Portrait de M. R. D. fait par luimême

Je suis d’une taille médiocre, libre et bien proportionnée. J’ai le teint brun mais assez uni, le front élevé et d’une raisonnable grandeur, les yeux noirs, petits et enfoncés, et les sourcils noirs et épais, mais bien tournés. Je serais fort empêché à dire de quelle sorte j’ai le nez fait, car il n’est ni camus ni aquilin, ni gros ni pointu, au moins à ce que je crois. Tout ce que je sais, c’est qu’il est plutôt grand que petit, et qu’il descend un peu trop en bas. J’ai la bouche grande, et les lèvres assez rouges d’ordinaire, et ni bien ni mal taillées. J’ai les dents blanches, et passablement bien rangées. On m’a dit autrefois que j’avais un peu trop de menton: je viens de me tâter et de me regarder dans le miroir pour savoir ce qui en est, et je ne sais pas trop bien qu’en juger. Pour le tour du visage, je l’ai ou carré ou en ovale; lequel des deux, il me serait fort difficile de le dire. J’ai les cheveux noirs, naturellement frisés, et avec cela assez épais et assez longs pour pouvoir prétendre en belle tête. J’ai quelque chose de chagrin et de fier dans la mine; cela fait croire à la plupart des gens que je suis méprisant, quoique je ne le sois point du tout. J’ai l’action fort aisée, et même un peu trop, et jusques à faire beaucoup de gestes en parlant. Voilá naïvement comme je pense que je suis fait audehors, et l’on trouvera, je crois, que ce que je pense de moi lá-dessus n’est pas fort éloigné de ce qui en est. J’en userai avec la même fidélité dans ce qui me reste à faire de mon portrait; car je me suis assez étudié pour me bien connaître, et je ne manque ni d’assurance pour dire librement ce que je puis avoir de bonnes qualités, ni de sincérité pour avouer franchement ce que j’ai de défauts. Premiérement, pour parler de mon humeur, je suis mélancolique, et je le suis à un point que depuis trois ou quatre ans à peine m’a-t-on vu rire trois ou quatre fois. J’aurais pourtant, ce me semble, une mélancolie assez supportable et assez douce, si je n’en avais point d’autre que celle qui me vient de mon tempérament; mais il m’en vient tant d’ailleurs, et ce qui m’en vient me remplit de telle sorte l’imagination, et m’occupe si fort l’esprit, que la plupart du temps ou je rêve sans dire mot ou je n’ai presque point d’attache à ce que je dis. Je suis fort resserré

Portrait of Monsieur R———d, by Himself

I am of average height, well-built and well-proportioned. My complexion is dark, but fairly uniform; my forehead is high and reasonably broad; my eyes are dark, small, and deep-set, and my eyebrows black and thick, but well-shaped. I would be hard-pressed to say what kind of nose I have; for it is neither snub, nor aquiline, nor thick, nor pointed, at least I do not think so; all I know is that it is on the large rather than the small side, and that it comes down a little too low. My mouth is large, and my lips usually rather red, neither well-nor ill-shaped. My teeth are white and passably regular. I have been told that my chin was somewhat too prominent; I have just examined myself and looked in the mirror to see if this is so, and I am not quite sure what to think. As for the shape of my face, it is either square or oval—but which of the two, I would find it very hard to say. My hair is black, naturally curled, thick enough and long enough for me to claim that I have a fine head of hair. I look somewhat gloomy and proud; this makes most people think me disdainful, although I am nothing of the kind. I move with ease, even with too much ease, to the extent that I gesticulate a great deal while talking. That, without any pretence, is how I think I look from the outside, and people will find, I believe, that my thoughts on the subject are not far from the truth. I shall deal just as faithfully with the rest of my portrait, because I have studied myself enough to know myself well, and I shall lack neither the assurance to state openly any good qualities I may have, nor the sincerity to acknowledge frankly whatever faults I have. To speak first of my temperament, I am melancholy—to such a degree that, in the last three or four years, I have hardly been seen to laugh three or four times. Nevertheless, I think my melancholy would be fairly tolerable and fairly gentle if it came only from my temperament; but so much of it comes from other sources, and it fills my imagination and busies my mind to such an extent, that most of the time I am either daydreaming without uttering a word or else giving very little attention to what I am saying. I am very reserved with people I do not know, and avec ceux que je ne connais pas, et je ne suis pas même extrêmement ouvert avec la plupart de ceux que je connais. C’est un défaut, je le sais bien, et je ne négligerai rien pour m’en corriger; mais comme un certain air sombre que j’ai dans le visage contribue à me faire paraître encore plus réservé que je ne le suis, et qu’il n’est pas en notre pouvoir de nous défaire d’un méchant air qui nous vient de la disposition naturelle des traits, je pense qu’aprés m’être corrigé au-dedans, il ne laissera pas de me demeurer toujours de mauvaises marques au-dehors. J’ai de l’esprit et je ne fais point difficulté de le dire; car à quoi bon façonner lá-dessus? Tant biaiser et tant apporter d’adoucissement pour dire les avantages que l’on a, c’est, ce me semble, cacher un peu de vanité sous une modestie apparente et se servir d’une maniére bien adroite pour faire croire de soi beaucoup plus de bien que l’on n’en dit. Pour moi, je suis content qu’on ne me croie ni plus beau que je me fais, ni de meilleure humeur que je me dépeins, ni plus spirituel et plus raisonnable que je dirai que je le suis. J’ai donc de l’esprit, encore une fois, mais un esprit que la mélancolie gâte; car, encore que je possède assez bien ma langue, que j’aie la mémoire heureuse, et que je ne pense pas les choses fort confusément, j’ai pourtant une si forte application à mon chagrin que souvent j’exprime assez mal ce que je veux dire. La conversation des honnêtes gens est un des plaisirs qui me touchent le plus. J’aime qu’elle soit sérieuse et que la morale en fasse la plus grande partie; cependant je sais la goûter aussi quand elle est enjouée, et si je n’y dis pas beaucoup de petites choses pour rire, ce n’est pas du moins que je ne connaisse bien ce que valent les bagatelles bien dites, et que je ne trouve fort divertissante cette maniére de badiner où il y a certains esprits prompts et aisés qui réussissent si bien. J’écris bien en prose, je fais bien en vers, et si j’étais sensible à la gloire qui vient de ce côté-lá, je pense qu’avec peu de travail je pourrais m’acquérir assez de réputation. J’aime la lecture en général; celle où il se trouve quelque chose qui peut façonner l’esprit et fortifier l’âme est celle que j’aime le plus. Surtout, j’ai une extrême satisfaction à lire avec une personne d’esprit; car de cette sorte on réfléchit à tous moments sur ce qu’on lit, et des réflexions que l’on fait il se forme une conversation la plus agréable du monde, et la plus utile. Je juge assez bien des ouvrages de vers et de prose que l’on me montre; mais j’en dis peut-être mon sentiment avec un peu trop de liberté. Ce qu’il y a encore de mal en moi, c’est que j’ai quelquefois une délicatesse trop I am not particularly open even with most of the people I do know. This is a fault, I know that, and I shall leave no stone unturned to correct it; but since a certain air of gloom on my face tends to make me look even more reserved than I really am, and since it is not in our power to rid ourselves of a bad expression caused by the innate arrangement of our features, I think that when I have corrected myself inwardly, I shall still be left with unpleasant signs outwardly. I am intelligent, and I have no trouble saying so; what is the good of being coy about it? To state your advantages too evasively and too gently is, in my opinion, to hide a bit of vanity under a show of modesty; it is a skilful way to make people think much better of you than you say. For my part, I am content to be thought no finer than I make myself out to be, no better-tempered than I portray myself as being, no more intelligent and no more reasonable than I am. I repeat then that I am intelligent, but my intelligence is spoiled by melancholy, because, although I have a fairly good command of words, a fortunate memory, and I can think without too much confusion, still I am so concerned with my own discomfort that I often express rather badly what I am trying to say. The conversation of honorable people is one of the pleasures that affects me most deeply. I like it to be serious and mainly devoted to moral subjects. However, I also have a taste for it when it is playful; and if I do not utter many little jokes, that is not because I underrate the value of well-phrased trifles or because I fail to get much amusement from that kind of banter, at which certain quick, fluent minds succeed so well. I write good prose, I compose good verse; and if I were sensitive to the glory that comes from such things, I think I could, with a little work, gain rather a reputation. I like reading in general; I like best the kind that contains something to shape the mind and strengthen the soul. Above all, I derive the greatest pleasure from reading in the company of an intelligent person, because in such a situation you are constantly reflecting on what you are reading; and your reflections can form conversation of the most attractive and useful kind. I am a fairly good judge of works in verse and prose, when they are shown me; but I may express my feelings a little too freely. Another of my bad points is the fact that I am sometimes too scrupulous and too scrupuleuse, et une critique trop sévère. Je ne hais pas à entendre disputer, et souvent aussi je me mêle assez volontiers dans la dispute: mais je soutiens d’ordinaire mon opinion avec trop de chaleur et lorsqu’on défend un parti injuste contre moi, quelquefois, à force de me passionner pour celui de la raison, je deviens moi-même fort peu raisonnable. J’ai les sentiments vertueux, les inclinations belles, et une si forte envie d’être tout à fait honnête homme que mes amis ne me sauraient faire un plus grand plaisir que de m’avertir sincérement de mes défauts. Ceux qui me connaissent un peu particuliérement et qui ont eu la bonté de me donner quelquefois des avis là-dessus savent que je les ai toujours reçus avec toute la joie imaginable, et toute la soumission d’esprit que l’on saurait désirer. J’ai toutes les passions assez douces et assez réglées: on ne m’a presque jamais vu en colère et je n’ai jamais eu de haine pour personne. Je ne suis pas pourtant incapable de me venger, si l’on m’avait offensé, et qu’il y allât de mon honneur à me ressentir de l’injure qu’on m’aurait faite. Au contraire je suis assuré que le devoir ferait si bien en moi l’office de la haine que je poursuivrais ma vengeance avec encore plus de vigueur qu’un autre. L’ambition ne me travaille point. Je ne crains guêre de choses, et ne crains aucunement la mort. Je suis peu sensible à la pitié, et je voudrais ne l’y être point du tout. Cependant il n’est rien que je ne fisse pour le soulagement d’une personne affligée, et je crois effectivement que l’on doit tout faire, jusques à lui témoigner même beaucoup de compassion de son mal, car les misérables sont si sots que cela leur fait le plus grand bien du monde; mais je tiens aussi qu’il faut se contenter d’en témoigner, et se garder soigneusement d’en avoir. C’est une passion qui n’est bonne à rien au-dedans d’une âme bien faite, qui ne sert qu’à affaiblir le cœur et qu’on doit laisser au peuple qui, n’exécutant jamais rien par raison, a besoin de passions pour le porter à faire les choses. J’aime mes amis, et je les aime d’une façon que je ne balancerais pas un moment à sacrifier mes intérêts aux leurs; j’ai de la condescendance pour eux, je souffre patiemment leurs mauvaises humeurs et j’en excuse facile-ment toutes choses; seulement je ne leur fais pas beaucoup de caresses, et je n’ai pas non plus de grandes inquiétudes en leur absence. J’ai naturellement fort peu de curiosité pour la plus grande partie de tout ce qui en donne aux autres gens. Je suis fort secret, et j’ai moins de difficulté que personne à taire ce qu’on m’a dit en confidence. Je suis extrémement régulier à ma parole; je n’y manque severely critical. I do not dislike listening to arguments, indeed, quite often I take part in the argument willingly enough; but I usually expound my opinion too heatedly; and when someone is defending an unjust cause against me, I sometimes become so passionate for the cause of reason that I grow quite unreasonable myself. My feelings are virtuous, and I am naturally inclined to what is good; so strongly do I wish to be in all respects a man of honor that my friends could give me no greater pleasure than by sincerely showing me my faults. People who know me at all intimately, and who have been kind enough to give me such advice from time to time, will recognize that I have always accepted it with the greatest possible joy and in the most submissive spirit that anyone could desire. All my passions are fairly gentle and fairly well regulated; I have hardly ever displayed a fit of anger, and I have never hated anyone. However, I would not be incapable of taking revenge if I were offended and if it were a point of honour to show resentment for the insult. On the contrary, I feel sure that my sense of duty would take the place of hatred so effectively that I would pursue my revenge even more vigorously than another person might do. I am not troubled by ambition at all. I am not afraid of many things, and I have absolutely no fear of death. I have very little sensitivity to pity, and I wish I had none at all. However, there is nothing I would not do to comfort people in distress; and in fact I believe we should do everything possible, even to the extent of showing great compassion for their sufferings—for unhappy people are so foolish that this can do them all the good in the world. But I also hold that we should be content to show pity, and be careful not to harbour it ourselves. It is a passion that serves no good purpose in a healthy soul; it tends only to weaken the heart, and it should be left to the common people, who never do anything on the basis of reason and therefore need the help of the passions to prompt them to action. I am fond of my friends—so fond of them that I would not for a moment hesitate to sacrifice my own interests to theirs. I am indulgent toward them; I endure their spells of bad temper patiently, and I readily excuse everything they do; yet I do not make many displays of affection, and I am not very anxious when they are absent. By nature I have very little curiosity about most of the things that make other people curious. I am very secretive, and no one has less difficulty keeping silent about anything that he has been told in confidence. I am very particular about keeping my word; jamais, de quelque conséquence que puisse être ce que j’ai promis et je m’en suis fait toute ma vie une loi indispensable. J’ai une civilité fort exacte parmi les femmes, et je ne crois pas avoir jamais rien dit devant elles qui leur ait pu faire de la peine. Quand elles ont l’esprit bien fait, j’aime mieux leur conversation que celle des hommes: on y trouve une certaine douceur qui ne se rencontre point parmi nous, et il me semble outre cela qu’elles s’expliquent avec plus de netteté et qu’elles donnent un tour plus agréable aux choses qu’elles disent. Pour galant, je l’ai été un peu autrefois; présentement je ne le suis plus, quelque jeune que je sois. J’ai renoncé aux fleurettes et je m’étonne seulement de ce qu’il y a encore tant d’honnêtes gens qui s’occupent à en débiter. J’approuve extrêmement les belles passions: elles marquent la grandeur de l’âme, et quoique dans les inquiétudes qu’elles donnent il y ait quelque chose de contraire à la sévére sagesse, elles s’accommodent si bien d’ailleurs avec la plus austére vertu que je crois qu’on ne les saurait condamner avec justice. Moi qui connais tout ce qu’il y a de délicat et de fort dans les grands sentiments de l’amour, si jamais je viens à aimer, ce sera assurément de cette sorte; mais, de la façon dont je suis, je ne crois pas que cette connaissance que j’ai me passe jamais de l’esprit au cœur.

 

I never break it, whatever the importance of the promise—I have made that an unshakeable rule all my life. I am meticulously polite with women, and I do not think I have ever said anything in a woman’s presence that could have caused her pain. When women are intelligent I like their conversation better than men’s; it has a certain gentleness that is not found in ours; besides, it seems to me that they express themselves more clearly and give a more attractive turn to their remarks. As for love affairs, I have had a few in the past; but I no longer do so, even though I am still young. I have given up flirting, and I can only wonder that so many people of honor still spend their time indulging in it. I wholeheartedly approve of the noble passions; they are the sign of true greatness of soul; and though the anxiety they cause is contrary to austere wisdom in some respects, they are otherwise so much in keeping with the strictest virtue that I do not think they could justly be condemned. I myself, knowing just how strong and delicate the most intense feelings of love are, would surely fall in love like that, if I ever fell in love at all; but, being made the way I am, I do not think this knowledge of mine will ever pass from my mind to my heart.