Devant la maison Witte, les policiers étaient prêts à l’assaut final. Mais la présence des journalistes à l’intérieur changeait le plan. Le froid était piquant et Wever venait de se verser une tasse de café pour se réchauffer. Ralic se sentait coupable.
— C’est de ma faute, j’aurais dû être plus ferme avec eux ! Mais tu vois, le journaliste, il m’a déjà filé pas mal de tuyaux…
— Ne t’inquiète pas. Je me suis énervé mais c’est mon caractère. On traîne tous des boulets parmi nos indics.
Ralic eut un sourire amer.
— Oui mais dans le genre boulet, ce cher Fischer bat tous les records !
— Nous sommes prêts. L’unité d’intervention spéciale n’attend qu’un ordre de ma part.
Le Français frémit.
— Tu vas risquer l’assaut ?
Son collègue sentit son inquiétude.
— Non. Enfin, pas pour le moment. Nous allons plutôt attendre. Cela serait dangereux de forcer l’entrée. Laissons-les d’abord exprimer leurs exigences.
— La Chute…
— Tu n’as pas vu le film sur les derniers jours d’Hitler dans son bunker ? J’ai un peu l’impression que nous vivons la même situation. Le petit Führer barricadé dans son dernier abri… encerclé par ses ennemis.
— Alors il nous reste à espérer qu’il ne soit pas comme Adolf… Prêt à entraîner le monde dans son propre abîme.
Aymeric Desforges s’était assis dans le confortable fauteuil de cuir brun. Il faisait face aux deux journalistes et attendait les questions, comme s’il s’agissait d’une simple interview. Mais la situation n’avait rien de normal. Gilles Cyprien se tenait derrière lui, manifestement très nerveux. Des militants habillés de noir allaient et venaient dans la maison, tandis que deux jeunes baraqués portant un tee-shirt des Enracinés entouraient leur chef et tenaient un revolver en main. Herr Witte donna une tasse de café à Desforges qui le remercia, avant d’inviter les journalistes à lui poser la première question.
— Voilà, nous sommes plus confortablement installés ici. Je suis à votre disposition…
Cyprien ne réussissait pas à rester en place. Il tournait comme un lion en cage. N’y tenant plus, il alla murmurer à l’oreille de Desforges.
— Desforges. Tu es dingue ? Il ne faut rien leur dire !
— Tu vas me laisser agir ? C’est qui le chef ici ?
— Je ne te laisserai pas tout foutre en l’air.
— La ferme !
Desforges avait élevé la voix tandis qu’il avait saisi Cyprien à la gorge.
— Nous allons sortir deux secondes…
Puis il regarda les autres :
— Veuillez nous excuser. Je dois faire une petite mise au point avec mon camarade.
Desforges se leva et poussa, sans ménagement, Cyprien dans le couloir. Une fois seuls, il le plaqua sur le mur. Sa tête heurta un coucou suisse qui tomba à terre. Alerté par le bruit, Herr Witte arriva à son tour.
— Partez Monsieur ! Ceci est strictement entre nous !
Impressionné, le vieil homme se retira. Desforges continuait à tenir fermement Cyprien.
— Laisse-moi faire, tu as compris. Il faut témoigner, pour l’histoire !
Malgré la pression de la main de Desforges autour de son cou, Cyprien voulait parler.
— Et tu ne penses pas que nous devrions d’abord penser à nous en sortir ? Nous avons deux otages. Et pas n’importe lesquels, des scribouillards ! La police ne donnera pas l’assaut.
— Nous verrons après… Je leur parlerai d’abord.
— Méfie-toi Aymeric, tes hommes ne vont pas comprendre. Ils ont foi en toi, mais plus encore en leur combat. Si tu faiblis, ils te lâcheront.
— Et ils tomberont… Je te le répète, je sais ce que je fais !
— Aaaarrête…
— Tu vas m’écouter ?
— …
— Tu vas m’écouter ?
— Ou… Oui.
Desforges accentuait de plus en plus la pression sur son cou et la tête de Cyprien rougissait à mesure. Au moment où ce dernier ne parvenait plus à respirer, il relâcha soudain son étreinte. Tandis que le camarade se frottait le cou, Desforges sourit et l’invita à le suivre dans le salon où l’attendaient ses hommes, Herr Witte, Maria Vespi et Denis Fischer. Cyprien, l’œil noir de haine, le suivait. Le chef des Enracinés s’assit dans le fauteuil et s’adressa aux journalistes.
— Veuillez pardonner ce petit contretemps et reprenons le cours de notre entretien.
Le malaise était palpable. Après une hésitation, Denis Fischer posa la première question.
— Pourquoi avoir choisi le Wevelsburg pour organiser votre réunion ?
— Ce lieu est hautement symbolique. Il est bien antérieur aux épisodes de la Seconde Guerre mondiale, il incarne à nos yeux la réalité d’une terre enracinée dans ses traditions.