V
Aurel avait loué un appartement au dernier étage d’un immeuble de bureaux, dans le quartier de la poste et de l’hôtel de ville. C’était un bâtiment des années 50, construit pour durer. Cependant, si la maçonnerie tenait bon, l’entretien des parties communes laissait beaucoup à désirer. La cage d’escalier, de proportions monumentales, était éclairée par de rares plafonniers, la plupart cassés. La peinture était écaillée et couverte de graffitis. Une fois franchis ces abords désolants, l’appartement dans lequel on pénétrait était, lui, en bon état et presque luxueux. Aurel, comme à son habitude, s’était empressé de le rendre obscur et hors du temps. Il avait obturé les baies vitrées par des rideaux occultants et disposé dans chaque pièce des lampes sourdes qui projetaient de grandes ombres sur les murs. Des reproductions de Klimt et des vues de la campagne roumaine étaient accrochées de guingois. Le piano droit avec ses bougeoirs en cuivre trônait dans le salon.
Sitôt entré dans cet appartement, Aurel se sentait ailleurs, c’est-à-dire chez lui. La touffeur qu’il ne pouvait empêcher de pénétrer ne lui semblait plus venir d’Afrique mais rappelait l’atmosphère surchauffée des appartements de Bucarest en hiver.
C’était seulement là, dans cette ambiance familière, devant un verre de Tokay, qu’il pouvait reprendre ses esprits et se mettre véritablement à penser.
Après cette épuisante journée, il se déshabilla mais, selon son habitude, garda sa chemise. Il l’avait fait faire vingt ans plus tôt à Vienne. « Sur mesure », avait dit le tailleur, sans préciser la mesure de qui. Elle était beaucoup trop large pour Aurel et, à l’arrière, elle lui descendait presque jusqu’aux genoux. Il enfila des chaussons mongols à pompons et mit en route la vieille chaîne stéréo dans laquelle un CD d’Erik Satie était en lecture.
« La matière est esprit », gémit-il en s’enfonçant dans le fauteuil en bois doré d’un épouvantable mauvais goût qu’il avait loué avec l’appartement. Et, en effet, ces simples dispositions matérielles, les rideaux, la pénombre, la bannière de batiste qui lui enveloppait les fesses, le verre de Tokay et les notes de piano suffisaient à donner corps à ses rêves et à faire défiler, sur le fond blanc du mur, la galerie des portraits dont il souhaitait s’imprégner.
En tête, à tout seigneur tout honneur, venait Béliot lui-même, en majesté. Béliot. Si sa mort restait encore mystérieuse, sa vie l’était plus encore. Aurel ne parvenait pas à s’en faire une image claire. C’était, de toute évidence, un vieux colon raciste mais qui épousait une Africaine et lui léguait tous ses biens ; un misanthrope mais qui recevait la visite régulière de notables du coin ; un homme autoritaire et violent mais qui ne parvenait pas à mettre dehors une femme qui ne lui était plus rien et qui venait lui réclamer la moitié de sa fortune. Béliot était-il fort, comme il voulait le paraître ? Ou s’agissait-il plutôt d’un de ces êtres faibles qui, pour cacher leur vulnérabilité, construisent autour d’eux un petit monde sur lequel ils ont l’illusion de régner ?
Et Françoise ? Était-elle la victime qu’elle prétendait être ou un personnage plus dangereux et calculateur, dont Béliot était parvenu à se protéger quand il était dans la force de l’âge mais face auquel il n’avait pas fait le poids, la vieillesse venue ?
Aurel fermait les yeux et les rouvrait brutalement en fixant le mur blanc. Il observait quelle image de Françoise se projetait alors sur cet écran. Il l’avait vue pleurer, minauder, menacer, accuser. Aucun de ces visages n’apparaissait. Celui qu’il voyait était une sorte de masque lascif, les yeux mi-clos, la peau lisse, la bouche entrouverte. C’était un visage surhumain, inaccessible à toute pitié, le visage de la justice et de la mort. Aurel ne savait comment l’interpréter sinon que ce n’était pas le visage de l’innocence mais plutôt celui, impitoyable, du destin. Cela voulait-il dire qu’elle était coupable ?
Il se leva et alla se servir un nouveau verre de vin blanc.
Puis il se rassit et essaya de faire paraître d’autres images. Il ne parvenait à en évoquer aucune. Il se rendait compte que toute cette affaire était réduite pour le moment à un face-à-face tout à fait insuffisant. Il mettait en regard deux personnages, Béliot et sa première femme, qui étaient depuis longtemps étrangers l’un à l’autre. La vie de chacun d’eux les avait mis en présence de bien d’autres gens mais ils étaient encore invisibles.
Aurel se dit qu’il ne pouvait à ce stade formuler aucun jugement. Il lui fallait aller à la rencontre de ces figures de l’ombre : la deuxième femme de Béliot, sa copine actuelle, le fils métis qu’il avait eu de son second mariage… Et tous ces personnages qui venaient voir le vieil entrepreneur… Que lui disaient-ils, que lui voulaient-ils ?
Mentalement, Aurel commença à bâtir une stratégie pour se mettre, dès le lendemain, sur la trace de ces figures manquantes.
Mais soudain, comme jadis ces panneaux qui annonçaient une interruption momentanée des programmes, apparut sur le mur le visage rougeaud de Mortereau avec sa petite houppe. Cette vision venait rappeler à Aurel la situation inédite dans laquelle il se trouvait. Il allait devoir encore cacher son enquête mais cette fois pour une raison tout à fait inattendue. Son supérieur, loin de lui interdire cette activité, voulait y prendre part, c’est-à-dire la diriger – on ne se débarrasse pas si facilement de ses habitudes hiérarchiques. Pour garder son indépendance, Aurel se voyait condamner à ruser plus.
Il savait combien il est délicat pour un diplomate de s’engager sur le terrain judiciaire et de susciter la confiance de ses interlocuteurs. C’était possible à condition de faire oublier son métier. Aurel y parvenait parce qu’on ne le voyait pas comme un personnage trop sérieux. Mais un attelage comme celui qu’ils formaient avec Mortereau ne laissait aucun espoir d’attirer des confidences. Il allait falloir tenir le Consul général à l’écart, lui lâcher des miettes pour calmer sa curiosité et agir seul.
Il éteignit la musique et se leva, dégourdit voluptueusement ses orteils sur le carrelage tiède et alla s’installer au piano. Il se détendit avec une pièce limpide de Schumann. L’Afrique avait tout à fait disparu. Il restait une rue de Brasov en hiver et un petit cortège de rabbins avec leurs chapeaux. Derrière eux, un enfant qui lui ressemblait trottinait, en se demandant ce qu’était la vie…
*
Le lendemain était le jour de réunion des chefs de service : Mortereau serait coincé toute la matinée chez l’Ambassadeur. Aurel s’habilla en vitesse, but une tasse de café debout dans sa cuisine et en profita, comme il l’avait prévu, pour aller faire un tour à la Résidence dos Camaroes.
Le gardien était en train de balayer le trottoir devant l’entrée. Aurel descendit du taxi et le rejoignit.
— Bonjour Pedro.
— Ah, monsieur Aurel !
Pendant son séjour, Aurel avait salué le brave homme matin et soir. Il en restait quelque chose.
— C’est plus calme aujourd’hui ?
— Plus calme.
Le gardien ne parlait guère français. Il fallait s’en tenir à l’essentiel.
— Il y a quelqu’un dans l’hôtel ? Des clients ?
— Clients ? Non. Pas clients.
Le contraire eût été surprenant.
— Quelqu’un du personnel ?
— Seulement une, dit le gardien en levant l’index. Mademoiselle Lucrecia.
— Je vais lui dire bonjour, lança Aurel en franchissant le seuil, sans laisser au gardien le temps de formuler un avis.
Le jardin, le matin, exhalait une humidité parfumée. Les troncs des palmiers étaient entourés de plantes vert cru qui poussaient dans des sortes de nids faits en fibres de coco. Pedro les gorgeait d’eau chaque soir.
Aurel arriva à la terrasse où se tenait d’habitude Béliot. Rien n’avait bougé et il avait l’impression qu’à tout moment le vieil homme pouvait surgir, avec son maillot de corps douteux et son caleçon sans forme.
Machinalement, il regarda vers la chambre du rez-de-chaussée. La porte en était grande ouverte. Pendant son séjour, Aurel n’avait jamais pénétré dans cette pièce et n’avait même jamais aperçu ce qu’elle contenait. Il s’approcha et jeta un coup d’œil à l’intérieur. C’était une chambre qui paraissait d’autant plus exiguë qu’elle était remplie de meubles. Un énorme lit occupait presque toute la surface. En face de lui, sur un buffet, trônait le vaste écran de télévision que Béliot, d’après le personnel, gardait allumé jour et nuit. Les murs étaient encombrés d’armoires bon marché, des meubles en aggloméré à portes coulissantes, certaines recouvertes de miroirs. Sur ces armoires étaient empilées des valises de toutes tailles. Elles donnaient à la chambre un air de foyer d’immigrés, précaire et provisoire, qui contrastait étrangement avec la finition soigneuse et le confort du bâtiment hôtelier. On avait l’impression que Béliot séjournait là en clandestin. Alors qu’il y avait vécu plus de quinze ans, il semblait s’être préparé à s’enfuir à tout instant. Le seul objet un peu personnel était un vaste aquarium qui occupait l’espace libre entre deux armoires. Il était éteint et dans l’eau verdâtre on voyait aller et venir vers la lumière quelques beaux spécimens de poissons tropicaux.
Aurel était occupé à scruter cette surprenante intimité quand une voix derrière lui le fit sursauter.
— Bonjour, monsieur le Consul.
Il se retourna vivement et vit la jeune femme qu’on appelait Lucrecia, debout sur la terrasse. Il l’avait souvent croisée quand il habitait l’hôtel mais n’avait jamais entendu le son de sa voix. Longtemps, il s’était imaginé qu’elle faisait partie du personnel. Quand Béliot était rentré de l’hôpital, il l’avait vue prendre soin de lui tout comme Françoise. Mais, à la différence de celle-ci, Lucrecia était admise à entrer dans la chambre du maître de maison. Il avait même semblé à Aurel qu’elle y passait la nuit. Il avait cependant fallu les confidences de Françoise pour qu’il pût croire que Lucrecia était bien la maîtresse de Béliot. Cette idée, à cause de la différence d’âge sans doute, lui paraissait incongrue et scandaleuse. Mais ce matin, quand elle le surprit en train d’inspecter la chambre, Aurel s’avisa qu’en effet elle était à un stade avancé de grossesse.
— Vous cherchez quelque chose ?
La jeune femme parlait d’une voix douce, un peu rauque. Son expression était grave et même triste. Aurel la dévisagea. Ses traits étaient d’une extrême jeunesse mais les formes de son corps lui donnaient l’apparence d’une maturité bien plus grande. Sa coiffure se voulait naturelle mais un long travail avait dû être nécessaire pour donner à ses cheveux une telle teinte acajou et leur faire prendre cette ondulation savante. Elle parlait un français sans accent, avec des intonations travaillées qu’elle avait dû imiter de la télévision.
— Je regardais où vivait Roger Béliot, bredouilla Aurel.
Il se tourna vers la pièce et un instant l’un et l’autre gardèrent les yeux fixés sur la chambre.
— C’est… assez sommaire, comme installation.
— Il gardait toutes ses affaires autour de lui, précisa Lucrecia. Il ne voulait pas que des choses qui lui appartenaient soient dispersées ailleurs. La nuit, il déballait ses armoires, juste pour vérifier ce qu’il y avait dedans.
Elle parlait avec un certain détachement, comme si elle décrivait les mœurs d’un animal sauvage.
Elle sortit et Aurel la rejoignit sur la terrasse.
— Ne restez pas debout, s’empressa-t-il.
— Tout va bien, merci, répondit-elle, en mettant la main sur son ventre. Mais oui, asseyons-nous. Est-ce que je peux vous servir quelque chose à boire ?
Aurel avait bien envie de répondre « un verre de blanc », mais il ne voulait pas qu’elle saisisse ce prétexte pour s’enfuir à la cuisine. Le contact était pris ; il ne fallait pas le rompre.
— Rien, merci. Si je ne vous dérange pas, j’aimerais bien parler avec vous un instant.
— Comme vous voudrez.
Cette expression semblait assez bien résumer la personnalité de cette fille. Il sentait en elle quelque chose de résigné. Mais cet abandon n’était pas douloureux. C’était le prix à payer pour une complète liberté. Derrière le paravent de cette impassibilité, on sentait qu’elle cultivait un petit monde de rêves et de désirs qui lui suffisait.
— J’ai rendu visite à Françoise Béliot en prison.
— Comment va-t-elle ?
— Mal. Elle ne supporte pas d’être accusée du meurtre de son mari.
— Je la comprends.
— La croyez-vous capable d’avoir tué… ?
Aurel chercha comment désigner Béliot. Mais il se dit que c’était clair comme ça. La fille battit des cils. Pour la première fois, elle laissait deviner une émotion, une ébauche de révolte. Elle se reprit aussitôt et dit de la même voix calme :
— Elle aimait beaucoup trop Roger.
— Tout de même… elle lui faisait un procès. Vous le saviez ?
Lucrecia eut un imperceptible haussement d’épaules.
— C’étaient leurs relations. Depuis qu’elle l’a quitté, il y a plus de vingt ans, elle n’a jamais cessé de lui demander de l’argent. Et il n’a jamais refusé de lui en donner.
— Elle prétend qu’elle s’est retrouvée dans la misère et qu’elle est revenue à cause de cela.
— Ce ne sont pas mes affaires mais je sais ce que m’en a dit Roger, et elle aussi d’ailleurs. Il l’a aidée financièrement jusqu’à ce que leurs enfants soient grands. Ensuite, il a jugé qu’elle pouvait se débrouiller seule. C’est à ce moment-là qu’elle est venue ici demander sa part de l’hôtel.
— Vous pensez que c’était légitime ?
Lucrecia baissa les yeux et regarda ses mains. Elles étaient soigneusement manucurées et garnies de faux ongles recouverts d’un vernis émeraude, semé de paillettes.
— Je n’ai pas d’avis là-dessus.
— Tout de même, ils avaient des relations tendues depuis qu’elle était revenue ?
— Ils n’avaient pas de relations du tout. Roger ne lui adressait pas la parole.
— Et vous ?
— Moi, je m’entendais bien avec elle. C’est une femme généreuse.
— Elle prétend…
Aurel se troubla car les questions sexuelles le mettaient toujours mal à l’aise. Devant cette Lucrecia, fille pulpeuse, tout en chair et en rondeurs, évoquer des questions intimes risquait, comme de l’eau versée sur un acide, de faire éclater des vapeurs sensuelles qu’il redoutait.
— … que vous auriez connu M. Béliot très jeune.
— C’est exact. À treize ans.
Elle avait dit cela avec un grand naturel.
— C’est… un peu tôt.
Lucrecia haussa les épaules. Aurel sentit qu’elle n’avait pas très envie de s’exprimer sur cette question. Il préféra changer de sujet.
— Vous n’étiez pas dans l’hôtel le soir du crime.
— J’ai voyagé chez mes cousins dans le Nord. Mon oncle est mort la semaine d’avant et il y avait une grande cérémonie sur plusieurs jours. C’est comme ça chez nous.
— Quand étiez-vous partie ?
Aurel avait posé sa question très directement et elle ne parut pas s’étonner de cet interrogatoire. Il fallait pourtant qu’il y prenne garde. Il n’était plus dans son rôle de Consul.
— Deux jours avant la mort de Roger.
— Et, bien sûr, il ne se doutait de rien. Il ne vous a pas fait de confidences ? Vous n’avez pas senti qu’il avait peur ?
Elle réfléchit un long instant. Il semblait que tout, chez cette fille, était marqué par un sérieux, une gravité qui contrastaient avec la futilité apparente de sa vie.
— Si. Il avait peur depuis quelque temps.
— Peur de quoi ?
— Il ne me l’a pas dit.
— C’était lié à la présence de Françoise ?
Il se fit tout à coup un étrange silence. Aurel mit un moment à se rendre compte que c’était le ronronnement des frigos qui s’était arrêté. Presque au même instant, une pétarade démarra au fond du jardin.
— Coupure de courant, dit-elle machinalement. C’est le gros générateur qui s’allume…
Aurel se souvint que ce genre de panne était fréquent quand il séjournait à l’hôtel.
— Je vous demandais si, à votre avis, M. Béliot avait peur depuis que Françoise était revenue ?
— C’est à peu près de ce moment-là que ça date. Mais je ne sais pas s’il y a un rapport. Peut-être que ça avait plutôt à voir avec ses affaires.
— À propos de quoi, par exemple ?
Lucrecia haussa les épaules.
— Il ne m’a jamais mêlée à ses affaires.
— Vous avez remarqué que des gens particuliers venaient le voir, ces derniers temps ?
— Non, toujours ses mêmes relations.
— Vous connaissez leur nom ?
— Certains.
— Lesquels ? Vous voulez bien me donner des exemples ?
— Piotr.
— Piotr ?
— Vous ne le connaissez pas ? C’est vrai qu’on ne l’a pas vu depuis un moment.
— C’est un Mozambicain, ce Piotr ?
— Non. Je ne sais pas très bien d’où il vient. De Russie, peut-être, ou d’Ukraine, de Pologne… Enfin, par là.
— Qu’est-ce qu’il faisait avec Béliot ?
— Roger l’a aidé quand il est arrivé dans le pays. C’est un genre de réfugié.
— Il est jeune ?
— Une trentaine d’années.
— Et quel était son rôle ?
— Un peu l’homme à tout faire. Il s’occupait des affaires de Roger. Il portait des messages pour lui, ce genre de choses.
— Et aujourd’hui, vous savez où il est, ce Piotr ?
— Il avait disparu avant mon départ. J’ai supposé que Roger l’avait envoyé en mission, comme ça arrivait parfois.
— Et il n’est pas réapparu.
— Je ne l’ai pas vu ici, en tout cas.
Aurel regarda sa montre. Le temps de rentrer à l’ambassade, la réunion des chefs de service aurait pris fin et Mortereau serait déjà en train de le chercher partout.
— Une dernière question, Lucrecia.
Elle attendait calmement. Aurel l’imaginait ainsi : capable d’attendre des heures sans dire un mot, livrée à une vie intérieure mystérieuse.
— Béliot avait un coffre dans sa chambre. Il semblerait qu’il ait été fracturé. Savez-vous ce qu’il y avait dedans ?
— Rien.
— Comment cela ?
— Il m’avait souvent donné la clef pour que j’aille y déposer des choses. C’était un petit coffre comme il y en a dans les chambres de l’hôtel, pour que les touristes déposent leur passeport et leur carte de crédit. Il mettait des papiers là-dedans quand il n’avait pas le temps d’envoyer quelqu’un à la banque ou à la poste.
— Quel genre de papiers ?
— Des quittances, des factures, des choses sans importance.
— Pas de documents officiels, d’actes notariés ?
— Je n’en ai jamais vu.
Aurel rangea son petit carnet et se leva pour prendre congé.
— Le bébé, c’est pour quand ?
— Dans six semaines à peu près, je pense.
— Et qu’est-ce que vous allez faire ? Béliot vous a laissé quelque chose ?
— Je ne crois pas. Il ne m’avait jamais rien dit à ce propos. Il n’aimait pas qu’on parle de sa mort.
— Vous allez rester ici ?
— Sûrement pas. Sa femme ne va pas le permettre.
— Sa femme ?
— Fatoumata.
— Ah oui. Fatoumata. Alors ? Qu’est-ce que vous allez devenir ?
Lucrecia haussa les sourcils et Aurel comprit qu’il était inutile de l’interroger davantage sur le futur. Le futur était une dimension de l’existence qu’elle n’avait pas pour ambition de maîtriser. Arriverait ce qui arriverait. Il se dit que la vie aurait été plus agréable pour lui s’il avait été capable de voir les choses ainsi…