Après venait la réconciliation. Elle aussi suivait un schéma prédéterminé. Mais, cette fois-ci, Tommy eut du mal à la réveiller. Ariadne ne dormait pas, c’était impossible dans ce cagibi étroit. L’endroit était plein à craquer et pauvre en oxygène. Il s’agissait plutôt d’une espèce d’inconscience d’où elle devinait quand même son inquiétude grandissante. Elle s’était évanouie sous le coup de la douleur provoquée dans ses articulations et ses muscles par le fait d’être restée assise, recroquevillée, dans une position si peu naturelle. Son sang s’était amassé dans ses pieds et certaines parties de son corps s’étaient engourdies. Il lui touchait le menton, s’évertuant à la ramener à la vie, tournant sa tête d’avant en arrière.
Son odeur possédait un caractère particulier ; une odeur chimique de peur se dégageait de la transpiration froide qui coulait à présent de ses paumes. Elle la reconnut ; c’était la même que la fois dernière et la précédente, ces fois où il l’avait frappée plus durement qu’à l’accoutumée.
Cependant, il ne l’avait jamais autant maltraitée que la veille.
Voilà à quoi elle pensait tandis qu’elle était enfermée dans le cagibi, remisée avec tous les objets qui leur appartenaient, pour lesquels ils n’avaient pas de place et qu’ils devaient donc entasser dans cet espace réduit car la maison ne possédait ni grenier ni cave. Des cartons, des décorations de Noël, des tables et des chaises supplémentaires, des chaussures d’hiver, un vieil ordinateur ainsi que les pièces du lit à barreaux dans lequel Christa dormait quand elle était bébé.
Une douleur lancinante se manifestait dans sa mâchoire ; elle tendait l’oreille en quête d’un bruit, de la voiture ; elle cherchait autour de sa bouche du bout de la langue, et tout à coup, un objet dur tomba dans sa main. Une de ses dents.
Elle pleura alors pour la première fois de la soirée et perdit conscience.
Il la porta jusqu’au lit, mais il n’était plus aussi fort ; ses muscles avaient perdu de leur vigueur et il devait marquer de brèves pauses. Il la déposa sur les draps et déplia ses bras et ses jambes.
— Ariadne, réponds-moi !
À ce stade, elle était en position de supériorité ; il ne s’en rendait pas compte, elle seule le savait. Mais elle n’en retirait aucun sentiment de triomphe ou de bonheur.
— Est-ce que tu veux quelque chose à boire ? Est-ce que tu as soif ? Je vais aller te chercher une boisson.
Sa bouche était fermée tandis que les mains de Tommy se déplaçaient sur son corps de manière erratique, cherchant les boutonnières et ouvrant ses vêtements. Il laissait les lumières éteintes. Elle le savait. C’était toujours ainsi parce qu’il ne supportait pas de voir les marques noires et bleues ; ce n’était certainement pas lui qui en était responsable, pas un mari aimant comme lui.
Le matelas était si mou qu’il l’empêchait de bouger. Il lui retira son pull et son soutien-gorge, mais lui laissa sa culotte. Il l’enveloppa dans ses bras. Si seulement il pouvait la rouler dans un linceul, si seulement elle n’avait plus à se réveiller, si seulement ce jour arrivait ! Sa violence à son égard ne cessait de croître et les quelques coups de poing et claques étaient devenus des passages à tabac purs et simples. Comment pourrait-il expliquer sa mort à ses collègues de travail ? Oh, il s’en sortirait sans doute avec un mensonge. Il raconterait qu’un psychopathe l’avait attaquée et qu’il l’avait découverte en sang sur les marches extérieures. La découperaient-ils alors en quête de blessures plus anciennes ? Interrogeraient-ils Christa ?
Elle sentit un verre frais contre sa lèvre inférieure. Son bras sous sa nuque.
— Essaie de boire un peu, tu te sentiras mieux, ma pauvre petite ; essaie d’ouvrir ta bouche à présent.
Un goût fort contre ses gencives et sa langue, une boisson alcoolisée.
Où est Christa ? Est-ce que ma fille est endormie ? Où est-elle ?
Si elle venait à mourir, s’il la battait à mort, Christa se retrouverait alors seule avec son père. Non. Ce n’était pas possible. Elle avala ; le breuvage descendit dans sa gorge. Elle se força à ouvrir les yeux. Il se pencha au-dessus d’elle telle une ombre énorme. Elle ne distinguait pas ses traits, mais elle déchiffra son langage corporel et vit qu’il était fatigué. Il était las d’être le bras armé ; maintenant, il fallait qu’elle l’enlace rapidement et qu’elle lui pardonne. Il allait retirer son jean et son tee-shirt blanc avant de se glisser dans le lit à côté d’elle. Il se collerait derrière elle et l’attirerait à lui. Elle sentirait son membre faible et au repos, mais après un très, très court instant, il se réveillerait par brefs soubresauts et grossirait contre elle. Il baisserait sa culotte et la prendrait de côté, la pénétrant avec douceur et précaution, pour ne plus lui faire mal ou la blesser. Il presserait son oreille contre son visage et l’attendrait, ne s’arrêtant que lorsqu’elle lâcherait un gémissement sanglotant pouvant tout aussi bien être de la douleur que du plaisir. Alors seulement il roulerait de son côté du lit et s’endormirait.