Enregistrement du témoignage de Franz Harber
Propos recueillis par Gilles Cyprien
• Rencontre avec Karl Maria Wiligut
• Description de la mission confiée par Himmler
Parmi les missions qui m’avaient été confiées au Wewelsburg, il en était une qui tenait particulièrement à cœur à Himmler. Il souhaitait constituer dans la forteresse une importante collection de peintures qui seraient de nature à incarner l’idéal esthétique nazi. Le Reichsführer, comme le Führer, détestaient l’art d’avant-garde qu’ils considéraient – à mon avis, avec raison – comme de l’art dégénéré. Il avait commencé par rassembler des gravures anciennes avant de demander à d’excellents peintres de venir travailler au château. Le thème de prédilection tombait sous le sens puisqu’il s’agissait du Wewelsburg lui-même. Karl Arthur Held avait, par exemple, signé une très belle vue de la forteresse avec un pont romantique au premier plan. Himmler avait aussi commandé à un autre artiste, Hans Lohbeck, un triptyque représentant les travaux des champs auxquels étaient associés des membres de la SS portant le glorieux étendard à croix gammée. L’idée était, comme dans le cadre de nos activités scientifiques, de revenir aux sources de l’art, dans sa substance naturelle. Avant que nous soyons au pouvoir, des peintres imaginaient des femmes qui ressemblaient à des perruches ou des chevaux colorés en bleu. Grâce à nous, l’art allemand retrouvait enfin ses lettres de noblesse.
J’avais l’habitude d’assister les artistes et de veiller à ce qu’ils ne manquent de rien. J’agissais de la même manière lorsque nous recevions des scientifiques, des militaires ou des hommes politiques.
Himmler était content de moi et il me le prouva de la plus éclatante des manières. Je me souviens de ce jour où j’ai été convoqué dans le bureau de notre Reichsführer. C’était la première fois que je faisais l’objet d’une telle convocation et je vous avoue que j’étais très intimidé. Un garde a annoncé mon arrivée et j’ai découvert l’endroit où travaillait notre chef. C’était un lieu à la fois imposant par sa décoration et la solennité qui s’en dégageait et assez modeste par ses dimensions. Une large cheminée, ornée de bas-reliefs anciens, attirait d’emblée le regard. Une peau d’ours était posée devant l’âtre. Comme la plupart des pièces de la forteresse, celle-ci était pourvue d’un lustre en fer forgé. Le bureau en chêne sur lequel le Reichführer travaillait était d’une grande simplicité.
Himmler était de bonne humeur et me pria d’avancer. Un homme se trouvait devant lui, je dois reconnaître que son visage m’a étonné. À l’image de son corps, il était rond et seule une petite moustache lui conférait un certain caractère. Si j’avais croisé ce personnage dans la rue, je pense que je ne l’aurais même pas remarqué. J’étais loin de savoir quel savant d’exception je rencontrais pour la première fois.
Le Reichsführer me présenta Karl Maria Wiligut mais l’homme en question précisa d’emblée qu’il préférait être nommé Karl Maria Weisthor, ce que je promis de faire. Himmler commença par me complimenter pour mon efficacité et vanter mon désintéressement. Il expliqua que c’était ce qui l’avait décidé, en parfait accord avec Taubert, à faire appel à moi pour une mission très délicate. Le dénommé Wiligut ou Weisthor était à la tête d’un bureau important, le « Rasse und Siedlungshauptannt ». Il s’agissait d’une structure de pointe qui menait des recherches de manière indépendante. J’ai rapidement compris qu’il voulait me faire comprendre que ce bureau ne dépendait pas de l’Ahnenerbe. Comme il en allait de même pour notre Wewelsburg, je ne fus pas étonné de la révélation que venait de me faire notre chef.
Il m’expliqua que son visiteur travaillait sur des dossiers très importants qui, pour être menés à bien, devaient être conçus dans la plus grande confidentialité. En clair, il fallait que Wiligut (je vais le nommer par son vrai nom, pour plus de facilité) puisse travailler avec toutes les facilités requises mais aussi, de manière très discrète. Une chambre isolée de la tour Ouest avait été mise à sa disposition. Celle-ci était pourvue d’un bureau et d’un téléphone pour qu’il puisse rester en contact avec ses collaborateurs à Munich et à Berlin. J’étais aussi chargé de lui apporter à boire et à manger, parce qu’il ne pouvait en aucun cas fréquenter les autres membres de la SS qui vivaient à la forteresse.
J’étais toujours debout face à Himmler quand il me dit qu’il attachait la plus haute importance à la mission qu’il venait de me confier et qu’il ne tolérerait aucun manquement. La réussite de son travail était à ce prix. Par ailleurs, il précisa que je ne devais pas prêter foi aux rumeurs qui ne manqueraient pas de m’être rapportées à propos du Doktor Wiligut. Il était un savant de grande intelligence mais, compte tenu de la nature de ses travaux, certains mettaient en doute la pertinence de sa vision.
Dans l’immédiat, j’ai dû me contenter de ces explications assez vagues. Il ne me serait pas venu à l’idée de poser des questions sur l’objet précis de ses études. Il me suffisait de savoir que ma mission consistait à assurer la sécurité, la discrétion et le confort de notre visiteur. Himmler précisa qu’il était son invité de marque et que je pouvais souhaiter une gratification si je lui donnais pleine satisfaction. Wiligut qui n’avait encore rien dit se leva et me tendit la main. Je me souviens de cette poignée tendue comme si c’était hier, elle était un peu molle et fuyante, comme une anguille qui refuse de se laisser capturer. Et puis ses yeux m’ont laissé une étrange impression. C’était un peu comme si cet homme était dans la pièce et, en même temps, ailleurs. Pour ce qui était du son de sa voix, il me faudrait encore attendre pour mieux le cerner, car il se contenta de baisser la tête pour me signifier sa satisfaction de pouvoir compter sur moi.
Avant que je sorte, Himmler a précisé que je devais désormais me consacrer totalement à ma nouvelle mission. Il a ajouté que les autres ne devaient pas s’apercevoir que quelque chose avait changé dans ma façon de vivre ou de me comporter à la forteresse. J’ai tendu le bras, salué les deux hommes et je suis sorti. J’allais bientôt comprendre à quel point cette rencontre changerait ma vie.