans que les éléments soient pour cela sages et diserts, pourquoi ce que nous connaissons pour êtres sentants ne résulterait-il pas d'un mélange d'éléments dépourvus de sensibilité ?

Enfin c'est d'une céleste semence que nous tirons tous notre origine ; tous, nous avons le même père; quand de là sont tombées les gouttes fécondes que reçoit la terre dans son sein maternel, elle conçoit, elle enfante les riantes moissons, les arbres fertiles, et le genre humain lui-même et toutes les

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Gbogle

races animales; car elle leur offre des pâtures pour la nourriture de leurs corps, l'entretien de leur douce vie, la propagation de leur espèce. Aussi, est-ce ajuste titre qu'elle a reçu le nom de mère. Ce qui était venu delà terre s'en retourne à la terre et cequi était descendu del'élher, les hautes régions du ciel le recueillent à leur tour. La- mort en faisant périr les corps ne détruit pas leurs éléments matériels; elle en rompt seulement l'assemblage et les unit ensuite d'une autre sorte; par elle tout prend une forme nouvelle, tout change de couleur, d'apparence, tout reçoit le sentiment et à un certain moment le perd.» Apprenez de là combien importent*, dans l'association des éléments primordiaux, la nature de ceux auxquels ils s'unissent, la position qu'ils prennent, les mouvements qu'ils communiquent ou qu'ils reçoivent. Gardez-vous aussi de penser que ces corps primitifs ne soient point éternels, parce que nous les voyons flotter à la surface des choses, naître et puis tout à coup mourir. Dans nos vers même il n'est point indifférent à quelles autres lettres une lettre est jointe et dans quel ordre elles sont toutes disposées. Les mêmes caractères peuvent signifier le ciel, la mer, la terre, les fleuves, le soleil; ou bien encore les blés, les arbres, les animaux. S'ils ne sont pas tous semblables, ils le sont en grande partie, mais c'est leur position qui fait la différence

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des mots. Il en est ainsi, dans ce qui concerne la matière, des distances, des directions, des affinités, des pesanteurs, des chocs, des adhésions, des mouvements, de l'ordre, de la situation, de la figure, qu'ils changeront, et les choses changent elles-mêmes.

Prête-moi maintenant, pour d'autres vérités, un esprit attentif et docile. Car c'est une chose bien nouvelle qui va tenter de s'approcher de ton oreille, c'est un bien nouveau spectacle qui va s'offrir à ton regard. Mais il n'est rien de si facile à croire qui d'abord ne paraisse incroyable; rien de si grand, de si merveilleux, qu'on ne s'accoutume, avec le temps, à moins admirer.

Et d'abord le brillant et pur azur de ce ciel, l'éclat que concentrent en eux ces astres errants, la lumière de la lune, la splendeur du soleil, tous ces objets, si maintenant ils commençaient d'être ou, pour la première fois, s'offraient tout à coup à la vue des mortels, y aurait-il rien qui dût nous paraître plus digne de notre admiration, rien qui nous eût été jusque-là plus inattendu, plus inespéré; non, rien je le pense, tant serait grande la merveille d'un tel spectacle ! Et cependant il n'est plus personne, qui par fatigue de le voir, par satiété, daigne aujourd'hui élever ses regards vers les régions célestes.

Ne va donc plus par le seul effroi de la nou-

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veauté, rejeter loin de toi des idéeà, qu'il vaut mieux soumettre au jugement de ton esprit pénétrant; si tu les crois vraies rends-toi, autrement, arme-toi pour les combattre. L'esprit, en effet, se demande ce qu'il y a dans cet espace qui s'étend à l'infini hors des limites du monde; il voudrait y faire pénétrer son regard, y atteindre par son libre élan. . ,

D'abord, d'aucun côté, ni à droite, ni à gauche, ni en haut, ni en bas, nulle part enfin, nous ne rencontrons de terme, je l'ai enseigné ; la chose d'ailleurs parle d'elle-même, la notion de l'infini se révèle avec clarté. Or, on ne doit point regarder comme vraisemblable, l'espace s'étendant ainsi de toutes parts, sans aucunes limites, et des corps élémentaires y volant, en nombre innombrable, en quantités immenses, dans tous les sens, animés d'un mouvement éternel, que ce globe terrestre, ce ciel aient été seuls créés, qu'ailleurs tant de matière soit restée oisive, quand surtout notre monde n'est l'ouvrage que d€ la nature, quand c'est uniquement par une multitude de rencontres fortuites et diverses que les principes des choses se sont assemblés, sans dessein, sans plan, au hasard, et par ces subits assemblages ont commencé les grands objets que nous voyons, la terre, la mer, le ciel, les espèces animales. Je ne puis donc trop le répéter : force est d'avouer qu'ailleurs encore

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existent des composés matériels semblables à celui-ci, à ce monde qu'embrasse,'qu'étreint le vaste éther.

En outre, quand la matière afflue, qu'un lieu est là prêt à la recevoir, qu'il n'y a en elle, ni hors d'elle,-rien qui lui fasse obstacle, elle doit opérer et ses combinaisons s'accomplir. Si donc les germes sont en si grande abondance que les jours réunis de tous les hommes ne suffiraient pas pour les compter, si la nature a toujours le pouvoir de les concentrer où il lui plaît, comme elle a fait pour notre monde, il faut bien avouer que dans d'autres régions de l'univers il existe d'autres globes avec une même variété de races humaines, d'espèces animales.

Ajoutez que dans le grand tout il n'est rien qui soit unique, unique à naître, unique à croître ; rien qui n'appartienne à quelque classe, qui n'y ait bien des semblables. Et d'abord quant aux animaux vous saurez distinguer la race des bêtes sauvages errant sur les montagnes, l'espèce humaine avec sa double forme, le muet troupeau qui porte écailles, et tout ce peuple ailé qui vole. Vous arriverez ainsi à convenir que ni le ciel, ni la terre, ni le soleil, ni la lune, ni la mer, que rien enfin de ce qui est, n'est unique, mais existe en nombre innombrable. Et en effet, ces choses-là ne doivent pas moins arriver à la borne inébranlable

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de la vie, elles n'ont pas moins pris naissance, que toutes les espèces animales où tant d'êtres pareils abondent.

Si vous arrivez à l'intelligence de ces vérités, la nature vous semble aussitôt affranchie, soustraite au joug de maîtres tyranniques, accomplissant tous ses actes d'elle-même et sans les dieux. Car, j'en atteste ces êtres saints eux-mêmes, ces dieux à l'inaltérable paix, jouissant, pendant toule la durée des âges, d'une existence paisible et sereine, qui d'entre eux pourrait régir le grand tout, tenir dans ses mains puissantes les rênes de l'infini, faire tourner à lafoistous lescieux, échauffer des feux de l'éther toutes les terres fertilisées, être à tous les instants, dans tous les lieux, présents et disponibles, voiler de nuages la sérénité du ciel, l'ébranler par de sourds roulements, enfin lancer la foudre, faisant parfois crouler ses propres temples, ou bien égarant dans un désert sa colère et ses traits, ses traits qui bien souvent passent à côté, des coupables, pour aller frapper des innocents.

Depuis le temps où le monde a pris naissance, où un premier jour s'est levé pour la mer, pour la terre, pour le soleil, à la masse des êtres divers sont venus s'ajouter du dehors bien des corps élémentaires, bien dés semences, émissions du grand tout ; par là, et la mer et la terre ont pu s'accroître, la demeure céleste s'étendre, et mettre un inter-

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valle entre sa route et la terre, Tair enfin s'élever. Car les corps élémentaires arrivant de tous les points de l'espace et, dans leurs rencontres, s'unis-sant aux corps de leur espèce, sont ainsi distribués entre les êtres auxquels ils conviennent. L'humide vient trouver l'humide ; ce qui est terreux la terre ; le feu alimente le feu; l'éther, de même, augmente l'éther; et, de cette manière, toutes choses sont amenées au terme de leur accroissement'par la souveraine ouvrière, la nature créatrice. Il en est ainsi quand les principes de vie reçus par les veines n'excèdent point ceux qui s'en écoulent, qui s'en échappent. Alors doit s'arrêter le progrès de chaque être et la nature, elle-même, mettre un frein à la vertu puissante par laquelle elle s'accroît.

Car les êtres, quels qu'ils soient que tu vois grandir, et, dans un joyeux essor vers leur accroissement, monter peu à peu les degrés de l'âge adulte, absorbent en eux plus de corps élémentaires qu'ils n'en expulsent, tant que la nourriture s'introduit avec facilité dans les veines, tant que les tissus ne sont point assez lâches pour donner lieu à be^tucoup de pertes, à une dépense de la vie plus forte que son entretien. Qu'il s'écoule, qu'il s'échappe des êtres beaucoup de corps élémentaires, c'est une vérité à laquelle il faut bien se rendre; mais un plus grand nombre doit s'y

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agréger, tant qu'ils n'ont pas touché au dernier sommet de leur développement. Vient ensuite, peu à peu, avec le cours de l'âge une altération de la vigueur juvénile, un temps de sénile épuise-; ment. Plus un être a d'ampleur, quand il cesse de croître, plus il s'étend en tout sens, et plus il disperse et perd de ses parties. La nourriture ne se •distribue plus aussi facilement dans ses veines, et ' ce qui s'exhale abondamment de sa substance, il n'a plus de quoi y suppléer. C'est une nécessité qu'il périsse, raréfié par un continuel écoulement , succombant sous des chocs extérieurs ; puisque, d'une part, à un grand âge manquent à la fin les aliments, et que, d'une autre, il n'est rien dont les chocs du dehors, sans cesse répétés, ne viennent à bout, et que leur hostilité ne dompte. C'est ainsi qu'eux-mêmes, ces remparts qui forment la vaste enceinte de notre monde, ils succomberont à un dernier assaut, et tomberont en poussière. Toutes choses se réparent, se renouvellent par la nourriture, c'est par la nourriture que tout est étayé, soutenu. Vaine ressource, quand les veines ne reçoivent plus ce qui serait nécessaire, que la nature ne le fournit plus.

Notre âge est désormais sans force; la terre épuisée donne à peine naissance à quelques faibles animaux, elle qui a fait naître autrefois toutes les espèces et enfanté de si grands corps. Car, les

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m DE LA NATURE. 1154-im

races mortelles, ce n'est pas, je pense, une chaîne d'or qui du ciel les a fait descendre sur la terre; ce n'est pas non plus la mer, avec ses flots, battant les rochers du rivage, qui les a créés; la terre les a engendrés, cette même terre qui de son sein les nourrit. N'est-ce pas elle aussi qui a produit pour les mortels les riantes moissons, les abondants vignobles, qui leur a préparé une douce pâture* dans ces aimables fruits, que maintenant tous nos * travaux peuvent à peine faire croître? Nous fatiguons nos bœufs, nous épuisons les forces de nos laboureurs, recevant à peine, de nos champs paresseux, ce qui peut nous suffire. Tant dépérissent les productions de la terre, tant elles ont besoin pour croître de notre travail ! Désormais le vieux laboureur, secouant la tête et soupirant, se plaint que trop souvent ses peines soieùt perdues ; il compare le temps présent au temps passé, et porte envie au sort de son père. Et cet autre qui se fatigue à cultiver uîie vigne vieillie, il s'en prend au changement des temps, fatiguant le ciel de ses prières. Il ne cesse de redire combien les hommes d'autrefois, remplis de piété, trouvaient facilement à vivre dans de petits champs, alors que la terre se partageait entre tous par portions plus étroites. Il ne voit pas que peu à peu tout défaille, tout va vers le brancard funèbre, cédant à la fatigue de l'àgo.

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■ Toi qui, dans de si profondes ténèbres, as pu élever le premier un si brillant flambeau, éclairant les vr^is biens de la vie, je te suis, honneur de la race grecque ; j'imprime mes pas sur tes traces ; non pour te disputer le prix, je n'ai pas ce désir, mais dans l'ardeur de t'imiter. L'hirondelle lutterait-elle contre le cygne ; et le tremblant che-vreavi prét^ndrait-il égaler dans la carrière le fort clan du coursier? Tu es l'inventeur, ô père, et tu nous aides, en père, de tes enseignements ; c'est dans tes écrits, grand homme, que, semblables aux abeilles butinant partout dans les bois fleuris, nous recueillons en abondance ces paroles d'or, ces paroles dignes d'une éternelle vie.

A peine ta raison, élevant sa grande voix, a-t-elle commencé d'exposer ce système de la nature, produit d'une divine intelligence, que les terreurs de l'àme s'enfuient, que les remparts du monde reculent, que dans l'espace agrandi je vois s'accomplir tous les phénomènes. A mon regard apparaît l'essence des Dieux, et leurs demeures paisibles.

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que n'agitent point les vents, que ne noyent point les pluies, où ne fondent point les blancs tourbillons de la neige et les âpres et durs frimas, qu'enveloppe un éther sans nuage, où se répand à flot une lumière riante. La nature leur y prodigue tous les biens, et rien jamais n'y altère la paix de leur âme. Mais nulle part je ne découvre le séjour de l'Achéron. La terre n'arrête point mes regards et ne leur dérobe point la vue de ce qui se fait sous nos pieds dans l'espace. A de tels objets, une volupté divine, une sainte horreur me possèdent, tant de toutes parts se découvrent à moi avec clarté, dévoilés par ton génie, les secrets delà nature !

Je t'ai enseigné quels sont les premiers éléments des choses ; combien divers de formes, ils volent d'eux-mêmes dans l'espace, animés d'un mouvement éternel, de quelle manière enfin peut en résulter tout ce qui existe. Ces sujets traités, c'est la double nature de l'âme que je dois d'abord éclair-cir dans mes vers. Il faut avant tout mettre dehors, chasser cette peur de l'Achéron, qui trouble la vie humaine jusque dans ses profondeurs, qui y répand partout les sombres teintes de la mort, qui n'y laisse subsister aucune volupté pure.

Sans doute il en est qui disent, qui répètent qu'il nous faut craindre, en cette vie, les maladies et l'opprobre, et non, après la mort, letartare ; qu'ils

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connaissent la nature de Fâme, qu'ils savent qu'elle se compose de sang, ou bien encore d'air, selon leur caprice, qu'ils n'ont donc nul besoin de nos enseignements. Mais vous pouvez bien voir que tout cela, s'ils le proclament, c'est pai^ vanité plutôt que par conviction. Ces mêmes hommes, chassés de leur patrie, exilés loin de la vue de leurs semblables, flétris par de honteuses imputations, affligés de mille peines, ils vivent pourtant, et en quelque lieu qu'ils portent leur misère, ils offrent aux morts des sacrifices funèbres, immolent sur leurs tombeaux de noires brebis, adressent aux dieux mânes des offrandes ; et plus l'existence leur devient amère, plus leur esprit se tourne vers la superstition. Aussi est-ce dans le danger, dans le malheur qu'il faut considérer l'homme, et à cette épreuve qu'on peut juger de lui. Car alors ce sont de véridiques paroles qui s'échappent du fond du cœur, alors tombe le masque, et persiste la réalité. Enfin, l'avarice, le désir aveugle des honneurs, qui forcent les misérables humains à franchir les limites du juste, quelquefois à devenir les associés, les ministres du crime, à s'épuiser en efforts et le jour et la nuit pour surnager, et atteindre au faîte de la puissance, ces passions, plaies de la vie, c'est en grande partie, l'effroi causé par la mort qui les nourrit. Et, en effet, le hideux mépris, la poignante détresse, semblent placés hors des douceurs, de la

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sécurité de la vie, arrêtés pour ainsi dire aux portes mêmes de la mort. C'est pourles fuir, sous l'empire d'une vaine terreur, c'est pour s'en tenir loin, bien loin, qu'on voit les hommes grossir leur bien au prix du sang versé dans la guerre civile, doubler avidement leurs trésors, en entassant meurtre sur meurtre, suivre avec joie, les cruels ! les funérailles d'un frère, se garder, tout tremblants, de la table de leurs proches.

Une raison semblable fait naître souvent de la même crainte la dévorante envie. Avoir devant les yeux cet homme puissant, le voir marcher dans son éclat, dans sa gloire, tandis que soi, il faut se traîner dans l'obscurité et dans la boue; voilà quelles sont leurs plaintes. Aussi en est-il qui périssent pour des statues, pour un nom. Il en est même, parmi les humains, qui par horreur de la mort, conçoivent l'ennui de la vie, le dégoût de la lumière, et, le cœur plein de tristesse, s'assurent de leur propre main le trépas. Ils oublient que la source de leurs soucis c'est précisément cette crainte; qu'elle attaque la pudeur,; qu'elle relâche et rompt les liens de l'amitié; qu'elle tend, en un mot, à détruire toute piété. Car si les hommes trahissent leur patrie, leurs parents, ce qui devrait leur être cher, c'est souvent par envie d'échapper au séjour de l'Achéron. Car de même que les enfants tremblent dans l'obscurité et s'y effrayent de

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toutes choses, ainsi, nous-mêmes, au grand jour, nous redoutons ce qui n'est pas plus redoutable que les objets de leurs nocturnes alarmes. Or, ces terreurs de l'âme, ces ténèbres, il faut pour les dissiper, non pas les rayons du soleil, les traits lumineux du jour, mais l'image fidèle de la nature, les vues de la raison.

Je dirai d'abord que l'esprit (animus), ou, comme nous l'appelons encore, l'intelligence {mens)y où réside le conseil, le gouvernement de la vie, est partie de l'homme non moins que sont parties de l'animal les mains, les pieds, les yeux.

Bon nombre de philosophes, cependant, ont pensé que l'esprit n'a point dans le corps de place déterminée, que c'est une disposition vitale du corps entier, une harmonie disent les Grecs, quelque chose qui nous fait vivre et sentir, mais qui n'a point de place à part. On parle de la santé sans en faire une partie du corps bien portant; de même, ces philosophes n'assignent point à l'esprit de siège particulier : en quoi ils me semblent s'égarer beaucoup. Souvent la partie visible de notre corps est malade, tandis que sa partie cachée est en joie ; d'autre part il arrive qu'avec la misère de l'esprit se rencontre la joie du reste de notre corps; comme chez un malade, le pied peut souffrir, dans le temps où la tête est sans souffrance.

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En outre, quand au doux sommeil se sont abandonnés nos membres, que gît étendu, sans aucun sentiment, notre corps accablé, il y a cependant en nous quelque autre chose, qui dans ce moment est bien diversement agité, et où peuvent pénétrer /tous les mouvements de la joie et les vains soucis du cœur.

Mais, je vais te le faire comprendre, l'âme elle-même {anima)y réside dans nos membres, et ce n'est point une harmonie qui maintient l'existence du corps. Ne voit-on pas, d'abord, qu'après de graves mutilations, la vie s'y arrête encore, tandis que, d'autres fois, il suffit de quelques particules de chaleur échappées, d'un peu d'air exhalé par la bouche, pour qu'elle fuie de nos veines et abandonne nos os? Par là on peut connaître que tous les éléments matériels ne jouent pas en nous le même rôle, qu'ils n'y sont pas également ks soutiens de la vie ; que ceux-là surtout sont chargés de la retenir dans nos membres, qui sont des germes d'air et de chaleur. C'est donc la chaleur, c'est donc l'air qui sont dans notre corps les principes de la vie, et qui, au moment suprême, se retirent de nos membres mourants.

Ainsi donc, puisque et l'esprit (animiis) et l'àme (anima) sont, pour ainsi dire, des parties de l'homme, renonce à ce nom d'harmonie, rapporté parles philosophes du bocage musical de l'Hélicon,

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ou qu'ils ont tiré d'ailleurs, pour le transporter à ce qui n'avait point encore de nom propre. Mais, qu'importe son origine? Qu'ils le gardent; .oi, écoute le reste de mes enseignements.

Je dis maintenant que l'esprit et l'âme sont liés étroitement, et ne forment ensemble qu'une seule nature ; mais la partie principale et maltresse, qui domine dans tout le corps, est ce conseil appelé par nous du nom d'esprit, d'intelligence ; il a son siège au centre, dans la poitrine; c'est là qu'il est fixé. Là en effet palpitent la peur, la crainte; et vers la même région se font sentir les chatouillements de la joie. Là donc est l'intelligence, là est l'esprit : le reste, l'âme, distribué dans tout le corps, obéit, et se meut au signal et par l'impulsion de l'esprit. Le premier peut seul penser à part, jouir à part, et cependant, nul ébranlement ne se faire sentir ni à l'âme, ni au corps. De même qu'en certain cas, notre tête, nos yeux, atteints par la douleur, souffrent en nous, sans que le corps tout entier éprouve de mal ; de même quelquefois notre esprit souffre ou ressent de la joie, sans que le reste de l'âme, répandu dans les membres, soit accessible à aucune affection nouvelle. Mais quand l'esprit est ému d'une forte crainte, nous voyons que, par tous'les membres, ce sentiment se communique à l'âme entière, qu'il se produit, dans tout le corps, des sueurs, de la