Désert : « lieu inhabité », dit le Petit Larousse, qui précise aussitôt après : « région caractérisée par une grande sécheresse […] entraînant la pauvreté extrême de la végétation et une très grande faiblesse du peuplement ». Le mot aridité serait préférable à celui de sécheresse, qui exprime une situation météorologique, plus ou moins brève ou prolongée, à l'intérieur d'une zone climatique déterminée, qui sera alors plus ou moins aride. De même la notion de faiblesse du peuplement n'est pas le corollaire obligé de la sécheresse : il existe des « déserts humains » très humides, comme la montagne par exemple. Il reste que la pluviométrie, dans la bande subtropicale, est un moyen commode de définition des zones arides. On se réfère le plus souvent pour cela à un découpage en trois niveaux : une zone semi-aride, entre 300 et 150 millimètres de pluie par an, une zone aride, entre 130 et 70 millimètres, et une zone hyperaride, en dessous de 70 millimètres.
Le désert Libyque entre dans cette dernière catégorie, dont il est d'ailleurs le « champion » : si le Sahara dans son ensemble reçoit moins de 100 millimètres de pluie par an, le désert Libyque, lui, en reçoit moins de 5… On se demande d'ailleurs ce que peuvent bien signifier des « moyennes » de 1,9 mm à Koufra, 1,2 à Kharga, ou même 0,2 à Dakhla, sinon qu'il n'y pleut jamais vraiment.
Lors de notre expédition, en mars 1993, il a « plu » alors que nous campions en plein désert calcaire de Dakhla. Certains de nos compagnons ne s'en sont même pas aperçus…
On cite même une oasis près de Kebabo où il n'est jamais tombé une seule goutte d'eau, de mémoire humaine.
Mais en 1874, alors que l'explorateur allemand Rohlfs tentait de traverser la Grande Mer de sable, région aride par excellence, il sera cloué durant plus de quarante-huit heures entre deux dunes par des trombes d'eau ! À tel point qu'il nommera cet endroit le Regenfeld ou « champ de pluie ». Il est important de préciser qu'une pluie pareille n'arrive que tous les cent cinquante ou deux cents ans.
Il n'empêche qu'à l'échelle géologique, ce sont ces trombes intermittentes qui ont façonné l'essentiel du relief du désert Libyque, entaillant les plateaux et les regs de profonds canyons, les wadis, où subsiste encore une vie ténue.
Certes, aujourd'hui, ces pluies sont devenues tellement rares qu'elles n'ont plus d'influence réelle sur la morphologie du désert. Depuis plusieurs milliers d'années, d'autres éléments ont pris le relais.
Le vent
Le vent d'abord. Malgré les apparences, le Sahara n'est pas un pays plus venteux qu'un autre, mais simplement un pays où le vent, qui se manifeste sans contrainte, se fait particulièrement remarquer. À titre d'exemple, il représente dans le désert Libyque une énergie éolienne oscillant entre 1500 et 3000 kilowattheures par mètre carré et par an, alors qu'il en représente 3 940 à l'île de Ré. Mais si le vent ne prend que rarement l'aspect d'une tempête (la fameuse « tempête de sable » qui a alimenté tant de récits plus ou moins fantaisistes depuis Hérodote), il souffle en revanche avec une régularité dont les effets sont partout sensibles : transport et accumulation de sables, façonnement des dunes, corrasion et polissage des roches, dissémination de pollens et de diaspores, ainsi que des contraintes mécaniques sur les plantes, qui se traduisent par des formes complexes. En ce qui concerne l'érosion des roches, on a souvent tendance à exagérer son rôle. Certes, ce rôle existe, ne serait-ce que par l'effet répété pendant des dizaines de milliers d'années du « sablage » des roches gréseuses ou calcaires.
Théodore Monod a dans son bureau un biface qu'il a ramassé dans un couloir intermédiaire de la Grande Mer de sable. Il est d'une jolie couleur brun rougeâtre et représente un très bel exemple de paléolithique ancien. Ce qui le rend unique à ses yeux, c'est qu'une de ses faces présente les arêtes caractéristiques des enlèvements successifs d'éclats, alors que l'autre est totalement polie. Quand il l'a aperçu, à quelques mètres, Théodore Monod a cru au premier coup d'œil qu'il s'agissait d'un outil néolithique – le premier, sans aucun doute, jamais trouvé dans cette région. Il l'a ramassé et, en le retournant, a compris qu'il était posé là depuis le jour où son fabricant, il y a peut-être cent mille ans, l'avait jeté : cent mille ans de vent et de sable avaient totalement poli la face tournée vers le ciel… L'autre était restée intacte, telle qu'elle avait été taillée à l'époque acheuléenne.
Le vent, parfois, joue des tours à l'anthropologue néophyte, en « sculptant » des « trifaces » aux formes absolument parfaites, les dreikanters, dont on a du mal à croire qu'ils ne sont pas sortis des mains d'un artiste néolithique. Mais ce type de corrasion s'effectue aussi à plus grande échelle, creusant dans les grès des cannelures géantes ou les sculptant selon les formes les plus variées. Le « désert blanc », entre Farafra et Baharia, offre ainsi un étrange labyrinthe de figures mélangées auxquelles, dans certaines directions, les ombres et les lumières donnent de saisissantes apparences de sphinx, de lions, de loups ou de formes humaines. Parfois, la nuit, lorsque brille la lune, apparaît ainsi un monde étrange de formes blanches dont, peut-être, sont nées bien des légendes véhiculées au pas lent des caravanes.
Mais la principale action du vent, dans le désert Libyque comme dans tous les déserts, reste l'accumulation, aboutissant à l'édification de reliefs dunaires pouvant atteindre ici 100 à 150 mètres de haut. La formation des dunes s'opère par progression et accumulation des grains de sable sous l'effet du vent. Elles s'établissent selon deux axes possibles : parallèles au vent ou perpendiculaires. Dans le désert Libyque, où les vents établis sont des vents étésiens, c'est-à-dire des vents soufflant du nord-nord-ouest, la majeure partie des dunes, à l'est comme à l'ouest des oasis, sont parallèles au vent. Elles sont donc orientées nord-ouest-sud-est avec une régularité quasi mathématique. Mais à l'intérieur de ce vaste système parallèle s'établit, dans la partie nord de la Grande Mer de sable, un « sous-système » transversal qui, à mesure que l'on remonte vers le nord, prend de plus en plus d'importance jusqu'à « noyer » presque complètement le système parallèle. Il n'en reste pas moins que les crêtes qui émergent de la masse de sable ressemblent de façon surprenante à des dos de baleines rorquals venant respirer à la surface. Les explorateurs anglais nommeront ce système dunaire les whalebacks et le nom leur restera.
Le vent balaie en permanence les plaines et les « décape » de leurs éléments les plus légers. Les grands regs au sud-ouest des oasis n'ont pas d'autre origine : seuls les éléments « lourds », graviers ou débris de roche, restent en place à la surface du sol. Comme ils sont de couleur sombre et posés sur un lit de sable qu'ils protègent, le pied du chameau ou, aujourd'hui, le pneu de la voiture y laissent, en les enfonçant légèrement, une empreinte claire (car remplie de sable) qui subsiste très longtemps.
C'est ainsi que l'on peut voir, en plein reg, des pistes chamelières désaffectées depuis plus de cinquante ans, et dont la trace persiste toujours. Elles se présentent sous forme de légers sillons zigzaguant, d'une soixantaine de centimètres de large, espacés de 1 mètre en moyenne, et couvrant parfois des largeurs de 100 mètres.
De même, lors de notre expédition en mars 1993, nous avons croisé une piste automobile entre Assiout et Dakhla, laissée par des pneus jumelés à bande de roulement très mince. Une seule personne a utilisé ce type de roues : le prince Kemal el Dine en 1926-1928. Elles étaient montées sur une Citroën…
Le vent et le sable sont depuis une dizaine de millions d'années essentiellement responsables des sculptures du terrain ; l'autre élément, la pluie, a disparu depuis bien longtemps.
C'est bien sûr au vent que l'on doit la formation et le déplacement des dunes. On a constaté qu'en terrain plat, le sable commence à se déplacer lorsque la vitesse du vent dépasse 12 mètres par seconde (m/s). Mais sur la crête des dunes, c'est dès 7 m/s que l'on peut apercevoir les petites traînées de sable ; on a alors l'impression que la dune « fume ».
Lors des tempêtes de sable, la vitesse du vent peut dépasser 17 m/s. Elles sont en général provoquées par des augmentations de température presque toujours accompagnées de la baisse du baromètre, ce qui déclenche le phénomène.
La structure générale de la Grande Mer de sable, avec ses grands cordons et ses dunes en dos de baleine, a été décrite plus haut. Mais ces grands massifs dunaires comprennent souvent des dunes en croissant, couramment appelées barkanes. Elles prévalent chaque fois qu'il y a un vent dominant : elles peuvent rester isolées ou fusionner. Il est plus facile d'étudier celles qui sont isolées ; on en trouve de toutes dimensions, de 1 jusqu'à 200 voire 300 mètres de large avec une hauteur de 30 à 40 mètres. Dans la région des oasis, leur flanc abrupt et concave est toujours face au sud ; la pente paraît raide, mais en fait elle ne peut dépasser 31-33 degrés – angle d'équilibre avec l'horizontale – que si le sable porte de la végétation ou si l'humidité l'a compacté.
Dans le désert Libyque où le vent dominant est approximativement nord-sud, on constate que les dunes se déplacent vers le sud. Mais quelle est l'importance de cette migration ? En 1910, l'explorateur anglais H.J. Llewellyn Beadnell, qui a résidé trois ans à Kharga, a étudié le déplacement de cinq dunes de cette oasis. Il a montré qu'elles commencent à bouger lorsque le vent atteint 6 à 7 m/s, mais alors le sable roule, dépasse la crête et dégringole la face raide. À 12 m/s, le vent est chargé de sable et la dune se déplace plus vite. À 17,5 m/s, la dune peut se déplacer de 2 à 3 cm/h (ce qui ferait 175 à 260 m/an). En plus d'un an, les cinq dunes se sont déplacées de 10,8 à 18,8 m, soit une moyenne de 15 m/an.
Autre exemple : le 25 février 1980, l'expédition dirigée par l'Américain Vance Haynes découvrit le campement no 18 de Ralph A. Bagnold du 2 novembre 1930, établi à l'abri d'une barkane. Sept ans plus tard, il revient sur le site et fait un relevé. En cinquante-sept ans, la dune avait recouvert puis dépassé le campement et se trouvait maintenant de l'autre côté. La comparaison de ses positions permit d'établir que la barkane s'était déplacée de 7,5 m/an en moyenne.
Plus une dune est petite, plus elle se déplace vite, ce qui est logique car il y a moins de matériau à bouger. Mais lorsque le sable est humide ou que les pointes du croissant sont bloquées par de la végétation, le profil de la dune pourra s'inverser : on aboutira à des dunes dites « paraboliques » pour lesquelles la face concave regarde vers le vent.
Edmond Diemer
L'eau
Mais si le vent déplace le sable et sculpte, au cours des siècles, les roches tendres, il n'a pas été le principal facteur du paysage libyque. L'eau courante a creusé les canyons, le vent a établi les dunes, mais ce sont d'autres processus, chimiques ou thermiques, qui expliquent la plupart des paysages rocheux du désert.
Si la pluie a pratiquement disparu du ciel libyque, il y demeure quand même un certain taux d'humidité. Souvent, au matin, cette humidité se condense pour former une « rosée » qui ne manque jamais, au premier abord, de surprendre le voyageur. Cette rosée va pénétrer dans les fissures de la roche et y dissoudre certains éléments minéraux solubles, créant ainsi des lignes de fractures. Au-delà de ce simple déplacement, il peut y avoir haloclastie : l'eau qui s'infiltre dans la roche dissout les sels jusqu'à saturation. À ce stade, il se produit une cristallisation qui désagrège la roche.
C'est encore à l'eau plutôt qu'au vent que l'on a tendance à attribuer les vermiculations des calcaires. Il arrive, comme par exemple dans le désert calcaire qui s'étend entre les oasis et le Nil, que cette vermiculation adopte des lignes de fractures parfaitement régulières, sur des buttes de calcaire cylindriques. Il faut alors vraiment regarder de près pour voir que ce ne sont pas les bases d'une tour en ruine, mais un simple jeu de la nature.
On peut se demander si nombre de légendes de « cités perdues » n'ont pas trouvé leur origine dans ce type de formations. Vues de loin, et par une légère « brume de sable », c'est parfois à s'y tromper !… Ce qui est certain, c'est que ces désagrégations de la roche prennent très souvent des formes étonnantes.
Dans les zones granitiques, il se constitue ainsi de véritables champs de boules géantes que l'on pourrait prendre à première vue pour des stromatolithes, ces concrétions calcaires laissées par des bouquets d'algues mortes depuis l'éocène. Il faut le marteau du géologue pour faire la différence. À noter d'ailleurs que les dolérites se dissocient également en boules.
La thermoclastie
Dernier facteur enfin qui a concouru à modeler le paysage du désert, la thermoclastie. Elle implique, elle, de fortes variations thermiques intervenant « à sec » : une alternance de dilatations et de rétractions des éléments d'une roche grenue peut provoquer des fractures, des desquamations en plaques, des désagrégations granulaires, avec libération de sable et d'arènes. On a même parlé de détonation pouvant accompagner ces phénomènes.
Quoi qu'il en soit, cette thermoclastie dépend moins de l'amplitude maximale absolue (qui est l'écart entre le maximum le plus élevé et le minimum le plus bas) que de la succession très rapide des changements de température. Car cette amplitude n'est pas aussi démesurée que l'on pourrait le croire : dans le désert Libyque, Jean Dubief (1957) a établi qu'elle dépassait rarement 55 °C, alors qu'elle s'établit à Lyon par exemple à 63,2 °C.
Mais elle varie selon un cycle quotidien, parfois horaire, et elle affecte des roches qu'aucun humus, aucune couverture végétale, ne protège.
On a souvent dit que le Sahara était un pays froid où il fait très souvent très chaud. C'est tout à fait exact, et ce phénomène tient à deux facteurs : la nébulosité d'une part et le vent d'autre part.
La nébulosité, autrement dit la quantité de nuages dans le ciel, s'exprime en dixièmes de ciel couvert. À Koufra, sur la bordure ouest du désert Libyque, elle est de 1,6 en moyenne annuelle. Quant à la moyenne des jours sans aucun nuage, elle est supérieure à deux cents par an. De ce fait, le sol peut recevoir jusqu'à 700 calories par centimètre carré. Mais cette absence de nuages empêche l'« effet de serre » nocturne et, après le coucher du soleil, la température tombe très vite.
Deuxième élément perturbateur, le vent. Il suffit qu'il se lève pour qu'un après-midi torride devienne pratiquement instantanément « frisquet ». Et s'il souffle la nuit, ce qui est aussi souvent le cas, il va considérablement amplifier le refroidissement nocturne dû à l'absence de nuages et de couverture végétale.
Bref, si les variations annuelles ne sont pas très importantes, les variations quotidiennes – et même horaires – le sont. Une roche peut donc perdre, ou gagner, 15 à 20 °C en quelques minutes. Ces chocs thermiques répétés agissent sur sa structure, par effet de dilatation et de rétraction, et, là encore, créent des lignes de faiblesse, puis de rupture.
Un détail amusant : en 1874, Zittel, le paléontologue de l'expédition Rohlfs, remarque au nord-ouest de Kharga, sur l'emplacement d'un ancien lac, devenu au fil des siècles marigot, puis mare, puis simple dépression, des millions d'éclats de silex brillant au soleil.
Il y voit les effets de la thermoclastie, sans imaginer une seconde – la paléo-archéologie était encore balbutiante – qu'il a sous les yeux les restes de dizaines de milliers d'années de travail humain…
La structure du désert Libyque
Tous ces processus morphogénétiques ont donc peu à peu formé le désert Libyque tel que nous le connaissons depuis une cinquantaine d'années – dans ses grandes lignes –, car bien des zones n'ont jamais été explorées. Ils sont les mêmes que ceux qui sont à l'origine non seulement du Sahara dans son ensemble, mais aussi de la quasi-totalité des régions arides subtropicales.
Mais, dans le désert Libyque, le plus aride du monde avec celui (beaucoup plus réduit) de Lut, en Iran, ils ont agi avec plus de vigueur que partout ailleurs. Avec, pour résultat, un paysage plus contrasté, plus heurté, plus étrange, même, que dans tout autre désert.
Plutôt que de suivre une classification trop détaillée, et qui se rapprocherait dangereusement de la géomorphologie, nous nous contenterons d'évoquer successivement les quatre grandes familles de paysages du désert Libyque : les reliefs, les plaines, les dépressions et les dunes déjà évoquées.
Les reliefs présentent des aspects les plus divers suivant la nature de la roche, son origine et… son degré d'évolution. S'il s'agit de roches éruptives (ou volcaniques), les formes pourront être très différenciées : dômes, coupoles, pyramides, cônes, crêtes, aiguilles, cratères, coulées de filons, etc. À l'avant-dernier stade de l'évolution géologique, il reste, comme c'est le cas dans la région d'Uweinat et des Clayton's Craters, une pénéplaine cristalline entourant les massifs en partie volcaniques (Uweinat, 1855 mètres ; Arkenu, 1 476 mètres ; djebel Kissu, 1 726 mètres). Ce sont les inselbergs. Leurs formes – contrairement à celles des gour (au singulier gara) que nous verrons plus loin – étant très différenciées, ils peuvent constituer pour le voyageur des points de repère précis dans la hasardeuse navigation désertique.
Mais là où la couverture sédimentaire est demeurée horizontale, qu'elle soit gréseuse ou calcaire, vont se développer, à côté des massifs que nous venons de voir, les plateaux ou hamadas. Ce sont des surfaces rocheuses souvent plates à perte de vue, et où la roche peut affleurer en blocs ou en dalles, ou même être recouverte de graviers de dissociation. Le Gilf Kebir – le « Grand Plateau » –, découvert dans les années 1920 par le prince Kemal el Dine, et aujourd'hui encore non totalement exploré, en constitue un excellent et impressionnant exemple. Il s'élève de façon uniforme à 300 mètres au-dessus de la plaine sur 120 kilomètres de latitude et 80 de longitude. Qu'on l'aborde par l'est ou par l'ouest, c'est-à-dire du côté égyptien ou du côté libyen, il barre l'horizon à travers la légère brume de chaleur ou de sable qui ferme toujours les horizons libyques, comme le mur sans faille d'une forteresse infinie.
Il faut s'en approcher à quelques kilomètres pour voir qu'il est entaillé de profonds oueds creusés par l'eau à l'époque où le désert ne s'était pas encore installé, et qu'en reculant pendant des centaines de milliers d'années la falaise a abandonné des buttes témoins, les fameux gour. On ne peut pas les confondre avec les inselbergs de formes aussi diverses que la roche dure qui en est le centre, car leur évolution est caractéristique : le gara jeune à sommet tabulaire n'est qu'un fragment détaché des plateaux voisins ; puis le « chapeau » résistant finit par s'écrouler, livrant les couches sous-jacentes, plus tendres, à la morsure de l'érosion. Le gara est alors parfaitement conique et va « fondre » peu à peu pour, finalement, disparaître.
Bien sûr, là encore, il s'agit d'une représentation très accélérée d'un processus qui s'étale sur des milliers et des milliers d'années. À l'échelle humaine, le paysage semble figé à jamais dans sa minéralité, avec sa mosaïque de cônes plus ou moins tronqués et sa haute falaise qui barre l'horizon.
Les hamadas calcaires ont, elles, d'autres aspects et d'autres teintes. Si le grès évolue dans la palette des bruns pouvant, dans les roches très chargées en fer, aller jusqu'au noir, les calcaires, eux, choisissent le plus souvent des couleurs pastel. On y voit, bien sûr, toutes les nuances de gris, du plus tendre au plus soutenu. Mais le calcaire se transforme, soit par exsudation en surface, soit, le plus souvent, par dilution des couches qui le recouvraient.
Mais éloignons-nous des massifs et des plateaux. Nous arrivons dans les plaines. Les plaines sablonneuses ou de graviers roulés, les serirs, occupent une place immense dans le désert Libyque : 800000 kilomètres carrés, près de deux fois la France.
Serir est d'ailleurs le terme propre au désert Libyque. Pour l'ensemble du Sahara, on a adopté le terme reg. Naturellement, les termes plaine ou reg sont vagues et n'impliquent pas une origine géologique commune. On trouve des regs sur la pénéplaine précambrienne, vieille de plus de deux milliards d'années, comme sur les glacis d'épandage au pied des reliefs, plus « jeunes » puisqu'ils datent de plus ou moins cinq millions d'années et contemporains, donc, de l'apparition des premiers hominidés.
Quoi qu'il en soit, le reg, plat et caillouteux à l'infini, est hostile à toute vie. Sans point d'eau, sans pâturage, sans point de repère capable de guider la marche, il faut une bonne raison – un raid de pillage par exemple – pour en entreprendre la traversée. Mais nous verrons que les serirs n'ont pas toujours été des no man's land.
Si l'on part du relief pour se diriger vers les dépressions, on va voir se succéder glacis de dissociation des roches fragmentées par les agents que nous avons vus plus haut, glacis d'épandage réalisés par dispersion de pierres et de graviers sous l'effet d'un courant aquatique intermittent, enfin glacis final qui se termine en bas-fonds. C'est le gara à végétation relativement riche.
Attention, nous sommes quand même dans le désert. Les cinquante acacias du Wadi Hamra, dans le Gilf Kebir – 30 kilomètres de long –, suffisent à en faire, par différence, un océan de verdure ! C'est là le meilleur des cas, car il se peut aussi que la zone d'épandage se couvre d'efflorescences salines. C'est alors la sebkha, totalement stérile, avec ses eaux sous-jacentes saumâtres. Bir Natrun, le puits salé, est un toponyme fréquent dans le désert oriental.
Les dunes, nous l'avons vu, sont constituées de grains de sable qui se sont déplacés et accumulés sous l'effet du vent. Le sable qui forme les dunes est une roche non compacte. À ce propos, rappelons la différence entre une roche et un minéral : un minéral est un corps qui a une définition chimique et le plus souvent également morphologique ; il appartient à un système cristallin. Une roche est un assemblage de minéraux. Ainsi, dans un morceau de granit, on trouve des cristaux de quartz, des cristaux de feldspath et une ou deux espèces de mica. Le grain de sable, lui, est un cristal de quartz. Quand le granit est attaqué par l'érosion, il est dissocié : les grains de quartz sont séparés des autres cristaux. Cela donne un sable très grossier, dont les grains ne sont pas ronds. En se heurtant les uns aux autres par l'effet du vent, ils deviendront des grains arrondis. Le plus souvent, le sable est composé de grains de quartz. Mais il existe des sables de constitutions différentes : on connaît des sables de gypse ; il y a aussi des sables calcaires ; certains sont faits de cristaux de grenat, qui donnent des sables roses. Il y a également des sables noirs, à base d'oxyde de titane, sur les plages du Sénégal, par exemple. Autre point important : le grain de quartz lui-même n'a pas de couleur. Mais à sa surface il y a une pellicule d'oxyde de fer, très fine. Et c'est cela qui donne les couleurs, très variées, allant du jaune pâle au rouge foncé.
Le sable se déplace de plusieurs façons : d'abord à la surface du sol, par roulage ou reptation. Ensuite, par saltation, par bonds successifs. Enfin par flottation pour les particules les plus petites (< 0,1 mm). Les grains de sable se heurtent et ces chocs laissent de microscopiques empreintes.
On a donc divisé les grains de sable en deux catégories : les grains non usés, qui ont conservé la trace de leur origine cristalline, et les grains usés, qui sont ou ronds mats (R.M.) ou ronds lisses (R.L.). Cette classification est importante car elle permet, par examen, de reconstituer l'histoire du sable que l'on observe. Les grains ronds mats montrent une action du vent. Les grains ronds lisses ont subi l'action de l'eau. Ce sont des sables fluviatiles ou lacustres. Parfois, on a des surprises : dans le no man's land du Sahara occidental, Majâbat al Koubra, Théodore Monod a récolté un certain nombre d'échantillons de sable qu'il a fait étudier avec soin, et l'on a constaté qu'en plein désert l'action de l'eau sur le sable était beaucoup plus importante que l'on ne pouvait l'imaginer.
Voici une rapide esquisse géologique des différents paysages du désert Libyque, et de leur morphologie. Il y manque pourtant un élément essentiel, encore qu'il n'appartienne plus à la géologie : la magie qui s'en dégage. C'est vrai de tous les déserts, mais peut-être plus encore de ce désert oriental…
Géologie
Appelé par les Égyptiens désert de l'Ouest, le désert Libyque s'étend sur une grande partie du Sahara oriental. Le plus grand désert du monde couvre le nord de la plaque africaine. Mais il ne se trouve dans sa position présente, sous et au nord du tropique du Cancer, que depuis 50 millions d'années environ. Car, depuis sa formation, 600 millions d'années plus tôt, la plaque a migré vers le nord. Chacune de ses parties, dont le Sahara, est ainsi passée sous toutes les latitudes.
Les vastes étendues de roches nues qui affleurent dans le désert sont comme un livre ouvert qui raconte des histoires remontant presque aux premiers temps de la Terre.
Les terrains les plus anciens affleurent au Sahara occidental et dans le nord de la Mauritanie. Ces gneiss et ces quartzites, dont on exploite des amas ferrugineux à F'Dérik, ont près de 3 milliards d'années. Mais ce ne sont que des reliques, insérées dans un bloc plus jeune, daté de 2 milliards d'années. Des roches de cet âge existent aussi dans le Hoggar et au djebel Uweinat, situé dans le désert Libyque. Elles ont appartenu à des continents qui se sont ensuite fragmentés. Les morceaux, des « terranes » dans le jargon géologique, complétés par des terrains plus jeunes, ont été séparés, déplacés puis à nouveau soudés entre 800 et 600 millions d'années (Ma).
Ces derniers événements, dits « pan-africains », ont créé la plaque dont fait partie le Sahara ainsi que la péninsule Arabique. L'Afrique est alors soudée à l'Amérique du Sud, l'Antarctique, l'Australie et l'Inde, et se trouve ainsi au cœur du supercontinent de Gondwana.
Tout se fige donc vers 600-530 Ma. L'érosion rabote les montagnes qui s'étaient formées, au Sahara central comme à l'est du désert Libyque et en Arabie. À deux reprises (vers 480-435, puis vers 410-390 Ma), d'énormes nappes de sable couvrent la pénéplaine et comblent les creux. Consolidées en grès, elles forment aujourd'hui les plateaux bordés de falaises de l'Adrar de Mauritanie, du pourtour du Hoggar (les Tassilis des Touaregs) et de l'Ennedi, au sud du désert Libyque.
Ces sables ont été étalés, de l'Atlantique à l'Arabie, par des fleuves divagants, venus d'Afrique centrale, des courants côtiers, et même, vers 440 Ma, par des torrents issus de la calotte glaciaire qui s'était installée au centre de l'Afrique, alors que le pôle Sud se trouvait quelque part entre la Sierra Leone, le Nigeria et le Brésil accolé à l'Afrique. Après la fonte de ces glaciers, le niveau des océans monte. La mer envahit le nord du continent et dépose, vers 435-410 Ma, les argiles à graptolites, une des roches-mères du pétrole saharien. Le Sahara passe lentement sous de plus basses latitudes. Après la seconde nappe de sable, qui a donné les Tassilis externes du Sahara central, des argiles, des grès fins et des calcaires, coquilliers ou récifaux se déposent jusque vers 315 Ma. L'océan septentrional, la Téthys, s'est étendu sur le nord de l'Afrique ; dans ses eaux claires, chaudes et peu profondes, animaux et algues prolifèrent. Les plateaux d'Uweinat et du Gilf Kebir en sont des témoins, comme leurs contemporains du Sahara central et occidental.
Puis la mer se retire, comme à regret, entre 310 et 300 Ma, laissant derrière elle des marais où poussent des fougères comparables à celles de nos bassins houillers (voir les travaux de l'équipe de Klitzsch, Lejal-Nicol, pour le désert Libyque). Mais voici que d'immenses glaciers s'étendent à nouveau, vers 280 Ma, sur le Gondwana, et notamment sur le centre et le sud de l'Afrique. Le Sahara, soumis aux vents secs et froids polaires, devient un désert. L'ère primaire se termine 30 Ma plus tard.
À partir de 200 Ma, le continent de Gondwana se fissure, puis se disloque. L'Amérique du Sud s'écarte alors de l'Afrique vers l'ouest, l'Antarctique et l'Australie vers le sud-est, et l'Inde vers le nord-est. En réponse à cette distension, au sein du continent, des fissures s'ouvrent, par où montent des basaltes, et de grands fossés se creusent, au Sahara central comme au Sahara oriental, vite remplis de sédiments. Plus tard, et jusque pendant l'ère tertiaire, des granits bien différents, riches en alcalins, se mettent en place, ici ou là, au Nigeria, au Soudan, en Libye, dans des zones fragiles de l'écorce terrestre. Le granit du djebel Uweinat dont il sera question plus loin est l'un de ceux-là.
La plus grande partie du Sahara est alors émergée. Il est passé dans l'hémisphère Nord, sous des climats qui évoluent dans le temps, mais aussi dans l'espace (du Sahara oriental au Sahara nord-occidental), du tropical humide au tropical à saisons alternées.
Des fleuves charrient des sables et des argiles ; ici ou là des dunes se forment. Des forêts de conifères, de cycadales, etc., couvrent le nord du continent. On en retrouve aujourd'hui des troncs silicifiés un peu partout. Dans les zones humides, les marais, les lacs, vit une faune de dinosaures, crocodiles, tortues, poissons, mollusques, et une flore variée dont on retrouve les spores et les pollens conservés dans des argiles.
Ces terrains ont été appelés Continental intercalaire au Sahara central et occidental. Ils constituent une part des « grès de Nubie » du Sahara oriental.
Vers 95 Ma, l'océan qui s'étendait au nord du Sahara déborde à nouveau. La mer envahit de vastes espaces. Les faunes de la Téthys vont rendre visite à leurs cousines de l'Atlantique central en train de s'ouvrir. Elle se retire ensuite pendant quelques millions d'années pour revenir une dernière fois, vers 75 Ma, et se retire définitivement 20 Ma plus tard. Elle ne fera plus que de timides incursions sur les bordures mauritaniennes et septentrionales du Sahara au quaternaire ; dans la mer Rouge aussi, mais c'est un autre problème !
C'est alors que s'amorce un réseau de fleuves dont les grands oueds sahariens sont aujourd'hui les héritiers. Ils descendent de larges bombements qui se forment alors au Sahara central et sont, avec le volcanisme, l'expression en surface de dômes thermiques nés à plusieurs centaines de kilomètres de profondeur. Tel est, entre autres, le cas du Hoggar et du Tibesti.
À la fin du tertiaire, les grands traits du relief sont acquis. Les fortes variations du climat, tantôt humide, tantôt aride, plus ou moins corrélées avec les poussées glaciaires que connaît alors l'Europe, vont parfaire le paysage.
Le désert que nous connaissons est jeune : il n'a que 4 000 ans environ. Il a été précédé par d'autres, et en particulier celui qui a régné entre 18 000 et 8 000 ans avant notre ère, et qui correspond à la dernière grande extension des glaces en Europe et en Amérique du Nord. C'est lui qui a légué les grands massifs de dunes que le désert actuel n'a souvent fait qu'agrémenter de crêtes de sable mobile qu'il est parfois difficile de franchir.
Entre deux périodes désertiques, le pays se couvrait de lacs, de marais, de savanes où l'homme vivait. Chasseur, pêcheur, puis éleveur et cultivateur, il trafiquait avec les peuples du Moyen-Orient. Il en rapportait, à travers le désert Libyque, les techniques… et les quelques perles de lapis-lazuli découvertes jusque vers les rives de l'Atlantique.
Jean Fabre