Vers 500 avant J.-C., dans une cité appelée Kapilavastu, située sur les rives de la rivière Rohini dans ce qui est aujourd’hui le Népal, se trouvait une tribu nommée les Sakyas. La rivière montait 60 ou 80 kilomètres au nord de leur village dans les saillies de l’imposante Himalaya, dont les pics immenses tranchaient dans le bleu clair du ciel indien. Les Sakyas avaient pénétré plus à l’est du territoire que toutes les autres tribus voisines, mais d’un côté, dans cette même direction, se trouvait la puissante confédération des Licchavis et la montée en puissance du royaume de Magadha, alors que de l’autre, vers l’ouest, s’avançaient les terres les plus sacrées des Brahmanes. Leurs plus proches voisins à craindre étaient les sujets du roi de Sravati, le rival du roi de Magadha. C’était cette rivalité plus que leur propre force qui avait assuré aux Sakyas une indépendance précaire. Cependant, ils étaient suffisamment forts pour se protéger eux-mêmes contre les incursions des groupes de nomades venus des collines et pour subsister aux querelles qu’ils pouvaient avoir avec les clans voisins de même puissance. Ils se nourrissaient grâce à leurs bétails et à leurs champs de riz. Le ravitaillement en eau s’effectuait grâce à la rivière Rohini, sur l’autre rive où vivaient les Koliyans, une tribu amie.
Les Sakyas se querellaient parfois avec les Koliyans pour la possession de la source d’eau, mais à cette période, les deux clans étaient en paix et deux des filles du raja, ou chef, des Koliyans étaient les femmes de Suddhodana, le raja des Sakyas. L’histoire nous raconte que ces deux femmes n’ont pas eu d’enfant, un grand malheur en tout temps et en tout lieux, mais encore plus à cette époque et dans cette culture où il était coutume de croire que l’existence d’un homme après la mort dépendait des cérémonies réalisées par les siens. Par conséquent, le bonheur fut grand lorsqu’à l’âge de 45 ans, l’aînée des deux sœurs offrit un enfant à Suddhodana. Selon la tradition, elle prit la route avec l’intention de se rendre chez ses parents pour y accoucher, mais c’est sur la route, à l’ombre des nobles arbres d’un agréable bosquet nommé Lumbini, et contre toute attente, que son fils, le futur Bouddha, naquit. La mère et l’enfant furent ramenés chez Suddhodana, où sept jours plus tard y mourut la mère. Cependant, le garçon trouva une nourrice attentionnée dans la sœur de sa mère, l’autre femme de son père.
[Date : -80 EB (Ère bouddhiste)]
Asita le voyant, dans sa méditation de la mi-journée,
vit les devas du Groupe des Trentes
— exultant, extatiques —
vêtus de blanc pur, honorant Indra,
portant des bannières, se réjouissant follement,
et voyant les devas si joyeux et heureux,
leur ayant présenté ses respects, il dit :
« Pourquoi la communauté des devas
est-elle si follement exaltée ?
Pourquoi portent-ils des bannières
et les agitent-ils partout ?
Même après la guerre contre les Asuras
— quand la victoire appartint aux devas,
les Asuras vaincus —
même alors il n’y eut pas une telle excitation.
C’est à se demander quelle est la merveille
qui a mit tant en joie les devas ?
Ils crient,
ils chantent,
jouent de la musique,
battent des mains,
dansent.
Je vous le demande donc, vous qui vivez au sommet du Mont Meru.
Je vous en prie, dissipez vite mes doutes, chers messieurs. »
« Le Bodhisattva, le joyau suprême,
inégalé,
est né pour le bien-être et le confort
du monde humain,
dans une cité du pays Sakya,
Lumbini.
C’est pour cela que nous sommes tous si follement exaltés.
Lui, le plus élevé de tous les êtres,
la personne suprême,
un taureau parmi les hommes, le plus éminent des hommes,
qui mettra en marche la Roue [du Dharma]
dans le bosquet nommé d’après les voyants,
comme un lion fort et rugissant,
le conquérant des bêtes. »
Ayant entendu ces paroles,
Asita descendit rapidement [du ciel]
et s’en alla à la demeure de Suddhodana.
Là, prenant un siège, il dit aux Sakyas :
« Où est le prince ?
Moi aussi, je veux le voir. »
Les Sakyas montrèrent alors
au voyant du nom d’Asita
leur fils, le prince,
comme une flèche en or,
brunie par le plus habile forgeron
dans la gueule de la fournaise,
flamboyant de gloire, d’une couleur parfaite.
En voyant le prince flamboyer telle une flamme,
pur comme le taureau des étoiles
qui passe dans le ciel
— le soleil brûlant,
libéré des nuages de l’automne —
il était exultant, empli d’un abondant ravissement.
Les devas tinrent dans le ciel
un pare-soleil aux nombreux rayons
de mille cercles.
Des fouets aux poignées d’or
ondulaient de haut en bas,
mais ceux qui les tenaient
ne pouvaient être vus.
Le voyant aux cheveux emmêlés
appelé Sombre Splendeur,
en voyant le garçon, comme un ornement d’or
sur la couverture de laine rouge,
un pare-soleil tenu au-dessus de la tête,
le reçut, heureux et content.
Et en recevant le taureau des Sakyas,
avec envie, le maître des mantras et des signes
s’exclama d’un esprit confiant :
« Celui-ci est inégalé,
le plus élevé de la race bipède. »
Alors, entrevoyant son propre départ imminent,
lui, dépité versa des larmes.
En le voyant pleurer,
les Sakyas demandèrent :
« Mais certes vous ne voyez venir
aucun danger pour le prince ? »
En voyant la préoccupation des Sakyas
il répliqua « Je n’entrevois pour le prince
aucun mal.
Il n’y aura pas le moindre danger pour lui.
Celui-ci n’est pas de basse naissance : soyez-en assurés.
Ce prince touchera
l’éveil suprême par lui-même.
Lui, voyant la pureté suprême,
mettra en marche la Roue du Dharma
par sympathie et pour le bien-être du plus grand nombre.
Sa vie sainte s’étendra en long et en large.
Mais quant à moi,
ma vie ici n’en a plus pour longtemps ;
ma mort aura lieu bien avant.
Je ne pourrai jamais entendre
le Dharma de celui-ci au rôle sans égal.
C’est pour cela que je suis frappé,
affligé et peiné. »
[Snp III.11]