Chapitre 57

Le petit pavillon de la banlieue ouest n’avait rien en commun avec le luxueux appartement de la famille Bergerac. La rue était calme et ressemblait à toutes ses semblables. Une vieille dame promenait son chien et la grille du jardinet n’était pas fermée. Le policier la poussa et alla sonner à la porte. Il n’y eut pas de réponse. Par acquit de conscience, il tenta de pousser la porte mais celle-ci était bien sûr fermée. Il décida de faire le tour de la maison et le regretta rapidement, tant la nature avait repris ses droits dans cette petite jungle de banlieue. Il lâcha un juron en sentant que son pied s’enfonçait dans un trou mais il réussit quand même à arriver vivant de l’autre côté du pavillon. Dissimulée par un tapis d’herbes folles, il devina la grille d’un soupirail, comme on en trouvait jadis dans les habitations pour les approvisionner en charbon. Il se dit qu’il serait peut-être possible d’entrer par ce trou, sans passer par la porte. Il commença par arracher les plantes et puis, il saisit la plaque et commença à la tirer. Elle était solidement fixée et la rouille n’arrangeait rien. Il tira de toutes ses forces et quelques secondes plus tard, il entendit des bruits qui venaient de la maison. Ils étaient difficiles à identifier, puis ils se précisèrent. Comme des cognements, mais scandés en rythme. Cela ne pouvait pas être la complainte d’une vieille chaudière qui peinait. Il plaqua sa tête contre la grille et commença à parler à voix basse avant de hausser le ton.

— Y a quelqu’un ?

— Bang… Bang…

— Monsieur Diouf ? Monsieur Diouf ?

Il tendit l’oreille et il lui sembla entendre un petit bruit dans le lointain mais sans qu’il réussisse à le distinguer nettement. Il essaya encore une fois de soulever cette satanée plaque, sans y arriver. Il regretta à ce moment précis de ne pas avoir revu l’intégrale DVD de MacGyver. Lui, il aurait certainement su comment ouvrir ce satané truc ! De guerre lasse, il sortit son portable et envoya un SMS.

Soudain, un autre bruit se fit entendre et cette fois, il venait clairement de l’avant de la maison. Cela devait être Bergerac. Il se releva et courut vers l’entrée. Il replongea le pied dans le fameux trou, lâcha un autre juron et arriva devant la porte qui se refermait. Il introduit son pied pour la bloquer, l’ouvrit et attrapa l’épaule du visiteur.

— Mais qu’est-ce que c’est ?

— Police !

Michel Bergerac était ivre, au point de ne pas bien tenir debout. Il empestait la bière et son regard était vague.

— Vous n’avez pas le droit de déranger les gens comme ça.

— Moi, je pense que tu as tout intérêt à te montrer coopératif si tu veux sauver ce qui peut encore l’être.

— Fichez-moi le camp !

Le jeune homme saisit Ralic à la gorge mais il devait faire partie de ces gens chez qui la boisson diminuait les aptitudes physiques.

— Je vais te crever !

— Calme-toi ! Nous devons parler… J’ai beaucoup discuté avec ta mère.

Bergerac fut encore un peu plus déstabilisé.

— Ma mère ? Vous avez parlé à ma mère ?

Visiblement, cette seule pensée lui faisait perdre tous ses moyens. Il laissa Ralic se diriger vers le salon qui se limitait à deux chaises en bois, placées de part et d’autre d’une caisse renversée. L’aménagement intérieur de la résidence secondaire des Bergerac laissait plutôt à désirer. Michel arriva avec une canette de bière en main et se laissa choir sur une chaise. Ralic le regarda, il était à bout. S’il s’y prenait bien, le policier pourrait peut-être le faire parler sans trop de difficulté.

— Nous avons discuté de ton frère et de sa mort. De ta visite chez ta mère le jour de sa mort.

— C’est faux.

— Tu semblais bouleversé.

— Je ne suis pas allé chez ma mère.

— Ne te fatigue pas, j’ai la bande du réseau caméra, date, heure et tout.

— J’étais…

— Vas-y. Explique-moi.

— J’étais bouleversé, j’adorais mon frère.

— Pourquoi l’as-tu tué alors ?

— Je ne l’ai pas tué !

Michel avait crié. Il crispa sa main sur la canette et regarda le policier dans le blanc des yeux. Il oscilla un bref instant entre une dernière volonté de nier et la délivrance de la confession. Lentement, ses yeux se baissèrent.

— C’était un accident… Il m’avait demandé de l’aider à apprendre à tirer. Nous avions l’habitude de nous rendre dans le hangar pour nous exercer. Il y a peu de monde qui connaît l’existence de cet endroit. C’est calme, à l’abri des regards.

— Je sais, j’y suis allé.

— Je lui ai parlé des Enracinés et de Desforges. Je ne voulais pas qu’il prenne de risques. Il était trop jeune. Il devait prendre son temps… apprendre avant d’agir… faire les bons choix.

— Que s’est-il passé ?

— Il s’est énervé. Il m’a dit qu’il en avait assez de jouer au petit frère et de toujours devoir m’obéir. Il m’a dit que je ferais mieux de m’occuper de mes oignons.

Bergerac murmura. Mais il y avait de la rage dans son murmure.

— Il a ajouté que j’étais un raté.

— Un raté ?

— Oui… Que je n’avais jamais réussi à me faire une place dans une organisation, que personne ne voulait de moi, qu’on se méfiait à cause de mon penchant pour l’alcool… Il a dit des choses terribles. Mais je ne lui en voulais pas, c’était mon petit frère, mon frangin. Il avait besoin de moi.

— C’est ce que tu lui as dit ?

— Oui… Et cela ne lui a pas plu. Il m’a menacé avec son arme. C’était une grosse connerie car elle était chargée ! Alors, j’ai voulu lui prendre le flingue et je ne sais pas ce qui s’est passé…

— Le coup est parti ?

— Oui… Ça aurait pu être moi et ça a été lui. Je vous jure que j’aurais préféré que cela soit moi ! Je vous le jure ! C’était un accident.

Bergerac était cassé, littéralement plié sur sa chaise. Il avait les larmes aux yeux. Il fixait sa canette pour ne plus regarder le policier qui se trouvait devant lui.

— Et puis, il y a eu Diouf…

— Quel Diouf ?

— Michel… Je t’ai dit qu’il était encore temps d’apaiser les choses. Si tu parles maintenant, tu risques d’éviter pas mal de problèmes…

— Je n’ai rien à voir avec ce mec. Il a tué Dormoy !

— Tu as raison, il l’a tué, mais il n’a pas voulu le tuer. C’est toute la différence. Je sais qu’il est dans la cave, je l’ai entendu. Je te donne une dernière chance.

Il y avait dans les yeux de Bergerac la soif de revanche d’un loup devant un chasseur.

— Vous divaguez ! Je ne vous ai rien dit ! Je nierai tout ! Vous êtes tous pareils ! Des traîtres à votre race et à votre nation. Vous méritez de…

Malgré la boisson, il se déplia avec l’agilité d’un félin et bondit devant le policier avec un revolver en main. Ralic n’imaginait pas que son adversaire soit capable d’une telle réaction. Il n’eut pas le temps de réagir.

— C’est vous qui me forcez… Désolé !

— Réfléchissez à ce que vous faites. Je vous l’ai dit, Bergerac, il est encore temps !

— Oui, c’est tout réfléchi ! Et pour vous, c’est la fin. Ça fera toujours un traître de moins !

Il posa son doigt sur la détente et se retourna. À ce moment précis, la porte du salon s’ouvrit. Rougeau apparut avec quatre hommes. Ralic respira : il avait lu son SMS à temps. Profitant de l’étonnement de Bergerac, il le désarma.