Une cuisine fonctionnelle
Les avantages d’un tout petit espace
« Cherchez toujours à honorer votre dieu, et ce, jusque dans les actes les plus anodins de la vie quotidienne. Ainsi balayer, prendre un bain ou faire la cuisine sont autant d’occasions d’exprimer son respect et son dévouement à son dieu, qui peut être… soi ! »
Itsuo Tsuda, Le Dialogue du silence
Pour avoir envie de cuisiner, même très simplement, il faut avoir une cuisine pratique, agréable, fonctionnelle, dans laquelle on se sente bien. Cette cuisine, lieu de culte de l’éphémère, laboratoire des plaisirs, n’a pas besoin d’être très grande ni très sophistiquée. Il semble même que de nos jours, ironiquement, plus les cuisines sont équipées, moins les femmes cuisinent. Pourtant, c’est dans cet endroit de la maison que se trouve le cœur du foyer – sa chaleur, au sens propre comme au sens figuré, le lieu dans lequel se déroule notre activité la plus vitale : préparer ce qui nous maintient en vie.
Une cuisine véritablement « équipée » n’est pas une cuisine avec les gadgets rutilants dernier cri, des piles de casseroles et une série de douze couteaux à découper. C’est un lieu dans lequel on cuisine, jour après jour, quelle que soit notre humeur. Et, contrairement à une idée reçue, plus une cuisine est petite, plus elle est fonctionnelle. N’avoir que quelques gestes à faire pour passer de la gazinière à l’évier, du réfrigérateur à la planche de travail est idéal. Un ou deux mètres carrés pour vaquer autour d’un aménagement en U suffisent. Si certains préfèrent les cuisines donnant directement dans la salle à manger, d’autres, comme moi, n’apprécient pas de sentir le poisson griller ni de voir les casseroles sur le feu pendant le repas. Cuisiner est une chose, prendre son repas en est une autre. Chaque activité en son temps et… son espace !
L’organisation autour du fourneau
L’organisation de sa cuisine est le b.a.-ba d’une préparation quotidienne des repas sans stress ni surcharge de travail. Ce n’est pas tant de cuisiner qui demande du travail, mais faire les courses, préparer, laver les légumes, nettoyer le plan de travail, la hotte, le sol, nettoyer, ranger les ustensiles, faire la vaisselle, stocker les aliments… Une fois encore, moins de plats, de poêles, de casseroles facilite la vie. Si vous consommez en petites portions, vous gagnerez de la place en n’utilisant que… de petites marmites, de petites casseroles, de petits bols de travail. Plus vous mangerez « naturel », moins vous aurez besoin de stocker toutes sortes de sauces, poudres, surgelés, boîtes de conserve, farines, etc. Et plus vous… cuisinerez !
(Cf. liste du matériel de cuisine p. 189)
Rangez par catégories : le petit panier
J’ai chez moi un petit panier en bambou dans lequel j’ai placé de petites fioles, de la taille de nos huiliers et vinaigriers d’autrefois, contenant tout ce que j’utilise au quotidien pour cuisiner : huile, vinaigre, sel, poivre, sauce de soja, moutarde, gingembre, ail en tube… J’ai non seulement du plaisir à manipuler ces objets, mais cela m’aide aussi à utiliser avec mesure ces divers assaisonnements. Verser de l’huile à l’aide d’une petite bouteille munie d’un bec verseur évite par exemple d’avoir à ouvrir et fermer le placard et permet d’avoir la main plus légère. Certaines laissent leurs huiles, vinaigres, pots d’épices en permanence sur le plan de travail, mais ceux-ci deviennent vite poisseux et encombrent aussi bien matériellement que visuellement. Tout avoir sous la main dans un petit panier permet de ne pas laisser brûler l’omelette pendant qu’on cherche le sel ou qu’on veut rajouter un peu de poivre dans le pot au feu. Si vous êtes très « épices », vous pouvez avoir un autre de ces petits paniers pour rassembler vos trésors. Ce mode de rangement aide, de plus, à ne pas acheter en trop grandes quantités des produits qui perdent vite saveur et fraîcheur. Quelques grammes de cardamome ou de curcuma suffisent à parfumer les plats et un sachet vous durera plusieurs mois. Une fois la cuisine terminée, je remets le panier à sa place. J’achète en général de petites bouteilles de la meilleure huile ou du meilleur vinaigre, et j’ai depuis longtemps abandonné l’idée que trois variétés de chaque étaient indispensables. Je préfère acheter des légumes variés et de saison. Quant aux sauces, excepté la mayonnaise (qui se conserve mieux en tube et est sous cette forme déclinable à souhait : avec du lait, des œufs de morue, du ketchup, des fines herbes, du citron…), je fais tout moi-même, modifiant la composition au gré de mes humeurs.
Rassemblez les ustensiles de cuisine par groupes de « fonctions »
Un couteau doit avoir sa place près de la planche à découper et des petits contenants en aluminium de service destinés à recueillir légumes en préparation, viandes en macération, épluchures… ainsi que des bols mélangeurs et une minipassoire. Tout cela devrait être placé aussi près de l’évier que possible. Ces détails font gagner tant d’énergie et de temps en gestes ! Vous éprouverez même un nouveau plaisir comme celui de « jouer ». Mes amies japonaises m’ont enseigné beaucoup de petits automatismes qu’elles considèrent comme naturels : marquer une planche à découper d’un côté pour les viandes, et de l’autre pour les légumes, afin de ne pas mélanger les odeurs, ou nettoyer le poisson sur un film alimentaire puis envelopper les déchets dans du papier journal lui-même mis dans un sac en plastique afin d’éviter, une fois de plus, les odeurs et de salir la poubelle. Tant de minuscules détails pensés, de techniques de « pro » me font aimer être dans ma petite cuisine où, pour moi, procéder avec ordre et méthode est un rituel sacré. Le bien-être que je ressens dans cet endroit résulte d’une impression profonde : chaque chose occupe exactement la place qui lui est destinée, chaque objet est adapté à mes besoins. Ma poêle de 20 cm me suffit pour cuisiner pour deux ou plusieurs personnes, car chaque mets préparé l’est en petites quantités. Sa légèreté, tout comme celle du petit faitout, me donne envie de l’utiliser de la même manière que je jouais, autrefois, à la dînette. Je n’ai jamais ressenti autant de plaisir à cuisiner que depuis que j’ai appris ce secret : tout réduire à de plus petites tailles.
Le réfrigérateur
À mesure que nous nous « modernisons », la taille de nos réfrigérateurs augmente. Comme si nous avions besoin de stocker de la nourriture pour tout un régiment ! Si vous achetez des produits frais tous les trois jours, un petit réfrigérateur suffit. Il y a d’ailleurs beaucoup de produits qui se conservent dans le placard, et que l’on met, Dieu sait pourquoi, dans le réfrigérateur (moutarde, mayonnaise, œufs…). Assurez-vous donc que la taille de votre prochain réfrigérateur ne dépassera pas celle de vos besoins. De plus, un gros réfrigérateur consomme beaucoup d’énergie et perd plus de chaleur qu’un petit, à moins d’être entièrement rempli. Enfin, lorsqu’il est trop volumineux, on y oublie facilement la nourriture. Une Chinoise chef cuisinier disait à la télévision que nous devrions « vider » complètement nos réfrigérateurs (comme nous le faisons pour nos intestins) tous les trois ou quatre jours, jusqu’au prochain jour de marché. Pour les Chinois, manger, c’est d’abord se procurer les produits les plus frais possible. Et ne pas gaspiller.
Des torchons immaculés
« As-tu fini ton riz ?
— Oui.
— Alors, va laver ton bol. »
Mes séjours dans des temples zen m’ont fait attraper ce que certains considéreront comme une maniaquerie : la propreté des torchons. Souvent mal aimés, ces malheureux traînent un peu partout dans la cuisine, dégageant une impression de désordre, de débordement et de saleté. À l’inverse, pour les Japonais la propreté est une seconde nature avec leur manie des torchons, des serviettes, de tout ce qui sert à laver, essuyer, protéger de la poussière. Le secret est, une fois encore, d’avoir de petits torchons, pas plus grands qu’un mouchoir de poche, humides et pliés, sur lesquels reposer la lame du couteau entre deux tâches, essuyer la vaisselle au fur et à mesure qu’on la nettoie, protéger un récipient de la poussière… Ces torchons sont idéalement en coton blanc pour davantage de netteté. Les meilleurs sont les plus absorbants et usagés (on peut les confectionner soi-même avec une double épaisseur de coton fin en gaze). Et chaque soir, on les met à tremper avec quelques gouttes de liquide à vaisselle dans un saladier en Inox, dans l’évier, jusqu’au lendemain matin. On les étend le matin, et on les retrouve secs le soir, accrochés à leur place, prêts à être réutilisés ! Pour une Japonaise, laver ses torchons de cuisine en même temps que le linge de corps est impensable ; sans parler de la perte de temps à les repasser et à les plier !
Faire la vaisselle, chérir ses casseroles
« Le bruit d’une femme
Nettoyant la marmite
S’harmonise avec celui de la grenouille. »
Ryokan, haïku
Si vous lavez au fur et à mesure que vous cuisinez, vous devriez avoir une cuisine impeccable au moment où les aliments cuisent sur le feu puis lorsque vous passez à table. Quand vous lavez votre vaisselle, appréciez la beauté, la précision et la manufacture de vos ustensiles de cuisine. Nettoyez-les avec soin et traitez-les comme s’il s’agissait de la prunelle de vos yeux, recommande le zen. De bons ustensiles aident vraiment à préparer des repas beaux, mémorables et… sacrés. Les tâches domestiques seront peut-être revalorisées le jour où nous comprendrons l’importance qu’elles ont sur notre équilibre physique et psychologique. Ce sont ces détails pratiques qui apportent des solutions concrètes au nouveau mal de vivre, au vide que nous pouvons ressentir dans l’existence. Il est pourtant si simple de rendre cette vie plus esthétique, riche et vivante ! Une cuisine bien rangée, par exemple, met dans des conditions d’esprit harmonieuses. Il ne s’agit pas d’une discipline militaire mais de vivre tout simplement dans l’ordre en… le pratiquant. Placer les ustensiles à cuisiner dans un coin et ceux à servir la nourriture dans un autre, rassembler en un seul endroit ce qui servira à décorer la table (sets de table, plateaux, bougies, serviettes, couverts, porte-couteaux ou porte-baguettes…), bref, être préparé et organisé permet de s’adonner à l’activité domestique de cuisiner comme à une activité noble. Prêter attention aux différents matériaux, comme une vieille petite poêle élégamment noire de suie après des décennies de bons services, antiadhérente car huilée naturellement – une poêle en fonte ne se lave jamais, mais s’essuie simplement, sauf après le poisson – posée à côté d’une serviette blanche immaculée et minutieusement pliée, sur laquelle repose la lame argentée et étincelante d’un couteau parfaitement affûté représente pour moi une véritable composition artistique, un tableau qui m’apaise, me conforte, m’émeut. Des objets qui, chacun, me rappellent l’artisan qui les a fabriqués, les multiples mets qu’ils ont exécutés, la fidélité qu’ils m’ont chaque jour apportée, comme de bons et silencieux serviteurs. Ces objets sont mes amis. Et plus ils sont vieux, plus je les aime.
Que faire de tout ce qui est trop volumineux ?
Même si vous vivez à trois, quatre ou plus, ou que vous recevez, vous n’avez pas besoin d’une armada d’ustensiles. On peut cuisiner une multitude de plats dans de petits faitouts et poêles. En supplément, un grand saladier et un plat à quiche suffisent. Il faut savoir s’adapter aux circonstances de la vie qui, nul ne l’ignore, est en changement perpétuel. Ne gardez que des objets adaptés à votre main, des objets que vous avez du plaisir à toucher, entretenir, que vous aimez et, surtout, que vous UTILISEZ.