Pourquoi diable est-ce que je m’efforce de te traîner dans la grande lumière de l’été, toi qui fus d’automne, de crépuscule, de clair-obscur, de soir couchant sur la galerie ?
— Allume pas ! On est si bien comme ça, dans la p’tite noirceur. Ça repose tellement !
Dans le demi-jour, tu t’escamotais, tu disparaissais un peu plus, tu te reposais, ton barda d’esclave derrière toi. Tu étais tranquille, débarrassée, légère, offerte au bienheureux assombrissement des choses. Je sais bien que tu n’aimes pas ce que je fais aujourd’hui, tu n’aimes pas que je t’ébruite comme je le fais, à tout vent. Apparaître en pleine clarté te désespère, t’enrage, même, je le sais. Toutes ces photographies qu’en vain on tentait de prendre de toi ! Tu enfouissais ton visage dans tes mains et criais :
— Non ! Pas ça ! Non !
Tu ne serais pas, pour notre seul plaisir, cette pauvre femme éclairée de force, grimaçant un sourire de captive, de grande brûlée. « Jamais, au grand jamais ! » Vive l’ombre, la presque nuit, l’entre chien et loup clément, indulgent, miséricordieux.
— Éteins la lumière, pis vas te coucher !
— Tu vas rester toute seule, comme ça, dans le noir ?
— Noir ? C’est pas noir ! C’est gris pis rose, même un peu violet, là, au-dessus des arbres.
C’était ton heure, cette brunante, ce sépia des anciens portraits, des vieilles gravures au grain rouillé et qui dissimulait la présence si envahissante des choses, des êtres, de nos meubles que tu détestais pour y mettre le feu, du chien haï couché dans l’herbe à tes pieds, de papa vernissant la chaloupe dans la lumière crue du hangar, pour ne rien dire de mon omniprésence de trop curieux, d’espion, de « surveillant ».
Penchée sur mon épaule, ce soir encore tu me répètes, puisque je n’ai bien sûr pas compris :
— Pour l’amour, éteins pis laisse-moi toute seule ! Fais comme si j’étais morte ! Pis va te coucher. T’as l’air…
— Maman…
— Éteins !