Reste l'homme. Si l'on s'en tient à la période actuelle, l'affaire est vite vue : il n'y a plus personne dans le désert Libyque. Pourquoi ? Parce que tout indique qu'année après année le climat continue à se dégrader, livrant à l'aridité totale des surfaces de plus en plus étendues. Un exemple : en 1923, l'explorateur Hassanein Bey arrive – à chameau – jusqu'au djebel Uweinat. Il y rencontre un petit clan de Tebus qui y mènent une vie pastorale. Leur chef s'appelle Herri. En 1927, Newbold et Shaw découvrent à Merga des traces relativement récentes de présence humaine. Almasy en fera autant dans les oueds du Gilf Kebir, à la même époque. Encore faut-il ajouter qu'il ne s'agit pas de campements permanents, mais de pâturages d'hiver où les Tebus ne restent que quelques semaines.
Le dernier « habitant » du désert Libyque – du moins à notre connaissance – a été rencontré dans le Wadi Karkûr Talh en 1969 par Samir Lama. Il était seul avec un petit troupeau de chèvres et quelques chameaux.
En 1972, il n'y avait plus aucune trace de sa présence et, à 150 kilomètres au nord, dans le Wadi Abd el Malik, le même Samir Lama voyait pour la dernière fois couler la source signalée par Almasy en 1934… Comment survivre dans ces conditions ? D'autant que la végétation suit l'hygrométrie. Combien de vallées encore verdoyantes il y a deux ou trois siècles, et même au XIXe siècle – nous le verrons par l'étude des textes anciens –, ne sont plus aujourd'hui que des canyons desséchés où finissent de mourir quelques buissons d'épineux ?
Certes, aux époques historiques, le désert Libyque n'a jamais été vraiment peuplé. Mais les Tebus, hommes du désert contrairement aux Arabes, arrivaient à le traverser par étapes pour mener des raids de pillage dans les oasis, car ils connaissaient des « points de chute » intermédiaires où trouver de l'eau et de la nourriture pour leurs chameaux.
Or si le chameau peut se passer d'eau pendant une période plus ou moins longue, il ne peut pas se passer de nourriture. Surtout dans les régions accidentées (dunes de la Grande Mer de sable par exemple) où l'effort qu'il doit fournir est trois à quatre fois plus important que celui que nécessite la traversée d'un reg. Quant à emporter la nourriture des bêtes avec soi, cela multiplie de façon exponentielle le nombre des chameaux nécessaires et rend le voyage de retour à peu près impossible…
Et pourtant, il suffit de marcher dans ce qui fut si longtemps le « mystérieux désert oriental » pour s'apercevoir qu'il n'a pas toujours été un désert et que l'homme y a été présent de façon régulière depuis l'aube des temps.
C'est en Tanzanie, sur les flancs du volcan Sadiman, que la paléontologiste anglaise Mary Leakey découvrit, en 1978, les traces les plus anciennes de l'homme : les pas d'un australopithèque et de sa compagne, ou de son enfant, sont figés dans la cendre volcanique depuis 3,8 millions d'années.
Mais c'est sans doute beaucoup plus tard – il y a environ 1 million et demi d'années – que l'homme a pu s'établir dans ce désert devenu inhospitalier. Toutefois, si tel a été le cas, il n'y a laissé aucune trace aussi ancienne. Les seuls fossiles humains que l'on a découverts sont bien à l'extérieur de ce désert et beaucoup plus récents : à Tushka, dans la haute vallée du Nil, Anderson a trouvé en 1968 cinquante-huit individus de type cromagnoïde dans un faciès de la fin du paléolithique (20000 à 10000 ans av. J.-C.).
Pourtant les traces d'industrie lithique donnent à penser qu'ici, comme au Maroc, en Libye et dans la vallée du Nil, vivaient au pléistocène supérieur des Homo sapiens aux formes archaïques.
Le peuplement est lié au climat. Or celui-ci commence à se refroidir à partir de 110000 ans av. J.-C., provoquant une aridité progressive qui s'intensifie jusque vers 7 500 ans av. J.-C. Cette période de froid est cependant interrompue à l'atérien par deux périodes humides (de 40000 à 33000 ans av. J.-C. et de 28000 à 18000 ans av. J.-C.). C'est à l'atérien qu'apparaissent, au Maroc, les premiers « hommes modernes ».
Puis le climat devient à nouveau plus humide au cours du néolithique, ce qui permet la recharge des nappes phréatiques et la colonisation par les plantes, les animaux et les hommes. C'est l'apogée du peuplement.
Les recherches faites par les équipes allemandes sous la direction de Rudolph Kuper ont montré que, comparé à la situation actuelle, où le désert Libyque est la région la plus désolée de la terre, les zones de végétation étaient – 5000 ans av. J.-C. – décalées de 500 kilomètres vers le nord. Le vrai désert ne commençait qu'au nord de Siwa, tandis qu'au Gilf Kebir et à Abu Ballas, la pluie assurait le développement de la végétation. Mais l'aridité revint, gagna le nord d'abord puis de plus en plus le sud.
Le début du paléolithique est essentiellement caractérisé par des galets aménagés. Ceux-ci laisseront la place à des bifaces de plus en plus finement travaillés au fur et à mesure du perfectionnement des techniques. D'après André Leroi-Gourhan, 1 kilogramme de silex permettait d'obtenir des bifaces plus petits et plus finement travaillés correspondant à 10 mètres de tranchant à la fin du paléolithique contre seulement 10 centimètres au début de la période.
En 1932, l'exploratrice anglaise G. Caton-Thompson a trouvé plus de cinq cents outils en silex de technique acheuléenne (300000-100000 ans av. J.-C.) dans un site des environs de Kharga. Des bifaces de type acheuléen peuvent d'ailleurs être trouvés à peu près partout dans ce désert, sur les regs, dans les djebels tels que le djebel Uweinat, ou dans la Grande Mer de sable, où Théodore Monod a ramassé ce magnifique biface déjà mentionné plus haut. On trouvera de tels outils jusqu'au néolithique, mais le matériel caractéristique de cette dernière période sera des pointes de flèches, des microlithes aux formes souvent géométriques, mais aussi des lames, lamelles, burins, grattoirs, perçoirs, servant à travailler entre autres les coquilles d'œufs d'autruche. Enfin la céramique sera très abondante à cette époque.
Les oasis
Passage obligé pour visiter ces régions, les oasis étaient déjà aux temps préhistoriques des zones d'habitats importants. Au néolithique, la présence de lacs favorisa le peuplement de la région de l'oasis Siwa par des hommes vivant de la chasse et de la cueillette. On y a trouvé les vestiges de présence humaine les plus anciens pour cette région, soit 10000 ans av. J.-C. Occupée par la suite par des populations lébanou-berbères, cette oasis est considérée comme égyptienne depuis qu'Alexandre le Grand, en 331 av. J.-C., se fit mettre sur le trône d'Égypte par l'oracle Ammon.
Kharga, oasis actuellement florissante, tire son eau, depuis l'époque perse, d'une nappe phréatique profonde d'au moins 70 mètres et d'une autre nappe située à 25 mètres de profondeur, aujourd'hui en voie d'assèchement. Cette région était beaucoup plus humide au paléolithique, comme l'attestent des fruits de dattiers sauvages (Phoenix silvestris) trouvés lors des fouilles, les outils acheuléens cités plus haut et les nombreuses sources fossiles. Celles-ci devaient être actives pendant la longue période qui sépare la culture acheuléenne de la culture atérienne.
Kharga était à son apogée aux époques historiques, en particulier aux époques romaine et byzantine. Des fouilles faites dans les oasis, à Dakhla en particulier, révèlent que des gouverneurs de province étaient établis dans ces oasis au Haut-Empire (2780-2 260 ans av. J.-C.).
En préhistoire comme dans d'autres sciences, le problème de la datation est essentiel puisqu'il s'agit soit de situer les objets trouvés par rapport à d'autres – il s'agit alors d'une datation relative – soit de déterminer leur âge – c'est une datation absolue. Le principe de datation relative est très simple et est basé sur le fait que normalement une strate A – couche sédimentaire ou niveau contenant des artefacts – est plus ancienne qu'une couche B qui la recouvre. Mais l'application n'est pas toujours simple.
Quant aux datations absolues, les méthodes, le plus souvent fondées sur des désintégrations nucléaires, sont nombreuses : nous ne parlerons que des deux méthodes citées dans le texte. Datation par le carbone 14 (C14).
Le carbone est formé de deux isotopes stables : les C13 et C12, ce dernier représentant 98,9 %. Mais sous l'effet des neutrons des rayons cosmiques, une partie de l'azote de l'air est transformée en C14 et il s'établit alors dans l'atmosphère un équilibre, les proportions des trois isotopes restant les mêmes. C'est ce mélange atmosphérique des trois isotopes qui va être utilisé par les plantes et qui, par l'intermédiaire des herbivores, se retrouvera par la suite dans toute matière vivante. En admettant que le flux des rayons cosmiques est resté stable et que l'assimilation du carbone par les êtres vivants ne fixe pas préférentiellement un des isotopes, la proportion en C14 dans les êtres vivants a dû par conséquent rester constante au cours des âges. Mais après la mort des plantes ou des animaux, la teneur en C14, isotope radioactif, va diminuer en suivant la loi de désintégration radioactive. La période du C14 est de 5 720 ans, c'est-à-dire qu'au bout de ce laps de temps, la teneur en C14 aura été divisée par deux. Plus l'échantillon est ancien, plus faible sera donc le rapport C14/C12, et sa valeur permettra de déterminer l'âge de l'échantillon. Cette méthode est parfaitement fiable entre 1 000 et 50 000 ans. On peut l'utiliser jusqu'à la fin du paléolithique moyen – 60 000 à 70 000 ans –, mais la précision est alors très faible car la quantité de C14 restant dans les objets est infime. Cette méthode est également soumise à de nombreuses corrections ; en effet, l'hypothèse de la constance du flux cosmique n'est pas vérifiée. On a maintenant la possibilité de faire des corrections en confrontant les âges obtenus par le C14 avec les âges déduits de la dendrochronologie : cette méthode basée sur les cernes annuels des conifères est également une méthode absolue qui donne de bons résultats à l'intérieur de son domaine d'application.
Thermoluminescence
Sous l'effet de la radioactivité produite soit par les radioisotopes contenus dans l'objet à dater, soit dans le milieu d'enfouissement, certains électrons peuvent être délocalisés et piégés dans d'autres sites. La quantité ainsi piégée est fonction de teneur en éléments radioactifs – uranium, thorium, potassium 40 – et du temps. Connaissant, par une mesure spécifique, la radioactivité in situ, on peut déterminer l'âge de l'objet par thermoluminescence : cette méthode est basée sur le fait que sous l'effet de la chaleur, les électrons retournent à leur niveau initial en émettant de la lumière. C'est ce qui se passe au moment de la cuisson de l'objet, mettant ainsi l'« horloge » à zéro. Lorsque l'on chauffera à nouveau l'objet, on décèlera une thermoluminescence d'autant plus importante que le temps écoulé depuis sa fabrication est grand. Ceci explique que pour des objets de fabrication récente — un à deux siècles — cette mesure manque de précision.
Il existe également une autre méthode fondée sur le piégeage des électrons, c'est la résonance paramagnétique électronique (RPE) ; elle fait appel aux modifications des propriétés magnétiques des solides liées au piégeage des électrons. Les moyens de mesure sont ici beaucoup plus lourds, mais cette méthode a l'avantage de ne pas être irréversible comme cela est le cas pour la thermoluminescence.
Il existe bien sûr beaucoup d'autres méthodes de datations absolues : ainsi pour des objets de plus de 600 000 ans et riches en potassium – par exemple des cendres volcaniques – on utilise la désintégration du K40 en Ar40 qui se fait en 1,33 milliard d'années.
Edmond Diemer
Le site d'Abu Ballas
Quittons maintenant ces oasis et parcourons vers le sud-ouest cet immense plateau crétacé avec ses regs caillouteux, quelquefois ensablés, et d'où émergent çà et là des buttes laissées par l'érosion telles les deux buttes typiques d'Abu Ballas avec, au pied de l'une d'elles, des jarres et des amphores. Sur cette butte même se trouvent des gravures rupestres d'âge inconnu, représentant une chasse à la gazelle avec un chien, une antilope addax et un petit addax tétant sa mère d'un style qui témoigne de contacts avec la vallée du Nil.
Partout, dans ces vastes étendues, existent les preuves d'un peuplement à la fin du paléolithique ou au néolithique. On devine le tracé d'anciens fleuves qui devaient alimenter des lacs propices à la vie. Maintenant desséchés, il ne reste que ces fonds de lacs, appelés mud (boue) pans (poêle) par les Anglais, qui s'étendent sur plusieurs kilomètres carrés.
Nous trouverons à 800 mètres d'un de ces lacs fossiles des vestiges de quatre habitations, très proches les unes des autres, et qui devaient être occupées entre 6300 et 4 300 ans av. J.-C. Il ne subsiste de ces habitations que des cuvettes à fond plat qui marquent leur emplacement.
Sur le flanc d'une butte voisine, on observe des cuvettes identiques entourées de pierres dressées, en guise de murs, ainsi que des gravures de spirales. À 200 mètres de cette butte, on remarque des gravures plus élaborées, représentant des girafes. Les explorateurs ont même découvert, au bord de ces lacs fossiles, les restes d'une girafe qui prouvent bien la présence de cet animal 1 000 kilomètres au nord de son aire actuelle. On y trouve également des tessons décorés, témoignage d'un contact avec le Soudan, des Aspatharia, coquilles d'eau douce, et des coquilles de Cauris, gastéropodes marins. La présence de ces coquilles surprend puisque l'eau douce la plus proche se trouve au djebel Nabta ou dans la vallée du Nil, tandis que la mer Rouge se situe à plus de 700 kilomètres.
On a aussi découvert des artefacts préhistoriques et des restes de bois carbonisés, preuve que la savane tropicale remontait jusque-là, c'est-à-dire 500 kilomètres plus au nord qu'actuellement.
Alors qu'au début de l'installation des hommes, l'essentiel de la nourriture provenait de la chasse à la gazelle dorcas, l'amélioration du climat permit d'enrichir l'alimentation grâce à la gazelle dama, trois fois plus grosse, et même de chasser l'antilope oryx qui, lors des périodes les plus favorables, représentait 50 % du butin de chasse. Au fur et à mesure que le climat devint plus rigoureux, on en revint à la gazelle dorcas. Finalement cette civilisation du type mud pan s'arrêta vers 4000 av. J.-C. aussi bien ici que dans la Grande Mer de sable, tandis que plus au nord, dans le Fayoum et dans la vallée du Nil, la civilisation néolithique atteignait son apogée.
Mais il est curieux de constater que malgré les deux mille ossements identifiés par Wim van Neer et datés de 6000 ans av. J.-C., aucun ne correspond à des animaux domestiques, alors que les fouilles faites par l'expédition américano-polonaise de Fred Wendorf, dans les années 1980, ont révélé qu'au djebel Nabta et à Bir Kiseiba, distants de 350 kilomètres et entre lesquels il existait des relations, le bétail était domestiqué depuis 1500 ans ! Peut-être que les habitants d'Abu Ballas préféraient tout simplement la chasse.
Était-ce pour attacher les animaux qu'ils avaient attrapés que les chasseurs préhistoriques utilisaient ces très nombreuses pierres d'entrave que l'on trouve sur les regs ou les plateaux gréseux ? Elles se présentent comme des blocs de quartzite de forme oblongue, pouvant peser jusqu'à une vingtaine de kilogrammes. Ces pierres ont toutes une entaille circulaire où l'on fixait une corde, ce qui permettait d'immobiliser la bête que l'on venait de chasser. Dans l'hypothèse de tentatives de domestication, ces pierres permettaient d'attacher les bovidés que l'on faisait pâturer. Pour certains explorateurs, il s'agirait de pierres utilisées pour fixer des pièges radiaires. Les pièges radiaires sont des cercles en bois, comprenant, telle une roue, des rayons de bois pointus vers le centre, où les bêtes se prennent les pieds. Quoi qu'il en soit, la présence de ces pierres, dont il existe des représentations rupestres, atteste l'existence d'une faune de mammifères. Dans ces regs ou serirs, on trouve des cercles de pierres (sans doute des foyers ou des fours que devaient utiliser les gardiens de troupeaux nomades) qui sont d'âge néolithique. Les plus anciens – de 6500 ans av. J.-C. – sont groupés par cinq ; plus tard, vers 3800 à 3 000 ans av. J.-C., ils seront groupés par vingt et même plus.
Le Gilf Kebir
Continuant notre voyage vers le sud-ouest, nous atteignons le plateau de grès et quartzite nubien du Gilf Kebir. Culminant à 1 082 mètres, ce massif de 100 kilomètres nord-sud et 80 kilomètres est-ouest est bordé, à l'ouest, de falaises raides qui dominent de 300 mètres la région. Il est légèrement incliné vers l'est et est pratiquement divisé en deux dans le sens est-ouest par le col d'Akaba ; ses versants, sud et est en particulier, sont entaillés par de nombreuses vallées plus ou moins sinueuses recelant des traces de peuplement humain. Nous avons parcouru le Wadi Bakht dont le débouché, vers la plaine, était, comme cela est le cas pour bien d'autres wadis, obstrué par un dépôt quaternaire, formant barrage : la retenue qui en a résulté a créé un lac au bord duquel la colonisation a pu se faire. Ce fond de lac ou playa contient de très nombreux artefacts.
Beaucoup de chercheurs allemands se sont intéressés à ces wadis : Leo Frobenius, Baldur Gabriel, Erwin Cziesla, Rudolph Kuper, Hans-Joachim Pachur, H. Rhotert. Werner Schön a mené en particulier quatre campagnes de recherche, consacrées au Wadi el Akhdar qui pénètre de 30 kilomètres le versant sud-ouest du Gilf Kebir.
Les outils lithiques, trouvés à même le sol dans les wadis du Gilf Kebir, sont des lames et lamelles, perçoirs, éclats retouchés, grattoirs, de très petites pointes de flèches, de nombreuses meules dormantes et des broyeurs d'un type qui semble être particulier au Gilf Kebir. Les datations1 faites au carbone 14 sur le charbon de bois trouvé dans les foyers et sur des coquilles d'œufs d'autruche s'échelonnent entre 9 300 et 3900 ans av. J.-C.
Les outils de cette période qui recouvre sept cycles climatiques sont à 98 % faits de quartzites en général à grains fins. Les 2 % restants sont essentiellement des microlithes faits de jaspe, de quartz en filon ou de bois fossile.
Un autre site particulièrement bien conservé, exploré par Erwin Cziesla, situé sur le flanc sud du Wadi el Akhdar d'où l'on pouvait contrôler l'accès à cette vallée, a fourni des artefacts en pierre et des coquilles d'œufs d'autruche, certaines transformées en grains d'enfilage. Datant de 2000 av. J.-C., ce site montre que l'on en était encore à l'âge de pierre alors que l'Égypte nilotique était entrée dans le Moyen-Empire. Enfin une couche de sédiments a livré des poteries de facture soit simple et sans décor – elles dateraient alors de 5500 av. J.-C. et correspondent au néolithique –, soit à décor en chevrons.
Quant au Wadi Sora, exploré pour la première fois par l'Anglais Patrick A. Clayton en 1933 et revisité la même année par le comte hongrois Laszlo von Almasy, il recelait des scènes intéressantes, gravées malheureusement sur un support gréseux très fragile. Almasy n'a pu retrouver que difficilement, sur un bloc effondré, les gravures rupestres signalées par Clayton et représentant des girafes et des lions. Il a découvert cependant des figures humaines dans toutes sortes de poses, des scènes de bataille et de danse, des guerriers et des femmes ornées de parures bizarres. Il a surtout remarqué, ce qui est très surprenant lorsque l'on connaît la sécheresse actuelle qui caractérise le désert Libyque, une fresque représentant des nageurs dont le dessin donne une excellente interprétation de la distorsion des corps vus sous l'eau.
Le djebel Uweinat
À 150 kilomètres au sud-ouest du Gilf Kebir, le djebel Uweinat a fait l'objet de nombreuses explorations, en particulier d'une expédition belge qui séjourna six mois sur le site entre 1968 et 1969. Leurs travaux ont permis de comprendre le peuplement de cette région à l'atérien et surtout au néolithique. Si le plateau de ce massif de grès traversé par du granit ne recèle que quelques rares zones d'intérêt – camps de chasseurs, carrières de roches à grains fins utilisées pour la confection des outils –, les meilleurs sites ont été découverts à la limite du massif rocheux et des plaines extérieures. Un niveau de cailloutis roulés par l'eau a permis de découvrir plusieurs sites de l'acheuléen supérieur qui sont caractérisés par de très beaux bifaces. Plusieurs niveaux au-dessus, un cailloutis sculpté par le vent a livré une culture plus jeune du type atérien : on y a trouvé de très belles pointes pédonculées. La séquence lithologique se poursuit par un sol sableux, ferrugineux en profondeur, et sur lequel des populations néolithiques ont dû vivre pendant des milliers d'années. Ces populations ont probablement pratiqué la culture de certains végétaux et l'élevage du bétail autour des bassins fermés propices à la rétention des eaux. On y a trouvé des meules, molettes, haches polies, grains d'enfilage en coquille d'œuf d'autruche, outils et éclats de pierre, pointes de flèches et débris de poterie, ainsi que quelques tombes. Ces habitats témoignent de relations avec le Tchad, avec les oasis égyptiennes et avec le Nil jusque très haut sur son cours.
La période d'épanouissement principal se situe entre 3500 ans av. J.-C. et la fin du IIe millénaire av. J.-C. ; par la suite, le peuplement devint plus sporadique et plus occasionnel.
De nombreuses gravures et peintures rupestres ornent l'intérieur du massif et se trouvent dans des abris sous roche, dans des cavernes ou aux abords des sources, généralement dans des endroits retirés au fond des karkûrs, les vallées des montagnes. Celles-ci, découvertes en 1923, ont été étudiées par Rhotert en 1934 puis par Winkler en 1938. Grâce à l'expédition belge, en 1968-1969, le nombre de panneaux décorés connus est passé de mille à quatre mille. D'âge néolithique, ils illustrent plusieurs thèmes : animaux isolés ou en groupes (bovins, chèvres, autruches, girafes), hommes et femmes, familles, scènes pastorales, scènes de razzias et de luttes. Des gravures plus récentes, au trait ou au coloris beaucoup moins élégant ou vivace, figurent l'introduction du chameau. C'est à proximité de ces panneaux que campaient les familles tebus, remarquées par Hassanein Bey lors de son expédition en 1923. Xavier Misonne, membre de la mission belge, a étudié la cinquantaine de représentations de girafes du djebel Uweinat. Elles se trouvent presque toutes dans la vallée très sinueuse du Karkûr Talh qui pénètre ce massif de 14 kilomètres depuis le nord-est. On estime que ces gravures s'échelonnent de 8 000 à 3 500 ans av. J.-C. ; elles ont manifestement été gravées par plusieurs artistes et seulement deux sont peintes ; toutes celles appartenant à une même époque présentent les girafes la tête tournée du même côté. Outre leur réelle beauté, certaines figurations révèlent une particularité : on y trouve des girafes associées à des hommes, quelquefois tenues par eux ou attachées à un piquet ; dans ce dernier cas, elles ont la queue redressée alors que normalement la queue de la girafe est toujours pendante. Ce caractère particulier serait un signe d'inquiétude ; s'agirait-il alors de représentations faites au moment de la capture ou d'essais de domestication ?
Aucune structure de type habitation néolithique n'a été trouvée dans ce djebel. Ces gravures ont dû être réalisées par des artistes de passage ou qui effectuaient des randonnées pastorales. Mais les tribus elles-mêmes devaient camper plus loin dans la plaine. Un tel peuplement serait impossible de nos jours à cause de l'assèchement du climat et de l'épuisement progressif des nappes phréatiques qui s'étaient constituées pendant la dernière période glaciaire de 70000 à 10000 ans av. J.-C. Il ne reste plus que quelques plantes résiduelles, souvenir des pâturages à Aristida, graminée type de la région.
Les puits
À 350 kilomètres à l'est de ce massif, la région des puits de Bir Tarfawi et Bir Sahara a fait l'objet d'expéditions par l'Américain Fred Wendorf et par ses collaborateurs américains et polonais, en 1973-1974 et 1986-1988. Les puits sont secs, on y trouve encore de rares palmiers dattiers (Phoenix dactylifera) et surtout quelques bosquets de tamaris (tarfawi en arabe). Distantes de 10 kilomètres, bénéficiant de la même nappe phréatique, ces deux dépressions présentent des sédiments contenant des outils de l'acheuléen supérieur (vers 120000 ans av. J.-C.) et plusieurs niveaux lacustres du paléolithique moyen avec, à Bir Tarfawi, une playa. Ces régions ont bénéficié de deux périodes humides contemporaines des industries du paléolithique ancien et de quatre autres périodes humides au début du paléolithique moyen. Certaines de ces phases humides sont sans doute le résultat de la remontée vers le nord de la mousson, qui est à l'origine de la création de lacs permanents.
Une faune importante – gazelles, tortues d'eau douce, crocodiles, chacals, phacochères, buffles géants – implique l'existence d'une savane très boisée entourant des marais et des lacs profonds. Parmi les dix espèces de poissons que l'on y a trouvées, la présence de la perche du Nil, exigeant des eaux très oxygénées, indique qu'il devait exister des communications, au moins temporaires, avec le lac Tchad et le Nil, sans doute à la faveur de grandes crues2. Les collectes d'outils lithiques semblent révéler que les habitants devaient, le jour, s'installer au bord des lacs pour cueillir et travailler les plantes terrestres et aquatiques (on a trouvé de nombreux denticulés en quartzite) et se retirer, le soir, sur les hauteurs pour ne pas être inquiétés par les animaux qui venaient boire aux lacs ou par les moustiques.
Parmi les oiseaux, certaines espèces tropicales attestent que, pendant l'une des périodes humides au moins, la moyenne des pluies pouvait être de 500 millimètres d'eau par an. Tous ces niveaux géologiques donnent des datations, faites sur des sédiments ou des coquilles d'œufs d'autruche, s'échelonnant de 175000 à 70000 ans av. J.-C. Le djebel Nabta, situé 200 kilomètres plus à l'est de Bir Tarfawi, et la playa qui lui est associée témoignent du néolithique ancien (6100 ans av. J.-C.). Les populations y ont pratiqué l'élevage de moutons, de chèvres et de bovidés, et la culture de l'orge. L'outillage fait de silex, de quartz ou d'agate comprend des perçoirs, des lamelles, des burins, des denticulés et des microlithes, ainsi que du matériel de broyage très typique. La céramique fait son apparition. Non loin des puits, des structures pouvant être des habitations ont été mises en évidence.
La Grande Mer de sable
Remontons maintenant vers le nord-ouest et explorons cette Grande Mer de sable, si caractéristique du désert Libyque. Région considérée pendant très longtemps comme infranchissable, cet immense territoire couvert en grande partie de cordons parallèles de dunes d'orientation sensiblement nord-nord-ouest-sud-sud-est s'étend entre l'oasis de Siwa et le Gilf Kebir, sur 600 kilomètres du nord au sud et 200 kilomètres d'est en ouest ; il n'y a pratiquement plus de vie et les précipitations sont inférieures à 5 millimètres par an. La nappe phréatique était, vers 10 000 ans av. J.-C., peu profonde, comme permet de le penser le remarquable site de Lobo où l'on trouve de nombreux artefacts et où l'on a pu dégager des trous d'eau, tapissés maintenant d'une croûte salée. Ce sel devait d'ailleurs attirer les caravanes. Mais, depuis cette époque, la nappe s'est considérablement abaissée.
Au néolithique, la région devait être peuplée de nomades vivant dans un paysage à l'herbe maigre, avec des buissons, quelques arbres isolés.
Pourtant, parmi les très nombreux sites préhistoriques, on a pu établir que vers 6000 ans av. J.-C., on y pratiquait la culture des céréales, et l'on a découvert des signes de domestication des bœufs encore plus anciens. On trouve des couteaux, des outils en forme de feuilles de laurier et des tessons de céramique, tout cela pouvant être mis en relation avec le néolithique des oasis et du Fayoum. Beaucoup d'artefacts sont même fabriqués avec du verre libyque dont la provenance se situe vers l'extrémité sud-ouest de la Grande Mer de sable.
Le pays des Tebus
Ce désert Libyque, pays à l'ouest du Nil, était pour les anciens Égyptiens considéré comme le royaume de la mort. Pourtant de nombreux écrits parlent non seulement de chasse d'animaux du désert – gazelles, antilopes –, mais également de tribus qui, jusque dans les temps historiques, faisaient paître leurs troupeaux à l'ouest de la vallée du Nil : il s'agissait des Temehu et Tehenu qui, tous, parlaient le berbère. Peut-être s'agit-il plus simplement des Tebus. Ces tribus, aux individus de grande taille et à la peau noire, parfaitement adaptées au désert, vivaient dans les djebels ou sur les plateaux ; on a trouvé des traces de leurs habitations en particulier dans le djebel Uweinat et dans le Gilf Kebir : abris circulaires faits de pierres plates empilées, mais sans toit, tombes représentées par des pierres dressées disposées en cercle, huttes carrées dont la structure était faite de branches d'acacias. C'était là leur base de départ pour des razzias qu'ils opéraient quelquefois à de très grandes distances : on a supposé qu'ils pouvaient parcourir 100 kilomètres par jour pendant plusieurs jours et que les paysans du Nil craignaient leurs incursions sur leurs terres. Des tribus tebus y ont encore été vues par l'explorateur anglais Ralph A. Bagnold en 1932.
Si ce désert Libyque n'a jamais été une région où coulaient le lait et le miel, il a tout de même été l'objet d'un peuplement humain plus qu'épisodique. Mais vers 3 000 ans av. J.-C., les précipitations commencèrent à diminuer et bientôt la sécheresse força les populations à se replier vers la vallée du Nil ; c'est pourquoi aucun artefact de l'âge de bronze n'a été trouvé dans ce désert qui est maintenant parfaitement stérile et que l'on peut parcourir pendant des semaines sans voir un seul être humain.
1 Voir encadré (p. 57) sur les datations au carbone 14.
2 Des études récentes faites sur le terrain et à partir de photographies prises par satellite ont établi l’existence d’un réseau hydrographique fossile : le Wadi Howar, situé 800 kilomètres plus au sud, a fonctionné depuis le tertiaire jusqu’à environ 5 000 ans av. J.-C., comme affluent du Nil qu’il rejoignait entre la troisième et la quatrième cataracte. De nombreux lacs s’étaient formés sur son cours.