Chapitre 67

La grande silhouette d’Eugénie se découpa dans la porte. Son bras gauche était en écharpe et elle regarda avec suspicion les visiteurs qui venaient la perturber en plein ménage.

— Monsieur Le Bihan m’a dit que vous alliez venir. Mais je vous préviens, je dois encore préparer le repas et faire les sols.

Elle les laissa entrer en ajoutant :

— Et ne le dérangez pas trop longtemps. Il est encore faible, suite à l’agression que vous savez.

— Et vous Eugénie ?

— Moi je n’ai pas le temps d’être fatiguée !

Ralic sourit et se dit que rien n’avait changé dans ce petit appartement de Bayeux. Le Bihan les attendait dans le salon, le regard fixé sur l’écran de son ordinateur.

— Ah ! Vous êtes là !

Maria Vespi se dirigea vers l’historien et l’embrassa sur la joue. Le Bihan ne bouda pas son plaisir.

— Cela faisait longtemps que je l’attendais, ce deuxième baiser !

Puis il ajouta :

— À vous, je peux bien l’avouer, j’ai bien cru que c’était fini pour de bon. Mais asseyez-vous et racontez-moi tout. Eugénie, apporte-nous du café et des biscuits au beurre !

Une voix jaillit de la cuisine.

— Si vous me dérangez toutes les cinq minutes, vous n’aurez rien à manger ce soir !

— Ne faites pas attention, elle ne changera jamais ! Alors, vous avez bien profité de votre petit séjour au Wewelsburg d’après ce que j’ai lu dans les journaux.

Ralic jeta un regard plein de reproche vers les journalistes.

— Disons que nous avons fait ce que nous avons pu…

— Et les Enracinés ?

— Le groupe a été dissous. Desforges n’a même pas essayé de se défiler. Il tenait à tout endosser.

— Et Cyprien ?

— Il a tenté le tout pour le tout en sortant de la maison par le jardin mais il a fini sa cavale chez les voisins.

Le Bihan hocha la tête.

— Leur plan était diabolique. Ils voulaient profiter de l’anniversaire de la naissance de Karl Maria Wiligut pour mener une opération de grande envergure. Leur idée était de promouvoir la religion aryenne théorisée par Wiligut et de commettre des actions d’éclat dans plusieurs stations de métro à travers l’Europe.

— Avec le gaz sur lequel avait travaillé Wiligut dans le plus grand secret !

— Oui… Depuis la guerre, tout le monde avait oublié ces recherches. Tout le monde, sauf Franz Harber !

Une question taraudait Maria Vespi.

— Mais s’il était au courant et toujours aussi barré dans sa tête, pourquoi s’est-il tu aussi longtemps ?

— Peut-être par peur… ou alors, par besoin de tranquillité. En tout cas, il n’a rien abandonné et rien renié. Il a seulement attendu d’arriver à la fin de sa vie pour parler.

Tandis qu’Eugénie servait le café avec son bras valide, Le Bihan baissa le regard.

— Je suis désolé de ne pas avoir parlé plus vite… Je n’avais pas vu clair tout de suite et après, j’ai été présomptueux. Vous savez, à force d’être cloué dans un fauteuil roulant, on a envie de jouer aux héros. Je tenais à résoudre cette histoire tout seul… J’en avais fait une affaire personnelle. C’était non seulement idiot et dangereux… mais cela aurait aussi pu se révéler criminel.

L’historien se sentait coupable. Ralic posa la main sur son épaule et songea à l’image qu’il avait eue lors de leur première rencontre. Raymond Burr, l’homme de fer… comme quoi il n’est pas toujours nécessaire d’avoir des jambes pour avancer.

— Non Pierre… Ce n’est pas ta faute. Au contraire, c’est toi qui as réussi à sauver des centaines de vies d’innocents.

— Merci pour les encouragements. Je suis peut-être vieux, mais pas complètement naïf. Comment tu dirais… J’ai merdé, je sais !

Le policier acquiesça.

— Disons que la rencontre avec Gilles Cyprien n’était peut-être pas nécessaire.

— Tu vois que tu m’en veux.

— Non, le chapitre est clos !

— Sûr ?

— Certain !

Le Bihan releva les yeux et parut reprendre de l’assurance.

— Une chose est sûre, sans cette rencontre, je n’aurais jamais poussé mes recherches jusqu’à l’affaire des gaz.

Ralic lui tapota l’épaule.

— Ouf, je suis rassuré… Un moment, j’ai cru que Monsieur Le Bihan avait perdu son aplomb légendaire.

Denis Fischer sortit un magazine de son sac. Avec un large sourire de contentement, il le posa sur la table.

— Voilà ! Le dernier numéro de Spécial… j’espère que l’article vous plaira !

— Et c’est une exclusivité signée par le grand reporter Fischer ! s’exclama Maria Vespi.

Carloman Ralic reprit un air de reproche et murmura :

— Ouais… Je préférais dire Denis Fischer le grand emmerdeur. Le gratte-papier qui a failli faire tout foirer à la fin.

— Heureusement que l’homme qui tombe à pic est arrivé…

Le policier réfléchit.

— Tiens, l’homme qui tombe à pic… Lee Majors ! Je l’avais complètement oublié celui-là !

— J’avoue que nous avons couru des risques mais Desforges a joué le jeu pour l’interview.

Carloman Ralic éclata de rire.

— Tu aurais dû les voir, Pierre. Les deux héros du journalisme, assiégés dans la bibliothèque de Witte, barricadés derrière leur bibliothèque, alors que tout était déjà réglé en bas.

— Très drôle ! s’offusqua Fisher. On vous a quand même épargné une prise d’otages.

Maria vint à la rescousse de son collègue.

— Laisse-le… C’est un flic. Il ne comprendra jamais rien à notre métier.

Le Bihan feuilletait les pages du magazine et arriva à l’article de une.

— Le titre fait mouche en tout cas : Aymeric Desforges : « Mon Combat ».

— Une référence à tonton Adolf au passage…

— Oui, perdu pour perdu, il a accepté de nous accorder un entretien vérité. Et je vous préviens, il n’a esquivé aucune question. Tout y est passé : l’engagement militant, le recrutement des jeunes, les actions musclées, l’opération Nouvelle Aube Aryenne… Il a parlé de tout.

— Par vanité ?

— Peut-être… Lui, il a parlé d’honneur et de fidélité.

— La vieille devise de la SS. Ils ne sortiront jamais de ce passé qui ne passe pas.

— Cette fois, j’ai quand même l’impression qu’ils mettront du temps à redresser la tête.

— Pas si sûr…

L’historien commença à surfer sur Internet.

— Regardez, c’est tout récent.

— Quoi ? Ordre Radical ?

— Et oui… nouveau nom, nouveau site, nouveau logo mais mêmes idées.

Carloman Ralic surfait sur le nouveau site.

— Quelque chose me dit que je vais encore avoir du travail…